L’amour saphique à travers les âges et les êtres/17

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 138-148).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XVII

LES ABERRATIONS DE L’OUÏE


Nous l’avons dit précédemment, les jouissances voluptueuses et les aberrations passionnelles que l’ouïe peut procurer sont de deux sortes : la musique produit la première ; la parole, la seconde.

La musique a une action puissante sur les nerfs humains que l’on ne saurait nier, que d’ailleurs la science explique.

Selon le rythme, la disposition des tons, la succession des notes, les sons des instruments, la musique détermine chez les moins doués pour sentir la mélodie les larmes, la gaîté, la volupté, le besoin de cruauté ou de bonté.

Nous ne parlons point là des savantes musiques modernes qui, à force de complications n’expriment plus rien pour des âmes simples, mais des musiques primitives qui sont en véritable communion avec les sens humains.

Et, nous disons les sens « humains » parce que nous ne parlons ici que de l’espèce humaine, mais les animaux sont tout aussi sensibles à la musique que les hommes.

C’est avec le rythme différent des tambourins qu’en Afrique, l’ardeur guerrière ou le désir voluptueux s’exprime et se communique dans les nerfs et le sang des auditeurs.

C’est le chant ardent et mélancolique des instruments qui, dans les pays slaves, coule des ardeurs et des sauvageries féroces sous l’épiderme des femmes et des hommes.

La volupté espagnole jaillit des rythmes des danses nationales.

Toute la passion effrontée de la race italienne s’échappe de ses chansons populaires aux motifs si canailles et pourtant d’autres fois si candides et si délicieux.

Le vice s’exaspère en nos rythmes de bastringue, et le grand mystère de la volupté exotique surgit des musiques bizarres de l’Inde, de Java, de Chine.

Pour que la musique prenne sur les sens une action passionnelle influente, il est nécessaire de pouvoir s’absorber dans le rêve.

La musique ne prend possession de l’être que si, tandis qu’il écoute, il s’abstrait de la vie ambiante, entre en communication directe avec la vibration musicale qui correspond à son cerveau et y éveille des vibrations de même concordance.

Les personnes très occupées mentalement, qui ne se distraient point de leurs pensées, sont plus difficilement soumises à l’influence de la musique.

Aussi, en général, l’homme est-il moins sensible à la musique que la femme. Et de même, les peuples affairés, actifs se soustraient-ils plus à la domination passionnelle de la musique.

Parmi les femmes, les agitées, les coquettes, les têtes de linottes sont beaucoup moins sujettes à subir l’énervement musical que les rêveuses, les nonchalantes, ou les contemplatives.

En Orient, toute musique est synonyme de danse et d’érotisme ; vif ou lent, le rythme monotone et obsédant invite impérieusement à l’amour, aux gestes lascifs, incite aux étreintes.

Dans les harems de Perse, le grand divertissement des dames est de faire danser des fillettes nues aux sons d’une langoureuse musique, en même temps qu’une esclave ou une amie les titille avec insistance.

Une grande dame, sous le second empire, ne contentait pleinement sa lubricité qu’en se faisant embrasser par trois ou quatre femmes à la fois, dans un des salons du bal Mabille, aux sons de la musique de bastringue du bal. Son arrivée faisait sensation parmi les filles qui connaissaient ses goûts et savaient qu’elle était fort généreuse. Elle pénétrait dans le bal au bras de quelque « petit crevé », resplendissante de diamants, dédaigneuse de cacher sa personnalité, faisait trois ou quatre tours en désignant du bout de son éventail les élues. Ensuite, elle congédiait son compagnon et montait dans un cabinet, suivie de sa troupe qui était toujours composée de sept à huit filles.

On commençait par un plantureux souper où le champagne et les liqueurs coulaient à flots ; puis, sur un signe de la lascive marquise, l’orgie commençait. Dévêtue, étendue sur les coussins du divan, elle abandonnait son corps, qu’elle avait très beau, aux caresses simultanées de ses amoureuses d’un soir, chez qui la lasciveté réelle se doublait du frénétique désir de stimuler la générosité de la grande dame par un zèle particulier. Mais chose remarquable, c’est que cette femme ne se livrait à ces fêtes charnelles qu’en ce lieu et durant que l’orchestre jouait : c’était cette musique spéciale du bal public qui l’excitait.

L’influence voluptueuse de la parole, des cris d’amour, des exclamations, des mots jetés dans l’affolement sensuel augmentent infiniment pour certaines natures la jouissance au moment du plaisir.

Il y a des femmes qui, pendant le coït, se laissent aller à prononcer tout ce que la volupté leur suggère ; beaucoup se retiennent par pudeur, par crainte du ridicule. Auprès d’une femme, elles sont plus à l’aise, et c’est certainement dans les relations saphiques que la passion est le plus verbeuse et le plus caractéristique, dévoilant le mieux le caractère ou la bizarrerie de chacune des créatures en état d’amour.

Mme N… était d’ordinaire la femme la plus réservée qui se pût voir. Même avec des amies intimes, jamais un mot équivoque ne s’échappait de ses lèvres et elle rougissait visiblement quand un sujet scabreux était glissé dans la conversation. Et cette chasteté était réelle, naturelle et non point feinte par hypocrisie.

Puis, aux heures passionnelles, comme si une nouvelle femme se levait en elle, bavarde, ordurière, éjaculait tout ce que sa mémoire avait pu amasser de termes abominables, d’images obscènes.

C’était principalement cette étrange disposition qui l’avait conduite à l’amour saphique. Elle fût morte de honte de se laisser aller à son incontinence de langage auprès de son mari ainsi qu’avec un amant ; elle se lia avec une femme à qui elle avoua son étrange manie, si difficilement étouffée, et peu à peu les conversations des deux amies les enflammèrent si bien qu’elles essayèrent quelques caresses timides qui, promptement les entraînèrent au grand jeu. Dès lors, Mme N… put assouvir son désir sans crainte. Et ses paroles lubriques fouettant les sens de sa compagne, elles en arrivèrent aux joies les plus excessives.

Il y a quelques années, je ne sais quel journal avait inventé de poser une question indiscrète : — Quels mots employez-vous aux heures de passion ? — à ses lecteurs. Naturellement, on ne lui répondit que des insignifiances ; mais dans un certain monde, un papier courut où une femme — vénale d’ailleurs — connue pour ses relations saphiques avec nombre de femmes du monde, du demi-monde et du monde artistique, avait noté les phrases favorites de ses amantes aux instants passionnels.

Ces mots, ces exclamations ou objurgations étaient de nature différente et pouvaient être divisés en quatre types généraux.

Dans le premier groupe, l’excès du plaisir se traduisait par des mots exprimant une terreur exagérée, des supplications, une souffrance imaginaire.

Les « patientes » criaient grâce, imploraient la pitié, suppliaient que l’on finît leur martyre. Bien entendu il ne fallait pas les prendre au mot et leur tourment leur était précieux.

Cependant, elles étaient à demi sincères et leur trouble passionnel, leur vertige confinait de très près à la douleur que leurs paroles affirmaient.

Le second groupe comprenait des femmes chez qui l’érotisme déchaînait le besoin de prononcer des mots grossiers, d’évoquer des images obscènes, la plupart du temps incohérentes. Certaines répétaient insatiablement un mot, une phrase ordurière, s’en gargarisaient, semblaient s’enflammer avec ces syllabes au poivre.

Et, la professionnelle de qui nous tenons ces précieuses remarques psychologiques faisait observer que ces folies de langage surgissaient spécialement chez les femmes du monde, à la conversation habituellement châtiée, et qu’elles ne comportaient point forcément le goût de l’obscénité pour tout ce qui touchait aux questions passionnelles.

Par exemple, une de ses amantes proférait cent fois, mille fois, durant les minutes précédant le spasme, le nom vulgaire du membre viril, et jamais elle n’avait consenti à ce que son amante se servît avec elle d’organe postiche et elle refusait avec une pudeur effarouchée et non hypocrite de regarder des photographies obscènes reproduisant des hommes en état passionnel.

Le troisième type de bavardes passionnelles comprend des exaltations puériles, des mots enfantins balbutiés avec une petite voix, tout une retombée à l’enfance de l’amoureuse dont la jouissance naît du sentiment qu’elle est une petite chose, faible, menue, livrée à la volonté, aux désirs, aux caprices sensuels de l’amante qui la viole.

Enfin, viennent celles dont les exclamations débordent de tendresse, qui répètent insatiablement de confuses déclarations d’amour, d’adoration, des protestations hachées, haletantes, souvent sans suite et qui ne dénotent pas du tout que le caractère de la personne qui les émet soit tendre et susceptible des sentiments exprimés.

À côté de celles que la passion fait parler, il y a celles que la parole fait aimer.

Telle femme sera mise en état passionnel graduellement ou brusquement, selon sa nature, par des paroles tendres, ou passionnées, ou grossières, ou graveleuses prononcées par son amante, tandis qu’elle-même se taira ou parlera peu.

Il est rare que des paroles passionnelles, brûlantes, érotiques ou même obscènes jetées aux instants de trouble sensuel n’activent pas la passion chez celle qui les écoute ; pourtant elles agissent plus ou moins suivant le tempérament des auditrices.

Certaines aberrations passionnelles concernant l’ouïe méritent d’être citées comme documents physiologico-psychologiques.

Mme C…, une jeune femme de vingt-huit ans, de mœurs en apparence chastes, sans amant, ayant un mari de tempérament très froid, avait noué des relations saphiques avec une de ses amies. Mais, chose singulière, l’idée qui exaspérait le plus sa sensualité c’était d’imaginer un jet d’urine coulant abondamment. Et, il ne lui fallait pas voir cet acte, mais l’entendre. Mise dans la confidence et complaisante, son amante, tandis qu’elle la caressait s’arrangeait de manière à ce que toutes deux fussent à proximité d’un robinet d’eau ouvert, dont le jet s’épandait avec un doux bruit de liquide dans un vase. Alors la passion de Mme C… s’exaspérait jusqu’au délire.

Le docteur X… avait dans sa clientèle une femme dont le plaisir atteignait son paroxysme lorsque son amie l’embrassait sur la bouche en froissant longuement du papier.

La tempête, le grondement du tonnerre, le bruit sinistre du vent dans les cheminées sont de puissants agents pour amener ou augmenter la volupté dans les nerfs féminins, mais là, le bruit devient influent principalement par l’effroi qu’il fait naître — inquiétude qui se rapporte aux phénomènes annoncés par les bruits qui s’y rapportent.

Certains bruits sont évocateurs de volupté pour telles femmes parce qu’ils leur rappellent des circonstances où elles aimèrent.

Parfois, des femmes très pieuses sont extraordinairement excitées de recevoir des caresses secrètes données en cachette dans une église, tandis que résonne la voix du prêtre, ou celle de l’orgue. Une dévote ayant à ses côtés une amie avec laquelle elle goûtait des plaisirs lesbiens ressentait des chatouillements qui allaient jusqu’au plaisir le plus aigu, lorsque la sonnette résonnait pendant la messe. Ces sons argentins et impérieux la traversaient et, disait-elle, venaient labourer son sexe, le mettre à vif.

La volupté qui s’exaspère des cris de douleur de son compagnon de plaisir fait partie du domaine du sadisme, c’est pourquoi nous n’en parlerons point dans le chapitre présent. Ici nous ne notons que les faits normaux, les singularités, les aberrations sans conséquences sérieuses, simplement comiques ou curieuses.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre