CXXIX

CHUSAÏ DÉTOURNE ABSALON DE SUIVRE LES CONSEILS D’ACHITOPHEL

(920 ans avant J.-C.)



Absalon réunit ensuite son conseil. Achitophel dit : « Si vous me le permettez, mon seigneur, je vais prendre douze mille hommes choisis ; j’irai poursuivre David cette nuit même ; je les attaquerai, et je les vaincrai sans peine, car ils sont tous fatigués ; le roi se trouvera seul, et je le tuerai. Vous régnerez alors en paix. »

Ce conseil de traître plut au détestable Absalon et à tous ses officiers. Chusaï alors prit la parole. « Le conseil d’Achitophel ne me paraît pas bon, dit-il. Les gens qui sont avec votre père sont nombreux et très-vaillants. Ils lui sont attachés, et ils sont outrés de colère, comme une ourse en furie à laquelle on a enlevé ses petits. Votre père est très-vaillant et très-habile dans l’art de la guerre. Il est probablement dans la montagne caché avec ses soldats dans les cavernes, où ils pourront facilement se défendre. Ils commenceront par tuer beaucoup de vos gens ; vos soldats seront saisis d’effroi ; ils croiront que le Seigneur est avec votre père, ils se sauveront tous ; tout le peuple saura que le roi Absalon a été vaincu ; il vous abandonnera et il ira rejoindre David.

— Que faut-il donc faire ? dit Absalon.

— Voici mon avis, dit Chusaï. Rassemblez les tribus d’Israël ; prenez tous les guerriers ; et, quand vous aurez une armée nombreuse comme les grains de sable de la mer, marchez à leur tête ; vous entourerez David et sa petite armée, et vous la détruirez facilement soit par les armes, soit par la faim et la soif. »

Le Seigneur permit qu’Absalon et son conseil trouvassent l’avis de Chusaï meilleur que celui d’Achitophel, et ils se résolurent à le suivre.

Armand. Ah mon Dieu ! le pauvre David ne pourra pas leur échapper ! Chusaï donne un très-mauvais conseil pour le pauvre David.

Grand’mère. Non, cher enfant ; il fallait avant tout gagner du temps, et donner au vrai roi le temps de s’enfuir et de rassembler des troupes.

Alors Chusaï dit aux grands prêtres Sadoc et Abiathar ce qui s’était passé, pour qu’ils le fissent savoir à David. « Dites au roi, ajouta Chusaï, qu’il ne demeure pas cette nuit dans les plaines du désert ; mais qu’il passe au plus vite le Jourdain, de peur qu’on ne le fasse périr avec tous ses fidèles soldats. »

Sadoc et Abiathar envoyèrent immédiatement leurs fils Jonathas et Achimaas au roi David ; malheureusement ils rencontrèrent en chemin un jeune garçon qui, les voyant marcher vers le désert, courut avertir le roi Absalon.

Jonathas et Achimaas, se voyant observés par le jeune garçon, coururent jusqu’à Bathurim, et entrèrent dans la maison d’un homme ami de David ; aidé de sa femme, ce fidèle serviteur du roi descendit les envoyés des grands prêtres dans un puits qui se trouvait au fond de la cour.

Paul. Mais les pauvres gens ont dû être noyés ; il y a toujours de l’eau dans les puits.

Grand’mère. Non, cher enfant ; le bon Dieu les protégeait ; le puits se trouva sans eau dans ce moment.

La femme couvrit le puits avec une couverture sur laquelle elle répandit une quantité de graines, comme si elle les faisait sécher.

Les gens d’Absalon entrèrent quelque temps après, dans cette maison, et demandèrent à la femme : « Où sont Achimaas et Jonathas, les fils des grands prêtres ? — Ils ont pris un peu d’eau et s’en sont allés tout de suite, répondit la femme ; mais je n’ai pas regardé de quel côté. »

Jeanne. En voilà encore une qui mentait.

Grand’mère. Hélas oui ! Elle ne savait sans doute pas qu’il est défendu de mentir, même pour faire du bien. Son cœur avait raison, mais sa langue avait tort.

Les gens d’Absalon, n’ayant rien trouvé, s’en retournèrent à Jérusalem. Aussitôt qu’ils se furent éloignés, Achimaas et Jonathas sortirent du puits, continuèrent leur chemin ; ayant trouvé David, ils lui racontèrent ce qui s’était passé ; et ils ajoutèrent :

« Partez, et passez le fleuve au plus tôt, afin qu’Absalon ne puisse vous entourer avec son armée. »

David partit aussitôt avec ses soldats, et passa le Jourdain avant la pointe du jour, sans qu’un seul homme périt et sans qu’il en restât un seul sur l’autre rive.

Achitophel, voyant qu’on n’avait pas suivi son conseil, devint furieux, monta sur son âne, alla dans sa maison qu’il avait près de là, et se pendit.

Petit-Louis. Tiens, c’est comme Judas.

Grand’mère. En effet, Achitophel, ami et conseiller intime de David, le trahit et mourut comme un maudit. De même, Judas, l’apôtre et l’ami de Jésus, le trahit tellement, et se pendit dans un accès de rage et de désespoir.

Absalon, ayant appris que son père avait passé le Jourdain, se mit à sa poursuite, traversa aussi le fleuve, et s’arrêta pour former son armée. Il nomma Amasa, neveu de Joab, général en chef.

David avait établi son camp près du Jourdain, dans le pays des Ammonites. Les Ammonites, le sachant chez eux avec sa petite armée, apportèrent au camp d’excellents aliments en grande abondance pour leur rendre des forces ; ils donnèrent ensuite des lits, des tapis et tout ce qui était nécessaire pour établir David et ses gens dans leur camp.