L’amour saphique à travers les âges et les êtres/08

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 54-68).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

VIII

LA SENSUALITÉ CHEZ LA FEMME


La femme manque, pense-t-on, des organes capables de procurer du plaisir sensuel à une autre femme. Ceci n’est pas d’une vérité absolue ; car, si l’on a le pouvoir d’obtenir les confidences intimes de nombre de femmes, l’on se convaincra que la plupart d’entre elles — nous parlons des Françaises — ressentent la volupté spécialement par le clitoris, organe qui, pour vibrer voluptueusement, n’a nul besoin du contact des organes masculins.

La volupté féminine, en dehors de la question cérébrale, et pour s’en tenir au point de vue uniquement matériel, siège principalement dans le vagin et au clitoris.

Chez presque toutes les femmes, la sensation vaginale ne naît qu’après l’excitation du clitoris.

Chez beaucoup, après l’ébranlement nerveux extrêmement voluptueux ressenti au moyen du clitoris caressé ou frotté, il faut la pénétration vaginale pour que l’acte d’amour soit complet, clos pour ainsi dire.

Chez certaines, le jeu du clitoris suffit pour déterminer le spasme final, et la pénétration vaginale est inutile, même parfois désagréable ou pénible.

La femme toute clitoridienne est une lesbienne née et parfaite.

Les organes naturels de ses compagnes, les doigts et les lèvres, lui suffiront amplement pour les extases suprêmes.

Celle à qui la pénétration vaginale est agréable est une lesbienne de second degré, pour laquelle ses amies devront se munir d’organes postiches pour lui donner le bonheur complet.

Si, de plus, il faut qu’elle ait l’illusion d’être possédée par un mâle, c’est la fausse lesbienne, la disciple par occasion et faute de mieux de Sappho.

L’étude de quelques cas de « pures » lesbiennes nous offrira d’intéressants exemples.

« Pauline », à vingt et un ans, mariée depuis dix-huit mois, n’avait jamais encore ressenti le frisson amoureux avec son mari. Plus coquette que sensuelle, elle avait bien parfois, petite fille, obtenu quelques sensations en se masturbant ; mais, après la puberté, un effroi de se faire mal, l’inconnu de ce sexe qui, à vrai dire, ne la tourmentait point, l’avaient fait s’abstenir totalement de ces pratiques.

Son mari lui plaisait ; ses baisers, ses paroles d’amour l’excitaient cérébralement, mais rien ne se transmettait au siège précis de l’amour.

Or, par suite de la conviction de tant de jeunes maris qu’il faut « respecter » sa femme, « Louis » avait pris possession de Pauline dans les plus générales et déplorables conditions.

Après quelques chastes baisers, sans une caresse hardie préparatoire, sans essayer d’attouchements au clitoris ou la vulve, qui eussent pu déterminer chez la jeune mariée un ébranlement voluptueux, le désir de la possession ou tout au moins lui faire admettre corporellement celle-ci, Louis leva la chemise de sa compagne, écarta ses jambes et se satisfit.

Nous insistons sur ces détails répugnants parce que seuls, dans leur crudité vraie, ils expliquent l’horreur qu’éprouvait la jeune femme et les conséquences fatales de cette horreur.

Le dépucelage, toujours douloureux, devient absolument atroce d’angoisse et de souffrance lorsqu’il a lieu dans une chair complètement froide et sans qu’aucun des palliatifs naturels n’entre en jeu.

Blessée, endolorie, éprouvant une frayeur et une répulsion extrêmes pour l’acte qu’elle venait de subir, Pauline, retenue par ses timidités et ses pudeurs de jeune fille de la veille, n’osa se refuser au renouvellement de l’acte conjugal.

Il s’accomplit comme premièrement, et l’introduction de la verge dans les muqueuses gonflées, meurtries par l’épreuve de la veille, fut presque aussi douloureuse que les premiers jours pour la jeune épouse.

Elle était bien loin, la pauvre petite, des voluptés du mariage.

Et les semaines, les mois passèrent. Son sexe, enfin ouvert, n’était plus douloureux ; mais le jeune mari demeurait dans sa réserve première, considérant que les jeux manuels, que les caresses voluptueuses sont de la dépravation, continuait à posséder un être inerte, répugné et dont la passivité lui semblait la preuve d’une honnêteté dont il se félicitait vivement.

Sans tempérament, cette femme-là ne le tromperait jamais !…

Or, il arriva que Pauline raconta ses déceptions à une amie. Celle-ci compatit et lui révéla que son histoire conjugale était exactement pareille, mais, qu’elle, elle n’en souffrait guère, car elle avait l’habitude des délices solitaires. Elle vanta tellement les merveilles digitales, elle rassura si bien l’innocente Pauline sur les conséquences de cet acte sur la santé, que la jeune femme fort émoustillée suivit les conseils donnés.

Elle retrouva, centuplées, les joies qu’elle avait effleurées, petite fille ; et, en peu de temps, les caresses solitaires lui devinrent un besoin ; tout son être naquit à la volupté.

Mais, l’acte conjugal lui demeurait tout aussi désagréable. Son mari, malgré son charme physique réel, lui apparaissait stupide, gauche, ridicule. Secrètement, elle le détestait de n’avoir su que lui inspirer du dégoût, de la douleur, des nausées, durant ce long apprentissage conjugal où, lui, trouvait du plaisir sans chercher à en faire naître.

Plus encore que par le passé, elle cherchait à éviter l’odieuse corvée et éloignait les étreintes sous un prétexte ou un autre.

D’un autre côté, à force de parler d’amours, d’intimités, de joies secrètes, les deux amies énervées, enfiévrées, en arrivèrent peu à peu à de plus grandes libertés. Après d’innocents tripotages, la caresse au sexe fut pratiquée, et les deux femmes furent définitivement sacrées lesbiennes.

Toutes deux étaient des jouisseuses clitoridiennes, et les spasmes amoureux naissaient en elles uniquement grâce au frottement de l’organe qui, en réalité, n’est autre que la verge masculine à l’état d’embryon.

Nous citerons un autre cas où le besoin de volupté dégénéra jusqu’à la manie et le sadisme chez une femme, véritable monstre sous ses apparences correctes et son irréprochable tenue extérieure.

Mme B… durant vingt ans de mariage n’avait jamais goûté de joies durant l’acte de possession auquel elle se soumettait, par complaisance pour son mari. En revanche, celui-ci la satisfaisait de son mieux, par des caresses manuelles et linguales qui mettaient la dame au comble du bonheur.

Devenue veuve, déjà âgée de quarante-cinq ans et ayant un gros souci de sa réputation, Mme B… se trouva cruellement privée de jouissances qu’elle ne voulait point demander à des amants. Lesbienne, elle l’eût été volontiers, mais encore fallait-il trouver une partenaire, et dans certains milieux bourgeois restreints et hypocrites, ce n’est point si facile.

Se familiariser avec une femme de chambre, c’est gros de dangers.

Mme B… passa deux années dans les tortures. car les plaisirs solitaires ne la contentaient pas, il lui fallait la sensation qu’une main étrangère la caressait, et de plus, ce qu’elle préférait, c’était le titillement lingual.

Enfin, après de longues réflexions, elle trouva le joint, qui, malheureusement, la transforma en la pire criminelle imaginable.

Sans enfants, possédant une large aisance, dans une honorable situation, elle obtint de l’Assistance publique qu’on lui livrât une fillette d’une dizaine d’années, avec promesse de l’adopter à sa majorité.

Cette enfant, qu’elle avait exprès choisie chétive, d’esprit plutôt borné, devait devenir son souffre-douleurs et son porte-voluptés.

À peine la petite fut-elle entrée chez elle que la veuve, sous le prétexte de se faire aider dans sa toilette intime, força cette malheureuse enfant à des pratiques qui n’ont rien de désagréable pour ceux auxquels l’excitation sensuelle les fait imaginer, mais qui deviennent un abominable devoir pour l’être sans passions que l’on contraint à des actes qu’il ne comprend point et dont il ne voit que l’obscénité répugnante.

À force de menaces, Mme B… obtint le silence de sa fille adoptive et, des années durant, celle-ci servit à la contenter, véritable martyr des passions inextinguibles de la veuve.

Une question est souvent posée par les moralistes, les philosophes raisonnant sur l’éternel sujet des passions : la femme est-elle plus froide que l’homme ? Est-elle aussi sujette que lui au délire des sens ?

Beaucoup concluent, d’après les on-dit et leurs propres observations, que la femme est surtout sentimentale et que les véritables sensuelles sont une rareté.

Voici ce que dit à ce propos l’éminent docteur Forel, ancien professeur de psychiatrie à l’Université de Zurich, auteur du si remarquable, si hardi et si substantiel ouvrage, la Question sexuelle exposée aux adultes cultivés.

Disons tout d’abord que, si nous admirons grandement l’ensemble de l’œuvre et la plupart de ses détails, ce qui se rapporte à la psychologie physiologique de la femme ne nous paraît pas être indemne de critiques. Le docteur Forel, qui, dans toutes les autres parties de son ouvrage, s’est affranchi de tous les préjugés avec résolution, cède là un peu à l’opinion courante, faute probablement d’avoir été à même par son sexe et sa vie de savant de pénétrer réellement dans le mystère de l’âme féminine.

« D’aucuns, dit-il, ont prétendu que la femme est en moyenne plus sensuelle que l’homme ; d’autres, au contraire, qu’elle l’est moins. Ces deux affirmations sont fausses ; elle l’est en réalité d’une autre façon. »

M. le docteur Forel se montre, à notre avis, trop affirmatif et trop succinct dans son appréciation, s’en tenant trop à l’apparence des choses.

La vérité qui nous apparaît à nous, c’est que la femme a, naturellement, exactement les mêmes appétits que l’homme ; seulement toute son éducation, toute l’existence sociale la force à comprimer, à voiler ses instincts et parvient souvent à dévier ceux-ci ou même à les atrophier.

« Au point de vue de l’appétit sexuel pur, reprend le docteur Forel, les extrêmes sont beaucoup plus fréquents et considérables chez la femme que chez l’homme. »

Ceci tient aux mœurs. Il est permis à l’homme de montrer ses désirs, de lâcher la bride à ses passions et de les contenter dans une large mesure. Au contraire, l’opinion veut la femme rigoureusement chaste ; cela sépare donc la gent féminine en deux classes bien tranchées et en effet placées aux deux extrémités : celle qui est d’une irréprochable chasteté, réelle ou feinte ; celle dont les partisantes ont déposé toute dissimulation et avouent les passions qui les travaillent. Si la vie sociale de la femme était pareille à celle de l’homme, l’on verrait parmi elles toutes les nuances existant parmi les hommes, et le contraste des « vertueuses » et des « vicieuses », qui n’est d’ailleurs qu’apparent, serait moins prononcé.

« Chez la femme, dit notre auteur, l’appétit sexuel se développe bien moins constamment d’une façon spontanée que chez lui, et, lorsqu’il le fait, c’est en général plus tard. Les sensations voluptueuses ne sont éveillées le plus souvent que par le coït. »

Cette série d’affirmations fourmille d’erreurs. En réalité, le docteur ignore ce qui se passe chez la femme, la jeune fille, l’enfant, parce qu’elle tient profondément secrète son histoire intime. Sachant que l’on sera indulgent pour lui, l’homme la livre beaucoup plus volontiers. La femme tait scrupuleusement ce qui ne lui serait jamais pardonné et ce dont elle a d’autant plus de honte que cela lui est plus défendu par l’opinion et les mœurs.

C’est, nous l’avons dit, dans les confidences de femme à femme ; c’est aussi dans les confessions aux prêtres et les aveux arrachés par les médecins qu’il faut rechercher l’histoire du mystère sexuel féminin. Si le docteur Forel avait pénétré dans ces arcanes obstinément closes pour les profanes, il serait convaincu que, chez la plupart des femmes, l’appétit sexuel inconscient est tout aussi « spontané » que chez l’homme.

C’est, au contraire, grâce à une hygiène morale et matérielle soutenue et prévoyante que la mère peut retarder l’évolution sexuelle de la petite fille jusqu’à la période normale, c’est-à-dire la puberté.

La précocité sexuelle des petites filles dépasse souvent celle des garçons, non point par suite de disposition organique spéciale, mais parce que, en général, on lui fait une existence plus sédentaire, plus réglée, moins exubérante qu’au petit garçon, et les excitations nerveuses qui se contenteraient en exercice musculaire, en pensées diverses, viennent se masser au sexe.

Quant à la dernière affirmation, c’est une supposition d’une énorme naïveté psychologique, et le docteur lui-même en a l’intuition, car il ajoute plus loin, commettant, du reste, une seconde erreur :

« Chez un nombre considérable de femmes, l’appétit sexuel fait complètement défaut. Pour ces dernières, le coït est un acte désagréable, souvent dégoûtant, tout au moins indifférent. »

L’erreur immense, c’est de croire que l’appétit sexuel n’existe pas chez la femme que le coït laisse indifférente ou dégoûte.

Cette erreur, la plupart des hommes la commettent, parce que, sauf pour les anormaux, le coït les contente, alors que cet acte par lui seul ne saurait suffire à la femme, puisqu’il est nécessaire qu’auparavant l’irritation passionnelle soit née en elle, provenant du clitoris.

L’homme ne peut consommer le coït que s’il est parvenu à l’état passionnel ; au lieu que la femme peut le subir sans la préparation sensuelle nécessaire qui lui donne sa valeur.

Les sensations voluptueuses ne naissent point chez la femme par le coït, qui, reçu sans prédisposition ou préparation, ne peut être que désagréable pour elle et subi avec un dégoût et une révolte qui varient suivant les femmes et surtout suivant l’homme qui le leur impose.

Les sensations voluptueuses se développeront en elle grâce aux actes qui accompagneront le coït et donneront à celui-ci sa valeur.

Et le docteur Forel accentue son ignorance de la femme en poursuivant ainsi :

« Ce qu’il y a de plus singulier, de moins compréhensible pour l’âme masculine, ce qui donne lieu aux quiproquos les plus fréquents, c’est le fait que pareilles femmes, absolument froides au point de vue des sensations sexuelles, sont souvent, malgré cela, fort coquettes, qu’elles surexcitent les appétits sexuels de l’homme, et qu’elles ont fréquemment un besoin profond d’amour et de caresses. »

C’est que, docteur, vous vous méprenez en croyant que ces femmes sont froides. Simplement le coït brutal où l’homme se contente ne les satisfait point. Elles souhaitent tout ce qui provoque en elles l’état passionnel ; elles le cherchent et l’obtiennent par le moyen de la coquetterie, des caresses et aussi par l’excitation cérébrale.

Ce qu’il y a de difficile à croire, c’est l’éternelle bévue de l’homme qui trouve tout simple et rationnel que lui ne soit point capable du coït à tout moment et sans que l’ensemble de ses organes sensitifs ne l’ait mis en l’état spécial dont l’érection est le signe visible, et qui imagine que, parce que, matériellement, la femme peut toujours recevoir l’offrande amoureuse, elle soit susceptible de l’accueillir passionnellement.

Très souvent, le docteur côtoie la vérité sans néanmoins la découvrir intégralement. Et cela toujours, parce qu’il est profondément enfoncé dans cette erreur masculine, que le coït doit forcément être une jouissance pour la femme par lui-même et sans tenir compte de sa disposition à y participer.

À propos de l’homosexualité, c’est-à-dire du désir éprouvé pour un être de même sexe, il dit ceci :

« Normalement l’homme adulte produit sur un autre homme, au point de vue purement sexuel, un effet absolument répulsif ; seuls des êtres pathologiques ou excités par les privations sexuelles sont pris de désirs sensuels vis-à-vis d’autres hommes. Mais chez la femme, un certain désir sensuel de caresses, désir qui repose plus ou moins sur des sensations sensuelles inconscientes et mal définies, ou qui en est tout au moins un dérivé, ne se limite pas nettement au sexe masculin, mais s’étend volontiers à d’autres femmes, à de petits enfants, à des animaux même, sans reposer cependant sur des appétits sexuels pathologiquement invertis. Les jeunes filles normales aiment souvent à coucher ensemble dans le même lit, à se caresser et à se baiser, ce que de jeunes hommes normaux n’aiment pas faire. Chez le sexe mâle, pareilles caresses sensuelles généralisées sont presque toujours accompagnées d’appétit sexuel et sont provoquées par ce dernier, ce qui n’est pas le cas chez la femme. »

Cette dernière affirmation est complètement erronée.

C’est parfaitement l’appétit sexuel inconscient ou raisonné qui entraîne les jeunes filles l’une vers l’autre. Et ce que les caresses, les baisers, les enlacements provoquent en elles, c’est une sensation voluptueuse qui peut affecter tous les degrés, mettre simplement dans leur être une joie naïve, absolument ignorante de ses causes profondes, ou aller jusqu’au spasme secret et la sensation ultime de l’amour.

La jeune fille véritablement chaste n’a aucun désir de ces caresses, de cette intimité avec des êtres de son sexe que le docteur suppose normales et communément pratiquées par toutes les femmes. Ce n’est guère que la jeune fille cloîtrée, aux sens exaspérés, qui n’a pas instinctivement une répugnance pour une autre femme.

L’opinion, les coutumes, permettent aux jeunes filles entre elles des démonstrations de tendresse qui sont certainement chez beaucoup un geste indifférent et machinal, mais qui, chez d’autres, servent leurs passions inconscientes ou inavouées. Quiconque verra deux jeunes filles s’embrasser, coucher ensemble, pourra très raisonnablement les soupçonner de saphisme ou tout au moins de sensualité obscure qui se contente par ces caresses.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
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