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ABSALON EST VAINCU ET TUÉ — CHAGRIN DE DAVID

(920 ans avant J.-C.)



David, ayant fait la revue de son armée, la partagea en trois ; il en donna le tiers à commander à Joab. Il nomma Abisaï, frère de Joab, général du second tiers, et il donna le dernier tiers à Éthaï. Le roi dit ensuite à ses gens : « Je combattrai avec vous. »

Mais les principaux de l’armée lui dirent : « Seigneur, vous ne viendrez pas avec nous ; si nous venons à être vaincus, l’ennemi regardera cette victoire comme peu de chose, du moment que vous ne commandez pas l’armée et que vous n’êtes pas tué avec nous.

« Vous devez donc rester éloigné, car vous seul vous valez plus que dix mille hommes ; il vous sera facile de reformer une nouvelle armée à cause de l’estime qu’on vous porte. Demeurez plutôt dans la ville, afin de pouvoir au besoin nous secourir.

— Je ferai comme vous voudrez, répondit David ; mais écoutez, Joab, Abisaï et Éthaï, l’ordre que je vous donne : conservez-moi mon fils Absalon. » Toute l’armée entendit le roi répéter à plusieurs reprises : « Conservez la vie à mon fils Absalon. »

Le roi, suivant l’avis de ses fidèles amis, se retira donc dans la ville de Mahanaïm, et se tint à la porte de la ville.

Gaston. Pourquoi se tint-il à la porte ?

Grand’mère. Pour avoir plus tôt des nouvelles du combat, et voir de loin ce qui se passerait.

Paul. Et si un coup de fusil l’avait attrapé ?

Grand’mère. Il n’y avait dans ce temps ni fusil, ni canons, ni pistolets.

Françoise. Mais alors, avec quoi se battaient les soldats ?

Grand’mère. Avec des lances, des massues, des haches, des glaives, des arcs et des flèches.

La petite armée de David marcha donc contre l’armée nombreuse d’Absalon, et la bataille commença dans la forêt d’Éphraïm. Elle ne dura pas longtemps ; l’armée de David, protégée par le Seigneur, et profitant de l’embarras que causaient les arbres pour le passage des chevaux et des soldats d’Absalon, mit le désordre dans leurs rangs, en tua un grand nombre, et mit le reste en fuite.

Absalon lui-même fut emporté par son cheval à travers le bois ; il perdit son casque, ses longs cheveux s’entortillèrent dans les branches d’un gros chêne : son cheval continua à courir, et Absalon se trouva pendu par les cheveux.

Plusieurs hommes de l’armée de David virent Absalon accroché par les cheveux, à ce chêne mais aucun n’osa le tuer par respect pour l’ordre de leur bon roi.

Un des soldats, revenant près de Joab, lui dit : « J’ai vu Absalon pendu par les cheveux à un chêne. — Si tu l’as vu, dit Joab, pourquoi ne l’as-tu pas percé de ton glaive ? Je t’aurais donné dix sicles d’argent et un baudrier neuf pour ton glaive. »

Le soldat répondit à Joab : « Quand même vous me donneriez mille sicles d’argent, je me garderais bien de porter la main sur le fils du roi ; car nous avons tous entendu l’ordre qu’il a donné à vous, à Abisaï et à Éthaï : Conservez la vie à mon fils Absalon. »

Louis. Quel excellent soldat ! Joab a dû être honteux de ce qu’il venait de dire.

Grand’mère. Non, pas du tout. Joab répondit à ce brave homme : « Je ne me fie pas à toi ; je vais aller moi-même le tuer en ta présence. » Joab partit emportant trois dards.

Louis. Qu’est-ce que c’est, un dard ?

Grand’mère. Un dard est une petite lance très-pointue qu’on lançait avec la main.

Joab ordonna au soldat, qui n’osait pas refuser d’obéir à son chef, de le mener au chêne d’Absalon, et, quand Joab fut arrivé près du méchant prince, qui se débattait sans pouvoir dégager sa tête, il lui lança ses trois dards qui lui traversèrent le corps. Comme Absalon respirait encore, dix jeunes écuyers de Joab accoururent et achevèrent avec leurs lances de tuer le coupable prince.

Aussitôt Joab fit sonner la retraite pour arrêter le combat, car il ne voulait pas tuer des Israélites sans nécessité ». Ils se retirèrent tous chez eux. Joab fit emporter Absalon, et le fit jeter dans une grande fosse qui se trouvait dans le bois ; il la fit remplir de pierres.

Après la mort d’Absalon, Achimaas, fils du grand prêtre Sadoc, dit à Joab : « Je vais courir à Mahanaïm pour annoncer au roi la victoire que vous avez remportée. » Joab répondit : « Non, je ne veux pas que tu y ailles aujourd’hui ; car Absalon est mort, et le roi en sera affligé. »

Il appela un homme nommé Chusi et lui dit : « Va trouver le roi, et annonce-lui ce que tu as vu. » Chusi salua profondément et se mit à courir.

Achimaas dit encore à Joab : « Mais si je courais après Chusi ? — Mon fils, répondit Joab, pourquoi veux-tu courir ? Tu serais le porteur d’une mauvaise nouvelle. — Mais enfin si je courais ? — Cours donc ! » dit Joab. Achimaas partit en courant ; il prit un chemin plus court que Chusi et arriva avant lui.

Le roi était toujours assis à la porte de la ville. La sentinelle lui cria du haut de la muraille qu’il voyait accourir le jeune Achimaas, fils de Sadoc.

« S’il court, c’est qu’il porte de bonnes nouvelles, » dit le roi.

La sentinelle apercevant Chusi : « En voici un second qui court, cria-t-il encore. — S’il court, c’est qu’il apporte aussi de bonnes nouvelles, » reprit le pauvre David.

Achimaas, approchant du roi, lui dit en le saluant profondément : « Que Dieu conserve le roi ! Le Seigneur a livré vos ennemis entre vos mains ; ils sont tous détruits.

— Mon fils Absalon est-il en vie ? demanda aussitôt le roi. — Je ne sais, mon seigneur, car il y avait encore un grand tumulte quand je suis parti. — Passe, dit le roi, et laisse approcher l’homme qui te suit. »

Chusi, s’approchant, salua profondément à son tour. Le roi répéta sa question : « Mon fils Absalon est-il en vie ? »

Chusi répondit : « Que tous ceux qui s’élèvent contre mon roi, soient traités comme l’a été le prince Absalon. »

Le roi, comprenant que son fils était mort, fut saisi de douleur : il monta dans une chambre qui était au-dessus de la porte, et il se mit à pleurer, en criant : « Absalon, mon fils Absalon, que ne puis-je donner ma vie pour la tienne ! Mon fils Absalon ! Mon cher fils ! »

Jeanne. Pauvre David, comme il était bon ! Il aimait toujours ce méchant Absalon, malgré tout ce qu’il avait fait.

Grand’mère. Oui, David était très-bon, très-aimant. Dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, il ne se révolta pas contre la volonté du Seigneur, il ne se laissa aller à aucun murmure ; il ne lui adressa pas un reproche, il pleura seulement beaucoup.