L’amour saphique à travers les âges et les êtres/09

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 69-76).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

IX

L’ILLUSION DE L’AMOUR NATUREL


Nous avons dit plus haut que, pour les femmes chez qui il existe une vive sensibilité dans le vagin, la pénétration de celui-ci par un objet quelconque rappelant l’introduction de la verge masculine, est indispensable pour leur procurer les plaisirs d’amour au complet.

En vain leurs amantes leur prodigueraient-elles les caresses, les titillements les plus savants ; après l’exaspération délicieuse du clitoris, il leur faut la sensation de possession par la pénétration d’un corps dans le vagin, voire même le heurt de l’entrée de l’utérus.

Cela, nulle supercherie ne saurait le donner, il y faut un objet solide, cylindrique et d’un diamètre suffisant pour que les muqueuses du vagin le pressent et l’emboîtent intimement.

Force est donc à la lesbienne de se munir d’un engin qui puisse donner l’illusion à sa compagne.

Depuis les temps les plus reculés il existe des commerçants fabricant et vendant en secret de ces pseudo-organes masculins, que l’on nomme des godemichets. Ils sont ordinairement de la grosseur d’un membre viril ; certains affectent des formes monstrueuses ou sont pourvus d’aspérités destinées à augmenter l’irritation sensuelle dans les parties où ils pénètrent. Les uns n’ont que la verge ; les autres sont pourvus d’appendices représentant les testicules et sont même agrémentés d’une barbe.

Sous Louis XVI, une grande dame de la cour possédait un godemichet extraordinairement truqué qui venait d’Italie et faisait l’admiration et l’envie de ses amies.

Par suite d’un ressort intérieur la verge factice gonflait et se redressait en s’allongeant, imitant à la perfection un membre viril entrant en érection. De plus, les testicules étaient remplis d’un liquide parfumé et composé de produits excitants qui, lorsqu’on les pressait, était vivement éjaculé par la verge.

Comme tous les instruments destinés à être portés par une femme faisant l’office d’amant, l’engin de la comtesse pouvait se fixer au ventre par des bandelettes, ou simplement être manié à la main.

Le bon gentilhomme Brantôme conte à ce propos plusieurs anecdotes fort épicées, mais que nous citerons, car ce sont des documents intéressants pour l’ouvrage que nous avons entrepris.

« Les amours féminines, dit-il, se traitent en deux façons, les unes par fricarelle et les autres à l’ayde d’instruments qu’on a voulu appeler godemichets.

« J’ay ouy conter qu’un grand prince, se doutant deux dames de sa cour qui s’en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu’il les surprit, tellement que l’une se trouva saisie et accommodée d’un gros entre les jambes, gentiment attaché avec de petites bandelettes à l’entour du corps, qu’il semblait un membre naturel. Elle en fut si surprise qu’elle n’eut loisir de l’ôter ; tellement que ce prince la contraignit à lui montrer comment elles deux se le faisaient. »

« Deux autres dames de la cour qui s’entr’aimaient si fort et étaient si chaudes à leur métier, qu’en quelque endroit qu’elles fussent ne s’en pouvaient garder ni abstenir que pour le moins ne fissent quelques signes d’amourette ou de baiser, qui donnaient à penser beaucoup aux hommes. Il y en avait une veuve, et l’autre mariée. Et, comme la mariée, un jour d’une grande fête, se fut fort bien parée et habillée d’une robe de toile d’argent, pendant que leur maîtresse était allée à vêpres, elles entrèrent dans son cabinet, et sur sa chaise percée se mirent à faire leur fricarelle si rudement et si impétueusement qu’elle en rompit sous elles. Et la dame mariée qui faisait le dessous tomba avec sa belle robe de toile d’argent à la renverse, tout à plat, sur l’ordure du bassin, si bien qu’elle se gâta et souilla si fort qu’elle ne sut que faire de s’essuyer le mieux qu’elle put, se trousser et s’en aller en grande hâte changer de robe dans sa chambre. »

« J’ay ouy conter à M. de Clermont-Tallard qu’il vit, par une petite fente, dans une chambre voisine de la sienne, deux fort grandes dames, toutes retroussées et leurs caleçons bas, se coucher l’une sur l’autre, s’entrebaiser en forme de colombes (cela s’entend langue en bouche) se frotter, s’entrefriquer, bref se remuer fort, paillarder et imiter les hommes ; et dura leur ébattement près d’une bonne heure, s’étant si fort échauffées et lassées, qu’elles en demeurèrent rouges et en eau, bien qu’il fit grand froid, qu’elles n’en purent plus et furent contraintes de se reposer autant. »

Ce langage sans contrainte ni détour montre que le vice saphique florissait en tous temps.

Du reste, nombre de femmes qui font l’amour avec des organes virils postiches ne se servent point d’engins perfectionnés et fabriqués exprès pour cet usage. Ceux-ci sont d’un prix assez élevé et il est, pour les femmes du monde par exemple, assez difficile de s’en procurer de façon discrète et absolument sans danger.

L’industrie de beaucoup de lesbiennes sait y parer et de primitives verges sont édifiées avec de la peau de gant rembourrée de son, des chiffons roulés ou — ceci fut inventé par une fervente cycliste — à l’aide d’une vieille chambre à air coupée, cousue à l’extrémité, la suture consolidée avec de la dissolution de caoutchouc, et que la lascive petite personne gonflait fortement.

En Chine, il est un procédé très apprécié des Chinoises, c’est d’introduire dans le vagin une boule de métal creux dans laquelle se trouve une petite bille. L’agitation de la boule détermine une danse de la petite bille et un ébranlement des parois de métal qui, paraît-il, cause les plus voluptueux émois aux Filles du Ciel.

D’Espagne nous vient un procédé ingénieux pour que les deux lesbiennes jouissent simultanément du simulacre de possession.

La verge artificielle se compose simplement d’un long boyau en caoutchouc ou en peau — dans le peuple, on se sert d’un intestin de porc, gonflé de son ou de sciure de bois. — L’une des lesbiennes introduit l’une des extrémités dans son vagin et pousse l’autre dans celui de son amie. De cette façon chacun des soubresauts de l’une ou de l’autre provoque chez toutes deux les mêmes sensations.

De nos jours, il est des femmes qui, comme certaine princesse du sang au quinzième siècle, ne se contentent point d’une sensation à la fois et veulent simultanément ressentir les joies voluptueuses du clitoris frotté ou baisé, du vagin et de l’anus pénétrés.

Une amie complaisante peut suffire pour provoquer tous ces plaisirs, ainsi que nous le content les mémoires secrets qui nous parlent de la princesse à laquelle nous venons de faire allusion (Bibliothèque nationale, manuscrits).

Le langage du vieux temps n’étant pas intelligible pour tout le monde, nous traduisons le passage en français moderne.

« Quand cette envie prenait la princesse, elle s’étendait sur son lit, les reins soulevés par un coussin épais. Alors Isabelle se couchait auprès d’elle et commençait à lui baiser les lèvres, à lui caresser la bouche de sa langue qu’elle avait longue et fort agile ainsi qu’il sied aux filles qui font ce métier. Ensuite elle descendait aux mamelles de la dame, les pressait, les étirait fort entre ses doigts. Et de ses lèvres les suçait comme si elle eût voulu téter ; et la princesse entrait dès lors en jouissance et jetait des râles sourds, les paupières closes et des frémissements la secouant de la tête aux talons et parfois elle criait d’une voix impérieuse : « plus bas, plus bas ! » mais l’adroite Isabelle n’avait garde de lui obéir, car elle savait que malgré ordres et supplications, la princesse aimait qu’on lui fît attendre le suprême plaisir et qu’elle le goûtait d’autant plus âpre qu’elle s’était plus irritée et tourmentée de ne l’avoir point. Donc, les mamelles bien servies, la gentille femelle descendait au ventre et commençait par une douce fricarelle. Si elle voyait la matrice de son amante se gonfler et comme vouloir s’élancer au dehors par la fente, alors qu’un ruisseau abondant s’échappait entre les lèvres cramoisies du c... alors s’emparait-elle prestement d’un g........ qu’elle faisait pénétrer dans l’anus ; puis, avec un autre elle titillait le vagin et l’introduisait et le ressortait et branlait tant et plus, cependant que, de ses lèvres, elle suçait le clitoris de sa maîtresse pâmée et prête à rendre l’âme sous le flux du plaisir. »

Lorsque les créatures, qu’elles soient mâles ou femelles, en arrivent à cette recherche morbide, maniaque, du plaisir, tout leur être devient l’esclave de cette sorte de possession occulte de leurs sens. Tout est subordonné à cette jouissance qui est l’essence même de leur vie et devient son but unique. Choses extérieures, personnes, amitiés, affections, devoirs, autres satisfactions, tout sombre, disparaît, s’évanouit : la vibration passionnelle occupe tout leur horizon borné.

Inutile d’ajouter que le système nerveux déjà altéré par le fait de ce désir exagéré de sensations se détraque de plus en plus et que successivement tous les organes du sujet sont attaqués et ravagés.

Nous avons eu l’occasion de contempler nombre « d’amoureuses » à bout de forces, dans les cliniques ou les hôpitaux, et le spectacle était effrayant de ces machines humaines usées par tous les bouts et pour lesquelles toute science devenait impuissante.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre