L’art de la teinture du coton en rouge/Chapitre 7
CHAPITRE VII.
De la Manière de produire quelques Nuances de Rouge connues dans le commerce.
Il ne peut pas être question dans ce chapitre de quelques nuances de couleur, qu’on obtient par quelques différences qu’on apporte dans les proportions des matières. Il s’agit des nuances de rouge, qui sont le résultat constant et assuré des combinaisons de l’artiste, et qui forment des modifications du rouge, sans être pour cela des combinaisons nouvelles.
ARTICLE PREMIER.
Du Rouge des Indes.
Cette couleur terne, sombre, est encore connue sous le nom de rouge brûlé. Quoiqu’elle n’ait pas beaucoup d’éclat, elle est très recherchée, parce qu’elle se marie parfaitement avec toutes les autres couleurs, et qu’elle imite le rouge qui se trouve sur les mouchoirs de coton apportés des Indes.
Chaque atelier a son secret pour faire cette couleur : je donnerai le mien, sans croire pourtant qu’il soit le meilleur de tous ceux qu’on peut employer ailleurs.
Je décrue le coton à l’ordinaire, et le fais bouillir ensuite pendant demi-heure dans l’eau de chaux.
Après cette première opération, je lui donne une huile forte, et successivement trois lessives.
Je le tire de l’huile et le passe au mordant suivant : dans une dissolution tiède de 25 livres (12 kilogrammes ) d’alun, je mets 8 livres (4 kilogrammes) d’acétate de plomb, une livre (demi-kilogramme) de soude, et 8 onces (2 hectogrammes ) de sel ammoniaque.
On garance avec une livre et demie de garance par livre de coton, et on avive avec soude et savon.
Si la couleur est maigre, on donne une seconde huile et trois lessives, on passe au même mordant, et on garance en employant la garance à poids égal.
J’ai encore obtenu un beau rouge brûlé, en suivant rigoureusement le procédé que j’ai décrit pour la teinture en rouge ; mais au lieu d’employer la lessive pure de soude, je faisois la lessive par l’eau de chaux.
Lorsqu’on emploie les lessives très-fortes, on obtient un rouge très-analogue à celui-ci, avec la seule différence qu’il est plus vineux.
ARTICLE II.
De la Couleur Rose.
Rien de plus aisé que d’obtenir une couleur rose qui ne soit pas solide, et rien de plus difficile que de former du rose bien uni et qui soit aussi solide que le rouge.
Je ne parlerai pas des procédés qui donnent le premier : il n’entre pas dans mon plan de traiter des couleurs qui ne peuvent pas résister aux plus fortes lessives. Je ne décrirai donc que les procédés suivans :
1°. Si on garance le coton préparé pour un beau rouge, dans un bain où l’on ait dissous quelques livres de savon, le coton en sort plus maigre et d’un rose sale, qu’on peut aviver en le passant à la composition d’étain (Voyez article iv, chapitre v), immédiatement après l’avoir fait bouillir dans un bain composé avec 80 livres (4 myriag.) de savon par 200 livres (10 myriagrammes) de coton.
2°. En employant peu de noix de galle et beaucoup de sumach pour former le premier mordant du coton, passant ensuite deux fois dans l’acétate d’alumine, avivant, après le garançage, avec le seul savon employé à haute dose, j’ai obtenu des couleurs roses superbes.
3°. Si on prend le coton teint en bleu de ciel par l’indigo, et qu’on le traite comme par le procédé du rouge d’Andrinople, le bleu qui résiste aux huiles, aux lessives froides, à l’engallage et à l’alunage, devient violet au garançage, et prend à l’avivage une couleur rose que j’ai obtenue quelquefois, mais pas constamment, d’une très-grande beauté.
En général, pour disposer le coton à la couleur rose, il faut employer peu d’huile, multiplier les lessives sans les rendre fortes, purger bien le coton au lavage des huiles, engaller avec peu de galle et beaucoup de sumach, aluner dans un bain de 40 livres (2 myriagrammes) d’alun, décomposé par un quart d’acétate d’alumine, garancer dans un bain, dans lequel on délaie un peu d’oxide d’étain formé par la décomposition de l’acide nitrique sur ce métal, aviver avec beaucoup de savon, et passer le coton à une composition d’étain qui marque au moins quatre degrés.
ARTICLE III.
De l’Écarlate.
Lorsqu’on a le projet de donner au coton assez de brillant pour le rapprocher de la plus belle des couleurs, l’écarlate, il faut avoir l’attention de ne pas charger les cotons d’huile, et de n’employer que des lessives foibles et nombreuses ; il faut augmenter la dose de l’alun, ne se servir que de la meilleure garance, et aviver avec beaucoup de savon.
Mais je suis parvenu à imiter l’écarlate en prenant des cotons, riches d’une belle couleur, très-unie, et les passant à la composition suivante :
On prend de l’acide nitrique à 35 degrés, qu’on affoiblit en y mêlant trois parties d’eau sur deux d’acide, on y fait dissoudre des copeaux d’étain jusqu’à ce que la liqueur devienne opale.
On emploie ensuite cette liqueur, marquant depuis 8 jusqu’à 15 degrés au pèse-liqueur, selon la nuance qu’on désire donner à la couleur ; on passe les cotons avec soin, on les laisse pendant quelque temps sur la table avant de les laver. Mais lorsque la composition marque plus de 12 degrés, il convient de laver le coton, quelques minutes après qu’on l’a passé.
La composition se fait dans une jarre, et le coton se passe dans les terrines : le métal seroit attaqué à ce degré de force.
J’ai fait passer des cotons dans la composition marquant 20 degrés : le coton n’en est pas altéré, pourvu qu’on ne tarde pas à le laver.
La couleur que prennent les cotons rouges, lorsqu’on les passe dans cette composition à 15 ou 16 degrés, se change en un rouge orangé très-agréable et imitant l’écarlate.