L’amour saphique à travers les âges et les êtres/10

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 77-84).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

X

LA PSYCHOLOGIE DE L’AMOUR LESBIEN
L’ANESTHÉSIE SEXUELLE DE LA FEMME
L’HYPERESTHÉSIE SEXUELLE DE LA FEMME
OU NYMPHOMANIE


Pour l’observateur de l’humanité, le curieux des mystères de la pensée d’autrui, il est particulièrement passionnant d’étudier la cérébralité des diverses lesbiennes, de déterminer leurs mobiles psychologiques, ce qu’elles cherchent dans l’amour saphique et comment elles jouissent dans les relations uni-sexuelles.

L’imagination, on le sait, joue un immense rôle dans l’amour, de quelque sorte qu’il soit. Sans imagination, les sensations seraient mortes ou se réduiraient, tout au moins, à peu de chose.

Et l’envol de la pensée est absolument différent chez chaque individu qui engendre et conçoit le plaisir suivant ses dispositions cérébrales.

Dans l’amour saphique, avant d’étudier les cas individuels, il nous faut envisager l’ensemble des femmes et les diviser en plusieurs classes aux tendances analogues.

Nous trouverons chez celles à qui l’on applique le terme général de lesbiennes, les femmes-femmes, les femmes-hommes ou inverties, les hermaphrodites, les détraquées.

De ces quatre types découlent tous les dérivés que nous examinerons l’un après l’autre avec les détails et les exemples qu’ils comportent.

L’anesthésie sexuelle de la femme. — L’anesthésie sexuelle est la paralysie, la réduction à zéro des sensations voluptueuses.

La plupart des hommes et des savants — nous avons cité plus haut l’opinion sur ce sujet du distingué docteur Forel — vous diront gravement que la femme, même de santé normale, en est souvent atteinte, et ils vous citent de nombreux cas où une femme mariée et mère a pu pratiquer le coït pendant de longues années en restant absolument froide et sans jamais éprouver aucun frisson voluptueux.

Nous ne nions pas le fait, mais nous sommes persuadés que cette anesthésie n’est qu’accidentelle et, pour ainsi dire, factice.

La femme qui, dans le coït vulgaire, c’est-à-dire l’acte copulateur brut, non accompagné de caresses et d’attouchements, reste froide, pourrait connaître l’orgasme vénérien si on éveillait ses sens par les moyens susceptibles de les toucher.

La preuve de ce fait a été faite cent fois. Telle femme qui est de marbre dans les bras d’un époux, vibre délicieusement dans ceux d’un amant.

Telle autre qui a l’accouplement en horreur, qui n’y ressent aucune sensation voluptueuse, est une lesbienne ardente.

En réalité, l’anesthésie sensuelle absolue de la femme n’existe que lorsque celle-ci est malade, gravement atteinte organiquement.

Et ce serait une erreur de croire qu’un malaise des organes sexuels provoque l’anesthésie de ceux-ci. Les femmes atteintes de métrite, de chlorose, même de maladies vénériennes, sont, au contraire, d’une remarquable excitabilité sexuelle.

Ce qui, chez la femme aussi bien que chez l’homme, détruit la faculté de volupté, c’est l’anémie extrême et les affections nerveuses de la moelle et de certaines parties du cerveau — pas de toutes, car divers aliénés conservent les facultés passionnelles.

L’appétit sexuel n’est pas lié absolument chez la femme aux organes directs de la reproduction, car les fillettes non réglées, les femmes ayant eu leur « retour d’âge » et celles qu’un accident, une maladie ou une opération a privées de leurs ovaires, sont sujettes à des désirs violents et connaissent l’orgasme vénérien tout comme les femmes normales.

Étant donné que la faculté de jouissance chez la femme est répartie cérébralement et, le plus souvent, pour ce qui regarde le côté matériel au siège du clitoris, de préférence au vagin, si l’homme, qui a mission de lui faire connaître la volupté, n’éveille rien dans son âme et son esprit, et qu’il lui refuse l’excitation nerveuse, à l’endroit où elle peut se produire, la femme restera froide sous son étreinte sans, pour cela, être anesthésiée sexuellement.

Pour retrouver son sexe, il lui suffira de nouer des relations avec un être féminin ou masculin qui sache provoquer en elle les sensations qui y dorment.

L’hyperesthésie sexuelle. — On entend par hyperesthésie l’exagération de l’appétit sexuel chez l’individu mâle ou femelle.

Chez la femme, ce dérèglement de l’instinct se nomme nymphomanie.

Ce terme peut aussi bien s’appliquer à la femme qui désire follement l’homme qu’à celle qui recherche uniquement son propre sexe.

La masturbation chez la femme de chétive constitution et de faible cerveau peut la conduire à la nymphomanie, et alors, c’est chez elle la préoccupation excessive, continuelle, du sexe, le désir perpétuel de la jouissance. Même, durant le sommeil, la nymphomane est poursuivie de rêves érotiques et, souvent, lorsque ses sens surmenés se refusent à l’orgasme qu’elle sollicite sans cesse, son exaspération peut la mener jusqu’au crime, au suicide ou à la folie furieuse.

Dans son si curieux et beau livre, la Question sexuelle exposée aux adultes cultivés, le docteur Forel traite de façon très complète la nymphomanie chez l’aliénée. Voici quelques extraits de ce chapitre :

« Lorsqu’on s’est familiarisé avec la population d’un asile d’aliénés, on constate avant tout, au point de vue sexuel, un phénomène général singulier et très frappant. Une grande partie des aliénées-femmes font constamment preuve d’une excitation sexuelle intense.

« Cette excitation se traduit chez les unes par une masturbation incessante, chez d’autres par des propos obscènes, chez un grand nombre par un amour imaginaire, tantôt sensuel, tantôt purement platonique, assez fréquemment par des provocations directes au coït adressées au personnel médical, mais surtout par des scènes de jalousie violente, et très souvent par des soupçons réciproques relatifs à leur vie sexuelle.

« En un mot, l’asile des aliénés déroule devant nous, sous forme de caricatures repoussantes, toutes les nuances et variations d’une vie sexuelle féminine plus ou moins dégénérée : coquetterie, besoin de se parer de toute sorte de fanfreluches, colères jalouses, excitation érotique, etc.

« L’excitation sexuelle des aliénées les pousse souvent à se souiller d’urine et d’excréments et surtout à accabler d’insultes ordurières les personnes auxquelles leur imagination malade attribue des attentats sexuels ou des actes impudiques soit envers elles soit envers d’autres.

« Elles ont tendance à se croire fiancées ou femmes de rois, d’empereurs, de Jésus-Christ ou de Dieu. Les grossesses et les accouchements jouent un grand rôle dans leur délire. Certaines malades s’imaginent être enceintes et prétendent qu’on les a fécondées en secret. Ensuite, elles croient qu’on les a endormies, en secret aussi, lors de leur accouchement, et qu’on a profité de leur sommeil pour leur enlever leur enfant.

« Au milieu d’un torrent d’injures, une de mes anciennes malades m’accusait de venir la nuit dans son lit la mettre à mal. De cette façon, je lui faisais, disait-elle, un enfant tous les huit jours, ce qui me valut de sa part le surnom de Schnellschwangerer (engrosseur rapide). Elle ajoutait que j’avais caché les centaines d’enfants que j’avais ainsi procréés avec elle et secrètement enlevés, dans les murs de l’asile, où je les martyrisais perpétuellement. Grâce à ses hallucinations elle entendait jour et nuit leurs gémissements.

« Une autre malade, atteinte de manie aiguë curable, était si érotique pendant ses accès, qu’elle provoquait au coït tous les médecins qui faisaient leur visite dans la division. Sa tête était remplie d’images érotiques si vives et si profondes qu’après sa guérison, elle fut dans des transes d’être enceinte, quoiqu’elle eût passé tout le temps de son accès dans une division d’aliénées gardées par des surveillantes, et que la réflexion lui fît bien comprendre que la chose était impossible.

« Les femmes qui, à l’état normal, sont les plus pudiques ou les plus froides au point de vue sexuel peuvent dans l’aliénation devenir la proie de l’érotisme le plus sauvage et même se conduire périodiquement comme des prostituées. Ce fait s’observe surtout dans l’hypomanie périodique. C’est un fait bien connu que dans les divisions de femmes agitées les médecins sont toujours entourés de personnes érotiques qui les pincent, s’accrochent à leurs vêtements, et selon qu’elles sont amoureuses ou jalouses, cherchent à les embrasser ou à les égratigner, de sorte qu’ils ont souvent peine à se soustraire à tous ces témoignages violents et dégoûtants d’amour ou de jalousie furieuse.

« Au contraire, lorsqu’on traverse les divisions masculines d’un asile d’aliénés, même en compagnie de femmes, on est étonné de l’indifférence stupide et de la profonde apathie sexuelle de presque tous les aliénés-hommes. Quelques-uns se satisfont par la masturbation, d’autres par des essais de pédérastie, le tout avec une tranquillité philosophique due à leur démence. De jeunes femmes peuvent même se promener dans tout le quartier des hommes sans avoir à redouter d’attentats, ni d’assiduités, ni de propos indécents. Seuls quelques rares malades, parmi les plus agités, font quelquefois exception.

« Une jeune étudiante en médecine, Mlle G…, assistante-médecin à l’asile de Zurich, faisait seule la visite dans toute la division des hommes, même chez les plus agités, sans être jamais incommodée par eux, tandis que, dans la division des femmes elle était presque autant assaillie par les malades érotiques que les assistants du sexe mâle. »