La Verdure dorée/Maisons rouges, pavés brûlés, feuillages bleus

LXIV

À John Middleton Murry.


Maisons rouges, pavés brûlés, feuillages bleus…
L’aveugle aux yeux d’opale embrasse un chien galeux
Dans ses cheveux graisseux brillent des bouts de paille
Et sa tasse en fer-blanc secoue un sou d’Espagne.
Un enfant au ruisseau traîne un bouc égorgé.
Des filles en riant poussent vers le marché
Des monceaux de lilas rose dans des brouettes.
L’odeur des piments frits flotte dans les ruelles,
Et les chiens dorment noirs de mouches. Sur les quais
De jaunes matelots vendent des perroquets
Violets, de l’ivoire et des plumes d’autruche.
L’étal d’un charcutier verse un parfum de truffe,
Et des bergers sentant la brebis et le suif
Portent du lait tourné dans des outres de cuir.
Les faisans corrompus, les viandes en conserve
Chargent l’air et là-bas, jailli d’une caserne,
Un long cri de clairon monte comme un jet d’eau.
Et pourtant c’est ici qu’une nuit, doux fardeau,
Je t’emportai sur mes épaules, sous les lampes
Des carrefours, sous les étoiles en guirlandes,
Sous les chauves-souris et la lune, à travers
Ces ruelles, loin de l’auberge aux carreaux verts,

Où tu dansais avec des feuilles à ton peigne
Sous un voile léger comme une aile d’abeille,
Où tu dansais parmi le rhum et les citrons,
Dans les cris, dans l’azur des pipes, les jurons
Des bateliers, des colporteurs et des manœuvres ;
Où tu dansais en déchirant des roses neuves
Sous les quatre flambeaux de résine et de poix
Qui rougissaient les murs et les tables de bois ;
Où tu dansais tordant ta chevelure rousse,
Sur la terre où giclaient des flaques de vin rouge.