L. Hachette et Cie (p. 321-325).

CXXVII

INGRATITUDE D’ABSALON

(925 ans avant J.-C.)



Jeanne. Je suis consente que David ait pardonné à Absalon ; cela va peut-être le corriger. Je suis sûre qu’ils vont être très-heureux à présent.

Grand’mère. Au contraire, David fut plus malheureux que jamais à cause de la méchanceté d’Absalon. Vous allez voir comment.

Quand Absalon eut reçu le pardon complet de son père, il chercha à se faire aimer du peuple et à détruire l’affection et le respect que tout le monde portait à David.

Il commença d’abord à vouloir inspirer le respect et la crainte en se faisant faire de riches chariots, en se faisant escorter par des hommes à cheval, et en ayant toujours cinquante soldats qui marchaient devant lui, et qui l’accompagnaient partout.

Il se levait de grand matin, et il se tenait assis à la porte du palais du roi, avec ses soldats, sous prétexte de mieux garder David. Il parlait, à l’audience du roi, à tous ceux qui venaient pour affaires ou pour lui demander justice.

« Qui êtes-vous ? demandait Absalon. Que désirez-vous ? » — Il se faisait expliquer l’affaire. — « Ce que vous demandez est juste, disait-il. Oh ! qui m’établira juge des douze tribus pour que je vous fasse rendre justice ! »

Il parlait ainsi à tous ceux qui venaient demander justice au roi, même quand leur cause était injuste, et par cette conduite perfide il gagna l’affection de toutes les tribus.

Quatre ans après, quand Absalon crut avoir pour lui le peuple entier, il alla demander au roi la permission d’aller à Hébron pour offrir un sacrifice. « Car, dit-il, j’ai promis au Seigneur, s’il me faisait rentrer en grâce auprès de vous, mon père, d’offrir un sacrifice à Hébron. — Va en paix, mon fils, lui répondit le bon David ; va offrir ton sacrifice. »

Absalon envoya aussitôt dans les douze tribus d’Israël. Il fit avertir les amis qu’il avait partout : « Aussitôt que vous entendrez sonner les trompettes, leur fit-il dire, proclamez partout qu’Absalon règne à Hébron. »

Il partit ensuite pour Hébron, emmenant avec lui deux cents hommes dévoués. Il fit venir auprès de lui Achitophel, conseiller du roi David, et celui-ci excita tout le peuple à se joindre à lui et à reconnaître Absalon pour son roi.

Gaston. Est-ce que ce méchant Absalon va réussir ?

Grand’mère. Tu vas voir. Un homme dévoué à David accourut à Jérusalem, et dit au roi :

« Seigneur, tout le peuple suit votre fils Absalon, qui s’est fait proclamer roi. »

David accepta humblement ce nouveau malheur. « Allons-nous-en, dit-il ; sortons de Jérusalem, car nous ne pouvons éviter de tomber entre les mains d’Absalon ; si je veux résister avec le peu de monde qui me reste fidèle, Absalon détruira Jérusalem, et fera périr tous ses habitants. »

David sortit donc de la ville, à pied, entouré de tous ses officiers et de six cents hommes qui lui restaient fidèles. Le roi voulut les renvoyer.

« Allez, leur dit-il, et acceptez pour roi mon fils Absalon, de peur que, si vous tombez entre ses mains, il ne vous fasse mourir. Pour moi, ajouta-t-il, j’irai où m’enverra le Seigneur. Et le Seigneur, qui est plein de bonté et de justice, vous récompensera lui-même du zèle et de la fidélité avec lesquels vous m’avez servi. »

Mais Éthaï, un des officiers de David, lui répondit : « Vive le Seigneur, et vive le roi David, mon maître ! En quelque lieu que vous puissiez être, mon seigneur et mon roi, votre serviteur y sera à la vie et à la mort.

— Viens donc, dit David ; que tous ceux qui me restent fidèles comme toi, bon serviteur, passent avec moi le torrent du Cédron. »

David passa le torrent, suivi d’Éthaï, de tous ses officiers et des six cents hommes auxquels se joignit le peuple de Jérusalem.

Le pauvre roi traversa le torrent du Cédron en pleurant ; ils montèrent ensuite la montagne des Oliviers. Et tout le peuple pleurait avec lui.

Henriette. Grand’mère, est-ce que ce torrent du Cédron est le même que traversa Notre-Seigneur Jésus-Christ, quand les méchants Juifs le menaient pour le faire mourir ?

Grand’mère. Oui, chère enfant, et la montagne des Oliviers est la même où Notre-Seigneur eut ce qu’on appelle son agonie, c’est-à-dire une si terrible douleur des péchés des hommes, que ses larmes devinrent des larmes de sang.

Le pauvre roi David versait aussi des larmes abondantes sur ses péchés, et surtout sur le meurtre d’Urie ; il pleurait aussi sur le péché de son fils. Ce fils ingrat l’obligeait à quitter la ville de Jérusalem à pied, comme un coupable qui s’enfuit. David avait déjà soixante ans, il était fort affaibli, et il était accablé de douleur.

Quelques heures après, Sadoc, le grand prêtre, accompagné de tous les Lévites qui portaient l’Arche d’alliance, vint rejoindre le roi légitime. Mais David ne voulut pas exposer l’Arche sainte. Il leur dit de la reporter dans le Tabernacle à Jérusalem, et de la garder avec le reste des Lévites.

« Pour moi, dit-il, je vais me cacher dans le désert, jusqu’à ce que vous m’envoyiez des nouvelles. »

Sadoc et les Lévites reportèrent donc l’Arche de Dieu à Jérusalem ; et ils y demeurèrent. David continua à monter la montagne des Oliviers ; il pleurait, et il marchait nu-pieds et la tête couverte d’un voile. Et tout le peuple montait avec lui, la tête couverte et pleurant.

Armand. Pourquoi pleuraient-ils et avaient-ils la tête couverte ?

Grand’mère. Le peuple pleurait parce qu’il aimait et regrettait son bon roi, et ils avaient tous la tête couverte en signe d’affliction.

Quant au malheureux David, il avait bien des motifs pour s’affliger : il avait une tendresse particulière pour Absalon ; car ce jeune prince était charmant à l’apparence ; sa beauté était remarquable ; il avait entre autres une chevelure magnifique, d’une épaisseur et d’une longueur extraordinaires. Il était très fier de sa chevelure, et ce fut pourtant elle qui fut cause de sa mort.

Françoise. Comment cela, Grand’mère ?

Grand’mère. Je vous le dirai tout à l’heure, quand j’aurai fini de vous raconter sa vie si coupable.

David reçut bientôt la nouvelle que son ami Achitophel l’avait aussi trahi pour se mettre dans le conseil d’Absalon. Et il dit à Dieu : « Seigneur, renversez, je vous prie, les conseils du traître Achitophel. »

Lorsque David arrivait au haut de la montagne des Oliviers, où il voulait s’arrêter pour adorer le Seigneur, il vit accourir Chusaï, son fidèle serviteur. Chusaï était essoufflé, ses vêtements étaient déchirés, sa tête était couverte de poussière. David lui dit :

« Si tu restes près de moi, tu me seras à charge, car je n’ai rien pour te nourrir. Si tu veux m’être utile, retourne à la ville et dis à Absalon : « Mon roi, je viens vous offrir mes services ; je vous servirai comme j’ai servi votre père. » Et tu empêcheras que les conseils d’Achitophel ne me soient nuisibles. Tu as avec toi les grands prêtres Sadoc, Abiathar, et leurs deux fils Achimaas et Jonathas. Tu leur diras ce que tu auras appris chez le nouveau roi, et tu m’enverras dire par eux tout ce que tu sauras. »

Chusaï, ami de David, retourna donc à Jérusalem ; Absalon y entrait en même temps.