Édouard Garand (17p. 15-16).

CHAPITRE IX

LE CASTEL-ROULANT


Ondine étant morte dans la deuxième semaine de septembre, Marcelle se trouva à passer chez elle toute l’année scolaire. Mais elle eut des maîtres, et elle étudia aussi consciencieusement que si elle eut été obligée de se soumettre au règlement sévère d’un couvent, au lieu d’être la compagne chérie du plus indulgent des pères.

On était au mois d’avril, et déjà, « ça sentait le printemps » pour parler comme Dolorès Lecoupret. Un soir, Henri Fauvet dit à sa fille :

— Marcelle, que penserais-tu de l’idée d’aller faire un voyage, toi et moi, durant tes vacances ?

— Mais, je dirais que vous êtes le plus charmant des petits pères, d’avoir eu une si bonne idée ! répondit Marcelle. Où irons-nous, père ?

— Là où tu désireras aller, mon enfant.

— Alors, petit père, j’aimerais aller dans le nord de la province d’Ontario, dans le district du Nipissingue, voir la maison de Febro, où maman est née, et où je suis née, moi.

— Rien n’est plus facile que de satisfaire ton désir, ma chérie… Seulement, je me demande si la maison tient encore debout. Je te l’ai dit, le mari de Febro, Cyril Florentin, a abandonné le district du Nipissingue, depuis quatre ans maintenant. La maison, déjà vieille, n’ayant pas été entretenue, depuis ce temps…

— Qu’importe ! Nous verrons toujours le saule pleureur sous lequel maman aimait à se bercer ; elle m’en a parlé si souvent !

— Nous irons certainement, alors, mon aimée, dit Henri Fauvet. Ce n’est qu’un voyage d’un jour et demi d’ici là, d’ailleurs.

— Oh ! mais, ce n’est pas en wagon que je veux voyager ! s’écria Marcelle.

— Pas en wagon !… Je ne comprends pas… fit Henri Fauvet.

— Je lisais, tout dernièrement, dans un journal, un article relatif à la manière dont les lords anglais passent leurs vacances, et j’ai trouvé cela tout à fait bien. N’avez-vous pas lu, petit père ?

— Eh ! bien, non, Marcelle. Je t’avouerai bien que les lords anglais et leurs amusements ne m’intéressent guère, répondit, en riant, Henri Fauvet. Raconte-moi cela plutôt, petite.

— Ils partent en roulotte, et se promènent ainsi, durant toute la belle saison. C’est de cette manière que je voudrais voyager ; même, j’ai donné un nom à notre roulotte ; je l’ai nommée le « Castel-Roulant ». N’est-ce pas que c’est joli, père ?

Henri Fauvet rit de grand cœur

— Tu en as des plans, Marcelle ! s’écria t-il. Partir en roulotte ! Nous passerions pour de fiers originaux, bien sûr !

— Qu’est-ce que ça fait que nous passions pour avoir des idées pas du tout banales ? J’y tiens tant à notre Castel-Roulant, petit père chéri, que j’en ai fait un plan, sur une feuille de mon cahier de dictées anglaises, pas plus tard qu’hier. Je vais vous montrer le dessin que j’ai fait et vous verrez comme c’est gentil ! Nous avons deux bons chevaux ; Stella et Phébée nous transporteront sans fatigue sur les centaines de milles, d’ici à notre destination. Car nous ne serons pas pressés, vous le pensez bien, et nous nous arrêterons aux endroits pittoresques, sur le bord des rivières, des lacs, pour y faire la pêche, puis…

— Mais, c’est qu’elle y tient ! s’exclama Henri Fauvet, en riant, je comprends ton idée, Marcelle, reprit-il ; tu veux que je fasse construire une sorte de char-à-bancs…

— Le ciel m’en préserve ! s’écria la jeune fille. Il n’y aura pas de bancs dans le Castel Roulant, seulement de confortables chaises berceuses et un fauteuil pour vous. Nous apporterons des livres, des cartes à jouer, et le reste, et le reste… Vous verrez, petit père ! Vous aimerez tant cette manière de voyager, que vous ne voudrez plus jamais voyager autrement.

— S’il n’y a pas de bancs dans ton Castel-Roulant, chère enfant, sur quoi coucherons-nous ? Sur le plancher ? Je t’avouerai que je ne vois pas grand charme à cela !

— Coucher sur le plancher ! Mais, pas du tout ! Nous coucherons dans des hamacs. L’intérieur de la roulotte sera pourvu de stores, que nous baisserons, chaque soir, afin d’être chacun chez soi. Nous aurons un petit poêle à l’huile, sur lequel Mme  Emmanuel fera cuire nos repas, les jours de pluie, quand nous ne pourrons pas manger sur l’herbe. Nous passerons les nuits dans les bois ou sur le bord des rivières, et Mousse fera la garde. (Mousse était un chien collie de grande taille appartenant à Marcelle ; un cadeau de son parrain M. de Lafeuillée).

— Ton idée me parait joliment baroque, mon enfant, et je ne puis prendre une décision sans avoir pesé le pour et le contre… Je te donnerai une réponse définitive demain, dit le père de Marcelle.

Henri Fauvet comptait sur Mme  de Bienencour, pour détourner Marcelle de son idée. Mme  de Bienencour était attendue, le lendemain, et elle ferait comprendre à sa filleule la presqu’impossibilité de ce voyage. Ce en quoi Henri Fauvet se trompait, car, quand il eut parlé à cette dame du rêve que faisait Marcelle, celle-ci répondit ;

— Décidément, ma filleule a des goûts saltimbanquesques, (Mme  de Bienencour aimait à fabriquer des mots, à l’occasion) et il ne serait pas mal à vous de les satisfaire, M. Fauvet. Ses goûts, à votre fille, changeront, avec les années. Je ne la contrarierais pas, si j’étais vous.

— Mais… l’originalité… commença Henri Fauvet.

— Précisément ! Voyager en wagon, quoi de plus banal ! fit Mme  de Bienencour, en riant. Je trouve que Marcelle a là une idée tout à fait géniale, et si je ne partais pas pour l’Europe, je demanderais un coin dans le Castel-Roulant ; ce serait rigolo !

Le résultat de cette conversation fut que, à quelques jours de là, Henri Fauvet faisait venir un carrossier et lui donnait l’ordre de construire une roulotte. Un mois et demi plus tard, le Castel-Roulant, traîné par Stella et Phébée, quittait le Nid, emportant « dans ses murs » pour citer Mme  de Bienencour, les personnes suivantes : Henri Fauvet, Marcelle, Dolorès Lecoubret, Rose, Mme  Emmanuel, V. P., et Cyp. Cyp (abréviation de Cyprien) qui était le neveu de V. P. Il remplaçait maintenant Nap, qui était devenu menuisier, travaillant à son compte. Cyp était âgé de douze ans.

Une foule joyeuse avait assisté au départ du Castel-Roulant, et avait souhaité bon voyage aux châtelains du castel. Foule sympathique d’ailleurs, car les Fauvet étaient beaucoup aimés, et plus d’un désignait Marcelle du nom de : « Petit rayon de soleil de la banlieue ».