L. Hachette et Cie (p. 325-328).

CXXVIII

TRAHISON DE SIBA — INSOLENCE DE SÉMÉÏ

(921 ans avant J.-C.)



David continua sa marche ou plutôt sa fuite vers le désert ; il vit arriver au-devant de lui Siba, le serviteur de Miphiboseth, celui qui avait la surveillance des biens du fils de Jonathas. Siba arriva avec dix ânes chargés de deux cents pains, de deux cents paniers remplis de raisin sec et de figues, et enfin d’une immense outre pleine de vin.

Le roi étonné lui dit : « Que veux-tu faire de cela ?

— Seigneur, répondit Siba, les ânes sont pour servir de monture aux officiers du roi ; les pains, le raisin et les figues, pour la suite du roi ; le vin, pour donner des forces à ceux qui sont faibles et fatigués.

— Et où est Miphiboseth, le petit-fils de votre maître Saül ?

— Il est resté à Jérusalem, répondit perfidement Siba ; il a dit : « Les tribus d’Israël me rendront aujourd’hui le royaume de mon père, »

David, irrité de la trahison prétendue de Miphiboseth, qu’il avait traité d’une manière si généreuse, dit à Siba : « Puisqu’il en est ainsi, je te donne tous les biens de Miphiboseth. » Siba remercia le roi David, et se retira fort content d’avoir réussi à perdre le pauvre Miphiboseth dans l’esprit du roi.

Petit-Louis. Est-ce que ce n’était pas vrai ce que disait Siba ?

Grand’mère. C’était une affreuse calomnie. Miphiboseth resta toujours fidèle à son bienfaiteur, même après l’injustice involontaire dont il fut la victime.

Valentine. Quel méchant homme que ce Siba ! J’espère qu’il sera puni.

Grand’mère. Certainement ; nous verrons cela bientôt.

Jeanne. Je trouve que David a cru trop légèrement ce que disait Siba.

Grand’mère. Il croyait à sa bonne foi ; étant lui-même très-bon et très-loyal, il ne pouvait supposer une pareille calomnie.

Le roi continua sa route ; il arriva près d’une ville nommée Bathurim. En passant devant une maison, il en vit sortir un homme qui avait été de la maison de Saül et qui s’appelait Séméï. Quand cet homme vit David, il se mit à le maudire, à lui jeter des pierres, ainsi qu’aux hommes de sa suite. Il maudissait le roi en criant : « Sors, sors, homme de sang, homme de Bélial… »

Gaston. Qu’est-ce que c’est, Bélial ?

Grand’mère. Bélial est la même chose que Baal ; c’est le nom d’un des principaux démons.

« Le Seigneur, continuait Séméï, a fait retomber sur toi le sang de la maison de Saül, parce que tu lui as volé son royaume pour te mettre à sa place. Et à présent tu es accablé de maux, et ton fils Absalon t’a chassé à son tour, parce que tu es un homme de sang. »

Alors Abisaï, frère de Joab, dit au roi : « Faut-il que ce chien mort maudisse le roi mon seigneur ! Je vais lui couper la tête. »

Le roi lui répondit : « Laisse-le faire. Le Seigneur lui permet de maudire David, et qui osera lui demander pourquoi il l’a fait ? Vous tous, vous voyez que mon fils, qui est mon sang, cherche à m’ôter la vie. Combien plus Séméï me traitera-t-il de même, s’il en a le pouvoir ? Laissez-le faire ; laissez-le maudire selon la permission qu’il a reçue du Seigneur. Peut-être Dieu me rendra-t-il quelque bien, en place de ces malédictions que je reçois aujourd’hui. »

David continuait donc son chemin, toujours accompagné de Séméï, qui marchait sur le haut de la montagne, maudissant le roi, lui jetant des pierres, et faisant voler la poussière en l’air.

David arriva enfin à Bathurim, et avec lui le peuple qui l’accompagnait ; ils étaient tous fort fatigués et abattus ; et là ils s’arrêtèrent pour manger et se reposer.

Absalon était entré à Jérusalem, avec Achitophel et tous ceux de son parti.

Chusaï, suivant l’ordre de David, vint saluer Absalon, et lui dit : « Dieu vous conserve, ô mon roi. »

Absalon lui répondit : « Est-ce là la reconnaissance que tu as pour ton ami David ? D’où vient que tu n’es pas avec lui ?

Dieu m’en garde, répondit Chusaï. Je suis à celui qui a été élu par le Seigneur et par tout le peuple d’Israël, et je demeurerai avec lui. Et de plus, qui est celui que je viens servir ?

N’est-ce pas le fils du roi ? Je vous obéirai comme j’ai obéi à votre père. »

Jacques. Grand’mère, est-ce qu’il est permis de mentir comme cela ?

Grand’mère. Pas du tout. Ce qu’on peut dire pour l’excuser, c’est que son intention était bonne.

Ces paroles de Chusaï plurent à Absalon. Il dit à Achitophel : « Consultez ensemble sur ce que nous avons à faire. »

Achitophel lui répondit : « Commencez par outrager et avilir les femmes de David, en présence du peuple. Quand le peuple verra que David a abandonné ses femmes, il le méprisera, et s’attachera davantage à vous. »

Absalon suivit l’abominable conseil d’Achitophel. Il monta sur la terrasse du palais ; il se fit amener les douze femmes les plus aimées du roi David, et il les outragea horriblement pour les rabaisser devant tout le peuple.

Henri. Quel abominable homme que cet Absalon ! Je voudrais qu’il meure.

Grand’mère. C’est aussi ce qui va lui arriver bientôt.