Come dwell with me, come dwell with me,
And our home shall be, and our home shall be,
A pleasant cot, on a tranquil spot,
With a distant view of the changing sea.
Song.
Tiens, dira la jeune fille, en arrivant aux dernières
pages de cet ouvrage, ils vont déjà se
marier, et ils n’ont seulement pas eu un petit refroidissement,
— c’est drôle. Ducray Dumesnil
sait bien mieux arranger une histoire — Je le veux
bien, moi ; mais je me suis promis de respecter la
vérité, et en outre j’enseignerai une bonne recette
à celle qui croient qu’on ne peut aimer, sans se
brouiller de temps à autre : elles n’ont qu’à voir
leurs amants que tous les six mois, et pour deux
ou trois jours seulement, et elles ne chercheront
pas à se l’attacher en le tourmentant ; et je crois,
en outre, que cet ouvrage n’aurait pas fini par un mariage, si Amélie avait suivi ce système ; car St. Céran n’aimait pas les coquettes.
Le lendemain de son entrevue avec Dimitry,
St. Céran écrivait la lettre suivante à son amante :
Ma chère Amélie,
Le tems est enfin venu de te rappeler tes promesses,
et de tenir les miennes. Tu dois être à
moi, tu me l’as juré, et je réclame ton serment.
Ton père est peut-être mort ; rien ne t’empêche
de faire mon bonheur, et je pense que s’il vivait, il
ne me refuserait pas ta main maintenant. Mais peu
importe, je serai près de toi dans quelques jours ;
ainsi sois préparée à me suivre ; je repartirai la
même nuit de mon arrivée, car je ne veux pas
que l’on sache que je suis à St. Jean. Trouve-toi
vers minuit, le 18 courant, dans le bocage d’érable
situé au bas de la côte du domaine ; je ne me
ferai pas attendre. Adieu, mon amie.
Ton amant jusqu’à la mort
De St. CERAN.
Trois jours après, il reçut la réponse suivante :
Mon Eugène, tout est découvert ! mon père
est arrivé depuis deux jours. J’ai reçu ta lettre
devant lui, il m’a ordonné de la lui montrer, et
j’ai été obligée de le faire ; il l’a lue sans rien
dire : puis, il s’est mis à sourire, de cette manière
que tu sais, — j’allais dire de cette manière qui fait mal,
mais tu me l’as défendu. — Puis il est parti,
et je ne l’ai pas revu depuis. Je suis persuadée que tu ne viendras pas, dès que tu auras reçu
cette lettre ; aussi je n’irai pas au bocage. Écris-moi
ce que je dois faire. Mon père ne m’a pourtant
rien dit, et je suis néanmoins bien malheureuse.
Ton amante affectionnée,
AMÉLIE.
Fâcheux contre-tems ! dit le jeune homme,
en jetant la lettre sur son bureau, et se promenant
à grand pas dans sa chambre. Tout s’en mêle ;
il y avait quatre ou cinq ans qu’on n’en entendait
plus parler, il faut qu’il ressuscite sept à huit
jours trop tôt. Patience, — ajouta-t-il, en allumant
son cigare, (c’était son remède universel),
— Patience, il faut retarder un peu ; voilà-tout. Ou
peut être ferais-je mieux de lui parler ; il doit
être pauvre comme un rat d’église ; je lui offrirai
de l’argent, il ne pourra résister ! — tout en parlant
ainsi, St. Céran s’avança jusqu’auprès de la
fenêtre, où il s’arrêta, tout à coup, avec un mouvement
de surprise ; néanmoins, l’habitude qu’il
avait de se commander lui-même, lui fit bientôt
reprendre son visage calme. — Le proverbe est
vrai, dit-il, — parlons du Diable, et on en voit la
tête. C’était en effet, Charles Amand lui-même,
qui entra d’un pas ferme, l’air assuré, la tête
haute, avec toute l’importance que donne un bon
habit, et trois ou quatre cents piastres dans la poche
de celui qui depuis long-tems est privé de ces
avantages, sans lesquels un homme est rarement bien vu dans le monde. Si mon lecteur ne croit
pas que ces deux choses ont une grande influence
sur le moral d’un homme, qu’il aille le demander
à tous ces jeunes commis et écrivains, qui le plus
souvent sont sans place, et qui connaissent parfaitement
ce qu’on appelle en anglais les — up’s and down’s of human life ; — et s’il ne veulent pas l’avouer, c’est que ces messieurs brillent dans le moment. Or, donc, Armand entra comme je viens
de le dire — Bonjour Mr. De St. Céran, dit-il, du
même air de confiance.
— Charmé de vous voir, Amand, asseyez-vous.
Notre héros parut chagrin, son orgueil était froissé ;
il lui sembla que son interlocuteur aurait bien
pu dire Monsieur Amand : — un habit, cela change
tant un homme, — néanmoins l’intérêt personnel,
ce grand mobile des actions humaines, comme dit
Volney, l’empêcha de s’en plaindre ; car il venait
pour se débarrasser de sa fille, et il n’aurait pas
voulu tout gâter.
— Vous avez voyagé depuis notre dernière entrevue,
continua le jeune médecin, bon succès, j’espère ?
— Ah ! oui, monsieur, répondit Amand ; fameux
pays d’où je viens, on sait payer le mérite là ; j’y
serais bien resté, car je fesais ma fortune rapidement ;
mais j’ai une famille, et vous sentez que
l’idée de la croire malheureuse suffisait pour empoisonner
mon existence : cela joint avec l’amour
du pays qui m’a pris, m’a décidé à revenir. Mais j’y retournerai, vous pouvez en être sûr, s’il y a
quelques moyens de s’y rendre.
— Vous avez donc été visiter la vieille Europe.
— Non, mais j’ai été un peu en-deçà ; changeons
de conversation. Je suis venu pour vous
consulter sur quelques métaux dont je désirerais
faire l’acquisition : savez-vous si je pourrais me
procurer de l’étain de Cornwall en ville.
— Je ne pourrais vous dire exactement si c’est
de l’étain de Cornwall, mais il ne manque pas
d’étain ici, — il y en a beaucoup plus que d’argent.
— Je crois bien, mais ce n’est pas ce qui m’embarrasse.
Si j’en trouve, j’ai enfin découvert le
véritable moyen de la changer en argent.
— Ah ! tant mieux pour vous, dit St. Céran, — bon secret celui-là.
— Vous seriez bien plus étonné, continua l’alchimiste,
si je vous disais que s’il ne me manquait
pas un livre, qu’un Français m’a promis, j’en
ferais de l’or piment ; et peut-être que vous ne
savez pas que les plus fameux orfèvres ont de la
peine à reconnaître l’or piment, d’avec l’or ordinaire ;
ainsi, avec bien peu de peine, on parvient
à leur faire prendre le change. Vous avez beau
sourire, — ajouta-t-il, en s’apercevant que St. Céran souriait en l’entendant terminer. Pour
toute réponse, le jeune médecin fut prendre un
Dictionnaire de l’Académie dans sa bibliothèque.
— Je vais vous montrer, mon cher Amand, dit-il, ce que c’est que votre or piment, — et il lui lut l’article suivant :
Orpiment, s. m : Arsenic jaune qu’on trouve
tout formé dans les terres ; on s’en sert pour peindre
en jaune : on le nomme aussi orpin.
Le héros le lut et le relut : — maudit Français,
menteur, — murmura-t-il, entre ses dents, — et moi
qui croyais tous le tems qu’il disait vrai, — c’est
égal, quand à en faire de l’argent, cela j’en suis
sûr — à propos, dit-il, désirant changer la conversation,
— vous avez écrit à Amélie, dites-le donc,
vous lui proposez là un joli coup.
— Nous y voilà, se dit tout bas St Çéran, que
voulez-vous, mon cher Amand, vous ne voulez-pas
consentir à mon mariage, et il me faut Amélie à moi.
Me l’avez-vous demandée ? est-ce que vous
croyiez que j’allais vous l’offrir ? — Hein ! fit St. Céran, non pas tout-à-fait. — Mais, vous lui
aviez défendu de me parler pour toujours.
— J’avais mes raisons, dit le héros.
— Alors, si je vous la demandais, me la refuseriez-vous ?
— Qui sait ?
St. Céran lui fit aussitôt une demande, dans
toutes les formes, de la main d’Amélie, à laquelle
Amand se hâta d’acquiescer. Le jeune médecin
le pria d’accepter un petit présent de noces, ajoutant
que connaissant sa soif de la science, il le
priait de trouver bon que son don fût tout-à-fait
littéraire. En conséquence, il lui présenta le Dictionnaire des merveilles de la nature, en trois
volumes, magnifiquement reliés, ouvrage qu’il lui
assura avoir été écrit par des philosophes comme
lui. Il y ajouta une vingtaine de Manuels des
différents arts et métiers. Amand, au comble de
la joie se retira avec son trésor, et l’on dit même
qu’il fut consulter son Français, pour savoir si ce
n’était pas une édition, contrefaite du Dictionnaire
des merveilles de la nature qu’on lui avait donnée ;
ce qu’il y a de certain, c’est qu’il partit le lendemain
avec St. Céran pour St. Jean Port Joli, où
le mariage fut célébré dans l’église paroissiale,
avec beaucoup de pompe et de solennité.
Ainsi, mes lecteurs ne doivent plus avoir aucune
inquiétudes sur le compte de St. Céran et d’Amélie,
qui sans aucun doute doivent avoir coulé
des jours pleins de prospérité et de bonheur…
En un mot vous savez.