Chez George Fricx (Tome IIp. 1-284).


LIVRE QUATRIEME.

DIFFORMITEZ DE LA TESTE.

Moyens de les prévenir & de les corriger.



La Tête pour rappeller ici ce que nous en avons dit au commencement de premier Livre, comprend exterieurement le Crâne, la Chevelure & le Visage. Le Crâne est la boëte du cerveau, la Chevelure est la couverture de cette boëte, & le Visage est l’assemblage des parties qui composent tout le devant de la tête. Ainsi nous avons ici à parler de trois sortes de difformités : Premierement de celles qui attaquent la Tête par rapport au Crâne ; secondement, de celles qui attaquent la Tête, par rapport à la Chevelure ; troisiémement de celles qui attaquent la tête par rapport au Visage.


Difformités de la tête, par rapport au Crâne.

La Tête, pour être bien faite par rapport au Crâne, doit être un peu ronde & horizontalement un peu longue, avoir par devant & par derriere, une médiocre avance, & être un peu plate par les côtés. C’est là sa figure naturelle : mais cette figure se corrompt souvent par la maniere dont on gouverne les enfans. Il faut prendre garde aux bonnets qu’on leur donne, & aux bandes dont on leur serre la Tête. Si ces bonnets ou ces bandes la pressent trop par les côtés, elle s’allongera plus que de mesure, & deviendra, à peu près, comme celle de ces peuples qui, à cause de leur Tête démésurément longue, ont été nommés Macrocephales, du mot grec qui signifie longue tête. Si on serre trop cette partie non-seulement par les côtés, mais aussi en devant en arriere, elle s’élevera en pointe, & deviendra semblable à celle de ce Thersite si connu dans l’histoire, lequel avoit la Tête en pyramide.

La Tête de l’enfant, selon qu’elle est pressée en un sens ou en un autre prend telle ou telle figure. C’est de-là que procede la différence qui se trouve entre les différens peuples par rapport à la figure de leur tête. La plûpart des Flamands, par exemple, & des Parisiens, ont la tête longue, à cause de la coutume observée parmi eux, de laisser dormir les enfans, sur les tempes, & de les brider avec certains bonnets nommés béguins, qui leur pressent les deux côtés de la tête. Les Allemands au contraire, ont presque tous la tête large, à cause que les meres les couchent sur le dos dans le berceau, leur liant même les mains aux deux ailes du berceau, pour empêcher qu’ils ne tombent, ce qui les met hors d’état de situer leur tête autrement qu’en arriere. Les Moscovites ont la tête plate en devant, à cause que leurs meres ont soin de la leur presser en ce sens. Les peuples d’Anvers ont la tête ronde à cause de la compression égale qu’y font les nourrices. Les Bruxellois l’ont de même, pour une raison semblable ; les Génois ont le dessus de la tête fort élevé, à cause de la maniere dont on la leur enveloppe dès qu’ils sont nés.

La bonne méthode pour qu’un enfant ait la tête bien faite, c’est de ne la contraindre en rien, & de la laisser au gré de la nature. D’ailleurs en voulant ainsi obliger la tête à prendre une certaine figure, on gêne le cerveau, on risque d’en déranger les organes, ce qui peut avoir de mauvaises suites pour l’esprit. Le meilleur parti, pour le répéter encore, c’est de laisser à la tête la figure qu’elle a naturellement ; à moins que par quelque cas extraordinaire, elle n’en eût une difforme, auquel cas on y remédieroit par des bandes molles & souples, qui rameneroient, sans effort, la tête de l’enfant à sa figure légitime.

Au reste, on doit bien prendre garde à la maniere dont on peigne les enfans ; car faute de les peigner également & doucement, on peut quelquefois donner une mauvaise tournure à leur tête.

Il nous reste à dire un mot sur ce qui concerne la grosseur de la tête. Il y a des enfans qui ont la tête naturellement grosse, & d’autres qui l’ont naturellement très-petite ? Cette différence vient de l’effort plus ou moins grand que le sang qui remplit les vaisseaux du cerveau, fait pour s’étendre, tandis que l’enfant est au ventre de la mere, & que son crâne est extrêmement tendre.

Quand cet effort est grand, les vaisseaux dont le cerveau est parsemé, se gonflent davantage, ; ce gonflement oblige le crâne qui est la boëte du cerveau, & qui, au ventre de la mere, est très-susceptible d’extension, à prendre plus de diamettre ; à peu près comme on voit ces bouteilles de savon que font des enfans avec un tuyau de paille, prêter & s’étendre à proportion de la force avec laquelle l’air y est poussé par le chalumeau. Ainsi quand un enfant vient au monde avec une fort grosse tête, c’est ordinairement parce que les vaisseaux du cerveau ont souffert, par une impulsion extraordinaire du sang, un effort considérable, qui a obligé le cetveau, & par conséquent le crâne qui en est la boëte, à prendre plus de dimension.

Cet effort que souffrent les vaisseaux du cerveau, & qui leur donne un plus grand diamettre, peut les rendre à la fin, flasques & lâches, ce qui fera qu’ils auront moins de ressort & d’action ; ensorte que les fonctions animales en seront plus lentes. Il peut par conséquent, arriver de-là, que certaines personnes ayant la tête extrémement grosse, auront par cette raison, l’esprit moins vif ; ce qui s’étant rencontré quelquefois, a peut être donné occasion au Proverbe, grosse tête peu de sens ; mais c’est un Proverbe très-fautif, & quantité d’exemples en font voir la fausseté ; nous nous contenterons de rapporter celui de Robert Grosse-tête, ancien Evêque de Lincoln, l’un des hommes le plus rempli d’esprit de jugement, & de science, lequel ne fut surnommé ainsi, qu’à cause de la grosseur extraordinaire de sa tête.

D’un autre côté, quand le sang fait trop peu d’effort il gonfle moins le cerveau de l’enfant, & par conséquent en élargit moins la boëte qui est le crâne, ce qui rend la tête petite ; mais comme cette petitesse vient du peu d’effort du sang, il arrive que la plûpart des petites têtes, sont incapables de fortes applications, & ne peuvent former que des pensées foibles & légéres. On appelle ordinairement, ces petites têtes, Têtes de linote.

Les femmes enceintes, qui, pendant leur grossesse, boivent beaucoup de vin, & vivent d’alimens d’une qualité trop chaude, rendent pendant ce temps là, le sang de leurs enfans trop actif ; ce qui, par la raison alléguée ci-dessus, peut leur procurer une grosse tête ; & celles qui ne boivent que de l’eau, & ne se nourrissent que d’alimens d’une qualité froide, rendent le sang de leurs enfans plus lent, ce qui par la raison contraire, peut leur procurer une petite tête. Ainsi, à cet égard, on peut dire en quelque sorte, que les femmes grosses sont comme les Maîtresses de former la tête de leurs enfans. Il faut donc qu’elles évitent tous les alimens d’une qualité ou trop active, ou trop froide ; qu’elles se gardent en même tems, de toutes les passions qui peuvent trop agiter le sang, comme aussi d’une vie trop dépourvûë d’action ; moyennant cette conduite, leurs enfans n’auront la tête ni trop grosse ni trop petite ; à moins qu’il n’y ait des causes héréditaires accidentelles qui prévalent ; mais même dans ce cas, le régime que nous venons de conseiller, peut beaucoup diminuer la force de ces causes.

Nous finirons cet article par une réflexion générale sur la conformation de la tête pour ce qui dépend de la capacité du bassin dans les femmes grosses. Nous avons dit au commencement du Livre second, page 68. que l’élévation ou saillie des hanches ; aussi-bien que celle de la partie postérieure du ventre, ne servoit pas seulement à donner de la grâce à la taille des femmes, mais qu’elle leur étoit utile & même nécessaire dans les travaux de l’enfantement.

Nous ajouterons ici que cette élévation ou saillie, est encore très-nécessaire dans la grossesse pour l’accroissement de l’enfant, & pour sa formation parfaite, mais qu’elle l’est sur-tout par rapport à la tête ; parce que la tête étant une partie à laquelle la nature travaille avec le plus de soin ; (toutes les autres, ainsi qu’il seroit facile de le prouver, n’étant faites que pour celle-là), il s’ensuit que si une femme grosse n’a pas les hanches & la partie postérieure du ventre (qui est ce qui forme le bassin) assez élevées, ou qu’elle se serre trop le ventre, soit par des corsets, soit par des ceintures, au lieu d’être véritablement enceinte, selon le sens originaire de ce mot, qui veut dire sans ceinture, il est difficile que la tête de son enfant soit bien conformée.

Je passe, suivant l’ordre que je me suis proposé, à ce qui concerne la chevelure.


Difformités de la tête, par rapport à la chevelure.

On dit ordinairement d’une personne qui a une belle chevelure, qu’elle a une belle tête. Tout le monde ne sçauroit avoir cette belle tête ; mais il est peu de personnes qui avec quelques attentions, ne puissent, au moins, avoir la chevelure exempte de certains défauts frappans, tels que sont 1o. la roüille des cheveux ; 2o. la chute des cheveux ; 3o. les cheveux ardents, 4o. les cheveux fourchus.


1o. Roüille des Cheveux.

La roüille des cheveux est une sorte de galle qui vient à la racine des cheveux, & qui les ronge à peu près, comme la roüille ronge le fer, ou comme une certaine humidité corrosive qui s’attache quelquefois au pied des plantes, ronge & mine ces mêmes plantes. Comparaison d’autant plus convenable, que les cheveux sont de véritables plantes qui croissent sur la tête, comme l’herbe croît sur un mur, ou dans un champ. Leur racine & leur tige, ont, par exemple, la même structure que la racine & la tige d’un chalumeau d’avoine ; on y voit la même cavité, les mêmes nœuds, le même jet ; on y observe la même manière de croître.

La roüille des cheveux, de laquelle il est question, vient ordinairement aux personnes qui n’ont pas soin de se peigner, ou de se brosser souvent ; elle tombe quelquefois par croûtes ou écailles semblables à du son ; quelquefois même elle entame par plaques, la peau de la tête.

Quand cette roüille est bien mordante, les cheveux se détachent par endroits, à peu près comme les poils d’un manchon qui a été long-tems enfermé, sans être secoüé.

Le moyen donc de prévenir ce mal, c’est le peigne, ou la brosse ; mais lorsque faute d’avoir été suffisamment peigné ou brossé, un enfant se trouve attaqué de la difformité dont il s’agit, il y a deux sortes de remedes à y faire ; l’un interne ; l’autre externe. L’interne est 1o. de purger souvent l’enfant ; car cette roüille n’attaque jamais le dehors, sans infecter le dedans ; & alors la masse du sang infectée fournit continuellement à cette roüille, de quoi s’entretenir. La purgation doit se composer avec douze grains de Méchoacan, quatre grains de scammonée, un scrupule, c’est-à-dire vingt-quatre grains de crême de tartre ; le tout en poudre, & une once de syrop de fumeterre, dans un peu d’eau commune. On diminuë ou on augmente la dose selon l’âge de l’enfant. Il faut, outre cela, donner tous les matins à la jeune personne, pendant deux ou trois mois, un bouillon au veau, où l’on ait mis bien du cresson.

Le reméde externe est de couper d’abord les cheveux, puis de laver le dessus, & tout le tour de la tête avec une forte décoction de scrophulaire, d’absynthe, de sauge, de mélisse, & de nicotiane. L’on broye grossierement toutes ces herbes, puis on les fait cuire dans une suffisante quantité de vin rouge ; dedans cette décoction l’on trempe des linges qu’on applique un peu chauds sur la tête, après l’avoir auparavant bien lavée avec la même décoction aussi un peu chaude ; on laisse ces linges deux ou trois jours sans les renouveller ; après quoi on recommence comme auparavant. Tout cela doit être continué plusieurs semaines. J’avertis qu’il ne faut rien mettre sur la tête qui puisse faire rentrer l’humeur en dedans ; cette imprudence pourroit causer la mort à l’enfant, ou le rendre aveugle

Quand la roüille des cheveux est bien invéterée, on ne la peut guérir qu’en enlevant la peau même où ils tiennent ; ce remede paroît violent ; mais il ne l’est point, pourvû qu’on s’y prenne bien. Voici ce que c’est.

On commence par couper les cheveux le plus près qu’il est possible ; puis on lave la tête avec de l’urine, renduë sur le moment, par la personne malade ; ce que l’on réïtere deux jours de suite, le plus de fois que l’on peut, laissant sur la tête pendant les deux jours, en y comprenant les nuits, un linge trempé de même urine.

Le troisiéme jour on applique sur la tête, un emplâtre fait avec deux gros de myrrhe en poudre, autant d’aloés aussi en poudre, & une suffisante quantité de poix & de térébenthine. On laisse cet emplâtre l’espace de trois jours, au bout desquels il se détache comme de lui-même, pour peu qu’on le tire, & il emporte avec lui, la peau de la tête ; cette peau se sépare d’autant plus aisément qu’elle est déjà presque toute rongée, & ne tient presque plus à rien. Quand l’emplâtre est enlevé, on lave la tête avec de l’urine de la personne malade, comme on a fait auparavant.


2o. Chute des Cheveux.

La chute des Cheveux, quand elle n’est pas causée par la roüille dont nous venons de parler, vient ordinairement de la trop grande largeur des cavités dans lesquelles ils sont plantés. C’est ce qui fait que la plûpart des vieillards sont chauves ; car à leur âge, les cavités qui emboëtent la racine des cheveux, aussi-bien que celle qui emboëtent les racines des dents, acquierent plus de diametre, ce qui est cause, par rapport aux dents, que celles-ci étant trop au large dans les cavités où elles sont emboëtées, n’y peuvent plus tenir, & sont obligées ou d’en sortir, ou d’y vaciller, à peu près comme l’on voit des chevilles mises dans des trous trop larges, y vaciller ou en tomber. Il en est de même des cheveux ; sur quoi nous remarquerons qu’après certaines maladies, il arrive souvent qu’ils tombent, parce que ces maladies sont presque toutes accompagnées de sueurs abondantes, ou d’autres symptomes capables d’élargir les cavités qui emboëtent la racine des cheveux ; telle est, par exemple, la petite vérole. Cela posé, il est facile de voir qu’il n’y a pas ici de meilleur moyen pour empêcher les cheveux de tomber, que de recourir à des choses qui puissent raffermir les cavités où ils sont plantés. Or le moyen de le faire, c’est de laver de temps en temps, avec un peu de verjus, le dessus et les côtés de la tête. En Dannemarc on fait venir de longues queuës aux chevaux, en peignant leurs queüës avec des peignes trempés dans une décoction d’oignon, & en lavant ces queües dans la même décoction. Le jus d’oignon ne produit cet effet qu’en raffermissant les cavités dans lesquelles les crins sont naturellement emboëtés.


3o. Couleur des Cheveux, ses défauts.

La couleur des cheveux vient de l’humeur dominante qui les nourrit. Quand c’est la partie rouge du sang, ils tirent sur le rouge, & sont ardens. Quand c’est une bile claire, ils sont blonds. Quand c’est une bile un peu foncée, ils sont noirs, ou châtains. Quand c’est la pituite, ils sont blancs.

Dans l’enfance, ils se nourrissent ordinairement une bile claire, ce qui fait que la plupart des enfans ont les cheveux blonds. Dans l’adolescence, ou à mesure qu’on en approche, ils se nourrissent d’une bile plus foncée ; il en est de même de l’âge fait ; ce qui les rend plus bruns ; aussi voit-on que les enfans blonds ne sont pas long-temps sans brunir.

Dans la vieillesse, les cheveux tirent leur nourriture (au moins ordinairement ; car il y a quelques exceptions) de cette partie pituiteuse du sang, qui est appellée la partie blanche du sang, ou la lymphe ; car c’est là l’humeur dominante des vieillards, & c’est ce qui leur rend les cheveux blancs. Il ne faut pas niër cependant, que la cause suivante ne puisse concourir avec celle-là.

On remarque à la racine des cheveux, quand on en arrache quelques-uns, un suc gluant ; ce suc gluant est ce qui sert à les nourrir ; il est plus abondant aux personnes jeunes ; mais dans la suite de l’âge il se perd, & alors il peut arriver aux cheveux, faute de recevoir par leurs racines une nourriture suffisante, ce qui arrive aux moissons, qui blanchissent lorsque les racines ne fournissent plus à la tige, le suc accoûtumé.

Quelquefois les cheveux blanchissent par l’effet du chagrin, & on a vû de jeunes personnes blanchir tout d’un coup, par certains resserremens de cœur ; ce qui peut procéder de la même cause ; parce qu’un grand chagrin fait des épuisemens considerables, & consume par ce moyen, une bonne partie du suc nourricier des cheveux. D’ailleurs le chagrin quand il est profond, rappelle le sang au dedans, & ne laisse de nourriture aux cheveux, que la lymphe ou la pituite, ce qui est cause qu’on a vû quelquefois certaines gens blanchir en une heure par de violens chagrins ; les Histoires sont pleines d’exemples là-dessus.

On voit quelques jeunes personnes avoir des toupéts de cheveux blancs, tandis que tout le reste de leur chevelure, est de la couleur ordinaire à leur âge. Cela vient de ce que dans les endroits où sont ces toupéts, il se rencontre un plus grand nombre de vaisseaux lymphatiques ou pituiteux, lesquels répandent & distribuent la pituite dont ils sont pleins, tandis qu’aux autres endroits il y a plus de vaisseaux bilieux.

Au reste, il ne faut pas s’imaginer avec le vulgaire, que la bile soit une humeur malfaisante ; c’est un suc au contraire, qu’il est très-important de ménager. La bile est le baume du sang ; sans la bile, toute la masse des humeurs tomberoit en corruption. Il n’importe de quelle couleur soit cette bile, pourvû qu’elle ne dégenere point de sa qualité naturelle, & qu’elle ne soit ni trop liquide, ni trop épaisse, ni en trop grande ni en trop petite quantité. Après cela, qu’elle soit brune ou claire, jaune ou rousse, ou même tirant sur le noir, peu importe.

Il en est des differentes couleurs de la bile, comme des différentes couleurs de la peau. Les uns l’ont naturellement brune, les autres blanche, les autres bazanée, tout cela, sans que la santé en souffre.

On dit quelquefois, en parlant de certaines personnes d’une humeur triste & réveuse, que ce sont des personnes atrabilaires, c’est-à-dire dont la bile est noire ; mais l’Anatomie n’a point encore confirmé ce fait. On peut même avancer que les personnes dont la bile est plus brune sont d’un meilleur tempérament que les autres. C’est ce qui est cause que lorsqu’on choisit une nourrice, on préfere toûjours celle, qui a les cheveux bruns. Bien plus c’est un sentiment assez commun en Medecine, que le lait des vaches noires est plus sain que celui des autres. Mais ce n’est pas ici le lieu d’entrer en discussion là-dessus. Il suffit de sçavoir que ce sont les différentes sortes d’humeurs, ou sanguines, ou bilieuses, ou pituiteuses, qui font les différentes couleurs des cheveux. Nous ne devons pas oublier ici une remarque que fait le sçavant Spigelius, ce célebre Praticien de l’Université de Bâle, sçavoir que les personnes nées de peres très-âgés, blanchissent fort jeunes, tandis que celles qui sont nées de peres très-jeunes, blanchissent fort tard ; sur quoi il rapporte le fait suivant.

« Nous avons vû ici à Bâle, dit-il, deux Professeurs en Medecine, Felix Platerus, & Thomas Platerus, issus l’un & l’autre d’un même pere ; mais dont le premier, sçavoir Felix Platerus, étoit venu au monde, son père étant encore très-jeune, & l’autre, sçavoir Thomas Platerus, étoit né de même pere étant très-âgé. Felix parvint à une extrême vieillesse & ne blanchit point avant cet âge ; Thomas au contraire, plus jeune de quarante & tant d’années, que son frere, blanchit un grand nombre d’années avant son aîné[1]. »

Cette observation confirme ce que nous avons dit de la cause qui rend les cheveux blancs par rapport à l’humeur dont ils sont nourris. Felix Platerus né d’un pere jeune & vigoureux, dont les sucs qui nourrissoient ses cheveux, n’étoient point cette lymphe & cette pituite qui nourrit ceux des vieillards, tint du caractere de son père ; au lieu que Thomas né du même pere alors extrêmement âgé, dont les sucs étoient cette lymphe & cette pituite, tint tout de même en cela du caractere de son pere par rapport à ce suc nourricier. Il ne faut point d’effort d’esprit pour se rendre à cette hypothese.

La couleur des cheveux est une chose qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible de changer. Quand ils sont blancs de vieillesse, l’on a coûtume de se servir d’un peigne de plomb, pour les brunir. Cet expédient ne corrige pas le fond de la couleur ; il ne fait que la déguiser pour quelque temps ; & à moins que de recourir sans cesse au plomb, elle revient toujours. Mais nôtre dessein dans ce Livre, n’étant que de parler des difformités qui surviennent dans l’enfance, ou dans la jeunesse, nous ne dirons rien de ce qui concerne la maniere de prévenir ou de corriger la blancheur des cheveux, qui survient dans la vieillesse.

Nous dirons seulement un mot de celle qui arrive à quelques jeunes personnes, Celle-là peut quelquefois se corriger, quoiqu’avec peine ; pourvû que venant avant le temps, comme elle fait, elle n’ait pas pour cause ce qui produisit la blancheur des cheveux de Thomas Platerus, dont nous venons de faire mention.

Quand les cheveux sont blancs dans la jeunesse, soit par toupéts ou autrement, il faut, pour leur rendre leur couleur naturelle, quoique la chose soit très difficile, les laver souvent avec une décoction de solanum, d’armoise, de persicaire, de chamœdris, de nicotiane, de verveine, de lavande, de thim, & de pouliot, ou avec une décoction de racine de cucurma, autrement dit souchet des Indes ; si ces décoctions ne changent pas absolument la couleur des cheveux, elles valent toûjours mieux que le peigne de plomb. Mais pour s’y bien prendre, il faut commencer d’abord par couper les cheveux le plus près de la peau que l’on peut, & laver alors la peau de la tête avec une des décoctions ci-dessus, afin que le remede pénetre plus à fond la racine des cheveux ; puis à mesure qu’ils croissent on a soin de les laver, ce qui se doit continuer nombre de semaines.


Cheveux ardens.

Les cheveux ardens viennent, comme nous l’avons remarqué, de ce qu’ils se nourrissent de la partie rouge du sang, plutôt que d’aucune autre humeur. La saignée est d’un grand secours dans cette occasion ; mais il faut prendre garde d’en abuser, & de la pousser trop loin. Les fréquentes lotions des cheveux sont encore ici très-convenables. Ces lotions se doivent faire avec une forte décoction de renoüée, autrement dite traînasse ; herbe, dont nous avons parlé plusieurs fois ci-devant, laquelle croît par-tout sur les chemins à la campagne ; cette Herbe, par sa qualité astringente, modere la trop grande véhemence avec laquelle le sang se jette dans les tuyaux des cheveux, qui, transparens comme ils sont naturellement, laissent appercevoir la couleur de l’humeur dont ils sont remplis.

Il faut raisonner ici comme de ces sueurs rouges, dont on a tant d’exemples, & qu’on appelle à juste titre, sueurs de sang, parce qu’elles viennent effectivement de ce que les particules rouges du sang sont poussées jusqu’au de-là des pores de la peau, & s’arrêtent sur la superficie du corps. Ce seroit ici l’occasion de parler d’une maladie ordinaire aux Polonois, dans laquelle le sang sort par l’extrémité des cheveux ; mais nous ne le pourrions faire sans digression, & cette digression nous écarteroit.


Cheveux fourchus.

Ce sont des cheveux fendus par le bout, & dont les fentes qui sont au nombre de deux ou trois pourroient être séparées par une main legère & adroite, en autant de filets égaux, depuis le bas jusqu’en haut. Cette fourchure vient d’un suc âcre & corrosif, fourni par la masse du sang, & arrêté dans l’extrêmité du cheveu.

Le moyen de prévenir & de corriger cette difformité, c’est 1o. de raffraichir souvent avec des cizeaux, la pointe des cheveux ; 2o. de délayer dans de l’eau, un peu de fiel de bœuf, & de les laver avec cette eau ; 3o. de boire tous les jours, pendant quelques semaines, soit aux repas, soit hors des repas, de l’eau d’esquine, laquelle se prépare en mettant infuser à froid, dans deux livres d’eau commune, deux gros, ou environ, de cette racine, qu’on y laisse tremper quatre ou cinq heures, ou d’avantage si c’est en hyver ; après, quoi on ôte la racine, pour boire de cette eau en la maniere que nous venons de dire, soit avec du vin, soit sans vin, & en guise d’eau ordinaire : elle est sans goût & très-souveraine pour émousser dans le sang, l’âcreté qu’il transmet aux cheveux.


Difformités de la tête, par rapport au Visage.

Suivant la division que nous avons faite, nous parlerons ici du visage, premierement en général, par rapport à l’air & à la mine ; puis en détail par rapport aux différentes parties qui le composent, dont les unes sont tout-à-fait extérieures, comme le front, les sourcils, les paupieres, les yeux, le nez, les joües, les oreilles, les lévres, le menton & la peau ; les autres, moins apparentes, comme les gencives, les dents, & la langue.


Du Visage en général, par rapport à l’air & à la mine.

L’agrément & le desagrément du visage, consistent moins dans la forme particuliere des traits, que dans l’air & la mine. On voit plusieurs personnes avoir un visage laid, & cependant une mine noble, agréable, & avenante ; d’autres, au contraire, avoir un beau visage, & une mine basse, desagréable, & rebutante.

L’air du visage dépend des sentimens de l’ame. Voulez-vous, peres & meres, que vos enfans ayent une mine noble, un air agréable & qui plaise ? inspirez-leur des sentimens nobles & humains. Ces sentimens se peindront sur leurs visages.

Les gens de néant, qui ne puisent d’ordinaire, dans l’éducation qu’ils reçoivent, que des sentimens bas & rampans, ont presque tous, la mine basse & rampante. Le visage prend, pour ainsi dire, les traits de l’ame, & s’y moule. Un Comedien pour joüer son rôle, s’imprime-t’il une passion de colere ? son visage alors de lui-même, un air de colere. Est-on touché de compassion à la vûë de quelque objet ? le visage, sans qu’on y pense, marque aussi-tôt la compassion secrette dont on est émeu. Il en est de même des sentimens habituels de l’ame ; un enfant est élevé dans des maximes d’honneur, les traits de son visage se forment insensiblement là-dessus, & deviennent ensuite inéfaçables, pourvû que cette éducation continuë jusqu’au temps où les traits s’affermissent. Les sentimens passagers de l’ame, ne font sur le visage, qu’une impression passagere ; mais les sentimens habituels, tels que ceux qui se contractent, dans la bonne ou dans la mauvaise éducation, dans les bonnes ou dans les mauvaises habitudes, ceux-là, par des coups redoublés, impriment sur le visage, des caracteres si profonds, que ces caracteres ne s’effacent plus. C’est ce qui fait la bonne, ou la mauvaise physionomie. Une jeune personne sera colere de son naturel, on ne travaillera point à corriger en elle, cette passion ; le visage, à force de prendre les plis & les froncemens que la colere y cause, en conservera des traces qui ne disparoîtront jamais, & qui, sans que la personne soit actuellement en colere, marqueront son humeur emportée, ce qui fera un air rude. La réflexion a beau venir ensuite, on peut se faire violence, & se corriger, mais l’air rude & colere qu’on a contracté, reste toûjours, & on porte toute la vie, sur le visage, de quoi déplaire à tout le monde.

Ce que je dis de la passion de colere, se doit entendre de toutes les autres passions ; on s’accoûtumera par exemple, dès sa jeunesse, à des airs d’orgueil & de mépris pour la plûpart des personnes que l’on verra ; des parens ne veilleront pas à corriger d’abord ce défaut ; le visage prendra alors, peu à peu, des traits d’orgueil & de hauteur, & ces traits, à force de se renouveller & de se retracer tous les jours sur la peau du visage, s’y graveront de telle maniere, qu’on aura ensuite tout le reste de la vie, un air méprisant, qui est le plus choquant de tous les airs, & le plus capable d’attirer sur soi le mépris même qu’on a pour les autres.

Un enfant sera élevé d’une maniere triste, son visage prendra un air triste & déplaisant. Ainsi, peres & meres, qui voulez que vos enfans ayent un air gai, élevez-les d’une maniere qui les tienne gais ; mais prenez garde, aussi de leur, donner trop de liberté, & de souffrir qu’ils parlent & qu’ils agissent étourdiment. Une trop grande condescendance sur ce point, leur procureroit, pour le cours de leur vie, un air étourdi, quand même ils viendroient ensuite, à bout de se corriger.

On se plait quelquefois, à voir des enfans contrefaire les grimaces qu’ils voyent faire à certaines personnes ; c’est le vrai moyen qu’ils les fassent ensuite eux-mêmes sans s’en appercevoir ; la peau du visage à force de se froncer & de se sillonner d’une certaine façon, contracte des plis qui ne peuvent non plus s’effacer, que ceux qu’on a faits à du papier, lesquels ne disparoissent jamais si bien, que la marque n’y reste.

Il résulte de tout cela, que les parens sont comme les maîtres de la physionomie de leurs enfans, puisque cette physionomie dépend des sentimens de l’ame ; que les sentimens de l’âme dépendent de l’éducation, & que l’éducation dépend des parens. Un pere & une mere ne sçauroient rendre réguliers à un enfant, les traits de son visage, s’ils ne le sont pas. Mais ils peuvent former l’esprit & le cœur de cet enfant, & c’est en lui formant l’esprit & le cœur, qu’ils lui formeront l’air du visage.

Quand les enfans font ou disent quelque chose de bien, approuvez-les par quelque petit mot de loüange ; l’approbation leur éleve l’ame, & si l’on y veut prendre garde, on verra que leur visage lorsqu’on approuve ce qu’ils ont fait ou dit, prend des traits nobles. Mais sous ce prétexte n’allez pas donner à vos enfans, des louanges outrées. Ces louanges les rendroient fiers, peut-être même insolens, & en conséquence imprimeroient sur leur visage, des traits de fierté & d’insolence qui les rendroient odieux dans la société. Ces reflexions suffisent pour exciter la vigilance des parens sur plusieurs autres point que je supprime.

En voilà assez pour ce qui concerne le visage en général, passons aux difformités de ses différentes partie.


Du Visage considéré en détail, par rapport à ses différentes parties.

Il y a, comme nous l’avons dit neuf parties très-apparentes dans le visage ; sçavoir le front, les sourcils, le nez, les paupieres, les yeux, les joües, les oreilles, les lévres & le menton, à quoi il faut ajoûter la peau qui crouvre le visage. Nous parlerons d’abord de ces parties ; puis nous viendrons à cetles qui sont moins apparentes, telles que les gencives, les dents & la langue.


LE FRONT.
Diverses difformités du Front.

Aux jeunes personnes, le front doit être uni & sans plis. Peres & meres, ayez soin d’inspirer de la douceur & de la joye à vos enfans, élevez-les dans la tranquilité ; ils auront le front uni & sans plis ; mais si vous les élevez tristement, si vous les rendez chagrins & rêveurs, leur front se plissera dès leurs premieres années ; car l’ennui & la tristesse font plisser le front. Mais enfin, soit qu’il y ait de votre faute, soit qu’il en ait pas, si vous voyez qu’ils ayent le front plissé, commencez toujours par leur inspirer une humeur gaye, puis ayez recours au moyen suivant pour effacer les traces des plis, & continuez ce moyen plusieurs mois, jusqu’à ce que les plis disparoissent entierement. Mettez-leur sur le front, une bande qui y reste jour & nuit. Cette bande, si elle serre un peu le front, le rendra uni, pourvû que l’on continuë long-temps, & qu’on ait soin d’entretenir l’enfant gai. Il faut prendre garde que la bande ne descende point trop sur les yeux, car cela pourroit lui faire contracter un regard sombre & pesant.

Bien des enfans ont le haut du front couvert de cheveux qui leur viennent jusques sur la racine du nez. On croit bien faire de raser ce surplus de cheveux ; mais le rasoir ne sert qu’à le faire croître davantage, & si fort que le haut du front, quand il a été rasé plusieurs fois, devient tout couleur d’ardoise. Un menton rasé qui paroît de cette couleur, sied très-bien à un homme ; mais cette pointe ardoisée du front, laquelle descend jusques sur le nez, ne sied ni aux hommes ni aux femmes ; comment donc s’y prendre pour empêcher la production de cheveux qui causent cette pointe ? c’est de frotter souvent l’endroit avec de l’esprit de sel dulcifié ; cet esprit de sel se trouve chez tous les Apotiquaires, & une once suffira pour long-temps. On en met une goûte avec un petit pinceau, puis on frotte légerement l’endroit avec un linge. Cela amortit la racine du cheveu, & au bout de quelques semaines, cette plante, je veux dire, le cheveu, (car, comme nous l’avons remarqué plus haut, c’est une véritable plante) cette plante dis-je, ne prenant plus de nourriture, se desséche faute d’aliment, & tombe.

Il vient quelquefois au-dessus du front, quoique le cas soit rare, une éminence, ou élévation longue dure, ronde & pointuë, qui ressemble à une corne. Cette difformité commence quelquefois dès l’âge de sept ans, comme celle d’un paysan dont parle Mezeray, & dont voici l’histoire dans les mêmes termes qu’il la raconte.

« Au Pays du Maine, en l’année 1599. il se trouva un paysan, nommé François Troüillu, âge de trente-cinq ans, qui avoit une corne à la tête, laquelle avoit percé dès l’âge de sept ans. Elle étoit faite à peu près comme celle d’un Bélier ; hormis que les rayes n’étoient pas spirales, mais droites, & qu’elle se rabatoit en dedans, comme pour rentrer dans le crâne… Il s’étoit retiré dans les bois, pour cacher cette difformité monstrueuse, & y travailloit aux Charbonnieres.

» Un jour que le Maréchal de Lavardin alloit à la chasse, ses gens l’ayant vu qui s’enfuyoit, coururent après, & comme il ne se découvroit point pour saluër leur Maître, ils lui arrachèrent son bonnet, & ainsi apperçurent cette corne. Le Maréchal l’envoya au Roi, qui le donna à quelqu’un pour gagner de l’argent, en le montrant au peuple ; ce pauvre homme eut tant de chagrin & d’ennui de se voir mené comme un ours, & sa difformité exposée en vûë à tout le monde, qu’il en mourut bien-tôt après[2]. »

On trouve dans les Auteurs de Médecine plusieurs exemples d’excroissances qui ont du rapport à celle dont parle ici Mezeray. Ces excroissances sont formées de la substance même des cheveux. Car les cheveux ne sont autre chose que de la corne en fil. Lorsque le trou de la filiere, par lequel passe la matiere du cheveu, a un grand diametre, cette matiere qui se présente en un gros volume, se proportionne au passage qu’elle trouve & sort en gros volume ; ce qui fait la corne. Si au contraire, le trou de la filiere est étroit, la matiere en question sort en fil, de la même maniere qu’on voit l’argent, le cuivre & le fer, se réduire en fils aussi menus que l’on veut, selon le plus ou le moins de largeur des trous de la filiere par lesquels on les fait passer. C’est ainsi que se forme le fil d’archal, les cordes d’épinettes, les fils d’or & d’argent. Le cheveu est une plante, il est vrai ; mais cette plante ne laisse pas de prendre la figure de l’espace dans lequel elle entre. J’ai vu une grande & longue asperge qui, pour avoir cru à l’étroit, entre deux grosses pierres plates, étoit toute plate comme du carton ; elle avoit un poulce & plus de largeur.

Les ongles sont de la même matiere que les cheveux, ce n’est que la forme des trous de la filière par lesquels la matiere des ongles passe, qui leur fait prendre la forme plate qu’ils ont. Il en est de cela comme de l’asperge dont je viens de parler. Aussi a-t-on vû des gens avoir des cornes à certains doigts, au lieu d’ongles. On lit dans la Bibliothèque Anatomique du célèbre Médecin Manget. l’histoire d’une femme dont les ongles des pieds étoient en façon de corne de Bélier, & presque de la longueur de deux doigts. Il y est aussi fait mention d’une fille qui avoit aux orteüils, des cornes plus longues que les orteüils même d’où elles sortoient, lesquelles tomboient plusieurs fois l’année, & renaissoient au bout de huit ou dix jours. Mais ce qui fait bien voir que les cheveux ne sont que de la corne, c’est la qualité de la fumée qu’ils rendent quand on les brûle. Cette fumée a la même odeur que celle que rendent les ongles que l’on brûle, il n’y a point de différence. Le poil des bêtes à corne rend aussi sur le feu, la même odeur que les cornes.

Il s’agit à présent de voir comment le front peut être préservé des excroissances dont il s’agit, & par quel moyen, lorsqu’elles sont venuës, on peut y remédier. Si celle qui étoit sortie à la tête de ce paysan[3], dont parle Mezeray, n’avoit pas été d’abord négligée, comme il y a bien de l’apparence qu’elle le fut, veu la condition pauvre du sujet, peut-être n’auroit-elle pas eu de suite. Quoiqu’il en soit, voici comment cette difformité peut être prévénuë, dès qu’on a lieu de la soupçonner. Elle s’annonce d’abord par une petite grosseur qui fait soulever la peau, & qui resiste au toucher. Il faut, aussi-tôt qu’on s’en apperçoit, recourir au moyen que nous avons proposé ci-dessus, pour empêcher les cheveux de croître trop sur le front ; qui est de frotter souvent l’endroit avec de l’esprit de sel ; mais si, nonobstant cette précaution, ou faute de l’avoir prise, la corne pousse & vient à paroître, il faut alors se donner quelque patience, parce qu’il arrive souvent que ces sortes de cornes tombent peu après d’elles-mêmes. Lorsque cette chute survient, il faut profiter de l’occasion, & frotter promptement l’endroit, avec l’esprit de sel dont nous venons de parler. Il est difficile, si l’on réïtere fréquemment la chose, que la racine de la corne ne se desséche, & ne devienne par-là, hors d’état de repousser. Que si cette chute n’arrive pas, ce qui ne va gueres au-delà de deux mois, il ne faut pas laisser le temps à la corne de durcir davantage ; mais la frotter perpétuellement avec l’esprit de sel, tandis qu’elle est encore tendre.

La purgation est ici d’un grand secours. La plus souveraine qu’on puisse mettre en usage dans cette occasion, est le sel d’ebson, dont la moindre dose pour un enfant de huit à dix ans, est de demi-once dans un boüillon.

Les enfans sont sujets à se donner des coups au front, soit par des chutes ou autrement ; ces coups font des bosses qu’il ne faut jamais négliger, parce que quelquefois elles rendent le front inégal en s’y durcissant. Le moyen de prévenir ce mal, est d’appliquer sur la bosse encore récente, une petite plaque de plomb, ou un sol, puis de mettre une compresse d’eau-de-vie pardessus, serrer la compresse avec un bandeau, & la laisser deux ou trois jours sans y faire autre chose que de la moüiller par dehors avec beaucoup d’eau-de-vie, en sorte qu’elle en soit toute pénétrée. Je ne parle point ici des bourrelets qu’il faut mettre autour de la tête des enfans, chacun sçait cela ; mais une chose à quoi l’on ne prend pas assez garde, c’est que ces bourrelets sont souvent posés trop haut sur la tête ; ensorte que lorsque l’enfant vient à donner de la tête contre quelque chose de dur & d’aigu, comme une corniche de table ou de cheminée, son bourrelet ne lui sert de rien pour le garantir. Je répéterai ici ce que j’ai déjà dit plus haut, sçavoir qu’il ne faut jamais gronder les enfans, quand ils se sont donné quelques coups ; ils sont assez punis par le mal qu’ils souffrent, & lorsque dans ces occasions vous les querellez, ou ce qui est bien pis, que vous les frappez, comme il arrive souvent, que faites-vous ? vous les obligez à se cacher de vous lorsque le même accident leur arrivera, & à faire quelquefois d’une bagatelle que ce seroit, un mal de conséquence faute de secours.

La seconde partie du visage, de laquelle il nous faut parler à présent, est le sourcil.


Des Sourcils.

Quatorze conditions sont requises pour les sourcils.

1o. Il faut qu’ils soient suffisamment garnis de poils.

2o. Qu’ils ne soient néanmoins que médiocrement épais.

3o. Qu’ils forment sur le front une ligne concave en manière d’arc, & dont la cavité fasse une petite voûte au-dessus des yeux, telle que la réprésente M. de Voiture dans cette Stance, où il dépeint les sourcils d’une jeune personne qu’il rencontra dans un Bal

 Sur un front, blanc comme l’yvoire
Deux petits arcs de couleur noire

Etoient mignardement voutés,
D’où ce Dieu qui nous fait la guerre,
Foulant aux pieds nos libertés,
Triomphoit de toute la terre.

4o. Il faut que la tête des sourcils soit plus garnie de poils, que la queuë[4].

5o. Que l’entrecil soit absolument nud.

6o. Que les poils ne rebroussent point, mais soient couchés de maniere, qu’ils tendent du nez vers les tempes, & non des tempes vers le nez.

7o. Qu’ils soient courts & sans interruption.

8o. Qu’aucun ne soit herissé & n’enjambe sur l’autre.

9o. Qu’ils soient noirs ou chatains, & non ardens, ni roux.

10o. Qu’ils fassent l’arc entier.

11o. Que cet arc ne soit que médiocrement élevé.

12o. Qu’il y ait de chaque côté un sourcil.

13o. Qu’on n’en soit point absolument dénué.

14o. Qu’il n’y en ait point deux l’un sur l’autre.


1o. Sourcils trop peu garnis.

Nous avons dît, en premier lieu, que les sourcils doivent être suffisamment garnis de poils. S’ils le sont trop peu, il faut commencer par y passer le rasoir, en sorte qu’on n’y laisse pas le moindre duvet ; puis faire bouillir dans du vin blanc, de l’absynthe, de la bétoine, & de la sauge, pour fomenter avec cette décoction, plusieurs fois le jour, l’endroit rasé. Continuer un mois, ou au moins trois semaines ; après quoi passer de nouveau le rasoir, & oindre alors l’endroit avec les huiles de miel, de cire & d’œuf, mêlées ensemble ; réïterer cette onction pendant un mois, tous les soirs avant le coucher, & mettre sur le sourcil, un linge pour y retenir les huiles.

2o. Sourcils trop épais.

Nous avons dit, en second lieu, que les sourcils, ne doivent point être extrêmement épais. S’ils le sont trop, brûlez un chou, faites une lexive de sa cendre, & de cette lexive frottez souvent les sourcils de l’enfant ; l’huile de noix est encore fort efficace dans ce cas. On en met de temps en temps sur les sourcils.

Au reste, ne rasez jamais les sourcils quand ils sont trop épais, ce seroit le moyen de ses rendre encore plus épais. Tout ce qu’on peut faire, c’est de les éclaircir avec des ciseaux ; mais c’est un assujettissement que cela, la lexive de chou que nous venons de proposer, vaut mieux, aussi-bien que l’huile de noix.

3o. Sourcils trop droits.

Nous avons dit en troisiéme lieu, que les sourcils doivent former au dessus des yeux, une ligne concave, en manière d’arc. Lorsque cette perfection manque, il est difficile de la réparer, & le meilleur parti qu’il y ait à prendre là-dessus, c’est de se tenir comme l’on est.

Des sourcils un peu trop en ligne droite, ne sont-pas, après tout, un défaut si choquant, qu’on doive beaucoup s’en embarasser ; c’est une imperfection, mais non pas une difformité. On peut, absolument parlant, faire faire la voute aux sourcils, par le moyen du rasoir, pourvû qu’ils soyent extrêmement toufus ; mais c’est toujours à recommencer ; & d’ailleurs pour peu qu’on regarde de près une personne qui a ainsi les sourcils ajustés par le rasoir, la chose se reconnoît.

4o. Tête des Sourcils trop peu garnie.

Nous avons dit, en quatriéme lieu, que la tête des sourcils doit être plus garnie que la queüe, quand cela ne se rencontre pas, il est aisé d’y remedier. C’est de raser l’endroit le plus près qu’il se peut ; le poil recroîtra, & quand il aura repoussé, il faut le raser de nouveau : il recroîtra encore, & alors il faudra recommencer ; ce qui n’ira pas à une douzaine de fois, pourvû qu’on ait soin de frotter avec de l’huile d’œuf & de cire, l’endroit rasé.

5o. Sourcils joints.

Nous avons ajoûté, en cinquiéme lieu, que l’entre-deux des sourcils, autrement dit l’entrecil, doit être absolument nud ; car lorsqu’il ne l’est pas, c’est une difformité parmi nous ; je dis, parmi nous, parce qu’il y a des pays, où c’est au contraire une beauté, d’avoir ainsi les sourcils joints. Quelques Auteurs anciens parlent de ces sortes de sourcils, comme d’un agrément, & entre autres Petrone & Ovide ; ce dernier remarque que les Dames de son temps, recouroient à l’artifice, pour se procurer de tels sourcils[5]. On en juge autrement parmi nous ; un Auteur moderne a écrit que les sourcils joints marquoient de la méchanceté ; un autre a dit que le Maréchal de Turenne avoit les sourcils gros & rassemblés, ce qui lui faisoit une physionomie malheureuse ; mais ces sortes de décisions sont sans fondement. Les sourcils joints, non-plus que les sourcils gros & rassemblés, n’annoncent ni mal ni bien, & tout ce qu’on en dit de mauvais, ne gît que dans l’imagination. Il y a des personnes qui ont les sourcils joints, & qui sont très-douces. Il y en a qui les ont gros & rassemblés, & qui sont très-heureuses ; M. de Turenne a eu un succès infini, dans toutes ses entreprises. Il est vrai qu’ayant grimpé sur une hauteur pour découvrir le camp ennemi, il fut tué malheureusement d’un coup de canon. Mais qu’est-ce que cette infortune peut avoir de commun avec les sourcils gros & rassemblés qu’il avoit & que l’on prétend qui lui faisoient une physionomie malheureuse ? Combien de Capitaines ; sans avoir de gros sourcils ont été enlevés par une mort triste ? ou ont été infortunés toute leur vie ? Je le répéte, les sourcils joints, non plus que les sourcils gros & rassemblés, n’annoncent ni bonne ni mauvaise fortune ; & quant aux sourcils joints, M. de Voiture se mocque avec raison, de l’indication que Messieurs les Physionomistes en tirent. « Ne pensez pas, dit-il, dans une de ses Lettres à Mademoiselle Paulet, que je sois encore cette foible créature que vous avez vûë autrefois, je suis tout autre que vous ne sçauriez vous imaginer : Je suis cru de six grands doigts dans mon voyage. J’ai le visage plus long que je ne l’avois, les yeux noirs, la barbe noire, & selon que je me figure, qu’est fait le Baron de Ville-Neuve ; je lui ressemble plus à cette heure, qu’à M. de Serisay. Cette mine entre douce niaise, est passée en une autre toute contraire, & il ne m’est plus rien resté qui ne soit changé ; sinon que j’ai encore les sourcils joints, qui est la marque d’un fort méchant homme[6], » Voilà comme M. de Voiture raille Messieurs les Physionomistes au sujet des sourcils joints. Nous ajoûterons qu’Auguste les avoit ainsi[7], ce n’étoit cependant pas un méchant homme.

Au reste, il ne faut pas confondre les sourcils joints dont il s’agit, avec ces sourcils joints qui viennent de ce que l’on fronce le front, & qu’on approche, par ce moyen, les deux sourcils l’un contre l’autre. Dans ce dernier cas, si les sourcils sont joints, ce n’est pas que l’entrecil soit couvert de poil, comme les sourcils ; mais c’est qu’il est caché par les rides du front, lesquelles rapprochent les deux têtes des sourcils l’une contre l’autre comme chacun peut s’en convaincre en ridant le front devant un miroir. Or, alors la jonction des sourcils venant de ce que l’on fronce le front, & ce froncement étant ordinaire aux personnes reveuses & mélancoliques, il n’y a rien d’absurde à dire, en parlant de ces sortes de sourcils, qu’ils sont la marque, je ne dis pas d’un méchant homme, car c’est aller trop loin, mais d’un homme rêveur & mélancolique. Chacun même observer, s’il veut se consulter la-dessus, que lorsqu’on est appliqué à quelque chose qui demande de la méditation, on a coutume de joindre les sourcils ; ce qui ne se fait alors que parce qu’on plice la partie du front qui est entre les sourcils.

Quoiqu’il en soit, quand les sourcils sont si joints, faute d’entrecil, que leurs têtes se touchent indépendamment de toute ride du front, il n’y a pas de meilleur moyen pour y remédier, que celui que nous venons d’indiquer pour les sourcils trop épais[8], qui est de brûler un chou, d’en prendre la cendre, & de faire de cette cendre une lexive, dont on frotte l’entre-deux des sourcils ; évitant d’y passer le rasoir, pour la même raison alléguée au même endroit.

6o. Sourcils rebroussés.

Nous avons dit, en sixiéme lieu, que les poils des sourcils doivent être couchés de maniere, qu’ils tendent du nez vers les tempes, & non des tempes vers le nez. Quand le contraire se trouve, on ne sçauroit tâcher trop-tôt de remedier à une telle difformité. Dès le moment qu’on s’apperçoit qu’un enfant a les sourcils ainsi tournés à contresens, il faut se mettre à y passer sans cesse les doigts, depuis le dessus du nez, jusques vers les tempes, & continuer tous les jours sans se lasser. Il faut aussi passer dans le même sens, une petite brosse legere, comme celles dont on se sert pour frotter les dents. Il n’y a pas d’autre moyen que celui-là ; il est aussi sûr qu’il est simple ; mais il demande une grande perseverance. Les racines des sourcils, & les cavités dans lesquelles ces racines tiennent, sont d’un tendre infini, jusqu’aux six ou sept premiers mois après la naissance. Ainsi il faut ménager ce tems-là ; elles obéiront sans beaucoup de peine au mouvement tant des doigts que de la petite brosse, & s’inclineront du sens que l’on voudra ; mais je le repete, il faut une grande perséverance, & ne pas abandonner ce soin à des nourrices.

7o. Poils des sourcils trop longs, & interrompus.

Nous avons dit, en septiéme lieu, que les poils des sourcils doivent être courts ; & outre cela, sans interruption. Pour les rendre courts, lorsqu’ils sont trop longs, l’unique moyen est de retrancher avec des ciseaux, ce qui excède. Il n’y a pas d’autre expédient.

Quant à se qui concerne l’interruption, il faut, pour y remédier, raser de temps à autre, les endroits où ils manquent ; on ne l’aura pas fait dix à douze fois, qu’ils croîtront en suffisante quantité, & recouvriront les endroits nuds.

8o. Sourcils trop hérissés.

Nous avons dit, en huitiéme lieu, qu’aucun poil des sourcils, ne doit être hérissé & s’élever sur l’autre. Quand cela est, il faut raser tout le sourcil deux ou trois fois, & avoir soin, lorsqu’il est rasé, de passer souvent les doigts par dessus, depuis la tête du sourcil jusqu’à la queue, les poils en deviendront bien-tôt unis, sans qu’aucun se dresse sur l’autre.

9o. Sourcils roux.

Nous avons dit, en neuviéme lieu, que les sourcils doivent être noirs, ou châtains. La plus désagréable couleur dont ils puissent être, c’est la rouge, ou la rousse ; & la plus agréable, c’est la noire, ou tirant sur le noir. Pour la leur procurer, non pas radicalement, car la chose est impossible, mais seulement pour quelques jours, il faut allumer, environ un gros d’encens, & de mastic, en recevoir la fumée par le moyen d’une carte qu’on passe à plat au-dessus de la flamme, & avec cette fumée froter les sourcils ; prenant garde de toucher à la peau nuë, de peur de la noircir, ce qui ne s’en iroit pas aisément ; car ce noir est fort tenace.

10o. Arc des sourcils, non entier.

Nous avons dit, en dixiéme lieu, qu’il faut que l’arc des sourcils soit entier ; c’est-à-dire qu’il atteigne depuis le dessus d’un côté du nez, jusqu’au près de la tempe. Quand cette perfection manque, qu’il n’y a pas une distance suffisante entre la tête du sourcil, & la queuë, il faut absolument recourir au rasoir, & le passer sur l’endroit où le poil manque vers la tête du sourcil, & sur celui où il manque vers la queuë, réïtérer plusieurs fois à différens jours ; & quoiqu’il n’y ait rien à raser, puisqu’il n’y a pas de poil, ne pas laisser cependant de passer le rasoir, tout comme s’il y en avoit. Cette action du rasoir rappelle le suc nourricier du sourcil, ranime la racine des poils, & élargit la cavité trop étroite, où cette racine se trouve resserrée, laquelle cavité faute d’un diamètre suffisant, empêche la racine dont il s’agit de pousser, & l’étouffe. Ce que je dis, suppose que cette racine, existe véritablement ; car s’il n’y en a du tout point il ne faut pas s’attendre que le mouvement du rasoir en fasse naître aucune.

11o. Arc des sourcils trop élevé.

Nous avons dit, en onziéme lieu, que l’arc des sourcils ne doit être que médiocrement élevé quand il l’est trop, il donne un air hardi, qui ne sied pas à tout le monde, sur-tout-au sexe. Mais comment le réduire à la médiocrité ? la chose est difficile. Le rasoir sembleroit favorable à ce dessein ; mais il s’en faut de beaucoup qu’il le soit. Car si l’on s’avise de raser quelque chose du haut du sourcil, on ôte à ce haut sa proportion, en le rendant plus mince que le reste, qui ne doit pas être plus épais que ce milieu ; si d’un autre côté, pour conserver cette proportion, l’on rend plus minces les parties latérales du sourcil, que fait-on ? L’on fait un sourcil tout nouveau qui n’a rien de naturel & dont l’artifice saute aux yeux. Ainsi le parti qu’il y a à prendre alors, est celui que tous avons conseillé ci-dessus, en parlant des sourcils trop droits, qui est de rester comme l’on est.

Il y a cependant ici un tempérament, & ce tempérament regarde principalement les personnes du sexe ; c’est que si les sourcils dont il s’agit, viennent à donner un air trop hardi ; on peut corriger cet air, en levant moins les yeux, en baissant un peu plus le front, sans néanmoins le rider, & en prenant certaines manieres modestes, qu’on est toujours maîtres de prendre, pour peu qu’on veüille faire attention sur soi-même.

12o. Sourcil unique.

Nous avons remarqué, en douziéme lieu, qu’une grande difformité pour ce qui concerne les sourcils, est de n’en avoir qu’un. Cette difformité, à moins qu’elle ne vienne de quelque brûlure ou de quelque autre accident (auquel cas il est impossible d’y remedier) ne peut avoir d’autre cause, qu’une des trois suivantes : La premiere, l’absence du germe employé par la nature, à la production du poil des sourcils ; la seconde le défaut de l’humeur qui doit servir à nourrir ce germe, & à le faire pousser, laquelle humeur ou manque totalement, ou n’est pas en une quantité suffisante ; la troisiéme, l’étrecissement, ou l’obstruction des passages par lesquels ce germe doit pousser sa tige qui est le poil.

Si c’est la premiere cause, sçavoir l’absence du germe d’où se produit le sourcil, on ne sçauroit y suppléer : si c’est la seconde, il peut y avoir du remede, pourvu que l’humeur dont il s’agit, ne manque pas absolument ; & si c’est la troisiéme, on peut y remedier aussi. Mais comment démêler laquelle de ces trois causes, doit être accusée ici ? la chose n’est pas possible. Mais ce qu’il y a à faire, c’est de ne point s’en embarasser, & de se conduire toûjours dans ce doute, comme si l’on étoit assuré que ce fût la seconde cause, ou la troisiéme, c’est-à-dire que ce manque de sourcil, dût être attribué à la disette de l’humeur nourriciere, ou au peu de capacité des tuyaux par lesquels les poils doivent sortir. Le pis qu’il puisse arriver alors, c’est que si le mal auquel on veut remedier, ne vient pas de la seconde ou de la troisiéme cause, on travaillera en vain pour la corriger, & ce ne sera que peine perduë, au lieu que s’il en vient, on pourra réüssir.

Cela posé, il faut avoir soin de passer souvent le rasoir sur l’endroit où le sourcil manque, quoiqu’il ne s’y présente rien à raser, puis d’humecter cet endroit avec choses qui soient analogues à l’humeur dont la nature se sert pour humecter les parties du corps sujettes à avoir des poils. Pour peu que dans l’endroit où le sourcil manque, il reste de cette humeur, on la pourra augmenter par cet expédient, & en même tems assouplir & dilater les petits tuyaux, qui, à cause de leur étrecissement, ou de leur obstruction, refusent le passage aux poils.

Il s’agit à present de sçavoir quelle est la nature de l’humeur qui abreuve les parties du corps couvertes de poils ; telles, par exemple, que les aisselles, le dessus de la tête, les sourcils. Or cette humeur, à examiner celle qui nourrit les cheveux de la tête, & le poil des aisselles, est une humeur aqueuse, huileuse, un peu salée, & amere. Qu’elle soit aqueuse & huileuse, on le voit par l’humidité & par la graisse des calotes qui ont resté quelque temps sur la tête, & par celle des linges qui ont resté aussi quelque temps sous les aisselles. Qu’elle soit salée & amere, on le reconnoît par la saveur qu’elle a. Or, c’est cette humeur qui, dans tous les endroits où il y a des poils, nourrit ces poils, & les entretient suivant la longueur qui leur est fixée par la nature.

Ainsi, pour préparer quelque chose qui soit analogue à cette humeur, & avec quoi on puisse frotter l’endroit où le sourcil manque, il faut recourir à la composition suivante, qui se doit renouveller tous les jours pendant trois mois qu’on en doit user ; huile de miel, huile d’absynthe & huile d’amandes ameres, de chacune deux goûtes ; urine de la personne, trois goûtes ; mêler le tout ensemble, & le faire tiédir ; puis en frotter l’endroit, plusieurs fois le jour, pendant trois mois & plus, jusqu’à ce que les poils du sourcil commencent à percer ; & quand ils perceront, continuer plus soigneusement encore, à frotter l’endroit avec la même composition, jusqu’à ce que le sourcil soit tout-à-fait éclos. Voilà ce qu’on peut faire de mieux.

13o. Point de sourcil du tout.

La treiziéme difformité que nous avons remarquée en fait de sourcils, est de n’en avoir point du tout ; cette difformité est moindre que de n’en avoir qu’un : A peine ceux qui vous regardent, quand vous n’en avez point, s’en apperçoivent-ils ; & si c’est une difformité, elle frappe si peu, qu’elle ne vaut presque pas la peine qu’on songe à la corriger. Mais comme il vaudroit mieux cependant n’avoir point ce défaut, on peut essayer d’y remédier par le même moyen que nous venons de proposer, qui est de faire pour deux sourcils, ce que nous avons dit de faire pour un. C’est tout ce qui est à remarquer là-dessus.

14o. Deux sourcils l’un sur l’autre.

Cette difformité, qui est la quatorziéme que nous avons remarquée pour ce qui regarde les sourcils, est très-difficile à corriger ; mais elle n’est pas incorrigible. Il faut examiner lequel de ces deux sourcils, mérite d’être conservé ; ou celui de dessus, ou celui de dessous, & quand on a pris son parti, voici comment on doit procéder. 1o. Raser d’abord le sourcil superflus ; & à l’instant, avec un petit pinceau, mettre sur l’endroit rasé, un peu d’esprit de sel dulcifié ; prenant garde qu’il n’en tombe dans l’œil ; continuer l’application de cet esprit de sel, deux jours de suite, matin & soir ; puis le troisiéme jour, frotter l’endroit, avec de l’esprit de vin. Le quatrieme, recommencer comme auparavant, mais pour ce jour-là seulement ; y revenir huit jours ensuite, & demeurer en repos après, cela pendant quinze jours. Si au bout de ces quinze jours ou environ, le sourcil repousse, réitérer la même manœuvre, c’est-à-dire, raser de nouveau, l’endroit, & procéder ainsi que dessus, pour recommencer encore, si le sourcil s’obstine à repousser.


Difformités du Nez.

Le plan que nous nous sommes fait, demande que nous venions à présent aux difformités qui concernent le nez, lesquelles sont : 1o. le manque de nez, 2o. le nez plat ou épaté, 3o. le nez en pied de marmite, 4o. le nez de travers, 5o. le nez boutonné, 6o. le nez polypeux, 7o. le nez pointillé, 8o. le nez trop gros, 9o. le nez fendu, 10o. le nez chevalin, 11o. le tic du nez. Onze articles que nous allons passer en revûë.

Manque de Nez.

C’est une grande difformité de n’avoir point de nez, ou de l’avoir si court, qu’il vaille presque autant n’en point avoir. Cette difformité est-elle réparable ? c’est ce qu’il nous faut examiner. Un Auteur moderne que je m’abstiens de nommer, définit le nez : Une excroissance de chair qui s’avance entre les deux yeux[9]. Il seroit à souhaiter, comme nous l’avons dit ailleurs[10], & très-à souhaiter pour la consolation de ceux à qui cette partie manque, que tout le monde fût dans une telle pensée ; mais selon les apparences, ce ne sera pas encore sitôt, & en attendant, je crois toujours pouvoir avancer, comme je viens de faire, que c’est une grande difformité de n’avoir point de nez, ou de n’en avoir presque point.

Cette difformité peut être apportée de naissance, ou être l’effet d’un accident survenu ensuite. De quelque cause qu’elle procède, il y a des gens qui prétendent qu’elle peut se réparer & se réparer si avantageusement, qu’une personne sans nez, puisse s’en faire fabriquer un véritable, aussi long & aussi bien taillé qu’elle voudra, sans qu’on puisse s’appercevoir que ce soit l’effet de l’art.

D’autres soutiennent qu’on ne peut rétablir que les nez qui viennent d’être séparés dès le moment, & qui tiennent encore au visage par quelque bout. « Le nez, dit un célèbre Anatomiste[11], peut recevoir toutes sortes de playes ; mais celles qui requierent une plus prompte opération, c’est lorsque par quelque coup d’estramaçon, il est presque séparé du visage, & tombe sur la bouche. Il faut aussi-tôt, le remettre en sa place, & faire un point d’aiguille à sa partie supérieure & dans son milieu. Ce point d’aiguille s’accomplit avec une aiguille enfilée d’un fil ciré ; commençant à coudre de dehors en dedans, par la partie inférieure de la playe, laquelle partie on appuye avec le bout d’une canule courbée, afin que l’aiguille passe plus vîte : L’on continuë d’en faire autant à la partie supérieure, de dedans en dehors ; & on lie les deux bouts du fil sur une petite compresse, à la partie la plus haute du nez. On met des plumaceaux sur la playe, on les couvre de baume du Pérou, ou de celui d’Arcœus, & on fait tenir le tout par le moyen d’un emplâtre, d’une compresse, & d’une bande, prenant garde de tirer un des chefs de la bande, plus que l’autre, ce qui rendroit le nez tortu. »

Cette reprise de nez, de laquelle parle l’illustre Dionis, n’a rien de surprenant, vû que le nez dont il s’agit, tient encore, par une partie, à l’endroit d’où il a été séparé ; mais qu’un nez totalement coupé, en sorte qu’il ne tienne plus à rien, puisse reprendre vie, étant ainsi présenté à sa place ; c’est ce que le même Auteur regarde, avec raison, comme une fable. Il rapporte, à cette occasion l’Histoire suivante. « On raconte, dit-il, que des voleurs ayant la nuit, attaqué des passans, un de ces brigands reçut sur le nez, un coup qui lui abbatit entièrement cette partie, & qu’étant allé pour se faire panser, le Chirurgien demanda le bout de nez pour le recoudre ; que ses camarades sortirent aussi-tôt, & allèrent couper le nez à un malheureux qu’ils rencontrerent en chemin, & qu’ayant apporté ce nez au Chirurgien, il en fit la suture, par le moyen de laquelle, cette partie fut antée, & prit sur ce qui restoit du nez du voleur, comme auroit fait une greffe à un arbre. »

Notre Auteur traite de chimere cette Histoire, & en rapporte une autre à laquelle il ne fait pas plus de grace.

« On raconte, ajoute-t-il, qu’un Chirurgien fit une incision au bras d’un homme qui venoit d’avoir le nez coupé, qu’il lui mit l’endroit saigneux du nez, dans l’incision ; que par un bandage il le tint quelque temps dans cet état ; & que le nez s’étant colé avec la chair du bras, l’Operateur coupa de cette chair autant qu’il en falloit pour figurer un nez, & que par cette opération il en substitua un à la place de celui qui avoit été perdu. Je crois, continue-t-il, ces Histoires apocrifes, & je les prends plutôt pour des contes inventés à plaisir que pour des faits véritables. »

Plusieurs Auteurs, du nombre desquels est le fameux Taliacot, ont fait mentions d’opérations semblables à celles dont se moque ici avec tant de raison, M. Dionis, & les ont débitées comme des faits certains ; mais si ce Chirurgien ennemi des fables, vivoit aujourd’hui, & qu’il eût connoissance de celle qui se lit dans un nouveau Traité d’Opérations de Chirurgie, où il est parlé d’un bout de nez arraché avec les dents, par un Soldat qui se battoit avec un autre ; puis jetté par ce Soldat dans un ruisseau plein de bouë, foulé ensuite aux pieds, par le même ; lavé & relavé après cela, par un Chirurgien, à une fontaine d’eau fraîche, comme on y auroit lavé un pied de veau prêt à mettre au pot, enfin appliqué en son ancienne place, par ce Chirurgien, y reprit si parfaitement, qu’au bout de trois ou quatre jours, à peine s’apperçut-on qu’il eut jamais été retranché. Si, dis-je, ce Chirurgien, ennemi des fables, vivoit aujourd’hui, & qu’il eût connoissance de celle-ci, combien ne se recrieroit-il pas sur une fiction si puérile ? fiction cependant avancée par son inventeur, comme un fait dont il n’est pas permis de douter.

On lit dans l’Extrait du Journal d’Italie, de M. l’Abbé Nazari, contenant quelques Observations curieuses de Michel Leysere, que le nez venant d’être à coupé par le Bourreau, à un Criminel, puis posé dès le moment, au milieu d’un pain chaud, recousu sans délay en sa place, reprit parfaitement. Ce cas comme nous l’avons remarqué ailleurs[12], n’a rien que de naturel, & autant que celui qui se lit dans le nouveau Traité d’Operations de Chirurgie, que nous venons de citer, est comique, autant celui-ci paroit-il digne d’attention.

Mais, pour revenir à ce que nous avons remarqué de cette restitution de nez, par le moyen d’un morceau de chair, que l’on coupe au bras pour en former un nez, nous ne sçaurions nous empêcher de rapporter sur ce sujet les paroles d’un célèbre Auteur en Médecine, mais un peu trop crédule ; lequel prétend que l’operation dont il s’agit, est très-possible ; « Ce n’est point une fable, dit-il[13], qu’un nez qui aura été retranché, ou qui manquera naturellement, puisse être restitué par le moyen d’un nez que l’on coupera à quelque misérable, qui voudra bien se prêter à cette opération, ou bien par un morceau de chair que l’on retranchera du bras de la personne à qui le nez manquera. » L’Auteur cite, sur cela, Calentius, autrement nommé Calentio, celebre Poëte Latin, natif du Royaume de Naples, qui vivoit vers l’an 1480. lequel a écrit en ces termes, à un de ses amis, nommé Orpien.

« Mon cher Orpien, si vous voulez avoir un nez, accourez ici presentement, vous y verrez une merveille des plus surprenantes ; c’est un Sicilien nommé Branca, homme inventif, qui a trouvé le secret de faire des nez qu’il construit avec de la chair qu’il coupe aux bras des personnes, ou avec des nez même qu’il ôte à des Esclaves qui veulent bien s’en priver pour de l’argent. Dès que j’ai eu connoissance de ce que je vous dis, je n’ai pû m’empêcher de vous l’écrire sur le champ, rien ne me paroissant plus digne de vous être mandé. Si vous venez, sçachez que vous vous en retournerez avec un des plus grands nez que vous puissiez souhaiter ; ne tardez donc pas, mais volez. »

Telle est la Lettre du Poëte Calentio à Orpien. Mais comme les fictions sont familieres aux Poëtes, n’en seroit-ce point ici une ? & n’auroit-on point pris pour une lettre sérieuse une plaisanterie ? On ne sçait d’aileurs quel est cet Orpien, à qui la lettre est adressée, & il y a bien de l’apparence que tout ceci n’est qu’un jeu. La fin de la Lettre le donne assez à soupçonner, quand on y dit à Orpien, (qui, par plaisanterie, apparemment, est supposé n’avoir point de nez, ou en avoir un trop petit) que s’il veut venir pour s’en faire mettre un, il s’en retournera avec un des plus grands qu’il puisse souhaiter ; ce qui semble faire entendre qu’il s’en retournera avec un pied de nez, pour dire qu’il sera bien trompé dans son espérance[14].

Calentio, à ce que disent les Historiens, avoit beaucoup d’esprit, il s’étoit acquis par cet endroit, une grande réputation. Ainsi sa Lettre a tout l’air d’une raillerie qu’il a voulu faire du prétendu réparateur de nez, le sieur Branca Sicilien. Ce Poëte, de la maniere dont en parle l’Histoire, n’étoit pas homme à s’en laisser imposer, & on ne lui a jamais reproché d’autre vice qu’un trop grand penchant à l’amour, vice qui le rendit malheureux, & fut un obstacle à sa fortune, comme il le déclare lui-même par ces Vers, qu’il ordonna en mourant, qu’ils fussent gravés sur son Tombeau, afin de détourner ceux qui les liroient, de se livrer comme lui, à une passion si nuisible tout ensemble & à la conscience & à la fortune.


Ingenium naturas dedit, fortuna Poëtæ
Defuit atque inopem vivere fecit amor.


C’est-à-dire, il eut du génie, mais il n’eut point de fortune ; la nature lui donna l’un, & l’amour lui ravit l’autre. Mais en voilà assez sur ce point ; passons aux autres difformités concernant les nez, desquelles nous venons de faire l’énumeration, page 57. tels que sont 1o. les nez plats, 2o. les nez en pied de marmite, 3o. les nez de travers, 4o. les nez boutonnez, 5o. les nez polypeux, 6o. le nez pointillés, 7o. les nez trop gros, 8o. les nez fendus, 9o. les nez chevalin, 10o. les tics du nez.

1o. Nez plats ou épatés.

C’est une grande difformité parmi nous, qu’un nez plat & épaté, quoi qu’en certains Païs ce soit une beauté[15]. Cette difformité vient souvent de la faute des nourrices, qui, en mouchant leurs enfans, leur appuyent trop le mouchoir sur le nez. Il faut leur essuyer legerement le nez en leur passant doucement le mouchoir d’une narine à l’autre, sans presque appuyer. Mais si nonobstant cette précaution, ou faute de l’avoir prise, il arrive que le nez de l’enfant ait la difformité dont il s’agit, il faut, pour la corriger, approcher souvent avec ses deux doigts, les deux ailes du nez l’une de l’autre, & recommencer tous les jours sans se lasser. Si l’enfant est bien jeune, ce soin pourra réüssir. Il y a des gens qui, dans cette occasion, veulent qu’on frotte les narines tant en dedans qu’en dehors avec des choses astringentes qui les resserrent ; mais c’est un mauvais moyen que celui-là, & capable en fronçant trop les membranes du nez, de faire à cette partie, deux torts considerables, l’un de retenir les mucosités qui doivent s’en échapper, par le moucher, ce qui ne peut avoir que des suites facheuses, l’autre de détruire l’odorat. Il vaudroit bien mieux être un peu camus, que de cesser de l’être à ce prix.

2o. Nez en pied de marmite.

Le nez retroussé en pied de marmite, est un défaut qui n’est pas plus facile à corriger que le précédent, & qui vient souvent comme celui-là, la faute des nourrices, lesquelles en mouchant leurs enfans, leur rebroussent le nez vers le front & à force de réïtérer, lui font prendre cette figure de pied de marmite, qui reste toute la vie, si l’on ne songe promptement à y mettre ordre. L’unique remede qu’on y puisse apporter, c’est pendant plusieurs mois, de passer & repasser toutes les heures du jour, un des doigts sur le dessus du nez de l’enfant, depuis le haut jusqu’en bas, & d’appuyer un peu fortement sur le bout. Il y a cependant ici un inconvénient, c’est qu’en appuyant sur ce bout, on oblige les narines déjà assez larges, à s’élargir encore davantage, ce qui est une autre difformité. Comment donc s’y prendre ? C’est d’empêcher alors cet écartement des narines, en les pressant un peu entre le doigt indice, & le poulce. Ceci est vétilleux, & demande une extrême patience ; mais quand on aime bien un enfant, rien ne coûte pour lui épargner quelque difformité.

3o. Nez de travers.

Les nez de travers viennent, pour la plûpart, de la négligence des nourrices & des sévereuses, qui en mouchant leurs enfans, ou leur essuyant les yeux, leur poussent le nez plus d’un côcé que de l’autre. Lorsque le nez est ainsi de travers, il n’y a pas non plus, d’autre remède à cette difformité, que le secours des doigts ; mais il faut pour que ce secours réüssisse, que l’enfant soit très-jeune, faute de quoi toutes les tentatives seront inutiles, pour ne pas dire dangereuses ; car le secours dont il s’agit consistant à repousser le nez, du côté opposé à celui d’où il paroît s’éloigner, il est visible que si tout le corps du nez n’obéït pas aisément, comme il obéït dans le temps de l’enfance, on court risque de meurtrir l’endroit que l’on pousse, ou de le rendre plus étroit qu’il ne faut, au lieu que lorsque tout le corps du nez obéït, ce qui arrive dans le temps de l’enfance, on ne court point ce risque ; parce qu’en poussant un côté du nez, l’autre céde en même temps.

4o. Nez boutonnés

Il vient souvent aux enfans, comme aux personnes faites, des bourgeons sur le nez ; il faut bien prendre garde alors, de rien faire qui puisse repousser au dedans, l’humeur de ces bourgeons ou boutons, il n’y faut mettre ni eau de plantain ni autre chose de rafraichissant ou d’astringent, mais seulement de la salive au sortir de la bouche, empêcher l’enfant d’y porter les doigts, & c’est tout. Mais si l’on chasse au dedans ces petites tumeurs, soit par des onguents ou autrement, elles disparoissent pour quelque temps, & renaissent ensuite de plus belle ; si tant est qu’elles renaissent ; car souvent elles disparoissent pour toujours, ce qui est un très-grand mal ; parce que cette disparition vient alors de ce que l’humeur, chassée au-dedans, se jette ou sur l’organe de l’odorat, ou sur celui du goût, & du parler, ou sur celui de la vûë, ou sur celui de l’oüie, ce qui peut rendre un enfant, ou insensible aux odeurs, & aux saveurs, ou bégue, ou aveugle, ou sourd, selon la quantité & la qualité de l’humeur repoussée.

5o. Nez polypeux.

Le nez polypeux est celui au dedans duquel il y a un polype ; ce polype est une excroissance qui quelquefois remplit tellement une narine, ou toutes les deux, que le nez ne peut admettre librement, souvent même en aucune maniere, l’air qui se présente aux narines ; ce qui trouble la respiration, altere la voix, rend la parole difficile, & enfle considérablement le nez.

Pour guérir ce mal, il ne faut pas s’y prendre rudement, mais y aller avec beaucoup de douceur. Quelques-uns croyent qu’il n’y a qu’à couper & retrancher, mais c’est le moyen d’envenimer le polype au point de le faire dégénérer en cancer.

Ou le polype occupe toute la cavité du nez, ou il n’en occupe qu’une partie. Il y a du reméde dans l’un & dans l’autre cas ; mais plus difficilement dans le premier. Si la cavité du nez n’est pas toute remplie, il faut, pour tout reméde, se contenter d’y introduire un peu de boüillon tiéde fait avec le veau & les écrevisses. On aura une petite éponge imbibée de ce boüillon, on la pressera dans le creux de la main, & l’on tirera par le nez, le boüillon qu’elle rendra, ce qui se doit réïtérer plusieurs fois le jour pendant plusieurs semaines.

Quant au premier cas, qui est celui où cette excroissance occupe toute la capacité du lieu, il n’y a pas non plus, de meilleur reméde pour la détacher, que de l’humecter avec du boüillon au veau & aux écrévisses. Mais comment introduire ce boüillon lorsqu’il n’y a point d’espace pour le recevoir ? la chose paroît impossible, mais elle ne l’est pas. Il le faut introduire par le moyen d’une canule très-fine, que l’on pousse peu à peu, dans la narine ; cette canule se fait jour facilement, pourvû qu’on l’insinue entre le polype, & un des côtés de la narine auquel il est adhérant ; mais il faut le faire peu à peu, comme nous venons de dire, & sans rudesse. Quand elle est insinuée, on lance fortement, par le moyen d’une petite seryngue, le boüillon dans la canule, & on réïtere deux ou trois fois par jour, pendant un mois & plus, selon l’opiniâtreté du mal.

Ce qui ordinairement donne occasion au polype dont il s’agit, c’est de s’arracher avec l’ongle, certaines mucosités qui s’attachent au dedans des narines, & qui y forment des croûtes. Ces croutes sont quelquesfois si adhérantes, que lorsqu’on ne veut pas attendre qu’elles viennent à un certain point de maturité, & qu’elles tombent d’elles-mêmes, ce qui ne va gueres au-delà de six ou sept jours, on ne les peut enlever sans écorcher l’endroit auquel elles tiennent ; il ne faut souvent qu’une écorchure de cette sorte, pour produire un polype.

Il vient quelquefois dans le nez des jeunes personnes, comme des autres, de petits poils longs qui sortent hors des narines, comme ces petits poils ne sont pas gracieux à voir, il arrive souvent qu’au lieu de se les couper, on se les arrache pour avoir plutôt fait. Si l’on vouloit examiner de près, la cause occasionnelle de la plûpart des polypes du nez, on verroit qu’il y a peu de ces excroissances qui ne tirent de-là leur origine.

6o. Nez pointillé.

Il y a des nez tout pointillés de petits trous, comme des noyaux d’amandes. On croit ordinairement que ces petits trous sont des loges de vers ; & dans cette pensée, on a coutume de pincer entre deux ongles, ces endroits-là, pour en faire sortir les prétendus vers, lesquels ne sont qu’une crasse durcie. Ce pincement fait sortir effectivement cette crasse qui ressemble à de petits vers sans en être. Mais d’un autre côté il produit trois mauvais effets ; le premier de rougir le nez ; le second, de le grossir ; & le troisiéme, d’y faire quelquefois élever des tumeurs.

Le meilleur moyen d’effacer ces pointillures, c’est de mettre tout le long du nez, avec le doigt, ou avec un petit pinceau, un peu d’huile de muscade. Cette huile appliquée plusieurs fois le jour pendant quelques semaines, ramollit les petits paquets de crasse engagés dans ces trous, & les fait sortir, lorsqu’on passe un petit linge sur le nez. Puis avec quelques goutes de vinaigre rosat, dont on frotte doucement le nez, on vient à bout de resserrer ces petites ouvertures, ensorte qu’il n’en paroît plus.

7o. Nez gros.

J’entends par un nez gros, un nez difforme en grosseur. Il y en a qui deviennent tels tout d’un coup ; D’autres qui le deviennent peu à peu, & d’autres qui sont héréditaires.

Quand un enfant vient au monde avec un nez excessivement gros, & que cette difformité n’est point héréditaire, on peut espérer qu’il guérira, pourvû toutefois que la mere pendant sa grossesse n’ait point été frappée de quelque objet qui ait eu cette difformité, comme certains masques, certains tableaux, certaines personnes ; car en ce cas, le mal est incurable. Si donc le pere & la mere de l’enfant, ont le nez bien conformé, & qu’outre cela, la mere n’ait point été frappée par la vûë de quelque objet tel que nous venons de dire, il y a lieu, je le répete, d’avoir bonne esperance ; d’autant plus que cette grosseur, se dissipe quelquefois, d’elle-même, au bout d’un certain temps, pendant lequel on peut patienter. Mais si la difformité persiste au-delà de six ou sept mois, il faut humecter le nez de l’enfant, avec du jus de pourpier & de laituë qui soit un peu chaud, & tout nouvellement exprimé, faire tirer par les narines, du jus de bette, & recommencer plusieurs fois le jour, pendant des mois entiers, en cas que la grosseur ne diminuë pas assez promptement ; mais si, après huit ou dix mois, elle s’obstine, il faut abandonner le tout à la nature ; car il n’est pas sans exemple, qu’un enfant ait eu jusqu’à deux ou trois ans, un nez difforme en grosseur, & que cette difformité soit passée ensuite avec l’âge.

Quelques-uns conseillent ici les saignées & les sudorifiques ; d’autres, les purgatifs, d’autres d’appliquer sur le nez, des linges passés à la flamme de l’encens & du mastic. Ces remedes ne produisent pas grand effet ; mais on les peut tenter pour n’avoir rien à se reprocher. Il n’y a que les saignées que je ne permettrois pas si l’enfant est bien jeune.

Quand aux nez excessivement gros, devenus tels tout d’un coup, sans cause manifeste, le cas est difficile à comprendre ; mais il n’est pas sans exemple ; on a vû des nez grossir si promptement qu’en peu d’heures ils sont devenus les uns deux fois, les autres trois fois plus gros qu’ils n’étoient auparavant[16].

Lorsque le nez grossit ainsi tout d’un coup à un enfant, sans cause manifeste, & que l’enfant, non plus que sa nourriture, n’a ni fiévre, ni autre maladie, ou l’enfant est alors à la mamelle, ou il est en sévrage, ou il a passé ce temps-là. Dans le premier cas il n’y a pas beaucoup à craindre, parce que cette grosseur ne vient que du regorgement d’un lait non digéré qui s’est jetté dans les tuyaux capillaires du nez, supposé, que la nourrice se porte bien d’ailleurs.

Il y a des enfans qui, par un regorgement de lait, ont les mammelles si gonflées, qu’il en sort du lait, quand on les presse un peu. Le proverbe trivial, si on lui tordoit le nez, il en sortiroit du lait, pour faire entendre que la personne dont on parle, est encore bien jeune, fait voir que ce n’est pas d’aujourd’hui, qu’on suppose qu’il se porte du lait dans le nez des enfans.

Quoiqu’il en soit, voyons quel remede on peut apporter à cet excessive grosseur de nez. Allons à la source. La grosseur dont il s’agit, vient d’un lait simplement indigeste, or le lait peut être tel pour l’une des raisons suivantes, ou parce qu’il est donné en trop grande quantité à l’enfant, ou parce qu’il est mal conditionné de lui-même. Si c’est la premiere cause, il est facile d’y remedier, en donnant moins à tetter à l’enfant ; & si c’est la seconde, il faut, ou changer de nourrice & en prendre une qui ait le lait mieux conditionné, ou corriger son lait, soit par le régime, soit autrement. Quant au changement de nourrice, il n’y faut venir que lorsqu’il n’y a pas moyen de s’en dispenser ; car le moins qu’on peut changer de nourrices aux enfans, c’est le mieux.

Pour ce qui est de corriger le lait, comme son vice dans l’occasion présente, est d’être trop épais, il est aisé de remédier à cette épaisseur, 1o. en faisant boire à la nourrice, beaucoup d’eau, & la réglant sur le vin, si elle en boit. 2o. En empêchant qu’elle ne mange trop de pain, comme font quelques-unes. 3o. En lui faisant manger beaucoup de potage bien trempé. 4o. En lui donnant tous les jours, une ou deux prises d’orgeat bien clair, & non citronné. 5o. En la purgeant de temps en temps, avec un peu de moëlle de casse dans un petit lait, si le ventre n’est pas libre.

Quant au second cas, c’est-à-dire si l’enfant est en sévrage, il y a moins d’esperance de guerison, mais il ne faut pas laisser de garder toûjours la même conduite que nous venons de marquer.

Pour ce qui est du troisiéme cas, sçavoir quand l’enfant est hors de sévrage, il faut tous les jours lui bassiner le nez avec du vin blanc de Champagne, dans lequel on ait fait boüillir de l’écorce de grenade, un morceau de coin & de l’alum, ce qui se doit préparer en la maniere suivante. On prendre une livre de vin blanc de Champagne, du plus fort & du plus petillant, la moitié d’un coin médiocre, coupé en trois ou quatre morceaux, & deux gros d’alum de roche ; on fera boüillir le tout une minute ou deux ; puis on retirera le pot du feu ; on le bouchera bien, & on le laissera reposer environ une demi-heure ; après quoi on trempera un petit linge dans cette décoction encore tiéde, & on en bassinera le nez. On réïterera plusieurs fois par jour pendant nombre de mois.

Quand l’excessive grosseur du nez est venue peu à peu, dans le cours par exemple d’un an ou de deux, il n’y a point de remede à y faire ; il ne faut songer qu’à en empecher le progrès ; c’est tout ce qu’on peut espérer ; & pour cela on retranchera l’usage du vin, si la personne en boit, on la purgera souvent avec la manne, le senné, & les tamarins, dont on reglera la dose selon l’âge & le temperamment. Faire quelque chose de plus sera inutile.

Si la grosseur excessive du nez est l’effet d’une petite vérolle, & que cette petite vérolle soit passée depuis un an ou environ, il n’y a rien à y faire ; mais si la maladie n’est pas encore terminée, ou qu’il n’y ait gueres qu’un mois qu’elle le soit, le meilleur remede pour dissiper cette grosseur du nez, c’est de purger souvent la personne avec le syrop de chicorée, composé de rhubarbe, & celui de fleurs de pêcher, délayés ensemble dans de l’eau de fumeterre. Six gros de syrop de chicorée & demi once de syrop de fleurs de pêcher, suffisent pour un enfant de six ans ; on peut juger par-là des doses qui conviennent dans les autres âges.

8o. Nez fendu.

Il arrive souvent aux personnes enrhumées du cerveau, qu’il leur distille par le nez, une sérosité âcre & mordante qui leur ronge le bord des narines, & les fait fendre vers leur extrémité. Cette fente passe quelquefois d’elle-même ; mais quelquefois aussi elle reste toute la vie, non à la vérité avec écorchure, mais cicatrisée de maniere, qu’on voit toûjours la trace de l’ancienne fente, ce qui est fort désagréable ; c’est pourquoi il est bon d’y remedier promptement, en oignant sans délai, & plusieurs fois les narines avec d’excellent beurre frais, & un peu d’huile d’œuf, mêlés ensemble dans le creux de la main. Ce remede simple qu’il faut continuer plusieurs semaines, vaudra mieux que toutes les Pommades.

9o. Nez chevalin.

On appelle nez chevalin, un nez ouvert comme celui d’un cheval, ce qui est bien différent du nez simplement épaté. Quand un enfant vient au monde avec un tel nez, & qu’il tient en cela, de pere ou de mere, dont l’un ou l’autre l’a ainsi fait naturellement, la difformité est sans remède ; mais si elle n’est pas héréditaire, & que d’ailleurs on ne puisse soupçonner que la mere pendant sa grossesse, ait rien vû de semblable qui lui ait frappé la vûë, il y a de l’espérance, pourvû que dès les premiers jours, on songe à y remédier ; ce reméde consiste à presser doucement avec les doigts pendant plusieurs semaines, les narines de l’enfant, & de recommencer vingt & trente fois le jour sans se rebuter ; prenant garde en même temps, que lorsque l’enfant tette, son nez n’appuye trop contre la mammelle, ce qu’il est difficile d’éviter lorsqu’elle est trop grasse & trop charnuë ; c’est pourquoi dans cette occasion, il faut avoir soin de choisir une nourrice qui ait le sein petit, le mammellon pointu, & fort en avant.

Après avoir continué cette légere pression, non-seulement plusieurs semaines, mais même plusieurs mois, s’il le faut, on fera construire de petites lunettes de nez sans verre, proportionnées au nez de l’enfant, & on les lui fera porter tous les jours quelques heures ; en sorte qu’elles ne pressent pas trop le nez, & qu’elles ne gênent point la respiration ; ce qui se doit continuer des deux & des trois ans ; même davantage en cas que le nez n’obéïsse pas assez aisément. Si par ce moyen on ne vient pas à bout de corriger absolument la difformité, on aura toujours le plaisir de la diminuer considérablement, & l’enfant en sera au moins quitte pour avoir le nez un peu épaté ; ce qui après tout, comme nous l’avons remarqué, est bien moins difforme que le nez chevalin.

10o. Tic du Nez.

Le nez est quelquefois attaqué d’un mouvement convulsif qui le fait mouvoir involontairement dans de certaines occasions. On appelle ce mouvement, Tic du nez. Le Cardinal Commendon[17] en avoit un dont il lui étoit impossible de s’empêcher lorsqu’il rioit ou sourioit. D’autres éprouvent ce tic en se fâchant, en parlant avec chaleur, en regardant quelque chose avec attention. D’autres l’éprouvent en tout temps indifféremment.

Le tic du nez, lorsqu’il est invétéré, n’admet point de reméde, mais on le peut guérir quand il est récent. Le moyen pour cela, c’est toutes les fois qu’un enfant en est attaqué, de lui mettre promptement au nez & autour du nez, un petit inge trempé dans de l’eau fraîche, & de réitérer diverses fois. Il n’y a guéres de tics récens qui ne cédent à l’application de l’eau fraîche, en quelque partie du visage qu’il arrive.

11o. Nez stupide.

Je ne me serois jamais avisé de mettre cet article avec les précédens, si je n’avois lu quelque part[18], que la délicatesse, ou la grossiereté d’esprit, se montre ouvertement dans le nez. C’est-à-dire, qu’il n’y a point ici à deviner, & que selon une certaine forme de nez, on connoît tout d’un coup, si la personne à qui il appartient, a l’esprit délicat, grossier ; mais quelle est cette forme de nez qui marque ouvertement qu’on a l’esprit grossier ? L’Auteur ne le dit point, & comme selon lui, la chose saute aux yeux, puis qu’il dit qu’elle se montre ouvertement, il a cru apparemment pour cette raison, ne devoir pas s’expliquer. Quoiqu’il en soit, nous ne chercherons point par quel moyen, on peut déguiser, ou corriger cette malheureuse conformation de nez, qui annonce tout d’un coup, & d’une maniere si traitresse, qu’on a l’esprit grossier ; car nous ne sçavons point en quoi elle consiste. On dit ordinairement en parlant d’une personne qui a l’air spirituel, qu’elle a des yeux d’esprit ; mais on n’a point encore dit, que je sçache, qu’elle a un nez d’esprit. On dit, à la vérité, d’un homme fin & pénétrant, qu’il a bon nez, ce qui est une comparaison empruntée de la sagacité des chiens de chasse, qui ont l’odorat fin, & qui sentent le gibier de loin. On étend cette comparaison encore plus loin, on dit, par exemple, d’une jeune fille qui paroît aimer le monde, qu’elle n’a pas le nez tourné du côté du Couvent. Expression qui vient de ce que les chiens de chasse ont toujours le nez tourné du côté où ils sentent le gibier qu’ils guettent. Mais ces manieres de parler, & autres semblables, ne conduisent ni de près ni de loin, à croire que la délicatesse ou la grossiereté d’esprit, se montrent ouvertement dans le nez.

En voilà suffisamment sur l’article des difformités du nez ; passons aux autres parties du visage. Nous avons fait mention du front, des sourcils & du nez, viennent à présent les paupieres, les yeux, les jouës, les oreilles, les lévres, & le menton ; à quoi il faut ajoûter, comme nous avons dit, la partie commune & générale du visage qui est la peau qui le recouvre. Nous passerons ensuite, selon notre projet, aux gencives, aux dents & à la langue, qui sont les parties les moins apparentes du visage.


Les Paupieres.

Les paupieres sont sujettes aussi à plusieurs difformités. J’en compte neuf entre autres ; la premiere, le rebroussement de la paupiere supérieure ; la seconde, le renversement de celle d’en bas ; la troisiéme, la chassie ; la quatriéme, le grain de grêle, petite tumeur dure entre les tuniques de la paupiere supérieure ; la cinquiéme, l’hydatide, tumeur molle à la même paupiere, & quelquefois, à l’inférieure ; la sixiéme, le grain d’orge, autrement dit orgelet, ou orguilleux ; la septiéme, le manque de cils ; la huitiéme, les cils trop courts, ou en trop petite quantité, la neuviéme, le hérissement des cils, contre l’œil.

Nous allons examiner ces neuf articles, dans le même ordre que nous venons de les détailler.


1o. Rébroussement de la paupiere supérieure.

Il y a des personnes qui ont la paupiere supérieure tellement rebroussée vers le front, que lorsqu’elles veulent fermer l’œil, elles ne le peuvent qu’à demi, en sorte même qu’elles dorment l’œil ouvert, comme les liévres ; ce qui fait qu’on appelle cette difformité, œil de liévre. Elle vient, ou de naissance, par une mauvaise conformation, ou de l’habitude qu’on laisse prendre aux enfans lorsqu’ils sont au berceau, de regarder toujours en haut, ce qui, à force d’être renouvellé, leur fixe la paupiere vers le front, ensorte que cette paupiere, que sa nature a posée au-dessus de l’œil, comme une espéce de store, pour se hausser & se baisser selon la volonté, ne peut plus recouvrir l’œil, & demeure toujours rebroussée.

La même difformité peut venir encore ou d’une humeur âcre qui se jette sur les membranes musculeuses de la paupiere, & les fronce par son âcreté, ou bien d’une cicatrice survenuë après quelque ulcere de cette partie : Quatre cas différens dans deux desquels seulement, la difformité dont il s’agit, peut guérir, pourvû qu’elle ne soit pas trop ancienne. Ces deux cas sont 1o. celui où le mal vient de la mordacité d’une humeur acre qui se jette sur la partie ; 2o. celui où il vient d’habitude. Dans le premier cas, il faut employer des remedes internes, & des remedes externes. Les internes sont en grand nombre, il n’y en a pas un qui vaille ici, la confection d’hyacinthe. On en peut donner à la jeune personne pendant plusieurs jours, soir & matin, un demi-gros, ou un gros, soit seul, soit délayé dans un peu d’eau de pourpier distillée. Ce remede a cela de propre, qu’il adoucit considérablement l’acreté des sucs. Or dans l’occasion dont il s’agit, la principale vûë qu’on doit avoir, c’est d’adoucir la masse du sang, puisque le mal auquel on veut remedier, vient de l’acreté des sucs que fournit cette masse.

C’est une erreur populaire de croire que la confection d’hyacinthe échauffe ; elle ne renferme que des absorbans capables de calmer la chaleur étrangere, tels que sont, entre autres, les pierres précieuses dont cette confection est composée. Il est vrai qu’elle renferme aussi de la graine de kermes & de la myrrhe ; mais ce que ces drogues peuvent avoir d’échauffant, est tellement châtié par les autres ingrédiens, qu’elles ne peuvent faire sur les entrailles, la moindre impression de chaleur, & qu’elles ne servent qu’à empêcher le remede de peser sur l’estomac.

Au reste, comme dans cette composition il entre quelquefois du musc, & de l’ambre-gris, j’avertis q’il les faut retrancher, & qu’en demandant à un Apothicaire, de la confection d’hyacinthe, il la lui faut demander sans musc ni ambre.

Il y a dans certaines Pharmacopées, une confection d’hyacinthe, qu’on appelle réformée, où l’on a retranché & changé quantité de choses qui entrent dans la confection d’hyacinthe ordinaire ; ce n’est point cette confection d’hyacinthe prétenduë reformée, que je conseille ici ; il faut s’en tenir à l’ancienne qui vaut, sans comparaison, beaucoup mieux.

Quant aux remedes externes, autrement appellés topiques, il y en a plusieurs qu’on peut mettre ici en usage ; mais le meilleur de tous est de faire chauffer une compresse, de la moüiller d’eau rose, & de l’appliquer sur la paupiere ; il faut avoir soin de renouveller de temps en temps, la compresse, & de ne la point laisser sécher sur la partie.

Pour ce qui est du second cas, sçavoir celui où cette difformité vient de l’habitude contractée par l’enfant dans son berceau, de regarder toujours en haut, il n’y a autre chose à y faire, sinon de mettre et de laisser long-temps sur le front de l’enfant, un bandeau qui lui descende jusques sur la paupiere, & la lui couvre totalement, ensorte que l’enfant, pendant ce temps-là, ne puisse plus regarder en haut : bien entendu qu’avant que d’assujettir ce bandeau, il faut avoir soin de tirer doucement la paupiere en bas.

Quand les enfans sont un peu grands, ils ont coutume de se divertir à joüer au volant ; ce divertissement peut leur nuire, lorsqu’ils ont eu la paupiere supérieure ainsi rebroussée, ou qu’ils l’ont actuellement, le volant les oblige à lever sans cesse les yeux. On voit par-là le danger qu’il y a de les laisser alors, joüer long-temps à ce jeu.

2o. Renversement de la paupiere inférieure en dehors.

Ce renversement de la paupiere inférieure est plus difforme que le rebroussement de la paupiere supérieure, duquel nous venons de parler. Il laisse voir la paupiere toute pendante, & elle ressemble alors à ces portieres de vieux coches par terre, lorsqu’elles sont abbatues.

Le mal dont il s’agit, pourvû qu’il ne soit point l’effet de quelque blessure à la paupiere, vient pour l’ordinaire, d’un trop grand relâchement de cette paupiere, produit par une humidité surabondante qui l’abbreuve & qui lui ôte son mouvement & son ressort ; car quoiqu’on puisse la regarder comme immobile, en comparaison de l’autre, elle ne l’est pas absolument. Elle se meut en même tems que la supérieure ; toutes deux ont un même mouvement, un mouvement qui leur est commun ; j’entends, par exemple, que lorsque la supérieure se meut pour couvrir l’œil, ou pour le découvrir, l’inférieure en fait autant. A la vérité, le mouvement de celle-ci est moins sensible, mais il n’en est pas moins réel.

Pour s’en assurer, on n’a qu’à pincer avec le poulce & l’indice, la paupiere inférieure, pendant qu’on remue la supérieure, & l’on sera convaincu qu’elle se meut, & que son mouvement est le même. On n’a de plus, qu’à regarder de près & avec attention, les yeux de quelqu’un ; même les siens si l’on veut, dans un miroir ; on verra qu’en remuant la paupiere supérieure, l’inférieure remuë aussi. L’Anatomie au reste apprend que ce sont les mêmes muscles, les mêmes fibres qui exécutent les mouvemens dont il s’agit. Or ces muscles & ces fibres ne peuvent gouverner ici la paupiere inférieure, à cause de l’humidité surabondante qui la pénétre ; il s’ensuit que pour lui rendre son mouvement, la raffermir, & l’empêcher de tomber davantage, il faut d’abord recourir à des hydragogues, c’est-à-dire à des remedes qui évacuent les sérosités dominantes, & ensuite employer les astringens & les fortifians.

Pour remplir la premiere indication, on purgera de tems en tems avec la poudre cornachine, dont on proportionnera la dose à l’âge de la personne. Un demi gros dans un boüillion est la dose ordinaire ; mais aux enfans on la diminuë à proportion. Le vésicatoire à la nuque, conviendra aussi. Un petit morceau de racine de Thymelœa est un très-bon vésicatoire dans cette occasion : il tire une très-grande quantité de sérosités, sans causer de douleur ; on le fait tenir à la nuque, par le moyen d’une petite bande, & on le retire lorsqu’il a produit une suffisante évacuation, sauf à recommencer quelques jours après s’il le faut.

Quant à la seconde indication qui est de recourir aux astringens & aux fortifians, on la remplira en moüillant souvent la paupiere avec de l’eau de plantain & de fenoüil, dans lesquelles on aura éteint un fer chaud, tout rouge.

3o. La Chassie.

La chassie est une maladie où il découle sans cesse des paupieres, une humeur qui en rougit les bords, & les colle l’un contre l’autre. Lorsqu’on examine ce mal de près, on voit que c’est une traînée de petits ulceres superficiels & presque imperceptibles, rangés tout le long du bord de chaque paupiere tant en dedans qu’en dehors. Ces petits ulceres sont difficiles à guérir quand on n’y apporte pas promptement remede. Ce remede c’est d’appliquer souvent sur les paupieres, des linges trempés dans une décoction de graines de lin, & de fenoüil, de fleurs de pas d’âne, de feüilles de mauve & de guimauve, à quoi on ajoute un peu de sucre de Saturne. Voici comment se doit faire cette décoction : Prenez une poignée de feüilles de mauve & de guimauve, demi-poignée de fleurs de pas d’âne, demi once de graines de lin, & trois gros de graines de fénoüil ; faites boüillir le tout dans une livre d’eau commune pendant un demi-quart d’heure ; puis le coulez par un linge, & dans la colature, jettez un demi-gros de sucre de Saturne. Au reste, il est bon de purger avec un peu de manne délayée chaudement dans de l’eau de fumeterre, & de scabieuse ; l’usage du thé ne doit pas être oublié.

4o. Le Grain de Grêle.

Il se produit quelquefois, entre les membranes de la paupiere supérieure, une petite tumeur luisante, mobile, ronde, dure, & indolente, de la grosseur d’un pois, laquelle tient à une queuë extrêmement mince, & ressemble en quelque sorte, par sa figure, à un grain de grêle ; cette tumeur ne menace d’aucun danger, pourvu qu’on ne l’irrite point, par des remèdes faits mal-à-propos. On en voit même qui après avoir duré quelques années se dissipent sans remêdes. Il faut éviter dans le traitement de cette tumeur, toute application d’emplâtres, & n’avoir recours qu’à des fomentations en forme de vapeurs. Pour cela on fera cuire ensemble dans de l’eau commune, les herbes suivantes bien séches : Mélisse, basilic, origan, marjolaine, chardonbenit, de chacune une poignée ; on y ajoutera demi-poignée de bayes de laurier, & de geniévre, concassées, & cinq ou six pincées de caffé bien rôti, & bien pulvérisé. Quand le tout fumera bien, on en fera aller par le moyen d’un entonnoir, la fumée, à l’œuil malade, qu’on aura soin alors, de tenir bien clos.

Ce reméde doit être réïteré plusieurs fois le jour, & continué sans intermission d’aucun jour, jusqu’à guérison entiere. Mais il faut bien se garder de toucher rudement à la tumeur ; ce seroit le moyen de la rendre incurable.

5o. L’Hydatide.

L’Hydatide est une petite tumeur molle & indolente, à l’une ou à l’autre paupiere, mais plus ordinairement à la supérieure ; cette tumeur qui est ordinairement luisante, rouge, transparente, & qui empêche d’ouvrir l’œil, est causée par une humeur aqueuse, extravasée entre les membranes de la paupiere. Les enfans y sont fort sujets, & à moins qu’on ne prenne promptement soin d’y remédier, elle peut, d’indolente qu’elle est de sa nature, devenir très-douloureuse, & dégénérer en ulcere fistuleux, ou laisser sur la paupiere, une cicatrice aussi difforme qu’incommode. Le remède à ce mal, est d’appliquer sur la paupiere, un cataplasme fait avec l’armoise, la scabieuse, la sauge, le fenoüil & l’aigremoine, cuits dans du vin blanc. Si après l’usage de ce cataplasme, la tumeur paroît disposée à suppuration, il en faut alors appliquer un autre, fait avec la mauve, la guimauve, les figues, la camomille, le saphran & la mie de pain, cuits dans du lait ; le continuer jusqu’à ce que la suppuration s’ensuive. Puis, avec le miel rosat, & un peu de tutic, consolider la paupiere.

6o. Le Grain d’Orge, autrement dit Orgelet, ou Orguilleux.

C’est une petite tumeur enflammée, longue, immobile, de la figure d’un grain d’orge, laquelle vient au bord des paupieres dans les cils. Elle commence d’abord par une petite élévation rouge, qui grossit ensuite peu à peu, & excite de la démangeaison, & de l’ardeur ; puis au bout de quelques jours blanchit & suppure. Elle différe du grain de grêle, en ce que le grain de grêle est sans inflammation, ni douleur, qu’il n’est pas dans les cils, mais au milieu de la paupiere ; qu’il est mobile, dur, rond, luisant, & de la même couleur que la peau ; qu’il tient à une petite racine d’où il pend, & qu’il ne suppure point. Le grain d’orge est sans danger, pourvu qu’on n’y porte point trop souvent les doigts, & il guérit ordinairement de lui-même. Quelquefois il rentre pour un temps, & se remontre ensuite ; quelquefois même il durcit, & semble se refuser à la suppuration. Quand cela est, il faut prendre la moëlle d’une pomme cuite, & en appliquer un peu sur le mal, c’est le vrai moyen de faire venir l’orgelet à maturité. Lorsqu’il y est parvenu, ce qui se reconnoît à un petit point blanc qui paroît au milieu, à un des côtés, il n’y a qu’à presser légérement la tumeur, le pus en sortira, & elle sera guérie. Au reste, il faut bien se garder de mettre sur l’orgelet, rien de rafraichissant, ni d’astringent, on feroit rentrer l’humeur au dedans, ce qui seroit dangereux pour l’œil.

7o. Le manque de Cils.

Ce n’est pas une grande difformité d’avoir les paupieres dénuées de cils, mais cependant c’est une difformité. La cause la plus ordinaire de l’absence de ces poils dans les enfans, sont les larmes trop fréquentes qu’ils versent. Ces larmes sont caustiques, & rongent les racines des cils ; elles ont même quelquefois une si grande âcreté[19], qu’elles entament les joües. Ainsi, il ne faut pas s’étonner qu’elles puissent ronger les cils. Prenez garde à cela, peres & meres, ne laissez point trop pleurer vos enfans ; mais d’un autre côté s’ils retiennent trop leurs larmes, cette suppression peut leur causer la fistule lacrymale. D’ailleurs les larmes ne contribuent pas peu, à décharger le cerveau des enfans, ce qui leur sauve bien des maladies. C’est pour cette raison, qu’en certains Pays des Indes, où les enfans à la mammelle ne pleurent jamais d’eux-mêmes, on a toujours auprès de leur berceau, des orties prêtes, dont on les touche de temps en temps pour les faire pleurer. Les Philosophes du Pays disent que si un enfant pleure au moins une heure par jour, il devient plus grand, & vit plus long-temps[20], en quoi ils ont très-raison. Comment donc se conduire en cette rencontre ? c’est sur quoi il est difficile de donner une regle bien sûre. Il y a cependant ici un tempérament à prendre, qui est de ne laisser pleurer les enfans ni trop ni trop peu. S’ils pleurent trop, leurs cils tombent ; & s’ils pleurent trop peu, leur santé en souffre. On évite l’un & l’autre, en prénant le tempérament que je dis.

Quand les racines des cils sont absolument rongées, ils ne reviennent plus, quelque chose que l’on fasse. On a beau, quoiqu’on disent certains Empiriques, appliquer alors sur les paupieres, la graisse d’ours, la moëlle de cerf, le miel, & autres remédes semblables qu’ils disent avoir éprouvés ; rien ne réüssit, c’est vouloir faire croître une plante lors qu’elle n’a ni racine, ni semence. Mais s’il reste encore quelques racines de cils, & que les ouvertures par lesquelles ces racines peuvent pousser leurs tiges, ne soient pas absolument effacées il y a de l’espérance, & l’on peut rappeller les cils, en frottant les tarses, c’est-à-dire les bords des paupieres, avec de la décoction de bétoine, de sauge, de l’avande, de mélisse, & d’origan, y ajoutant un peu de miel.

8o. Cils trop courts, ou en trop petite quantité.

Les cils doivent être un peu longs, & bien garnis, sans quoi les paupieres, quelque belles qu’elles soient d’ailleurs, ont une grace de moins. Pour les faire croître lorsqu’ils sont trop courts, & les rendre plus touffus lorsqu’ils sont trop clairsemés, il n’y a qu’à oindre souvent les paupieres avec de l’huile de geniévre, & de l’huile d’ambre, mêlées ensemble. Ou bien prendre une trentaine de mouches ordinaires, les écraser, & avec un peu de thérébenthine dissoute par le moyen d’un jaune d’œuf, en faire un emplâtre qu’on appliquera sur la paupière. Cet emplâtre est excellent pour procurer la sortie des cils.

9o. Hérissement ou recourbement des Cils contre l’Œil.

Ce hérissement n’est pas seulement difforme, mais il incommode l’œil considérablement, en le picotant sans cesse, & causant de l’inflammation. Le meilleur reméde qu’on y puisse apporter, c’est de couper avec des ciseaux bien déliés, et le plus près que l’on peut, ces cils recourbés ; puis, de frotter aussitôt l’endroit chaudement avec du suc de fleurs de pas d’âne, & avec du lait ; ce reméde soit être recommencé souvent.


Des Yeux.

Après les difformités des paupieres, l’ordre demande que nous parlions d’abord ici de celles des yeux ; sçavoir, 1o. de l’œil louche ; 2o. de l’œil enflammé ; 3o. de l’œil égaré ; 4o. de l’œil squameux ; 5o. de l’œil clignotant ; 6o. de l’œil plus petit que l’autre ; 7o. de l’œil hagard.

1o. L’œil louche.

Les enfans sont louches, ou dès la naissance, ou seulement après la naissance. Quand c’est de naissance, la difformité n’est pas pour cela incurable, comme le croyent quelques Auteurs, à moins qu’elle ne soit héréditaire ; ce qui change bien le cas. Et comme l’enfant qui vient au monde, sans être louche, peut le devenir dans la suite, ainsi qu’il arrive si souvent, un enfant tout de même, qui naît avec cette difformité, peut en guérir. L’œil est une partie extrémement flexible dans cette occasion ; un rien peut rendre louche un enfant dès le ventre de la mere, & un rien peut ensuite, lui redresser l’œil ; mais il faut avoüer cependant, que la difformité dont il s’agit, est bien plus facile à guérir quand elle est contractée après la naissance ; elle procede presque toujours alors, de la faute des nourrices, qui couchent leurs enfans dans de faux jours, où la lumiere ne leur vient pas du sens qu’il faut ; au lieu qu’on doit les coucher de façon, qu’ils ayent la lumière soit du jour, soit de la chandelle, vis-à-vis eux. Il y a peu de peres & de meres qui ne sçachent cela ; mais ce n’est pas assez qu’ils le sçachent, s’ils n’y font attention. Or ils n’y en font presque jamais ; c’est pourquoi on ne sçauroit trop les réveiller là-dessus.

Une autre faute des nourrices, c’est lorsque pour appaiser leurs enfans qui crient, elles leur présentent tout contre leurs yeux, une poupée, un hochet, un chapelet, un colier, & autres choses semblables qu’elles font voltiger, & qu’ils ne peuvent regarder de si près sans loucher.

Quand le Strabisme (c’est le nom qu’on donne à cette maladie), est tout nouveau, on y remédie facilement ; & quand il est invétéré, il ne céde à aucun reméde ; mais invétéré ou non, il faut toujours en entreprendre le traitement, parce qu’il y quelquefois des ressources dans la nature, qui ne peuvent être devinées par les plus experts.

La premiere chose à quoi il faut songer, c’est de ne laisser jamais les enfans regarder rien de trop près, ou trop de côté, ou qui soit situé trop directement au-dessus de leurs yeux.

Quelques-uns conseillent de donner à lire aux enfans louches, des écritures menues, ou de les faire travailler à des ouvrages fins, comme tapisseries à petits points, broderies délicates, découpures ; mais c’est de quoi il faut bien se garder ; ce seroit le moyen d’augmenter le mal.

Pour ce qui est de la lecture, le moins qu’on y peut appliquer les enfans louches, c’est le mieux. J’en ai vû qui apprenant à lire à trois ans & à quatre ans, devenoient encore plus louches, & dont on a redressé parfaitement la vûë, en discontinuant pendant ce temps-là de les faire lire. Qu’un enfant sçache lire un an ou deux plus tard qu’il ne feroit ; le mal n’est pas grand, & ce mal si c’en est un, est-il comparable avec celui dont on fait courir le risque à un enfant, qui est d’être louche toute sa vie ?

Le second moyen qu’on doit employer, c’est de faire pendant plusieurs jours, matin & soir, environ l’espace d’un quart d’heure chaque fois, contempler à l’enfant louche, ses propres yeux dans un miroir ; avec cette précaution que chaque œil, ne contemple que celui qui lui répond dans le miroir ; c’est-à-dire, que le droit ne regarde que le droit, & que le gauche ne regarde que de gauche. Ce petit assujettissement n’est pas grand chose ; l’on ne sçauroit exprimer cependant, combien il est efficace pour redresser la vûë. Il vaut mieux que toutes les besigcles ; pourvû toutesfois que la difformité ne soit pas héréditaire ; auquel cas, (je le répete) elle ne sçauroit guérir, de quelque maniere qu’on s’y prenne.

Si le Strabisme n’est pas considerable, on peut le négliger comme un défaut, qui, absolument parlant, ne mérite pas le nom de difformité. Il y a des louches qui ne déplaisent pas. On aimoit dans le Duc de Montmorency, son œil un peu tourné, & même aujourd’hui on voit des personnes à qui c’est une espéce d’agrement, d’avoir le regard comme il l’avoit ; on appelle cela avoir l’œil à la Montmorency. Mais il faut que la chose soit peu sensible ; car d’avoir la vûë tout-à-fait renversée, ne fut jamais un agrément. L’Histoire rapporte que dans le Paganisme, on consacroit les louches au service des Autels ; mais peut-être n’étoit-ce pas toutes sortes de Louches. Quoiqu’il en soit, le Strabisme lorsqu’il n’a rien de trop apparent, n’est pas une véritable difformité. Ovide aimoit les yeux un peu louches, & Venus, selon lui, les avoit tels[21].

2o. Œil en feu.

On appelle cette maladie inflammation de l’œil, ou ophthalmie ; les enfans y sont plus sujets que les autres. Elle empêche d’ouvrir l’œil, & fait beaucoup de douleur quand on s’expose à la lumiere ; ce qui est cause qu’on est obligé alors de tenir sur les paupieres, un morceau de tafetas noir & verd, pour empêcher les rayons de la lumiere de frapper la vûe. Ce mal vient d’un sang extrêmement âcre qui picote les vaisseaux délicats de l’œil, les gonfle & les rougit ; ce qui cause en même tems une grande difformité.

Il y a deux sortes d’ophthalmies, l’une seche, l’autre humide. Dans cette derniere, l’œil pleure beaucoup, & dans l’autre il est sans écoulement de sérosités ; ce qui vient de ce que le sang qui dans celle-là gonfle les vaisseaux de l’œil, est moins aqueux : mais dans l’une & dans l’autre le même traitement convient, qui est d’adoucir l’âcreté du sang, tant par des remedes internes que par des remedes externes.

Les remedes internes sont 1o. d’évacuer d’abord par de douces purgations, les sels âcres du sang. Ces purgations doivent être fort simples. Un peu de casse dans du petit lait, suffit, ou un peu de manne dans du boüillon, avec des tumarinds. Mais elles doivent être réïterées de temps en temps. Il faut au reste, éviter ici tous les Emétiques.

Le lendemain de la premiere purgation, il est à propos d’ouvrir la veine du bras, & le surlendemain celle du pied, observant là-dessus, à l’égard du sexe, les regles générales.

2o. Il faut faire boire au malade, des boüillons adoucissans, faits avec le veau, le poulet, les écrevisses, & la laituë, sans bœuf, ni mouton.

3o. Il est nécessaire de s’abstenir absolument de vin, jusqu’à parfaite guérison.

Les remedes externes sont 1o. de raser la tête. 2o. de prendre la moitié d’un blanc d’œuf dur, dont on aura ôté le jaune, de le faire tremper pendant une demi-heure, dans de l’eau de fenoüil bien chaude, d’appliquer chaudement sur l’œil, le creux de cette moitié ; ce qui se doit faire deux ou trois fois par jour, & une fois seulement par nuit, à quelque moment de reveil, & cela durant l’espace d’une semaine ou de deux, selon l’obstination du mal.

3o. Œil égaré.

Rien ne contribue plus à rendre aux enfans, l’œil égaré, que de leur faire regarder à la fois, une grande foule d’objets en mouvement ; tels, par exemple, qu’une multitude d’hommes qui se suivent les uns les autres, ou un nombre considérable de gens qui dansent & qui sautent, comme il arrive souvent à la campagne, dans certaines réjoüissances, où les nourrices portent leurs enfans. Cette multiplicité d’objets sur aucun desquels ils n’ont pas le temps de reposer la vûë, la leur égare souvent, pour peu qu’ils y ayent de disposition, & fait qu’ils ne peuvent plus rien regarder que d’une manière égarée. Ce défaut croît ensuite avec l’âge, & c’est ce qui est cause qu’on voit tous les jours tant de gens qui vous parlant, & semblant avoir les yeux sur vous, ne vous regardent néanmoins pas. Ils ont la vûë ailleurs, & vous ne sçauriez dire où ils l’ont ; ce qui est une difformité d’autant plus facheuse, qu’une personne qui n’a pas la vûë arrêtée, passe pour l’ordinaire, quoique souvent à tort, pour n’avoir pas, non plus, l’esprit arrêté.

Ainsi prenez y garde, peres & meres, & ne souffrez jamais que les nourrices ou les sévreuses de vos enfans les portent ou les menent dans de grandes foules, comme processions, & autres concours de monde.

Une autre cause encore qui égare quelquefois la vûë des enfans, sont ces jouets qu’on leur donne, & qu’on appelle des chasses, où par le moyen d’une petite manivelle qu’ils tournent, ils voyent tout d’un coup paroître diverses figures qui se suivent les unes les autres, comme Liévres, Renards, Loups, avec un Chasseur en queuë qui semble les poursuivre ; ils regardent attentivement ces petites figures fugitives, & à force de les faire passer & repasser devant leurs yeux, ils se troublent la vûë. Voilà à quoi l’on ne prend pas garde ; & cependant il ne faut quelquefois que cela, pour rendre à certains enfans, la vûë égarée.

Il n’y a rien de petit dans l’éducation des enfans, & tant pour le corps que pour l’esprit, tout y est de conséquence.

Au reste, ce n’est pas toujours de regarder à la fois trop d’objets en mouvement, qui peut rendre la vûë d’un enfant égarée : cette difformité vient souvent aussi de tenir trop long-tems, & trop fréquemment la vûë panchée sur certains objets qui exhalent une odeur ennemie des yeux, comme 1o. sur certaines couleurs fraichement broyées ; d’où vient que beaucoup de Peintres ont la vûë mal assurée ; 2o. sur des cadavres ouverts ; d’où vient que plusieurs Anatomistes qui sont toujours occupés à disséquer, ont aussi la vûë mal assurée. Je dis plusieurs ; car tous les Anatomistes, non plus que tous les Peintres, ne contractent pas ce défaut, & il y en a plusieurs des uns & des autres qui ont la vûë très-posée, ce qui est dû à la bonne constitution de leurs yeux. Mais toujours la chose est vraye en général, & je connois, entre autres, un jeune Anatomiste, qui, pour s’être appliqué dès ses tendres années, à faire des dissections, & avoir toujours eu alors, comme il les a encore aujourd’hui, les yeux frappés d’une odeur cadavéreuse, est devenu un exemple de ce que j’avance ici ; sans parler du teint blême & livide que cette odeur de cadavre lui a procurée. Peres & meres ; dont les enfans embrassent certaines professions qui peuvent quelquefois nuire aux yeux, prenez bien garde s’ils ont la vûë propre à s’en accommoder, & se ne les exposer pas témérairement à l’avoir difforme toute leur vie.

La plupart des enfans quand ils boivent, égarent leurs yeux de tous côtés, au lieu de regarder dans le gobelet où ils boivent, ce qui à la longue, lorsqu’on leur en laisse contracter l’habitude, leur égare la vûë. Le plus sûr moyen de les corriger là-dessus ; lorsque les avertissemens sont inutiles, c’est de glisser adroitement un petit morceau de liége dans leur gobelet, lorsqu’on leur présente à boire, & qu’ils ont les yeux ailleurs. Dès qu’ils sentent ce liége à leurs lévres, ils regardent dans leur gobelet, & on ôte alors le liége ; puis s’ils recommencent à regarder ailleurs en beuvant, on recommence tout de même à leur mettre le liége, en sorte qu’à la fin, ils sont obligés pour boire, de baisser les yeux en beuvant, ce qui leur assure la vûë.

4o. La Squamie, ou l’Œil squameux.

L’œil squameux, ainsi appellé du mot latin squama, qui signifie écaille, est une difformité produite par de petites pellicules dures & écailleuses, formées entre la paupiere, & le globe de l’œil, lesquelles ou empêchent absolument la vision ; ou du moins la troublent considérablement, & dans l’un & l’autre cas, font faire à l’œil diverses contorsions.

Quand la squamie est traitée selon l’art, & qu’elle l’est à temps, il arrive quelquefois que les petites écailles dont il s’agit, tombent de l’œil comme des parcelles de son[22].

Une grande lumiere qui heurte les yeux jusqu’à les ébloüir extraordinairement, & à les ébranler dans leurs parties les plus intimes, est souvent la cause de cette maladie. Outre plusieurs exemples, qu’on en pourroit rapporter, on en a un bien remarquable dans la personne de saint Paul, sur les yeux duquel comme l’on sçait, se formerent de ces petites pellicules en forme d’écailles, après qu’il eut été frappé de l’éclat de lumiere qui le renversa par terre. Ces écailles l’empêcherent de voir le jour, & il ne recouvra la vüë qu’après qu’elles furent tombées. Ceux qui voyagent parmi les neiges, sont obligés de porter des lunettes d’un verre particulier, pour défendre leurs yeux contre le grand éclat de la neige, & les préserver de ces écailles qui ôtent l’usage de la vûë, lesquelles, lorsqu’elles sont invétérées, s’incorporent tellement avec l’œil, qu’il faut toute l’industrie de l’art pour les enlever.

Il y a des nourrices qui ne font pas difficulté d’exposer leurs enfans à toutes sortes de lumieres indifféremment, & à celle même du plus grand Soleil, sous prétexte que ce n’est que pour quelques momens, comme en traversant un jardin, une cour, &c. mais il ne faut quelquefois qu’un de ces momens pour donner lieu aux écailles dont il s’agit, si tant est qu’on en soit quitte pour cela ; car en certains cas, un simple rayon de Soleil, dardé fortement sur les yeux d’un enfant, peut l’éblouir au point de lui faire perdre tout-à-fait la vûë.

Une autre précaution nécessaire, c’est de ne jamais souffrir que les enfans soient à contre jour, lorsque le jour est trop grand ; mais de mettre un léger rideau entre eux & l’endroit d’où leur vient la lumiere ; ou bien de les tourner de façon qu’ils ayent le jour au dos, ou de côté.

Quand les enfans apprennent à lire ou à écrire, c’est une imprudence assez ordinaire à leurs Maîtres & à leurs Maîtresses, de les faire lire & écrire à contre jour ; il n’en faut pas d’avantage, en certaines circonstances, pour leur rendre les yeux squameux, & leur renverser tout-à-fait la vûë.

Que dire ici de ces Maîtres, & de ces Maîtresses qui ont assez peu de génie pour les laisser même lire & écrire au Soleil ? En général, il ne faut jamais, quand on applique fortement ses yeux, les avoir à l’opposite de la lumiere ; on voit souvent de jeunes Demoiselles travailler en tapisserie, ou coudre à contre-jour ; leurs meres quelquefois, leur en donnent l’exemple, exemple pernicieux, & contre lequel on ne sçauroit trop déclamer.

Comme les Graveurs travaillent à contre-jour, la plûpart d’entre eux ont quelque chose d’alteré dans la vûë, malgré le soin qu’ils se donnent de mettre devant leurs fenêtres, certains papiers, pour rompre la trop grande lumiere. On peut juger par-là des précautions qu’il faut apporter pour ménager la vûë des enfans, par rapport aux contre-jours.

Lorsque nonobstant toutes les précautions, ou faute d’en avoir pris, il arrive qu’un enfant a les yeux squameux, qu’est-il à propos de faire pour le guérir ? Il ne faut pas s’attendre que les écailles de ses yeux tombent miraculeusement comme firent celles de saint Paul. On doit recourir aux moyens naturels, dont un des meilleurs est le suivant. Ayez un gros de tutie préparée, un demi-gros de diaphorétique mineral, six grains de verd de gris, trois grains de camphre, & demi-gros de sucre candi blanc ; le tout bien réduit en poudre, mêlez cette poudre avec deux onces d’excellent beurre frais, lavé trois ou quatre fois dans de bon vin blanc. Puis détachez de cette mixtion la valeur d’un pois, dont vous oindrez les paupieres, & ferez entrer une partie dans les yeux ; recommencez deux ou trois fois par jour, & continuez plus ou moins de semaines, selon l’opiniatreté du mal.

5o. La Clignote, ou l’œil clignotant.

Il ne faut jamais, quand un enfant s’éveille, l’exposer tout d’un coup au grand jour, cela le fait clignoter violemment ; & lorsqu’on ne veut point se gêner pour le ménager là-dessus, son clignotement à force de recommencer tous les jours, tourne en habitude, & l’enfant clignote ensuite toute la vie, comme si quelque grain de poussiere, ou quelque brin de paille venoit de lui entrer dans l’œil, ce qui est très-difforme. On voit tous les jours de ces gens-là, & si on vouloit les interroger, on apprendroit de la plûpart, qu’ils ne sont devenus tels que par la cause que nous disons. Ce clignotement outré & habituel, quand il est ancien, ne se guérit pas aisément ; mais quelque mal aisée qu’en soit la guérison, elle n’est pas absolument impossible ; & voici un remede bien simple pour en venir à bout, s’il y a de la ressource ; c’est d’appliquer sur les paupieres, & autour des paupieres, un petit linge trempé dans du jus de pourpier ; ce qu’il faut réïtérer plusieurs fois le jour, pendant des mois entiers.

Le clignotement n’est pas le seul mal qu’il y ait à craindre en exposant ainsi un enfant à la grande lumiere dès le moment qu’il s’éveille, & qu’on le tire de l’obscurité de son berceau ; on court risque de lui affoiblir considérablement la vûë, & souvent même de la lui faire perdre. Du temps de Charles-Quint, le Rois de Tunis fut aveuglé par la réverbération d’un bassin luisant qui lui fut mis devant les yeux ; Démocrite s’aveugla lui-même, par le brillant d’un bouclier. Théophile le Protaspataire raporte que Denys Tyran de Siracuse, aveugloit certains criminels en les tenant dans un cachot où l’on n’appercevoit pas la moindre lumiere, & en les faisant ensuite exposer tout d’un coup au plus grand jour[23], après qu’ils avoient été un très-long-temps enfermés dans les plus épaisses ténebres.

6o. Monopie, ou, Œil plus petit que l’autre.

Il y a des personnes qui ont un œil si petit, qu’on diroit presque qu’elles n’ont qu’un œil ; c’est ce qui a fait donner le nom de Monopie à cette difformité, et appeler tout de même, du nom de Monope, celui en qui elle se trouve : expressions imitées du grec, dont la premiere signifie œil unique, & la seconde, qui n’a qu’un œil. Ceux & celles qui naturellement n’en ont qu’un, ou pour parler plus juste, qu’on suppose n’en avoir qu’un, on les nomme aussi Monocules, terme grec qui signifie pareillement qui n’a reçu de la nature qu’un œil. On les nomme encore Arimaspes, du nom d’anciens Peuples de Scythie, que quelques Auteurs ont écrit fabuleusement n’avoir qu’un œil, & l’avoir au milieu du front. Mais quoi que cette unité d’œil, soit une fiction, & qu’entre les animaux qui voyent, il n’y en ait point à qui la nature n’ait donné qu’un œil, on n’a pas laissé d’appeller ces Peuples Arimaspes, terme qui en langue Scythique, veut dire, qui n’a qu’un œil, Ari dans cette langue, signifiant seul, & Maspe signifiant œil[24].

Ce qui a donné occasion à la fable dont il s’agit, est, que les Scythes en question, passoient toute leur vie à tirer de l’arc, & que comme pour bien tirer de l’arc, on ferme un œil, tandis que l’autre est ouvert, ils s’étoient si fort habitués à ne se servir que d’un œil, que l’autre, à force d’être tenu si souvent fermé, ne paroissoit presque plus[25]. Ils s’accoûtumoient à cet exercice, dès l’enfance ensorte qu’il n’y avoit chez eux jeune ni vieux quin’eût un œil plus petit que l’autre. On voit par-là combien il est facile de devenir Arimaspe. Les enfans s’amusent souvent à regarder les moucherons, & autres petits insectes, dans des microscopes ; il faut pour cela, qu’ils ferment un œil, & qu’ils reviennent fréquemment à la charge, les voilà dans le cas des Arimaspes.

Quand les enfans sont un peu grands, on leur donne, si ce sont des garçons, des cannes à lorgnettes. Or pour se servir de ces lorgnettes, il faut, tout de même, qu’ils ferment un œil, & s’ils recommencent souvent, les voilà encore dans le cas des Arimaspes. Ce n’est pas tout, on leur donne bientôt des lunettes d’approche, pour se divertir pendant les vacances, & autres temps de loisir. Ces lunettes ne sont de nul usage, si pour les employer, on ne ferme un œil ; autre cas semblable à celui des Arimaspes. Comment après cela veut-on qu’un enfant, qui aura de la disposition à la Monopie, ne devienne pas Monope, ou ce qui est la même chose, Arimaspe, dans le sens que nous l’entendons ? Mais comment sçavoir si un enfant a de la disposition à la Monopie ? La chose est difficile ; c’est pourquoi dans ce doute, il vaut mieux prendre le parti le plus sûr, qui est de faire en sorte qu’avant un certain âge, il ne connoisse ni microscopes, ni lorgnettes, ni lunettes d’approche.

7o. Œil Hagard, ou Œil féroce.

Cette difformité est ordinairement l’effet d’une mauvaise éducation. On laisse prendre à un enfant, la coutume de regarder avec colere, ceux qui le contredisent, & qui ne se soumettent pas à tout ce qu’il demande ; il n’en faut pas davantage pour lui rendre l’œil hagard. Une gouvernante sage combattra l’humeur emportée & hautaine d’un enfant, une mere peu prudente lui passera tout. L’enfant qui se verra soutenu s’en prévaudra : Il deviendra encore plus emporté, plus hautain, plus féroce. Il regardera tout le monde avec un air altier, & jusqu’à sa mere même.

Voilà ce qui gâte ordinairement les enfans, & leur rend les yeux hagards. Défaut que rarement l’âge corrige, & que souvent il augmente.

L’œil hagard a je ne sçai quoi de furieux & de menaçant. Ce qui a fait dire à Boileau dans son Lutrin, en parlant de l’Orlogere irritée contre son mari, & aussi boüillante, de colere, que cette femme que décrit Plaute dans la Comédie de Casine[26], & que cette autre qu’il décrit dans la Comédie du Phantôme[27].

Elle tremble, & sur lui roulant des yeux hagards,
Quelque-tems sans parler laisse errer ses regards,
Mais enfin sa douleur se faisant un passage,
Elle éclate en ces mots, que lui dicte la rage, &c.

Puis, dans le même Poëme, en faisant parler le Marguillier Sydrac à ceux qui ont peur du hibou caché dans le Lutrin.

Croyez-moi, mes enfans, je vous parle à bon titre,
J’ai, moi seul, autrefois, plaidé tout un Chapître,
Et le Barreau n’a point de monstres si hagards,
Dont mon œil n’ait cent fois soutenu les regards.

Enfin, les yeux hagards sont tout l’opposé des yeux doux, & c’est en ce sens que Desmarets a dit dans ses Visionnaires.

Doncques rigoureuse Cassandre,
Tes yeux, entre doux & hagards,
Par l’optique de tes regards,
Me vont pulvériser en cendre.

Quels remedes, au reste, peuvent corriger les yeux hagards dans les personnes qui ont passé un certain âge ? Il n’y en a point. C’est pourquoi il est d’une grande importance de s’y prendre de bonne heure pour empêcher les enfans de contracter une telle difformité.

Premierement, peres & meres, ne leur donnez que des nourrices qui ayent le regard doux ; secondement, quand ils sont un peu grands, & qu’ils commencent à comprendre ce qu’on leur dit, ne souffrez pas qu’ils regardent personne avec des yeux de colere ; troisiémement, ne les reprenez jamais avec emportement ; car ils imiteront, en tout, vos mauvaises manieres ; quatriémement, ne permettez pas qu’ils fassent rien qui choque le bon naturel : Ils seront souvent portez à s’éloigner de ce bon naturel, par l’exemple de certains domestiques, qui tueront, de sang froid, un chien, un chat, un oiseau, &c. Chassez ces domestiques, & que vos enfans ne les voyent jamais ; cinquiémement, empêchez qu’on ne leur persuade que les bêtes ne sentent rien. Cette doctrine est toute propre à rendre les enfans cruels ; ils tueront tranquillement un moineau, un serin, &c. ce qui peut aller loin, & à force de se faire un naturel féroce, ils en contracteront jusqu’à la physionomie, qui sera d’avoir les yeux hagards.

Il est dit de Caïn dans la Genese, qu’après son meurtre, Dieu lui imprima une marque pour empêcher que ceux qui le rencontreroient, ne le tuassent ; plusieurs prétendent que cette marque consistoit dans un air affreux qui faisoit fuir tout le monde, ensorte que personne n’osoit aborder Caïn. Cet air affreux étoit, à ce à ce qu’on croit, ce qu’on entend par les yeux hagards, dont le seul aspect ne se peut qu’à peine soutenir, comme le témoigne Boileau, dans ces vers que nous venons de citer.

Et le Barreau n’a point de monstres si hagards,
Dont mon œil n’ait cent fois soutenu les regards.

Bien des gens appellent les yeux hagards, des yeux à la Caïne ; autre motif, peres & meres, qui doit vous engager à apporter tous vos soins, pour garantir vos enfans d’avoir de tels yeux. Mais que faut-il faire à une jeune personne qui les a tels ? C’est de lui réprésenter combien cette difformité est choquante ; de l’engager par-là à régler sa vûë dans un miroir. A force d’y travailler elle en pourra venir à bout ; pourvu toutefois qu’elle sçache se commander, & qu’elle réprime son humeur pétulante ; car il est difficile qu’une personne grave & posée ait les yeux hagards.

Au reste, quand on les a ainsi, il faut absolument s’abstenir de vin, pour peu qu’on en boive ; à plus forte raison le doit-on faire lorsque l’on en boit beaucoup. Il faut éviter, outre cela, tous les alimens capables d’enflammer le sang, & n’user que de ceux qui peuvent l’adoucir.

Mais en voilà assez sur le sujet des yeux, venons aux Joües.


Des Joües.

Les joües doivent être unies, médiocrement rondes & pleines, & d’égale grosseur. C’est un défaut 1o. de les avoir plattes, 2o. de les avoir creuses, 3o. de les avoir remplies de boutons, & d’éleveures, 4o. de les avoir boursouflées, 5o. de ne les avoir pas d’égale grosseur. Nous allons traiter par ordre ces cinq articles.


1o. Joües plattes 2o. Joües creuses
3o. Joües pleines d’éleveures, de boutons, de dartres, &c.

Rien ne contribue plus aux deux premiers défauts, qu’une bouche où il manque quelques grosses dents ; ainsi l’on ne sçauroit trop ménager ces dents-là aux jeunes personnes par rapport aux joües. Ceci concerne les enfans déjà un peu grands. Mais une faute considérable que l’on commet journellement quand ils sont encore bien petits, & qui leur gâte extrêmement le visage, c’est de permettre qu’ils soient baisées par toutes sortes de personnes, rien n’est plus capable de leur applatir les joües, & outre cela d’y causer des boutons, & d’autres difformités semblables.

Vous souffrez tranquilement, peres & meres, que les premiers venus appliquent leurs lévres souvent très-mal propres, sur les joues tendres & délicates de vos enfans. C’est une grande imprudence de vôtre part, & qui est cause ordinairement, que leur visage devient plein de galles, de dartres, & d’autres malpropretés dangereuses[28]. Empêchez donc qu’on ne baise si librement vos enfans, & lorsque par ces baisers, ou par d’autres causes, leur visage aura contracté les malpropretés que nous venons de dire, gardez-vous d’employer aucun reméde qui puisse renvoyer au dedans, l’humeur qui les produit. Prenez plutôt le parti de ne rien faire, que de faire quelque chose de mal-à-propos ; un peu de petit lait tiede est tout ce que la prudence permet alors d’appliquer sur les joües.

Voilà pour ce qui regarde les joües dartreuses, boutonnées, &c. Venons aux joües boursouflées.

4o. Joües boursouflées.

On laisse quelquefois prendre à un enfant la coutume d’enfler les joües, comme s’il s’agissoit de soufler sur un charbon, pour l’allumer. Cette habitude tourne souvent en nature, & devient alors d’autant plus choquante, qu’elle donne un air rude & colere ; car naturellement, lorsqu’on se met en colere, on enfle les joües. Cela s’est fait, de tout temps ; & Horace parlant de certaines gens qui mériteroient, selon, lui, que Jupiter se mît en colere contre eux, ne dit autre chose, pour exprimer sa pensée, sinon qu’ils mériteroient que Jupiter enflât ses joues contre eux[29].

Il ne faut pas, au reste, confondre ici les joües enflées de vent, avec les joufluës ; ces dernieres sont un effet d’embonpoint, & n’ont rien de désagréable : on dit tous les jours, un gros jouflu, une grosse joufluë, sans exprimer par-là aucune difformité ; au lieu que lorsqu’on dit de quelqu’un qui s’enfle sans cesse les joües avec le soufle de sa bouche, que c’est un boursouflé, on fait entendre un véritable défaut.

Il est surprenant au reste, que ce défaut n’étant qu’une habitude, si peu de gens s’en corrigent ; mais c’est que passé un certain âge, l’habitude devient une seconde nature.

5o. Joüe plus grosse que l’autre.

Il y a des enfans qui naissent avec une joue plus grosse que l’autre. Cette difformité se dissipe quelquefois d’elle-même ; mais quelquefois aussi, elle dure toute la vie, si l’on ne songe promptement à y remédier ; le moyen de le faire, c’est sitôt que l’enfant est né, de lui étuver la joüe avec du vin chaud, dans lequel ayent boüilli des feuïlles de chardon benit, puis d’y appliquer une compresse trempée dans le même vin, & renouveller ce topique de quatre en quatre heures pendant quelques jours ; il faut avoir soin en même tems de frotter légerement la joüe avec les doigts, pour dissiper l’humeur qui l’abreuve, laquelle n’est ordinairement qu’une simple sérosité. Mais cette sérosité toute simple qu’elle est, peut prendre de la consistance par le repos : & l’on prévient cet accident par la fomentation ci-dessus, aidée du mouvement des doigts que l’on passe & repasse doucement sur la joüë de l’enfant.


Des Oreilles, des Lévres, du Menton, & de la Peau du visage.

Les oreilles, les lèvres, le menton, & la peau du visage, sont les autres parties extérieures de la face, desquelles il nous reste à parler, avant que de venir à ce qui concerne les gencives, les dents & la langue, qui sont moins extérieures.


Des Oreilles.
Conditions qu’elles doivent avoir.

Les oreilles sont un grand ornement de la tête quand elles sont bien faites ; comme de ne pas excéder une certaine grandeur ; d’être bien plaquées, bien ourlées, & d’avoir tous ces petits tours & replis vermeils, qui en composent le vestibule[30].

Les grandes oreilles ne se peuvent corriger, & quand on les a telles, le meilleur parti à prendre, c’est de les cacher, ou du moins de ne les pas découvrir entierement, ce qui est bien facile. Il se trouve cependant tous les jours, de jeunes filles qui, ayant les oreilles presque aussi larges que la paulme de la main, se coëffent en belle oreille, ce qui est d’une difformité horrible. D’autres ont les oreilles écartées, comme des aîles de moulin à vent, & ne laissent pas tout de même, de se coëffer en arriere, ce qui est d’une difformité encore plus grande. On est à plaindre d’avoir des défauts qu’on ne puisse cacher ; mais d’en étaler que l’on peut dérober à la vûë, & de les étaler comme des perfections, c’est être encore plus à plaindre.

On ne sçauroit apporter trop de soin pour rendre les oreilles d’un enfant, bien plaquées. On voit quelquefois, des nourrices, des sévreuses, & qui plus est, des meres, qui en coëffant un enfant, lui laissent toujours échapper l’oreille en dehors, au lieu de l’assujettir sous le bonnet ; cette oreille, à force d’être ainsi abandonnée à elle-même, se recourbe en bas, & semblable à un camelot qui a pris son plis, elle ne revient jamais. Un sçavant Anatomiste remarque que les oreilles, qui n’ont pas été contraintes par des bandes pendant la jeunesse, sont naturellement courbées en devant[31]. Aureste, il faut que l’oreille, pour être bien plaquée, soit comme colée contre la tête, & qu’elle y joigne si fort qu’on ne puisse, sans l’écarter, mettre le plus mince papier entre elle & la tête.

Oh a, dans quelques Pensions, & quelques Colleges, la mauvaise coûtume, pour punir les enfans, de leur tirer les oreilles. Peres & meres qui avez des enfans dans de telles Pensions, ou de tels Colleges, ne les y laissez que le moins qu’il est possible. Il ne faut pas avoir tiré bien des fois les oreilles à un enfant, pour qu’elles deviennent grosses, longues & pendantes ; car ces parties, comme nous le verrons dans un moment, ont une grande disposition à s’étendre. Encore n’est-ce pas là tout le mal qui en est à craindre ; la dureté de l’oüie, & quelquefois même la surdité, peuvent être l’effet de ce tirement d’oreilles.

Ce n’est pas assez que les oreilles soient bien plaquées, bien[32] ourlées, & qu’elles ayent tous les petits tours & replis dont nous venons de parler. Il faut, outre cela, qu’elles soient très-unies de peau, tant en devant qu’en arriere, & qu’on n’y apperçoive pas le moindre poil. On doit, tant pour leur conserver cette perfection si elles l’ont, que pour la leur procurer, si elles ne l’ont pas, les laver tous les matins, assiduëment, avec un peu d’eau & de vinaigre ; & si l’on y apperçoit quelques poils, les couper ; je dis les couper, & non, les arracher ; parce qu’en les arrachant on les rend plus épais.

Je reviens aux oreilles grosses & pendantes, pour avertir qu’on ne doit donner de lourds pendants d’oreilles aux jeunes personnes, que le plus tard que l’on peut, de crainte de leur allonger les oreilles. Il est parlé d’un Roy des Indes, qui a pour sa garde un noble corps de troupes, dont les principaux Officiers ont les oreilles si grandes, qu’elles leur descendent sur les épaules ; ce qui vient de ce que dès leur naissance, on a soin de les leur percer, & d’y insinuer des pendants lourds qui les tirent en bas. On lit aussi que les Naïres, ou Nobles de la côte de Malabar, destinés par leur naissance, à porter les armes, se distinguent de même des autres Indiens, par ces oreilles longues & pendantes qu’ils se procurent à dessein, en les tirant. Ils se font reconnoître à cette marque.

Parmi les femmes du Royaume d’Aracan, les plus longues oreilles sont les plus belles, & pour se les rendre bien longues, elles se les font traverser avec certains rouleaux de parchemin que l’on grossit de temps en temps, & qui sont construits de maniere qu’ils font pendre le bout de l’oreille, jusques sur l’épaule[33]. On voit par-là combien les oreilles ont de disposition à s’étendre.


Des Lévres.

Les difformités des Lévres, dont nous allons parler, sont 1o. le Bec de Liévre, 2o. l’Inversion, 3o. la Gersure, 4o. l’excessive Grosseur, 5o. les Lévres béantes.


1o. Bec de Liévre.

Le Bec de Liévre dont il s’agit ici, est un vice de conformation dans lequel l’une des deux lévres, mais plus souvent la supérieure, se trouve fenduë perpendiculairement dans le milieu, comme celle du lievre. M. Dionis dans son excellent Cours d’Operations de Chirurgie, raconte que la femme d’un Officier du Roy, étant accouchée à Versailles dans le grand Commun, (où lui, M. Dionis, demeuroit alors) l’envoya chercher aussi-tôt, pour voir son enfant qui étoit né avec un bec de liévre ; Qu’il lui demanda si pendant sa grossesse, elle avoit regardé, avec attention, quelque lievre, & qu’elle lui répondit, que dans le commencement on lui en avoit fait présent d’un qu’on pendit à sa fenêtre, & qu’elle eut quelque tems, la vûë attachée sur ce lièvre.

Zuinger & plusieurs autres Auteurs de Médecine, sont tous de même, de ce sentiment, que la difformité en question vient ordinairement de l’imagination de la mere[34]. Quoiqu’il en soit, il s’agit de sçavoir quelle conduite il faut tenir à l’égard d’un enfant qui vient au monde avec un bec de lievre. Presque tous les Médecins s’accordent à dire qu’il en faut venir à l’opération Chirurgique, qui est de couper avec des ciseaux les deux bords de la division l’un après l’autre, puis de les recoudre avec plusieurs points d’aiguille. Mais cette opération peut devenir mortelle à l’enfant, si on la lui fait trop tôt après la naissance. On doit attendre qu’il ait atteint l’âge de cinq à six ans, & encore bien examiner alors si les deux bords du bec de lievre ne sont point trop distans l’un de l’autre, pour pouvoir être raprochés facilement ; car en ce cas il ne faut pas souffrir qu’aucun Chirurgien en entreprenne la réünion. C’est de quoi on ne sçauroit trop vous avertir, peres & meres.

Quant à l’âge, il y a des Chirurgiens qui n’y regardent pas de si près, & qui croyent qu’un enfant peut souffrir cette opération dès l’âge le plus tendre ; mais pour un à qui elle réüssira, il y en aura cent à qui elle sera malheureuse, soit par la mort qu’elle leur causera, soit par son inutilité & la difformité extrême qui s’en suivra ; M. Rabouhuise, Chirurgien Hollandois dit l’avoir toûjours faite avec succès, à des enfans, dès leurs plus tendres années[35]. Mais c’est un point sur lequel on ne sçauroit trop suspendre son jugement. M. Dionis, en parlant de cette Dame dont nous ayons fait mention ci-dessus, laquelle l’envoya quérir pour un enfant dont elle venoit d’accoucher, lequel avoit un bec de lievre, avertit qu’il remit à faire l’opération jusqu’à ce que l’enfant eût quatre ou cinq ans, âge auquel cet enfant ne parvint pas, étant mort à trois ans. Puis il ajoute qu’il la pratiqua sur un autre enfant de Versailles qu’il avoit fait attendre jusqu’à ce même âge, & qui guérit parfaitement, ne lui étant resté qu’une legere cicatrice très-peu difforme. C’est à vous, peres & meres, à prendre là dessus vos mesures.

2o. Inversion des Levres.

L’Inversion des lévres consiste en un renversement du dedans des lèvres en dehors ; quand un enfant naît avec cette difformité, il ne faut point s’en inquieter d’abord ; parce que souvent la nature la répare d’elle-même au bout de quelques jours. Tout ce qu’on peut faire en attendant, c’est de fomenter de temps en temps, la lévre avec un peu de vin chaud, en la repoussant doucement dans sa place. Puis, si la nature ne fait rien, c’est d’appliquer à la nuque un petit morceau de racine de thymeléa, & de l’y laisser jusqu’à ce qu’il ait tiré une certaine quantité de sérosité, dont l’abondance & l’âcreté est la cause ordinaire de ce renversement.

3o. Gersures, Elevûres, Fentes, Crevasses, Galles des Lévres.

Les lévres sont recouvertes d’une peau extrêmement mince, qui, dans les jeunes personnes, se gerse, se fronce, & se fend aisément au froid ; sur-tout au vent de bise. Une chaleur excessive d’entrailles desséche aussi quelquefois cette même peau, & la fait éclater de maniere qu’elle se partage en petites lames comme des parcelles de son. Il arrive encore très-souvent qu’ayant touché des choses malpropres, & se portant aussi-tôt les doigts à la bouche, on se fait gerser & élever la peau des lévres. Mais quand on a touché certaines choses vénimeuses, on n’en est pas quite pour une générale gersure ou élevûre ; un Auteur moderne parle d’une servante, qui, pour s’être porté la main à la bouche peu après avoir touché une salamandre qu’elle rencontra dans du fumier, eut les lèvres enflées d’une maniere énorme[36].

Boire après des personnes mal-propres, ou qui ont l’haleine forte, fait aussi très-souvent élever la peau des lévres, & y cause des boutons.

Le remede à la gersure des lévres quand elle est simple, & à la galle des lévres, c’est de les frotter avec la pommade suivante, dont on trouve la description dans plusieurs Pharmacopées, & qui est la meilleure de toutes celles que l’on peut choisir en cette occasion : Prendre trois onces de graisse de roignon de veau, faire fondre cette graisse sur un petit feu, puis la couler, & ensuite laver dans plusieurs eaux. Cela étant fait, la remettre sur un très-petit feu, avec autant de cire blanche, deux onces d’huile d’amandes douces, tirée par expression, demi-once de blanc de baleine, & un petit morceau de racine d’orcanette bien écrasée, laisser fondre doucement le tout, jusqu’à ce que la racine d’orcanette ait communiqué la rougeur, & le bien remuer ; après quoi retirer la pommade, & la mettre dans un petit pot de fayence bien propre.

Cette pommade ne sert de rien quand on a les lévres enflées ou galeuses pour y avoir porté les doigts après avoir touché quelque chose de vénimeux, ou pour avoir beu après des personnes d’une haleine forte, ou qui ont mal aux lévres. L’esprit de vin, ou l’eau thériacale dont on frotte les lévres, est alors le meilleur remede.

Une chose qui fait beaucoup de tort aux lévres des enfans, & à quoi l’on ne prend pas garde, ce sont les chifflets qu’on leur donne. Toutes sortes de personnes chifflent dans ces chifflets, & il n’y a pas dans une maison, un domestique galleux qui n’y applique ses lévres. L’enfant porte à la bouche ces chifflets, qui quelquefois sont encore pleins de la salive des domestiques malpropres qui y ont chifflé. Jugez de ce qui en doit arriver.

Il y a des personnes qui ont mal aux lévres par une cause qu’on ne s’est pas non plus jusqu’ici avisé de soupçonner, & qui est cependant très-commune. On a coutume, lorsqu’on se met à écrire avec une plume nouvellement taillée, de porter à la bouche le bec de la plume pour le moüiller, & lui faire prendre par ce moyen, plus facilement l’encre. A moins qu’on n’ait taillé soi-même la plume, ou qu’elle ne l’ait été par une personne qu’on sçache certainement être très-saine, il faut bien se garder de la porter ainsi aux lévres, parce que ceux qui taillent les plumes, ne manquent jamais de les porter eux-mêmes à leur bouche pour les essayer ; après quoi ils les secoüent, mais d’une maniere à y laisser toujours un peu de leur salive ; or ce peu de salive, en quelque petite quantité qu’il soit, & quoique desséché depuis, est un levain, qui, si la personne mal aux lévres, & qu’elle soit attaquée de quelque maladie contagieuse, peut faire beaucoup de tort aux lévres tendres & délicates d’une jeune personne qui portera ces plumes à sa bouche.

Il y a des fiévres dans lesqu’elles il vient des galles aux lévres, ce qui est l’annonce d’une parfaite guérison ; ces galles ne demandent aucun reméde ; il les faut laisser & n’y point toucher, elles s’en vont avec la fiévre.

4o. Grosses Lévres.

On prétend que les grosses lévres marquent peu de génie. Ce signe néanmoins est bien équivoque. Il y a des personnes qui, avec de grosses lévres, ont beaucoup d’esprit, & d’autres, qui avec de petites lévres bien mignones ont très-peu de génie. Mais comme, en général, les grosses levres ne préviennent pas favorablement, & que l’on ne sçauroit corriger les préjugés publics, les peres & les meres qui ont des enfans en qui se trouve ce défaut, ne doivent pas négliger d’y chercher des remédes. Il n’y en a point passé un certain âge. Mais dans l’enfance & dans la grande jeunesse, il y en a quelquefois. Qui sont-ils ? Ce sont les hydragogues, c’est-à-dire les remedes qui purgent les sérosités. Ces remedes sont, ou internes ou externes ; les internes sont entre autres, la poudre cornachine, & le sel d’ebson ; les externes sont les masticatoires. On ne sçauroit trop recommander ici la poudre cornachine & le sel d’ebson pour les jeunes personnes. On les purge de mois en mois avec la poudre de cornachine, délayée dans un boüillon, & de quinze en quinze jours avec le sel d’ebson, délayé de la même maniere. Quant aux masticatoires, il les faut employer tous les jours sans interruption, & n’en point choisir d’autres que le mastic en larmes ; on en mâche une médiocre quantité tous les matins à jeun. La racine de pyrethre doit être évitée ici avec grand soin, elle décharge les eaux, mais elle brûle la bouche, & desséche trop.

Pour ce qui est des vésicatoires, le meilleur dans cette occasion, c’est la racine de thimelæa appliquée vers les oreilles ; les grosses lévres ne procédent que d’une sérosité surabondante qui les abbreuve. Ainsi il n’y a pas de meilleur expédient pour en diminuer l’excessive grosseur, que d’évacuer la sérosité superfluë, mais il faut s’y prendre de bonne heure ; car passé l’enfance & la premiere jeunesse, il n’est plus temps.

Je ne dis rien du régime de vivre ; l’on comprend assez, qu’il doit être desséchant, & qu’ainsi il faut éviter tous les alimens capables de produire un sang trop séreux, tels que sont les salades, la grande quantité de fruits, &c. la biére, le cidre.

Dans la Guinée, les filles qui veulent paroître belles, employent plusieurs artifices pour se grossir les lévres[37]. Mais dans ces pays-ci, on est d’un autre goût. De grosses lévres à un homme sont désagréables, mais à une femme c’est une difformité des plus grandes. Au reste, si après avoir tenté les remédes ci-dessus, on voit qu’ils ne suffisent pas, il faut appliquer sur la tête, des sachées de sauge, de marjolaine, de romarin, & de fleurs de camomille, en poudre, & les y laisser plusieurs jours, excepté les nuits, de crainte qu’ils n’entêtent par une odeur trop forte.

5o. Lévres béantes.

Il y a des gens qui par habitude, ont continuellement les lévres ouvertes ; comme ce Prince, qui, étant un jour à sa chasse par une grosse pluye, se plaignoit à ses Officiers, qu’il lui pleuvoit dans la bouche, & qui s’attira pour réponse, qu’il n’avoit qu’à la fermer. Avis qu’il eut bien de la peine à suivre, tant il avoit contracté l’habitude du contraire. Les enfans ont sans cesse les doigts dans la bouche, & la tiennent presque toujours ouverte, ce qui fait que la coutume s’en contracte de bonne heure ; ensorte qu’il n’est pas étonnant que dans la suite ils la conservent, si des parens ne sont vigilans à la prévenir. Au reste, l’habitude n’est pas toujours ici à accuser, souvent le caractere des personnes contribuë beaucoup à la difformité dont nous parlons. Il est certaines gens à qui la seule vûë des objets qui les environnent, fait ouvrir la bouche, comme si c’étoit la première fois de leur vie, qu’ils vissent quelque chose. Gens stupides en qui l’on ne remarque, pour ainsi dire, que la premiere apprehension de l’ame, ils ont toujours les lévres écartées, & ne peuvent non plus, se corriger de cette difformité, que de leur imbécillité qui en est la cause.

Il est triste de voir (comme il n’arrive que trop souvent) des personnes d’ailleurs raisonnables & judicieuses, ressembler à gens de cette espece, par le seul effet d’une habitude que des parens négligens leur auront laissé contracter. C’est pourquoi l’on ne sçauroit trop recommander aux peres & aux meres, d’être vigilans sur ce point, & de ne jamais souffrir que leurs enfans s’accoûtument ainsi à écarter les lévres, & à ressembler à des imbécilles. Il faut cependant avoüer que ni l’habitude ni l’imbécillité, comme nous venons de l’observer, ne sont pas toûjours la cause d’un tel défaut. Il y en a une autre très-commune et fort naturelle que voici.

Pour que la respiration se fasse librement & parfaitement, il faut que l’air entre & sorte continuellement par les narines. On sçait la communication de ces parties avec la bouche pour le passage de l’air qui va aux poûmons. Il arrive souvent que les sinus, les grandes, ou les vaisseaux excrétoires du nez, s’obstruent, & s’engorgent de maniere que l’air ne peut entre par le nez dans la bouche pour suivre les routes qui conduisent aux poûmons. Ce passage étant fermé ou bouché par des embarras, ou si l’on veut, par quelque défaut de conformation, il faut alors que tout l’air nécessaire à la respiration entre par la bouche ; & comme nécessairement & sans cesse il faut respirer, il faut aussi dans le cas dont il s’agit, ouvrir nécessairement la bouche, & la tenir nuit & jour continuellement dans cette situation, pour recevoir une plus grande quantité d’air. C’est ce qui fait que l’on contracte, sans qu’on puisse s’en dispenser, la difformité d’ouvrir perpétuellement les lévres & la bouche, & d’avoir par conséquent la bouche béante. Un autre effet fâcheux de cet embarras, c’est qu’on est presque toujours obligé de parler du nez. Si quelque défaut de conformation empêche l’air d’entrer, & de pénétrer par le nez dans la bouche, & qu’il s’ensuive une nécessité de tenir les lévres écartées, & la bouche ouverte, pour recevoir plus d’air, cette difformité, aussi-bien que celle de parler du nez, laquelle vient ordinairement de la même cause, est incurable ; mais lorsqu’elle dépend de quelques obstructions dans les sinus, dans les glandes, ou dans les vaisseaux excrétoires du nez, en sorte que cet embarras est un obstacle à l’entrée libre de l’air, alors il y a des remédes. Ce sont ceux qui amollissent, qui relâchent, qui ouvrent, qui fondent. De ce nombre est le lait de vache mêlé avec du suc de bette, de mauve, de pariétaire, de mercuriale, d’argentine & de cresson. On introduit ce lait dans le nez le plus avant que l’on peut, & tout chaud, ou bien l’on fait cuire ces herbes dans du beurre frais, & l’on met de ce beurre dans le fond du nez.

Les obstructions dont nous parlons, sont le plus souvent des humeurs extrémement épaisses ; mais quelquefois aussi, ce sont des pierres produites dans le nez. Ces pierres nazales, ainsi appellées du mot latin nasus, qui signifie nez, ne passent, pas chacune la grosseur d’un petit pois, & sont enveloppées d’une membrane qui se rompt quelquefois d’elle-même, & laisse échapper alors la pierre qu’elle contient, ensorte qu’on est tout étonné de moucher des pierres ; mais il est rare que cette membrane se rompe ainsi d’elle-même ; le plus sûr est de ne pas s’y attendre & de chercher les moyens de la rompre doucement & sans violence ; je dis sans violence, car comme elle est fort adhérente à l’organe, il est à craindre qu’en la voulant déchirer, on ne fasse quelque déchirement à l’organe même, ce qui est à éviter. Comment donc s’y prendre ? C’est d’introduire dans le nez une petite barbe de plume, & de l’y agiter légérement. Cette légere agitation produit un chatoüillement qui ébranle la pierre avec son enveloppe ; & cet ébranlement, pourvû qu’on ne s’impatiente point, & qu’on recommence plusieurs fois, dans le cours de quelque semaines, ce qui se doit faire principalement les matins, donne occasion à la pierre de rompre peu à peu, la membrane où elle est enveloppée, & de sortir, si tant est qu’elle n’entraîne pas en même tems avec elle, son enveloppe.

La pierre, ou si l’on veut, les pierres étant dehors, car quelquefois il en sort plusieurs ensemble, il faut tirer par le nez, quelques goûtes de vin rouge, dans lequel on ait faut boüillir du miel rosat, de l’essence de myrrhe, avec des feüilles de mille-pertuis, & cela pour consolider la partie, en cas qu’elle ait un peu souffert par ce détachement, qu’il ne faut au reste jamais procurer par des sternutatoires, c’est de quoi on ne sçauroit trop se garder.

Mais comment connoître si ce sont des pierres qui causent les obstructions dont il s’agit, ou si ce sont seulement des humeurs ? La chose est difficile ; mais que ce soit des pierres ou non, il n’y a nul danger à tenter le remede de la plume, ainsi il faut toûjours l’essayer.


Du Menton.

Il y a des mentons fort mal conformés naturellement[38]. Ce n’est ni pour prévenir ni pour corriger ces mauvaises conformations, (ce qui seroit impossible) que je mets ici cet article, mais uniquement par rapport à certains vices qu’on remarque quelquefois dans cette partie, indépendamment de toute mauvaise conformation naturelle. Je réduis ces vices à trois : Le premier regarde les femmes, qui ont de la barbe comme des hommes ; le second, les hommes qui en sont dépourvûs comme des femmes ; & le troisiéme, c’est un mouvement involontaire qui fait aller le menton de divers côtés.

1o. Femmes barbuës comme des hommes.
2o. Hommes sans barbe comme des femmes.

Il est plus facile à la femme barbuë, de déguiser sa difformité, qu’à l’homme sans barbe de déguiser la sienne. Celui-ci à beau rejetter sur le rasoir, ce qui lui manque, on ne voit jamais en lui, ce menton ardoisé et pointillé que le rasoir laisse toûjours, au lieu que la femme, en enlevant adroitement les poils de sa barbe, peut, absolument parlant, déguiser, comme nous l’avons dit, sa difformité ; quoiqu’après tout on ne laisse par d’appercevoir un peu la trace des poils enlevés.

Quant aux hommes, si le défaut de barbe vient de la constitution particuliere de la personne, en sorte qu’il n’y ait dans le menton aucun germe de barbe, ce défaut ne sçauroit être réparé par aucun remede ; mais s’il vient d’accident, pourvû que ce ne soit pas de brûlure, ou d’autre cause semblable qui ait absolument anéanti la racine des poils, on peut y remédier. Je suppose, par exemple, qu’il y ait dans la peau du menton d’un jeune homme, une obstruction considérable, ou un étrécissement de vaisseaux, qui empêche la barbe de se faire jour, il faut alors frotter le menton avec choses qui puissent lever ces obstructions, & assouplir ces vaisseaux ; ce qui pourra s’obtenir en appliquant toutes les nuits, sur le menton, pendant quelques mois, un peu de racine de mauve & de raifort, broyés ensemble avec une médiocre quantité de sel commun & de graisse de porc, puis bassinant la partie chaque lendemain au matin, avec du vin chaud.

Quant aux femmes, comme elles ne peuvent, non, plus que les hommes, avoir de la barbe, sans en avoir en même temps le germe, il est facile de voir que le vrai moyen de corriger en elles cette superfluité, c’est de détruire entierement le germe en question, ou d’empêcher du moins, qu’il ne pousse ; ensorte qu’on ne soit point obligé de recourir sans cesse aux ciseaux ou aux pincettes ; mais l’un & l’autre est fort difficile. Si cependant quelque chose y peut servir, c’est, après avoir tiré les poils avec des pincettes, de frotter sur le champ, avec de l’esprit de sel dulcifié, les cavités qu’ils ont laissées, & pour cela d’en frotter tout le menton. Cet esprit de sel fait l’un ou l’autre des deux effets suivans, & quelquefois l’un & l’autre tout ensemble ; sçavoir de brûler les racines des poils, & de resserrer tellement les filieres par lesquelles ils passent, que quand même ces racines ne seroient pas brûlées, elles ne pourroient plus pousser, faute, d’issuë.

3o. Tic, ou mouvement involontaire du Menton.

La troisiéme difformité du menton, de laquelle nous avons à parler, est un mouvement involontaire qui le fait aller de divers côtés. Ce mouvement est l’effet d’une mauvaise habitude qu’on a prise de faire avec la machoire certaines grimaces. On a vû la femme d’un Laboureur, laquelle se plaisant à voir ruminer ses bœufs, avoit tellement contracté le mouvement qu’ils faisoient en ruminant, que sa machoire inférieure alloit continuellement de droit à gauche, & de gauche à droite[39].

Cet exemple fait voir de quelle importance il est de regler les mouvemens de la machoire. Cette femme eut beau faire son possible pour arrêter ce mouvement, quand il fut une fois contracté : elle n’en put venir à bout. Il est d’autres personnes dont la machoire inférieure va sans cesse de bas en haut, & de haut en bas, comme quand on mange. Quels remedes trouver à ces sortes de difformités ? Je n’en sçache aucun, si ce n’est de fréquens avertissemens : & encore n’oserois-je assurer que ces avertissemens, loin de contribuer à corriger les défauts dont il s’agit, ne puissent contribuer quelquefois à les rendre pires ; ou n’en fasse substituer à la place, quelque autre encore plus difforme. La personne avertie fait des efforts pour arrêter le mouvement dont on la reprend. Ce tic qui est tourné en nature, fait les siens pour revenir, & ce combat produit souvent une grimace qui fait peur.

Il n’en est pas du tic de la machoire, comme de ceux qui consistent dans un simple froncement de la peau du visage, lequel froncement se peut corriger à force de soins, & même quelquefois avec un peu d’eau froide dont on moüille l’endroit ; mais pour le tic de la machoire, c’est une dépravation de mouvement dans laquelle il s’agit de réprimer les efforts de plusieurs muscles ausquels il est comme impossible de résister.


De la Peau du Visage.

La peau du visage est sujette à plusieurs difformités qu’il est tems que nous examinions, après avoir examiné, comme nous venons de faire, celles du front, des sourcils, des paupieres, des yeux, du nez, des oreilles, des joües, des lévres, & du menton.

Les plus considérables qui ont coûtume d’attaquer la peau du visage, viennent de la petite vérole, & c’est par celles-là que nous commencerons.

Difformités de la Peau du Visage, par la petite vérole.

La plupart des difformités qui arrivent à la peau du visage en conséquence de la petite vérole, viennent plutôt de la faute de ceux qui traitent cette maladie, que de la petite vérole même.

L’on veut empêcher la petite vérole de grossir la peau, d’y laisser des fosses, & des cicatrices ; & l’on employe souvent pour cela, des moyens plus propres à procurer qu’à détourner ce qu’on veut prévenir. Quelques-uns, lorsque les grains de la petite vérole commencent à paroître, y appliquent de l’huile de raves, d’autres de l’huile d’amandes douces ; d’autres de l’huile de noix. Il en est d’autres qui allument du lard piqué au bout d’une grande fourchette de fer, en reçoivent dans de l’eau rose, les goutes enflammées, & après avoir lavé plusieurs fois ces goutes, dans de nouvelle eau rose, jusqu’à ce que le tout soit devenu bien blanc, étendent de cette graisse sur le visage. D’autres choisissent le lard le plus récent, le coupent en tranches, & appliquent ces tranches sur la peau ; mais toutes ces graisses servent plutôt à boucher les pores qu’à les ouvrir ; aussi rendent-elles la peau du visage très-épaisse, & très-grossiere. Ce qu’on peut faire ici de mieux, c’est de prendre de la chair de mouton bien dégraissée, de la faire boüillir jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement cuite, puis de tremper une éponge dans ce boüillon, & de la promener doucement sur le visage, ayant soin de recommencer plusieurs fois par jour, jusqu’à ce que les grains de la petite vérole soient parvenus à une maturité entiere ; ce qui va à peu de jours. Trois onces de chair de mouton suffisent pour une livre d’eau. Je ne dis rien ici de l’attention qu’il faut apporter pour empêcher que les malades, quelques démangeaisons qu’ils sentent, ne portent leurs doigts au visage, & n’en enlévent les croûtes qui commencent à s’y former. Chacun sçait combien il est dangereux pour de tels malades, de se satisfaire là-dessus.

Que dire ici de l’erreur de ceux qui s’imaginent bien ménager la peau du visage en coupant, ou en piquant les grains de la petite vérole, lorsqu’ils les voyent blanchir par le pus qui y est enfermé ? Ceux qui tiennent cette conduite, se figurent qu’ils empêchent par-là le pus de ronger le fond de la peau ; ce que ce pus, disent-ils, ne manqueroit pas de faire si on le laissoit séjourner. Mais c’est un fait constant, que les creux de la petite vérole ne sont jamais plus profonds que lorsque les boutons dont il s’agit, ont été ouverts, soit avec des ciseaux, soit avec une aiguille, soit avec les ongles ; & la raison en est facile à comprendre ; car lorsqu’on ouvre ces boutons, & que l’on donne jour à la matiere qu’ils renferment, on introduit l’air à la place : cet air ainsi introduit, séche & endurcit tout d’un coup, la cavité tendre dans laquelle il entre. Ce desséchement & cet endurcissement empêchent la chair de dessous de se reproduire, & de venir remplir le creux que la petite vérole a causé ; au lieu qu’en ne faisant point d’ouverture, & laissant ainsi au pus, le tems de se sécher peu à peu de lui-même, la chair dont il s’agit, se conserve molle & tendre, & a le loisir de croître insensiblement, jusqu’à l’entier desséchement du pus, & de remplir, par ce moyen, les cavités de la petite vérole, ensorte que lorsque les croûtes ou galles sont tombées, on ne voit aucune inégalité sur la peau ; mais seulement des taches rouges, qui disparoissent peu de semaines après, sans qu’on y fasse rien, sur tout si c’est en esté.

Au reste, un excellent moyen pour garantir le visage d’être marqué de la petite vérole c’est de le tenir clos ; si cette partie, qu’on laisse alors exposée à l’air, comme dans les autres temps, quoique ce ne soit qu’à celui de la chambre ou du lit, étoit tenuë cachée, elle ne seroit pas plus sujette aux disgraces de la petite vérole, que le reste du corps, qui, à cause qu’il est toujours couvert, n’est presque jamais marqué. Or pour tenir le visage clos, il faut avoir soin de le couvrir de quelque étofe un peu forte, taillée en forme de coëffe, & dont les deux bords de devant ne soient éloignés l’un de l’autre, que de l’espace qu’il faut pour laisser la respiration libre. Il n’importe au reste, de quelle couleur soit cette couverture, non plus que celles du lit. Je fais cette remarque, parce qu’il se trouve tous ses jours des gens qui s’imaginent qu’il ne faut employer dans la petite vérole que des couvertures rouges, mais c’est une erreur. Ce qui a donné lieu à cette imagination, est qu’anciennement c’étoit la coûtume des ouvriers en couverture, de n’en faire aucune un peu épaisse, qui ne fut de couleur rouge : Quant aux couvertures minces ils les faisoient d’autres couleurs. C’est ce qu’on peut voir par plusieurs couvertures de l’ancien temps. Or, comme les rouges, à cause de leur tissu plus épais & mieux fourni, étoient plus chaudes que les autres, les Médecins, pour cette raison, ordonnoient celles-là dans la petite vérole, préférablement aux autres. Voilà tout le mystere. Si après cela ceux qui prétendent que dans la couleur rouge réside une vertu spécifique pour défendre le visage contre la petite vérole, veulent persister dans leur sentiment, il est inutile de les contrarier là-dessus, leur erreur n’ayant rien de dangereux. La remarque que je viens de faire a été faite il y a long-tems, par le célébre Dicmerbroech, comme on le peut voir par les propres paroles de cet Auteur citées ici[40].

On répondra peut-être que la seule vûë du rouge suffit pour exciter la sortie de la petite vérole, & empêcher que le visage n’en soit marqué ; mais cette pensée n’est pas une moindre erreur. La vûë du rouge étant plus capable de blesser les yeux & de troubler le cerveau, que d’exciter le moins du monde, la sortie de l’humeur dont il s’agit.

Mais en voilà assez pour ce qui concerne le traitement extérieur de la petite vérole. Ce seroit ici le lieu de dire un mot, de la maniere dont elle est traitée d’ordinaire par rapport au dedans. Je remarquerai seulement là-dessus, que les cordiaux échaufans & brûlans que l’on a coûtume de donner à la plûpart des enfans dans cette occasion sont plus propres à rendre âcre & mordante, l’humeur de la petite vérole, qu’à l’adoucir, & ne peuvent par conséquent que faire un grand tort à la peau du visage, si tant est que ce soit là le plus grand mal qu’on en ait à craindre, la mort étant souvent l’effet de ces potions enflammées.

Je passe aux difformités du visage, indépendantes de la petite vérole, telles que sont entre autres, 1o. le visage couperosé, 2o. les taches de rousseur, 3o. les envies, 4o. le teint livide ; 5o. les pâles couleurs, 6o. le teint gros, 7o. le teint luisant, 8o. le teint flétri & ridé.

1o. Visage couperosé

Cette difformité consiste en rougeurs de visage accompagnées de boutons enflammés. On prétend qu’elle est causée par une intempérie chaude du foye. Cette opinion, vraye ou fausse, lui a fait donner le nom de chaleur de foye. On l’appelle aussi goute rose, parce que les pustules dont elle couvre le visage, ressemblent en quelque sorte, par leur couleur, au fruit du rosier sauvage.

Quoiqu’il en soit, ce mal est produit par un sang âcre & épais, qui gonfle & qui ronge les petits vaisseaux dont la peau du visage est parsemée. Pour débarasser ces vaisseaux, il faut adoucir & détremper la masse du sang. On en viendra à bout par l’usage du cerfeüil & des écrevisses dans des boüillons. Ces boüillons seront faits avec un peu de veau & de mouton, sans bœuf. On en prendra trois fois par jour, l’un à l’heure du lever, le second deux heures après, & le troisiéme une heure avant le souper qui doit être fort leger. On mettra de temps en temps sur le visage, de l’eau où aura trempé à froid, pendant la nuit, un peu de pimprenelle. Une demi-poignée de cette herbe sur deux livres d’eau, suffit. Il faut mettre l’eau un peu tiede sur le visage, mais jamais chaude.

Si la personne beuvoit du vin avant que de devenir couperosée, il faut lui en interdire l’usage, & si quand elle l’est devenuë elle n’en beuvoit point du tout, il faut le lui conseiller, mais modéré. Il y a pour cela de fortes raisons qu’il seroit trop long d’expliquer ici.

2o. Taches de rousseur.

Les teints blancs & délicats sont sujets à de petites taches rousses, qui ressemblent par leur couleur & par leur figure, à de petites lentilles. Les personnes blondes en sont plus attaquées que les autres ; la chaleur du Soleil en est la cause ordinaire, c’est pourquoi il faut prendre garde d’y exposer les enfans. Une jeune personne qui, par quelque occasion que ce soit, est obligée d’aller au Soleil, doit toûjours avoir sur le visage un masque ciré, & aux mains des gands cirés ; car les taches de rousseur viennent aussi très-souvent aux mains & aux bras. On ne manque pas de gens qui se vantent d’avoir des secrets particuliers pour ôter les taches de rousseur. Leurs prétendus secrets consistent à appliquer sur le visage, des eaux corrosives qui le font peler, & qui, après cela, le laissent comme il étoit auparavant ; ce qui ne doit pas étonner, car il ne faut pas croire que ces taches ayent pour siége la surpeau. C’est à la peau même qu’elles sont attachées ; mais comme cette surpeau est transparente, & qu’elle laisse appercevoir les taches qui sont dessous, on s’imagine aisément que c’est à la surpeau qu’il faut s’en prendre, qu’il n’y a qu’à l’enlever pour les ôter, en quoi l’on se trompe fort. Il n’est point nécessaire de remedes si violens pour dissiper les taches de rousseur. Tout ce qui est capable de résoudre l’humeur épaissie qui fait ces taches, est propre à les dissiper ; car elles ne viennent que d’une humeur arrêtée dans les petits vaisseaux de la peau ; mais où trouver ce remede capaple de produire un tel effet ? Il n’est point si rare. L’esprit de vin seul, mêlé avec un peu d’huile de Ben[41], & appliqué tous les soirs sur le visage, par le moyen d’un petit pinceau, est ce remede : Trois ou quatre goutes de l’un & de l’autre suffisent pour chaque fois. Mais il y a une circonstance à observer, laquelle est un peu gênante, c’est qu’il faut, pendant plusieurs semaines, si c’est en esté, s’emprisonner dans la maison les fenêtres fermées durant le jour lorsqu’il y a du Soleil, & ne les ouvrir que lorsque le Soleil est passé ; sans quoi tous les remedes du monde seront inutiles. Au reste, comme il n’est gueres possible, quand on se porte bien, de se tenir si long-tems enfermé, & que d’ailleurs il y a des devoirs de Religion qui obligent absolument de sortir ; le parti qu’il y a à prendre alors, c’est de sortir de grand matin, & puis de revenir chez soi avant que la chaleur du jour commence. Si l’on ne veut pas s’assujettir à tant de contrainte, il n’y a qu’à rester comme l’on est. Des taches de rousseur, après tout, ne sont pas une si grande difformité. D’ailleurs il arrive souvent qu’elles se dissipent d’elles-mêmes sans que l’on s’en mette en peine, sur-tout dans ces pays ci. Si l’on prend le parti de sortir de grand matin, il ne faut pas laisser de se tenir le visage bien caché de ses coëffes ; je dis de ses coëffes, car on juge bien que c’est uniquement pour le sexe que je parle ici.

3o. Envies.

Les envies, ainsi appellées, parce qu’on les attribue à diverses envies que les meres ont euës pendant leurs grossesses, sont des marques bizarres que l’on apporte en naissant, & qui se trouvent les unes sur le visage, les autres sur d’autres parties du corps indifféremment. Il y a des enfans qui viennent au monde avec des réprésentations de cerises, de fraises, de meures, &c. d’autres avec des taches de vin, des taches de lait, &c. soit sur le visage ou ailleurs ; & tout cela par un effet de la forte imagination des meres qui étant enceintes, ont souhaité ardemment d’avoir certaines choses qu’elles n’ont pû obtenir sur le moment, & qu’elles se sont représentées d’autant plus vivement, qu’elles n’ont pû contenter leur envie.

Pour ce qui est des taches de vin, des taches de lait, & d’autres taches, il est absolument impossible de les ôter, & quiconque promet de le faire, en impose. Il faut, pour qu’une envie soit capable d’être enlevée, qu’elle tienne à une queuë qu’on puisse serrer avec un fil ; & encore faut-il que cette queuë soit fort deliée, sans quoi il ne faut pas s’aviser toucher. Mais si elle est menuë, on prendra une soye cirée, qu’on noüera d’abord d’un nœud, autour de la queue, en serrant médiocrement, puis le lendemain on fera un second tour plus serré ; le jour d’après, encore un autre tour qu’on serrera d’avantage, & assez pour ôter à la cerise, à la fraise, à la meure, &c. toute communication de nourriture avec le reste du corps. Alors la cerise, la fraise ou la meure, selon ce que ce sera, tombera desséchée ; & il ne se fera à l’endroit de la séparation qu’une petite galle, qu’il faudra laisser chéoir d’elle-même.

Voilà toute l’opération. Mais & ne faut s’aviser que le moins qu’on peut, d’y employer le fer. Si l’envie passionnée qu’aura une femme enceinte pour certaines choses qu’elle ne pourra obtenir sur le champ, est quelquefois capable de causer des difformités à l’enfant qu’elle porte dans son sein ; la vûë d’un objet qu’elle regardera avec répugnance, ou avec horreur, en est encore plus capable. On n’en a que trop d’exemples ; & plût à Dieu que cette considération pût engager ceux qui ont le pouvoir en main à empêcher tant d’éstropiés de rôder dans les Eglises, & de s’y donner spectacle. Mais ce n’est pas de ce genre de difformités que je me suis proposé de parler dans cet article, où je n’ai eu en vûë que celles qui portent, à juste titre, le nom d’envies.

4o. Teint brun, livide, jaune, bazané.

Quand le teint est naturellement brun, jaune, livide, noirâtre, il n’y a point de remede qui puisse le changer radicalement. Tout ce qu’y peuvent faire alors les jeunes personnes du sexe, c’est de recourir à des remèdes palliatifs, non pas néanmoins au blanc & au rouge dont elles se servent ordinairement, & qui leur gâte le teint : mais à des choses plus innocentes, telles que sont entre autres, un peu de lait d’ânesse, mis sur le virage, & un peu d’eau de talc appliquée de même. On prend du lait d’ânesse tout fraîchement trait ; on en moüille un petit linge le soit en se couchant, & l’on passe aussi-tôt ce linge sur le visage ; puis le lendemain matin on essuye doucement le visage.

Quant à l’eau de talc, on en fait le même usage ; mais comment se prépare-t-elle ? le voici. Ayez du talc de venise qui soit bien molasse, écailleux, pesant, graisseux, tirant sur le verdâtre, un peu transparent, & se séparant par petites lames. Rapez-le avec une peau de chien de mer ; & passez par un tamis bien fin, la poudre que cette peau de chien aura détachée. Quand elle sera passée, prenez quatre blancs d’œufs durs, coupez-les par la moitié, puis remplissez le creux de chacun avec votre poudre ; après quoi mettez le tout dans un vaisseau de verre ou de fayance bien propre ; posez ce vaisseau à la cave sans le boucher, & l’y laissez jusqu’à ce que votre poudre se réduise d’elle-même en eau. Cette eau s’appelle Eau de Talc[42]. Conservez-la précieusement pour vous en mettre sur le visage tous les soirs en vous couchant ; je dis, tous les soirs en cous couchant, car il ne faut point vous en servir le matin.

Il se fait une autre eau de talc, qui n’a pas moins de vertu que celle-là, pour l’embélissement du teint, & dont la préparation n’est gueres moins facile. On prend une douzaine de limaçons à coquille, autrement dits domi-portes, parce qu’ils portent leurs maisons avec eux ; on les met dans une terrine avec trois onces de poudre de talc faite en la maniere ci-dessus. On les laisse dans cette terrine jusqu’à ce qu’ils ayent dévoré la poudre, ou la plus grande partie ; puis on les distille. L’eau qu’on en tire par cette distillation, s’employe au même usage. Il n’y a rien à craindre de tels remédes ; ils entretiennent la peau du visage fraîche, & lui donnent de la blancheur, au lieu que le blanc & le rouge dont se masquent tant de personnes du sexe minent la peau & produisent tous les mauvais effets dont parle la Bruyere, quand il dit, que si les femmes veulent seulement être belles à leurs propres yeux, elles peuvent, dans la maniere de s’embellir, suivre leur goût ; mais que si c’est aux hommes qu’elles désirent de plaire, si c’est pour eux qu’elles se fardent & qu’elles s’enluminent, il leur déclare qu’il a recueilli les voix, & leur prononce, de la part de tous les hommes, ou du moins de la plus grande partie, que le blanc & le rouge les rend affreuses & dégoutantes, que le rouge seul les vieillit & les déguise ; qu’ils haissent autant à les voir avec de la céruse sur le visage, qu’avec de fausses dents en la bouche, & des boules de cire dans les mâchoires ; qu’ils protestent tous contre l’artifice donc elles usent pour se rendre laides ; qu’il semble que Dieu ait réservé aux hommes, ce dernier & infaillible moyen de les guérir des femmes ; enfin que si elles étoient telles naturellement, qu’elles le deviennent par artifice ; c’est-à-dire qu’elles perdissent en un moment, toute la fraîcheur de leur teint, qu’elles eussent le visage aussi allumé & aussi plombé, qu’elles se le font par le rouge & par la peinture dont elles se fardent, elles seroient inconsolables.

Ce que remarque M. la Bruyere est de tous les temps, & de tous les pays, & sans nous jetter là-dessus dans un grand nombre d’exemples, nous nous contenterons de celui des Chinoises. Le fard est en usage chez elles, de temps immémorial. Il releve d’abord leur blancheur naturelle, & leur donne du coloris ; mais leur gâte ensuite tellement le teint, que, selon des Rélations du pays, il est rare de voir une Chinoise, qui, à cause de ce fard, ne soit pas ridée dès sa jeunesse. Les femmes de ce pays-ci sont dans le même cas. Cette peinture au reste, qu’elles employent d’abord sans besoin & seulement pour se rehausser un peu l’éclat du teint, leur devient dans la suite en quelque façon nécessaire, pour dérober à la vûë les désordres qu’elle a causés sur la peau, en la desséchant, & la rongeant presque jusqu’aux os ; ensorte qu’on peut dire que le fard fait lui-même son portrait au naturel dans les vers suivans, où il s’explique ainsi par la plume d’un de nos Poëtes[43].


Par tout où l’on m’employe, on me cache avec soin,
Le grand jour m’est un peu contraire,
Si je sers d’abord sans besoin,
Je me rends bientôt necessaire.

Tant que je suis caché, bien souvent mon emploi,
M’attire des cajoleries.
Mais je surprends des flatteries,
Qui ne s’adressent point à moi.

Je sers en apparence, & je fais mille maux,

Je suis d’un fâcheux voisinage.
Et je ronge enfin jusqu’aux os,
Ceux que je flatte davantage.


Que de jolies personnes pourvûës naturellement d’un beau teint, se le défigurent ainsi par le fard !

Un Auteur moderne écrit que pour conserver la peau du visage toûjours belle, il faut en empêcher la transpiration, par des remedes appliqués dessus, qui ayent cette vertu ; mais cet Auteur se trompe. Tout ce qui empêche le visage de transpirer, ne sert au contraire, qu’à y produire des boutons, des bouffissures, & autres difformités. C’est pour cette raison, que le visage est toujours l’endroit de tout le corps, le plus maltraité de la petite verole, parce qu’étant plus exposé à l’air froid qui en empêche la libre transpiration, l’humeur qui fait la maladie est retenue sous la peau.

« Les femmes, dit cet Auteur, auroient le visage toujours jeune, si elles pouvoient y conserver le gonflement de la jeunesse, lequel produit le blanc par la tension de la peau, & le rouge par la plénitude des vaisseaux sanguins. Les couleurs appliquées, & toutes sortes de fards, ne sont qu’une vaine réprésentation de ce qui devroit être… »

Le moyen d’y mettre de la réalité, selon le même Auteur, c’est d’empêcher la transpiration du visage, moyennant, quoi, selon lui, « il s’y fera dans les petits vaisseaux, une heureuse obstruction de lymphe & de sang, & la peau se tiendra plus tendre ; voilà le blanc & le rouge, & point de rides ; or l’huile empêche la transpiration, il ne faut que s’en frotter le visage, ou n’y appliquer que des drogues dont l’huile soit la base, & non pas des plâtres qui en se séchant, le rident encore[44]. »

L’Auteur de ce discours a raison de défendre qu’on mette des plâtres sur le teint ; mais de recommander, comme il fait, d’empêcher la transpiration du visage, c’est un avis dangereux.

On lit dans l’Histoire de l’Empire des Chérifs, que Nuclei Ismael, Roy de Tafilét, avoit un teint tout différent selon la passion qui le dominoit ; la joye le lui rendoit blanc, & le moindre mouvement de colere le lui rendoit tout noir[45]. Je sçai de jeunes personnes du sexe, à qui la même chose arrive qu’à ce Roy. Ainsi le meilleur conseil que j’aye à leur donner & à leurs semblables, c’est de ne jamais se mettre en colere. Je ne sçache pas de meilleur reméde que celui-là pour leur conserver le teint blanc lorsqu’elles l’ont tel ; mais ce reméde n’est pas facile à toutes, & en général, on peut dire de la plupart d’entre elles, ce qui est dit de la nation des Poëtes, sçavoir qu’il faut peu de chose pour les irriter. Genus irritabile vatum.

On blanchit les fleurs de Jacynthe bleuës, en les passant à la fumée du souphre ; elles deviennent par ce moyen, tout aussi blanches que si elles l’étoient naturellement.

Cette expérience que chacun peut faire, sembleroit persuader, qu’on pourroit par le même artifice, rendre blanc le teint brun ; mais ce n’est pas une chose à essayer, si ce n’est à l’égard des mains, qui, pour le remarquer en passant, se blanchissent de même, à la fumée du souphre[46], mais à l’égard du visage, il y auroit trop à craindre pour les yeux & pour la poitrine, sans parler des jouës & des lévres, dont le vermeil pâliroit ; car tout pâlit à la fumée de ce minéral, & il y a des gens qui, pour contrefaire les malades, se parfument le visage avec la fumée du souphre, comme d’autres pour le même dessein, se le parfument avec la fumée du Cumin[47].

5o. Teint blême, ou Pâles couleurs.

Le teint blême, autrement dit, Pâles couleurs, à quoi sont si sujettes les personnes du sexe, vient ordinairement ou d’Hémorrhoïdes internes, douloureuses, & tenduës, qui n’ont pas leur cours, ou de regles supprimées. Quand c’est de la première cause, il faut introduire dans le siége, le plus doucement & le plus avant qu’il se peut, du beurre extrêmement frais, réïtérer plusieurs fois pendant deux ou trois jours, & au bout de ce terme, au lieu de beurre, mettre de la litharge ; avoir pour cela d’un Apotiquaire ou Epicier, pour dix ou douze sols de litharge d’or bien pulvérisée, en remplir une cuillere d’argent, & y jetter deux ou trois goutes d’excellente huile d’olive, plus ou moins, pour donner à la litharge, une consistance qui ne soit ni trop épaisse ni trop liquide, puis en introduire dans le siége, le plus avant qu’il se pourra, & mettre ensuite tout auprès en dehors, un linge qui en soit couvert, continuer quelques jours, & prendre tous les matins, en se levant, aussi-bien que tous les soirs en se couchant, une petite écuellée de lait de vache, tout tiede. Les hémorrhoïdes dures & tenduës comme une pomme d’api, se flétriront comme une vieille pomme de rénette, & ne feront plus de douleur ; le teint reprendra alors, sa couleur naturelle. On peut employer aussi, pour le même dessein, ce que nous avons proposé contre les Hémorrhoïdes, pag. 70. & 71. Liv. 2.

Si les pâles couleurs viennent de la seconde cause, il faut avoir recours à des boüillons faits avec le veau, la racine de chicorée amère, & les écrevisses. S’en tenir là sans employer autre chose. La plûpart des remedes qu’on met en usage pour procurer aux jeunes personnes, l’évacuation dont il s’agit, sont des remedes brûlans, tels que la sabine, l’écorce de bigarrade, l’absynthe, & autres semblables, qui, au lieu d’assouplir & de dilater les vaisseaux, les crêpent, les froncent, les resserrent en les picotant. Il est vrai que ces remedes poussent ; mais en poussant ils diminuent le diamêtre des conduits, en sorte que ces conduits, faute de prêter, ne peuvent donner issuë au sang qui se présente avec effort, ce qui fait une contrariété très-préjudiciable ; le sang est poussé, les vaisseaux par où il doit s’échapper, sont rétrécis ; que doit-il arriver de ce combat ? Meres qui avez des filles qui commencent à être dans l’âge convenable à cette évacuation, gardez-vous bien de rien précipiter, aidez la nature par des remedes qui détrempent les humeurs trop épaisses, & qui assouplissent les vaisseaux trop tendus, vous agirez alors de concert avec la nature, & la nature agira de concert avec vous : seul moyen de vaincre le mal. On ne commande à la nature qu’en lui obéïssant.

6o. Teint gros.

Rien ne grossit plus le teint, que le grand air & le grand vent, surtout en esté. Chacun sçait cela ; mais une chose à quoi l’on ne prend pas garde, c’est que la sueur le grossit extrêmement. Elle dilate les pores du visage, & cette dilatation de pores, rend nécessairement la peau du visage grossiere. C’est à quoi doivent faire grande attention les jeunes personnes du sexe qui sont hors du commun. La grossiereté de teint qui vient simplement du grand air, se corrige aisément quand elle n’est pas ancienne ; un peu d’oxycrat appliqué sur le visage suffit pour cela. Mais celle qui vient de cette largeur de pores causée par la sueur, ne se corrige pas avec la même facilité.

Quand je parle ici de sueur, je n’entends pas une sueur passagere, & momentanée, mais une sueur longue, & fréquente ; sur-tout lorsque dans le temps qu’elle tient, l’on a recours à l’éventail pour se rafraîchir. Je ne sçaurois dire combien le vent de l’éventail, & la sueur, lorsque l’un & l’autre se rencontrent ensemble, rendent rude & grossiere la peau d’un beau visage. Un seul esté suffit pour faire alors bien du dégât sur un jeune teint.

Il y a des femmes qui se ratissent le visage avec des morceaux de verre. Elles prennent pour cela, de ces globes de verre que vendent les Fayanciers aux Etameurs ; elles les cassent, & avec les éclats elles se frottent le front, le nez, les joues, le menton, croyant par là se rendre la peau du visage bien fine ; mais elles la rendent encore plus grosse & plus dure, parce qu’à la fin, elles se la racornissent. Il se trouve de jeunes filles qui se voyant faire ce manége à leurs mères, les veulent imiter, & par-là se gâtent le teint, pour le reste de leurs jours.

Il ne faut jamais passer rien de rude sur le visage ; quand on le veut décrasser, le meilleur moyen qu’on puisse employer pour cela, après l’avoir lavé avec un peu d’eau de son, qui ne soit ni froide ni chaude, c’est de le frotter doucement avec le dedans d’un bonnet de toile, qu’on ait tenu sur ses cheveux pendant quelques nuits, ce moyen est excellent pour entretenir la finesse du teint.

7o. Teint luisant.

Le teint, pour être beau, ne doit point reluire ; il doit ressembler à cette fleur qu’on remarque sur certains fruits qui n’ont point encore été touchés. On dit, la fleur d’un teint, mais on ne dit point le lustre d’un teint, c’est qu’il ne faut pas qu’un teint soit lustré. Le lis est blanc ; il ne reluit pas, quoiqu’on dise l’éclat du lis. La neigne est blanche, elle n’est point reluisante, quoiqu’on dise l’éclat de la neige. Les roses, avec tout leur éclat, ne sont point luisantes. On dit d’un beau teint, un teint de rose & de lis, sans prétendre pour cela, qu’il soit luisant. On dit, tout de même, la neige d’un teint, sans supposer qu’il reluise.


Mille fleurs fraîchement écloses,
Les lis, les œillets & les roses,
Couvroient la neige de son teint,


dit M. de Voiture. L’albâtre ne reluit point ; elle est d’elle-même, d’un blanc mat, & quand nos Poëtes disent un Sein d’Albâtre, ils ne prétendent point faire entendre par-là, un Sein luisant.

Enfin une belle peau ne reluit point, quoique par sa blancheur, elle ait de l’éclat. Un visage luisant est celui d’une poupée du Palais. Il faut donc éviter d’avoir le teint luisant, & pour cela se garder de faire comme ces Grisettes, qui ne manquent point, tous les matins, de se frotter & refrotter le visage avec du boüillon, jusqu’à ce qu’elles se soient rendu le nez, les joues, & tout le minois luisant comme un miroir. On les reconnoît par-tout, ces Grisettes, & dans les ruës & dans les promenades.

En général, il ne faut point trop frotter le visage, sinon on lui ôte sa fleur, qui, à force d’être souvent enlevée, ne se reproduit plus.

8o. Teint flétri.

Il n’est pas étonnant de voir aux personnes âgées, un teint flétri. Mais il en est de jeunes qui ne sont pas exemptes de cette difformité, ce qui leur vient, (lorsque le fard n’y a point de part) d’une chaleur d’entrailles qui leur desséche la peau du visage & la leur flétrit. Pour prévenir ou pour corriger cette difformité, il faut observer les regles suivantes.

1.o Se priver de thé & de caffé, à moins qu’ils ne soient au lait ; éviter tous ragoûts, toutes viandes poivrées & trop salées, toutes sortes d’épiceries, le vin pur, tous vins de liqueurs, soit factices ou naturels, tous ratafiats, tous vins de Champagne, toutes succreries, & autres choses semblables, qui en allumant le sang, desséchent la peau, & la froncent. 2.o Se mettre au lait d’ânesse ou de vache, manger beaucoup de potage, où il y ait force chicorée ou laituë ; boire dans la journée, quelques verres d’orgeade ; 3.o Choisir une habitation qui ne soit point dans un air trop sec, & en cas qu’on ne le puisse faire, avoir soin de corriger tous les jours, l’air de la chambre (si c’est en esté) par quantité de feuilles de vigne toutes fraîches, qu’on jette & qu’on disperse sur le plancher ; 4.o Ne point trop veiller, ne point trop chanter, ne point laisser tomber de la poudre sur son visage, en se poudrant ; 5.o Si c’est en hyver, ne point trop s’approcher du feu, ne le regarder jamais directement ; & quand on a le visage tourné de ce côté-là, tenir toûjours devant soi, un écran ; 6.o Pendant la rigueur de cette saison, ne s’exposer jamais au grand froid sans avoir le visage caché, & quand on rentre chez soi, ne point s’approcher trop promptement du feu ; 7o. Recourir à des frictions douces de tout le corps, pour conserver ou pour procurer au sang une libre circulation. Car lorsque le sang circule avec liberté, que son cours n’est ni trop lent ni trop rapide, & que par conséquent les sucs nourriciers qui se distribuent aux parties, ne s’y arrêtent ni trop ni trop peu, le teint est toujours frais, pourvû que les sucs nourriciers dont je parle, soient bien conditionnés, ce qu’on obtient en observant un bon régime de vivre.

En suivant les regles ci-dessus, on peut prévenir, ou corriger la flétrissure du teint ; mais pendant la jeunesse seulement ; car de se figurer qu’il y ait des secrets pour en garantir la vieillesse, c’est une puérilité. Je me souviens, à ce sujet, de ce que j’ai rapporté dans le Journal des Sçavans[48], touchant une prétenduë eau de beauté. On ne sera peut-être pas fâché que j’insere ici cet article au lieu d’y renvoyer. La prétenduë eau de beauté dont il s’agit, est annoncée par un Mémoire imprimé à Paris chez la veuve Mergé ruë saint Jacques au Coq, où il se débite. On y célébre les chimériques vertus d’une eau composée, dit-on, de simples des plus rares & des plus exquis que la nature ait produits, laquelle étant mise sur le visage, y répare tous les débris de la vieillesse ; cette eau, ajoute-t-on, qui a été inconnue jusqu’aujourd’hui, dans toute la France, nourrit la peau, & lui donne un éclat de blancheur parfaite, conserve la délicatesse des traits, réanime toutes les couleurs, & répand sur les teints les plus secs, un air de fraîcheur aussi naturel, que celui qui fait le sang le plus pur, dans le corps le plus sain. On peut, sans lui rien prêter, ajoute-t-on encore, faire voir par cent exemples, que les personnes qui en usent, ne s’apperçoivent point que le nombre des années puisse flétrir & diminuer en elles, la fraîcheur de leur teint, & celle de la gorge, puisqu’elle en ôte toutes les rides.

Après plusieurs autres éloges que je passe, l’Auteur du Mémoire assûre que tout ce qu’il dit de cette eau, a été vérifié par diverses épreuves, en présence de M. le premier Médecin, qui, de son côté certifie connoître la véritable composition de cette eau, après en avoir fait, dit-il, les épreuves stipulées dans le Mémoire. Il témoigne, de plus, que c’est en conséquence de toutes ces épreuves, qu’il consent que l’eau en question, soit distribuée, & il ajoute que c’est pour le bien public qu’il y consent. Il est difficile, après cela, de trouver un reméde plus authentiquement approuvé. Aussi, l’Auteur du Mémoire, ne pouvant, pour son intérêt, rendre trop publique, une approbation si avantageuse, ne manque pas de la rapporter, ce qu’il fait en la maniere suivante.

« Toutes ces épreuves ont été vérifiées par-devant M. le premier Médecin. Je crois que tout le monde connoît assez les qualités de ce digne Docteur ; c’est pourquoi j’ai fait mettre au bas de mon Mémoire, son Approbation que voici. »

« Nous soussignez, Conseiller ordinaire du Roy, en tous ses Conseils d’Etat & privés, premier Médecin de Sa Majesté, Surintendant général des Eaux, Bains, & Fontaines Minérales & Médecinales de France, Salut. Sur les témoignages de beaucoup de personnes de mérite, des bons effets de l’Eau dite de Beauté, composée par le sieur Lambert, pour ôter les boutons, rougeurs, tenir toûjours le teint très-uni, & blanchir la peau, garantir & empêcher d’être marqué de la petite vérole, nous consentons que ledit Sieur, pour le bien public, la vende & distribuë, en connoissant la véritable composition, après en avoir fait toutes les épreuves stipulées dans ledit Mémoire qu’il donne au Public ; En foi de quoi nous avons signé ces présentes, que nous avons fait contresigner par notre Sécretaire ordinaire, & à icelle fait apposer le cachet de nos Armes. Fait à Paris au Château des Thuilleries, le Roy y étant, ce deuxiéme jour de Février mil sept cens vingt-deux. Signé, Dodart. Par M. le premier Médecin du Roy la Salle. »

Si cette prétenduë eau, qui, selon les promesses du Mémoire, empêche que le nombre des années, ne flétrisse le teint, & ne cause des rides, avoit été découverte du temps d’Horace, ce Poëte auroit, sans doute, épargné à la postérité, ces tristes vers :


Heu fugaces, Posthume, Posthume,
Labuntur anni, nec pietas moram
Rugis, & instanti senectæ
Adferet, indomitæque morti,

puisqu’il prétend faire entendre par-là, que d’empêcher les rides de la vieillesse, est une chose aussi impossible, que de se soustraire à l’empire de la mort[49].

Il est dit dans l’Histoire du Pérou, par Pierre Chieza, qu’il y a en Amérique une fontaine, qui ôte aux vieillards, toutes les marques de vieillesse ; mais comme la prétenduë vertu de cette fontaine, n’est appuyée du témoignage d’aucun médecin, ou d’autre personne qui assure par quelque certificat, que la chose soit véritable, on a toute liberté de la révoquer en doute.

Au Nord de Napoli, de Romanie, dans la Morée, en Grece, étoit autrefois, à ce que rapportent quelques Auteurs, la célébre fontaine de Canathe ; dans laquelle, selon Pausanias, Junon qui alloit s’y baigner tous les ans, trouvoit le moyen de réparer les bréches que le temps faisoit à sa beauté ; mais cette fontaine qui étoit, peut-être, la fameuse fontaine de Jouvence, si chantée par certains Auteurs, n’est plus aujourd’hui, si tant est qu’elle ait jamais été.

On lit dans les Décades du nouveau Monde, par Pierre Martyr, nommé Anglertus, l’histoire d’un vieillard, qui, pour se procurer, sinon la vigueur, du moins l’apparence de la jeunesse, se baignoit dans une certaine fontaine, par le moyen de laquelle il vint si bien à bout de paroître jeune, que l’air frais de son visage, lui attira les empressemens d’une femme fort aimable, qui le choisit pour mari ; mais outre que cette fontaine n’a peut-être jamais existé, non plus que celle de Junon, toûjours n’a-t-elle pas à présent plus de réalité que l’autre. Ainsi les personnes qui voudront paroître jeunes, independamment des années, feront bien d’avoir recours à l’eau de beauté qu’on leur offre ; si elle est telle qu’on la vante.

Il est fait mention dans Huon de Bourdeaux, d’une herbe appellée l’herbe de Jouvence, laquelle, porte de petites graines, dont le suc a la propriété, dit-on, de rendre aux femmes qui sont sur le retour, le teint aussi frais & aussi uni que dans la premiere jeunesse. Cette herbe est apparemment du nombre de celles que l’Auteur dit avoir si heureusement trouvées, & dont, s’il faut l’en croire, il compose sa chimere, je veux dire son eau de beauté.

C’est assez nous arrêter à cet article concernant la puérile imagination de pouvoir empêcher les rides & les flétrissures de la vieillesse : Je reviens à l’avis que j’ai donné ci-devant, pag. 183. touchant les frictions du corps, ausquelles on peut recourir, pour conserver ou pour procurer au sang, une certaine aisance dans sa circulation, & favoriser par ce moyen, la fraîcheur du teint, & je dis que les frictions douces contribuant, comme elles font, à cette libre circulation, ne peuvent être que très-favorables au teint ; car lorsque le sang circule bien, c’est-à-dire ni trop lentement, ni avec trop de précipitation, ne trouvant dans son cours, aucun empêchement à cette médiocrité, soit de la part des humeurs, soit de la part des vaisseaux, le teint s’en ressent toûjours, & on ne sçauroit alors l’avoir mauvais. Le teint annonce la bonne ou la mauvaise santé ; & cette bonne ou mauvaise santé dépend de la maniere facile ou difficile avec laquelle le sang fait son chemin ; or les frictions modérées du corps, lorsqu’elles sont faites avec des linges doux, contribuent infiniment à faire circuler le sang comme il doit circuler, & par conséquent à rafraîchir le teint. Aussi, quand on voit à quelque personne, un teint frais, on juge d’abord qu’elle se porte bien. Tout le monde forme ce jugement ; & M. Despreux, par rapport à cela, s’explique d’une maniere fort juste, lorsque dans sa Satyre dixiéme, parlant de ce Directeur qui, nonobstant la fraîcheur de son teint, veut passer pour malade, il dit :


Bon ! vers nous à propos, je le voye qui s’avance.
Qu’il paroît bien nourri ! quel vermillon ! quel teint !
Le Printemps dans sa fleur, sur son visage est peint,
Cependant à l’entendre, il se soutient à peine,
Il eut encore hier, la fiévre & la migraine,
Et sans les prompts secours qu’on eut soin d’apporter,
Il seroit sur son lit, peut-être à tremblotter.

Les frictions douces produisent toujours d’excellens effets sur le sang, soit en facilitant le cours, du cœur aux extrémités, ou des extrémités au cœur ; soit en modérant & retardant ce cours s’il est trop impétueux, qu’il empêche le corps de prendre la nourriture qui lui est nécessaire ; car lorsque le sang circule avec trop de rapidité, ses sucs nourriciers n’ont pas le temps de s’arrêter aux parties, & le corps tombe dans le desséchement, ce qui est bien contraire à la fraîcheur du teint ; Prosper Alpin rapporte sur cela, que les Dames d’Egypte, qui sont toutes fort curieuses de leur teint, ont grand soin de recourir à des frictions douces pour s’empêcher de maigrir[50].

Il y a trois sortes de frictions ; une rude, une douce & une moyenne. La friction rude, principalement quand elle se fait tout d’un coup, met en mouvement des humeurs grossieres avant qu’elles soient ramolies, les poussant dans des vaisseaux outre mesure, leur fait perdre leur ressort, donne par-là occasion à des dépôts & à des engagemens, & empêchant la libre circulation du sang, nuit considérablement à la beauté du teint, laquelle ne sçauroit subsister lorsque le sang circule avec peine. Deux précautions sont nécessaires quand on employe les frictions ; la premier, de n’y point recourir que les premieres voyes ne soient dégagées, c’est-à-dire, que l’estomac & les intestins ne soient suffisamment désemplis ; la seconde, lorsque la friction est faite, de vêtir aussitôt quelque camisole, ou quelque corset un peu juste, parce quel lorsqu’on est un peu serré, le sang circule plus aisément.

Bien des Dames, pour se procurer un teint frais, employent le secours des lavemens. Ce secours n’est pas inutile quand il est ménagé ; mais la plûpart en abusent, & à force de s’en servir, se rendent le teint pâle, livide & blaffard, ce qui est bien différent du beau teint. L’évacuation modérée des intestins contribuë à la libre circulation du sang, de laquelle dépend la fraîcheur du teint, ainsi que nous l’avons remarqué ; mais quand cette évacuation est excessive, & sur-tout qu’elle, procéde de la trop grande quantité de lavemens ; la peau du visage devient blême & livide, ce qui fait le teint blaffard. La raison de cela est que lorsqu’on prend trop de lavemens, on ne laisse pas le temps aux intestins, d’achever la séparation des sucs nourriciers d’avec les excrémenteux, & on entraîne ensemble les uns & les autres ; en sorte que dérobant au sang une grande quantité de ces sucs nourriciers que les intestins y envoyeroient par ses vaisseaux lactés, il faut nécessairement que cette défraudation, s’il m’est permis de me servir de ce terme, paroisse sur le visage, où se porte d’abord une portion considérable de ce qu’il y a de mieux travaillé dans le sang.


Les Gencives.

Après avoir parlé, comme je viens de faire, des parties du visage, les plus apparentes, il me reste, pour remplir mon plan, à parler de celles qui ne se présentent que lorsqu’on ouvre la bouche, telles que sont les gencives, les dents, & la langue : c’est par où je finirai cette Orthopédie.

Des gencives bien rouges, bien fermes, bien unies, ni trop épaisses, ni trop minces, & bien jointes contre les dents, sont d’une grande beauté, pourvû que le reste, je veux dire ce qui concerne les dents qu’elles enchassent & dont nous parlerons dans un moment s’y rapporte.

Les gencives difformes sont entre autres, 1o. les gencives livides, 2o. les gencives en bourlets, 3o. les gencives décharnées, 4o. les gencives pâles, 5o. les gencives flasques, 6o. les gencives raboteuses, 7o. les gencives enflammées, 8o. les gencives avec excroissances.

1o. Gencives livides.

La lividité des gencives vient ordinairement d’un sang qui y croupit, faute de circulation. Le moyen de prévenir & de corriger ce vice, c’est de les frotter assiduement tous les matins, avec un linge un peu rude, & de les piquer, de temps en temps, mais légérement, avec la pointe d’un cure-dent d’or ou d’yvoire, & non de plume. Quand je dis de les piquer légérement, j’entends cependant qu’on en fasse sortir un peu de sang ; car il faut cela, sinon le frotement du linge n’aura pas assez de force pour rappeller la circulation dans la partie.

Au reste, en piquant la gencive pour la faire saigner, il faut éviter de la piquer dans l’endroit où elle se joint à la dent ; mais la piquer seulement dans le milieu de sa largeur, à quelque distance de la dent, sans quoi on risqueroit de déchausser la dent, mais en prenant la précaution que je dis, il n’y a rien à craindre.

Quelques saignées du bras ne sont pas à négliger ici, & peut-être même du pied, pour les personnes du sexe, en observant dans ce cas certaines conditions par rapport aux Regles. Les médecines douces conviennent encore.

Au reste, je me crois obligé d’avertir en général, (comme l’a fait, long-temps avant moi, un sçavant Auteur) que l’usage des poireaux nuit beaucoup aux gencives[51] ; chose à quoi l’on doit bien prendre garde pour les jeunes filles élevées dans les Couvents, où la soupe qu’on leur donne, n’est presque jamais qu’aux poireaux. Je suis sûr que les Dames Religieuses ne me sçauront pas mauvais gré de cet avis, & qu’elles se feront un plaisir d’en profiter tant pour elles que pour leurs Pensionnaires. Mais puisque nous en sommes sur la qualité des poireaux, nous remarquerons par occasion, qu’ils nuisent aussi aux vûës foibles, & causent des nuits fâcheuses par les songes inquiets qu’ils excitent ordinairement, c’est le sentiment du grand Schroder[52], & & ce sentiment est fondé sur l’expérience, soit dit en passant.

2o. Gencives en bourléts.

Il y a des gencives bossuës & relevées, comme des especes de plottes, ou de bourlets. Vous diriez, en les voyant, qu’elles sont faites pour y planter des épingles. Ces sortes de gencives sont très-difformes par elles-mêmes, mais elles causent une seconde difformité qui n’est pas moins grande, c’est qu’elles poussent les lévres en dehors, comme s’il y avoit derrière ces lévres, quelque croute de pain d’engagée, un autre inconvénient se joint à celui-là, elles nuisent à la liberté de la parole, & empêchent l’articulation d’un certain nombre de mots, tels que ceux, par exemple qu’on ne peut bien prononcer, qu’en reculant les lévres ; en sorte que les mots dont l’articulation demande qu’on avance les lévres, comme volonté, vouloir, vous, velours, & autres de cette nature, sont les seuls qu’on prononce alors facilement.

Ce bourlét des gencives provient d’un suc nourricier trop abondant qui les remplit, il faut, pour y remédier, les frotter souvent avec quelque chose d’astringent & de répercussif, qui puisse donner à leurs fibres, un ressort capable de repousser en dedans le surplus de cette humeur nourriciere qui se présente, & de lui opposer en quelque sorte, une digue. Entre toutes les choses astringentes qu’on peut employer ici, la meilleure est la renouée autrement dite centinode, ou trainasse, dont nous avons déjà parlé plus haut, tant de fois.

On prend une pincée de cette herbe, on la broye avec les doigts dans le creux de la main, & on en frotte la gencive plusieurs fois le jour, principalement le matin dès qu’on est levé. Mais il faut continuer des mois entiers, & ne point se lasser ; la gencive au bout d’un temps, reviendra à son volume naturel, & ne fera plus le bourlét.

Voici un défaut bien opposé à celui-là, c’est la gencive décharnée, celle dont nous venons de parler, reçoit trop de nourriture, & celle-ci n’en reçoit pas assez, comme nous allons voir.

3o. Gencives décharnées.

Les gencives décharnées ne le sont que par l’une des deux causes suivantes, ou parce que les sucs alimenteux qui s’y portent, ne sont pas en assez grande quantité pour les nourrir, ou parce que les fibres des gencives ont trop de roideur pour obéïr au mouvement des sucs qui se présentent, & leur permettre de s’introduire dans la substance de la gencive. Ainsi voilà deux causes dont on a l’une ou l’autre à combattre ; sçavoir, la disette du suc nourricier, & la résistance des vaisseaux ; pour ce qui est de la disette du suc nourricier ; il n’y a pas de reméde ; mais pour la résistance des vaisseaux, on peut les assouplir par des moyens opposés à ceux dont il est fait mention dans l’article précédent, sçavoir par des émolliens tels que les racines de mauve, & de guimauve, tenuës long-temps dans la bouche, & mâchées ; ou les tablettes de mauve & de guimauve, dont on a coûtume de se servir pour la toux ; lesquelles ne remédiant à la toux, que par le relâchement qu’elles procurent aux vaisseaux, sont ici par conséquent, très-convenables pour donner aux fibres des gencives, la souplesse dont ces fibres manquent. Mais ces remedes demandent une grande perséverance ; car de croire qu’en ne les employant que de temps en temps, on en aura quelque succès, c’est se tromper. Passons aux gencives pâles.

4o. Gencives Pâles.

Les gencives, ne sont pâles que parce qu’il s’y porte trop peu de sang, le moyen d’y rappeller le sang pour les rendre rouges, c’est de les frotter tous les matins pendant plusieurs semaines, avec un peu de moutarde, ou avec une petite feüille de roquette.

5o. Gencives flasques.

Une des perfections qui contribuent le plus à la beauté des gencives, c’est d’être fermes & bien tenduës. Une gencive qui paroît flasque & molasse, dès qu’on vient à ouvrir la bouche, présente quelque chose de fort désagréable, & même de dégoutant. Le moyen de les raffermir, c’est de les laver tous les matins, & à l’issuë de chaque repas, avec un peu d’eau & de verjus mêlés ensemble ; il faut que l’eau soit ferrée, & qu’il y en ait deux fois plus que de verjus : pour la ferrer, il n’y a qu’à y éteindre deux ou trois fois un morceau de fer rouge.

6o. Gencives raboteuses.

Il y a des gencives dont on diroit que la peau seroit toute semée de petits grains de millet, tant elle paroît raboteuse & grenuë. Ce sont de petits boutons très-menus, formés sous la peau, lesquels à force de séjourner, deviennent aussi durs que des grains de millet. Il faut de puissans résolutifs pour fondre ces boutons. Il n’y a gueres que la racine de pyrethre qui en puisse bien venir à bout ; il en faut mettre un peu entre la gencive & la lévre, mais réïtérer souvent, & l’y laisser peu de temps chaque fois. Un petit morceau de crystal minéral mis au même endroit, est encore fort bon pour résoudre ces petits grains ; il est à propos en même temps, de frotter avec le doigt, la gencive.

Comme la racine de pyrethre est fort brûlante, il faut, après s’en être servi, se rincer aussi-tôt la bouche avec de l’eau & du vin.

7o. Gencives rongées.

La plûpart des enfans qui ont les gencives rongées & scorbutiques, ne les ont ainsi, qu’à cause des sucreries qu’ils mangent ; il ne faudroit jamais donner aux enfans aucunes confitures ni séches, ni en pâte, ni liquides ; il ne faudroit pas même qu’ils connussent les dragées. Despreaux dit,

Que de tout mets sucrés, secs, en pâte ou liquides,
Les estomacs dévôts toûjours furent avides[53].

On peut dire la même chose de l’estomac des enfans. Les confitures sont ce qu’il y a de plus succulent pour eux. Mais il ne faut point consulter sur cela leur goût. Cependant que fait-on ? On leur accorde ces friandises pour récompense, lorsqu’on est content d’eux. Bien plus, quelque personne que ce soit qui vienne rendre visite dans une maison où il y a des enfans, n’y vient que chargé de confitures pour les leur distribuer. Ce ne seroit pas faire sa cour aux peres & aux meres, que d’en agir autrement. On accable ainsi les enfans, de succreries ; c’est-à-dire, de ce qu’il y a de plus capable de leur ronger les gencives, de leur déchausser les dents, & de leur gâter la bouche. Il ne faut pas s’étonner après cela, que tant de gens ayent les gencives rongées ; mais quel reméde y a-t-il à cette difformité ? Il est difficile d’y en trouver d’infaillible, cependant il ne faut point se décourager.

L’eau de chaux avec l’esprit de cochléaria ; partie égale de l’un & de l’autre, produit ici de bons effets. J’en dis autant de l’essence d’aloés & de myrrhe, aussi partie égale des deux ; on frotte tous les jours la gencive deux ou trois fois, avec l’un ou l’autre de ces mêlanges, & l’on continuë des mois entiers. Cela néanmoins ne suffit pas, si l’on ne songe à adoucir la masse du sang ; & je ne sçache point ici de meilleur moyen pour en venir à bout, que de se mettre au lait de vache, après s’y être préparé par les remédes généraux, tels que quelques purgatifs, & quelques saignées ; bien-entendu au reste, qu’on renoncera à toutes succreries, aussi-bien qu’à toutes viandes poivrées & épicées, s’interdisant, en même temps, tous les vins piquants, & tout ce qui est capable de rendre le sang âcre.

8o. Gencives enflammées.

L’inflammation des gencives, consiste en une enflure ardente & douloureuse, qui se communique jusqu’aux joües, & les fait grossir outre mesure. Cette inflammation ne vient que d’obstructions causées par un froid qu’on a souffert à la tête. Ainsi il n’y a que des remédes désobstruans & un peu chauds, qui la puissent guérir, ces remédes sont 1.o de se laver fréquemment la bouche tous les matins avec de l’eau où l’on ait fait boüillir des feüilles de mélisse ; 2.o d’avoir soin, tous les soirs, de tenir long-temps dans la bouche, deux ou trois cuillers de lait de vache tout chaud, où ayent boüilli des jujubes ; 3.o d’appliquer après sur la joüe un oignon cuit, de l’y appliquer tout chaud, & de l’y laisser jusqu’au lendemain matin ; continuer plusieurs jours jusqu’à guérison.

9.o Gencives avec excroissances.

Il vient souvent aux jeunes personnes, des excroissances sur les gencives, ces excroissances sont molles, indolentes, & tiennent à un petit pédicule comme une fraise. Le mal n’est nullement dangereux ; mais il cause une grande difformité : Il fait avancer les lévres d’une maniere fort désagréable, & empêche, comme les gencives en bourlets[54], de parler facilement. Il n’y a pour y remédier, qu’à serrer fortement avec un fil de soye, le pédicule où tient l’excroissance, & laisser ce fil pendant trois jours, en le serrant un peu plus chaque jour, elle tombe alors d’elle-même, faute de nourriture. Puis, quand elle est tombée, on met sur l’endroit ou elle tenoit, un peu d’esprit de vitriol, ou de souphre ; après quoi on lave l’endroit avec de l’eau de plantain un peu tiede.


Des Dents.

Il ne nous reste plus, pour finir ce quatriéme & dernier Livre de nôtre Orthopédie, qu’à venir à l’article des dents & à celui de la langue, comme nous allons faire.

Les dents, pour avoir leur perfection entiere, demandent de grandes attentions. Il faut, pour la leur procurer, s’y prendre dès qu’elles commencent à pousser aux enfans, & se souvenir que s’il se présente alors quelque obstacle à leur sortie, & qu’on n’ait pas soin de la faciliter, il ne faut pas espérer que ni les dents devancieres[55], ni les dents secondaires ausquelles elles préparent la place, soient jamais belles. Mais comment faciliter cette sortie, en-sorte que ces dents devancieres puissent éclore aisément ? C’est de quoi nous allons proposer les moyens.

Moyens d’aider les Dents devancieres à sortir.

Les dents devancieres, comme nous l’avons remarqué ailleurs[56], & qu’il est à propos de le répéter ici, ont peine à pousser, ou parce que le suc nourricier dont elles ont besoin pour prendre leur prompt accroissement, & diviser, sans lenteur, la gencive qu’elles doivent percer, ne leur est pas porté avec assez de force, ou parce que le corps de la dent est d’une consistance trop molle, pour pouvoir faire aisément cette division ; ou enfin, parce que les fibres des gencives étant trop flasques, & prêtant plus qu’il ne faut, s’étendent par l’effort de la dent, au lieu de se rompre. Ces trois causes concourent quelquefois ensemble ; quelquefois il n’y en a que deux, & quelquefois il ne s’en trouve qu’une. Mais soit qu’il n’y en ait qu’une, ou qu’il y en ait plusieurs, il résulte toûjours de-là, un tiraillement des gencives, qui doit exciter des douleurs cruelles aux enfans, & qui prolonge quelquefois leur supplice des semaines entieres ; ce qui réduit un enfant à passer les jours & les nuits sans repos. Ces douleurs accompagnées de veilles, empêchent le lait qu’ils succent de se digerer ; ce lait non digéré se tourne en sérosités piquantes qui agacent les intestins, excitent des tranchées accompagnées de cours de ventre, & causent même quelquefois, des convulsions par l’irritation violente qui se fait dans le genre nerveux. Le peu de suc nourricier qui se produit, & qui devroit entrer dans les vaisseaux lactés, est dérobé par le cours de ventre, & le corps frustré de nourriture, tombe dans un desséchement, ou que la mort suit de près, ou qui met les dents hors d’état d’acquerir la force nécessaire pour sortir sans peine ; or dans ce dernier cas, il est difficile qu’elles puissent parvenir à être bien formées, bien arrangées, & d’une belle venuë ; elles préparent cependant la place à celles qui doivent leur succeder ; & c’est de cette place bien préparée que dépend l’arrangement des dents secondaires qui doivent rester toute la vie.

Ce que je dis de la cause qui nuit à la sortie des dents devancieres, est un peu différent de ce qu’on entend dire d’ordinaire là-dessus aux Gardes, aux Sages-femmes & aux Nourrices, qui croyent que pour faciliter l’issuë des dents, il faut toûjours recourir à des émolliens, & qui employent dans ce dessein, la cervelle de liévre, le sang de crête de coq, & autres choses aussi bizarres, s’imaginant que cette cervelle & ce sang, appliqués sur les gencives, les ramollissent.

C’est une chose certaine que les émolliens, à moins que les gencives ne soient attaquées d’inflammation, ne peuvent que 1o. que relâcher l’action des petits rameaux d’arteres qui portent la nourriture aux dents, 2o. empêcher ces mêmes dents de se durcir au point qu’il faut pour devenir perçantes, 3o. relâcher les fibres déjà trop lâches des gencives, & retarder par ces trois effets, dont un seul suffit pour faire beaucoup de tort, la sortie même qu’on a intention de procurer. Loin donc qu’il faille toûjours recourir à des émolliens pour faciliter la sortie des dents, il faut au contraire, selon le principe mécanique & certain que je viens de poser, recourir ordinairement à des moyens qui puissent 1o. augmenter l’action des petites arteres qui portent la nourriture aux dents, 2o. mettre la gencive plus en état de se casser, ensorte qu’au premier heurt, ou choc de la dent, elle soit comme obligée de se rompre ; semblable en cela à un fil bien tendu, qui casse facilement au moindre effort, & qui résiste au contraire à plusieurs coups redoublés, même plus violens, s’il est lâche.

Loin donc d’ici, toutes les cervelles de liévre, ou de quelque autre animal que ce soit ; loin les huiles d’amandes douces & autres remédes émolliens, qui donnant d’ordinaire, de la flaccidité aux fibres élastiques de la gencive, les rendent moins propres à se casser, & à faire jour à la dent ; en sorte que ces fibres ne faisant que s’étendre d’avantage, au lieu de rompre, souffrent par cette extension continuelle, un tiraillement d’autant plus douloureux, & plus périlleux, qu’il est moins capable de causer aucune division.

Que faut-il donc faire en telle rencontre ? il faut doucement frotter avec les doigts, les gencives de l’enfant ; ce frottement produit trois bons effets : 1o. il rappelle le ressort des fibres trop lâches ; il les roidit & les rend cassantes ; 2o. il presse la gencive contre le trenchant du corps dur qui s’éleve en dessous, & par ce moyen il la met dans la nécessité de se diviser en peu de temps ; 3o. il engourdit le sentiment de la partie, & diminuë par conséquent, la douleur ; c’est pour cette raison que les hochets qu’on donne aux enfans, & dont ils se frottent sans cesse les gencives, réüssissent si bien ; soit que ces hochets soient garnis d’un chrystal, d’une dent de loup, ou d’autre chose de semblable. C’est pour la même raison, comme l’observe si judicieusement un sçavant Anatomiste[57], que les dents de la mâchoire supérieure, sont d’ordinaire, plus hâtives que celles de la mâchoire inférieure ; les gencives supérieures étant plus exposées au frottement du mammelon qui est succé par l’enfant. En effet il est constant que lorsque l’enfant succe quelque chose, la mâchoire d’en haut est plus frottée que l’autre par le corps qu’il succe ; & si on veut l’essayer en mettant le petit doigt dans la bouche, & le succant ensuite, comme les enfans ont coûtume de succer le mammelon de leurs nourrices, c’est-à-dire en faisant aller alternativement & insensiblement, de droite à gauche, & de gauche à droite, la mâchoire d’en-bas, on verra que le doigt posera simplement sur la gencive inférieure, & que le mouvement insensible, mais réel de droite à gauche, & de gauche à droite, dont se mouvra cette mâchoire, fera aller aussi en ces divers sens, contre la gencive supérieure, le corps que l’on succera.

La nature parle ici toute seule ; Les enfans dont les dents ont peine à éclore, se portent d’eux-mêmes, les doigts aux gencives ; ils se les frottent sans cesse, ils tâchent de mordre le tétton de leurs nourrices ; les petits des animaux qui tettent, ne cherchent non plus, lorsque leurs dents commencent à pousser, qu’à mordre des choses qui ayent quelque résistance ; c’est la leçon de la nature ; il n’y a qu’à suivre cette leçon, & si la cervelle de liévre, le sang de crête de coq, & autres remédes aussi peu convenables, ont paru réüssir en quelques occasions, c’est qu’on a attribué à ces prétendus remédes, ce qui étoit le pur effet du frottement.

Hippocrate fait sur la sortie des dents, trois remarques importantes, qui déposent en faveur du principe que j’establis : La premiere, c’est que les dents des enfans poussent plus aisément en hyver qu’en esté ; la seconde, que généralement parlant, elles poussent plus facilement aux enfans qui sont médiocrement maigres, qu’à ceux qui sont fort gras ; la troisiéme, qu’elles poussent aussi plus aisément à ceux qui ont le ventre libre. Remarques dont l’application à nôtre principe est facile à faire, toutes les fibres du corps étant comme l’on sçait, moins flasques en hyver, les corps maigres les ayant aussi moins molasses, & la liberté du ventre enlevant des sérosités qui ne pourroient que rendre ces fibres trop lâches.

Ce que je dis des fibres, je le dis des os même ; car on sçait que les os sont plus cassans en hyver, & par conséquent plus durs. Il suit de-là qu’en hyver plus de causes concourent à faire éclorre facilement les dents. Premiérement, les arteres ont plus de force, & ainsi portent avec plus de vitesse aux dents qui sont encore cachées dans leurs alvéoles, le suc nourricier qui les doit faire croître ; secondement, le corps de la dent est plus dur, & par conséquent plus incisif ; troisiémement, les fibres des gencives sont moins lâches, & par conséquent plus faciles à être percées par la pointe des dents.

Lors donc qu’il s’agit d’une solution de continuité par incision, comme dans la sortie des dents qui doivent inciser, & couper les gencives, ce n’est pas à des émolliens qu’il faut recourir pour favoriser cette solution, ou division : Un Chirurgien qui veut faire une incision sur la peau, ne cherche pas à relâcher l’endroit de la peau qu’il veut couper, il le rend au contraire, le plus tendu qu’il lui est possible.

Les émolliens, comme nous l’avons déjà dit, ne conviennent dans la sortie des dents, que lorsqu’il y a inflammation aux gencives ; inflammation au reste, qui ne survient alors, qu’à cause de la trop grande facilité que les fibres des gencives ont euë d’abord à prester ; facilité qui donne lieu au tiraillement long & douloureux dont j’ai parlé, & par conséquent à la fluxion & à l’inflammation ; ensorte que pour prévenir une telle inflammation, il faut recourir, dès les premiers commencemens, aux frictions de la gencive. Les frictions sont cause que la dent se nourrit plus vîte, parce qu’elles y appellent le suc nourricier, en agitant les petits vaisseaux qui le portent ; elles procurent en même temps, & de la fermeté à la dent, & de la roideur aux fibres de la gencive : ensorte que la dent ne peut être que plus hâtive, en devenant plus capable de se faire jour, & en rencontrant aussi des fibres plus disposées à se rompre au moindre choc ; mais lorsque faute de ces secours, ou nonobstant ces secours même, l’inflammation arrive, il faut nécessairement employer les émolliens ; ils sont alors aussi convenables, que hors de ce cas, ils sont dangereux.

Frotter avec les doigts, les gencives des enfans, quand les dents commencent à leur pousser, n’est pas le seul moyen que l’on puisse employer pour aider ces mêmes dents à sortir ; il en est d’autres qui sont aussi d’un grand secours dans cette occasion ; c’est de passer souvent sur les gencives, le tuyau d’une plume à écrire, le gros bout d’un cure-dent d’or, la tige blanche d’une asperge cuite, la côte d’une grosse feüille de laituë. Je ne dois pas oublier d’avertir ici, qu’une bonne précaution à prendre pour disposer les enfans à pousser leurs dents avec facilité, c’est quand on leur choisit des nourrices, de préférer celles dont le lait est d’une nature plus active, & plus chaude ; & cela pour trois raisons, la premiere, parce qu’un lait de cette qualité se distribuant plus vite, fait croître aussi les dents avec plus de promptitude ; ensorte qu’elles demeurent moins de temps cachées dans les gencives, & les percent plutôt ; la seconde, parce que la nourriture qui vient d’un tel lait, est plus propre à donner de la fermeté à la dent, & par conséquent à la rendre capable d’ouvrir plûtôt la gencive ; la troisiéme, parce qu’à raison de cette même nourriture, dont les gencives se partagent aussi, les fibres de ces mêmes gencives, doivent être moins lâches.

Cette attention est encore plus nécessaire pour ce qui regarde les filles, celles-ci ayant les gencives plus flasques, les dents moins solides, les fibres plus lâches, & en même temps un sang dont les particules nourricieres se distribuent avec plus de lenteur au corps de la dent. Aussi remarque-t-on que les dents poussent d’ordinaire plus promptement aux garçons, qu’aux filles, observation qui confirme bien le principe que nous avons posé.

Ce que je viens de dire de la qualité que doit avoir le lait, pour hâter la sortie trop lente des dents, n’est pas une remarque nouvelle, elle a été faite il y a long-temps, par un ancien Philosophe dans son Histoire des Animaux[58], où il observe que quand le lait des nourrices est d’une qualité chaude, les dents poussent plus vîte aux enfans ; expérience qui est encore une grande confirmation de nôtre principe.

On voit un grand nombre de familles où la plûpart des enfans meurent aux dents. Si dans ces familles on avoit soin d’observer, pour le choix des nourrices, ce que nous venons de recommander, ce malheur seroit moins fréquent.

Après s’être donné tous les soins nécessaires pour choisir un lait tel que je viens de dire, il faut encore prendre garde que la nourrice ne mene une vie trop sédentaire ; car alors son lait pourroit dégénerer, & perdre de l’activité qu’il doit avoir. Pour prévenir ce danger, il est bon que la nourrice fasse un exercice modéré, au lieu de demeurer presque toûjours assise, comme il arrive à la plûpart des nourrices qui sont dans les maisons de qualité. Cet exercice doit principalement consister dans quelque travail qui oblige les bras à se mouvoir, comme de frotter des meubles, de balayer des chambres, &c. Qu’on me pardonne ce détail, il y faut entrer. Un tel exercice fait que le sang va avec plus d’activité aux mammelles, & que le lait qu’il y depose, se cuit mieux : C’est le sentiment du docte Varanda, qui a judicieusement écrit sur la maniere dont il convient de gouverner les nouvelles accouchées, les enfans nouveaux nés & les nourrices[59] : Sentiment que l’expérience confirme, & qu’il seroit à souhaiter que l’on suivît exactement.

Un autre moyen qu’il est à propos de joindre à celui-là, pour donner plus d’action au lait d’une nourrice, lorsque l’enfant est bien malade des dents, c’est la friction générale de tout le corps de la nourrice. Cette friction se doit faire le matin, avec des linges un peu rudes. Il en est du lait dont il s’agit, comme du lait des animaux ; celui d’ânesse, celui de chevre, celui de vache, sont beaucoup plus sains lorsque ces animaux ont été brossés. Leur lait pese moins alors sur l’estomac des malades, & est moins sujet à s’y figer. Le goût même en est différent, & si différent, comme l’observe Vanhelmont, par rapport à l’ânesse, qu’on peut connoître par-là, si l’ânesse a été brossée ou non[60]. Voyez ce que nous avons dit ci-dessus des vertus de la friction, p. 179. & 181 en parlant du teint.

J’ajouterai, pour finir cet article, que les gencives des enfans étant d’une tissure très-lâche, comme sont aussi dans cet âge, toutes les autres parties de leur corps (ce qui leur cause un grand nombre de maladies qui ne guérissent qu’à mesure qu’ils avancent en âge, c’est-à-dire, à mesure que ces parties acquierent plus de fermeté.) Il arrive que les sérosités qui s’insinuent dans les gencives, n’en sont pas chassées assez promptement, & y séjournent par conséquent, plus qu’il ne faut pour faire place aux autres sucs qui abordent ; ce qui oblige les gencives ; spongieuses comme elles sont, à s’abbreuver encore davantage, & après s’être relâchées considérablement ; à contracter, par la sérosité abondante qu’elles reçoivent plus que jamais, une épaisseur qui éloigne de la dent, la superficie extérieure des gencives, & l’empêche par ce moyen, d’être percée aussi-tôt qu’il conviendroit ; ce qui prolonge l’Odaxisme, c’est-à-dire le sentiment de morsure que produit dans la gencive, la dent qui la perce ; car c’est ce que signifie le mot grec Odaxismos, d’où est tiré celui d’Odaxisme.

Il faut donc tenir pour maxime générale, que lorsque les dents ont peine à sortir, il n’est point question de ramollir les gencives, & que le meilleur moyen qu’on puisse employer alors pour favoriser cette sortie, c’est la simple friction. Loin donc d’ici, encore un coup, la cervelle de liévre, le sang de crête de coq, & autres remédes aussi absurdes, que quelques personnes veulent qu’on applique sur les gencives des enfans, pour aider leurs dents à pousser[61].

En voilà suffisamment pour ce qui concerne les dents devancieres, ou dents de lait ; je passe à celles qui leur succedent. Comme il n’en vient plus d’autres après ces secondes, on ne sçauroit trop les ménager. Nous en allons donner les moyens.

Des Dents secondaires.

On commet bien des fautes qui nuisent aux dents secondaires ; ces fautes sont, entre autres.

1o. De s’exposer à souffrir du froid à la tête, soit en se promenant au serain, soit en se frisant & se papillottant en plein air, comme font tant de jeunes personnes ; soit en dormant la tête trop peu garnie, soit en demeurant trop long-temps vis-à-vis quelque porte, ou quelque fenêtre à demi ouverte ; tout cela attire des fluxions sur les dents, & les fait périr.

2o. De ne pas se garnir assez les bras & les jambes ; ces parties ayant un rapport essentiel avec les dents, ensorte, (ce qu’on ne s’imagineroit pas) que de souffrir du froid aux bras & aux jambes, faute de les vêtir assez, n’est pas moins nuisible aux dents, que d’en souffrir à la tête, faute de la tenir assez couverte. Cet avis est, sur-tout, nécessaire aux jeunes personnes du sexe, qui se piquent la plûpart, d’avoir les bras menus & les jambes fines, & qui pour cette raison, se les garnissent le moins qu’elles peuvent ; de quoi elles sont d’autant plus soigneuses, qu’il est ordinaire au sexe d’avoir les jambes un peu grosses.

3o. De ne pas se brosser assez souvent la tête ; négligence qui empêche cette partie, de transpirer suffisamment, & qui laisse aller sur les dents, une humeur superfluë qui ne manque jamais, ou de les carier, ou de les ébranler, ou de les noircir.

4o. De souffrir dans la bouche des choses trop chaudes, soit alimens solides, soit alimens liquides, qui brûlent les racines des dents, comme du caffé trop chaud, de la soupe trop chaude, &c. ou d’y souffrir des choses d’une qualité caustique, qui brûlent encore davantage les racines des dents, telles que sont ces liqueurs ardentes qu’on a coûtume de mettre dans la bouche lorsqu’on a mal aux dents, & dont l’effet est toûjours d’augmenter le mal.

5o. De se nétoyer les dents avec un cure-dent de plume ; rien n’étant plus capable de les déchausser & d’en enlever l’émail, comme nous le verrons dans un moment ; c’est ce qui est cause que l’Auteur des Billets en vers, en envoyant un cure-dent d’or, un cure-dent d’argent, & un bouquet de Bisnague, à une Demoiselle qui avoit de très-belles dents, & qui se les nétoyoit avec une plume, lui écrit ce billet.

Les Dents veulent pour leur bien,
Or, argent, Bisnague ou rien[62].

6o. De boire force caffé ; sur quoi on peut lire les doctes Remarques du sçavant Anglois Wainewright, touchant les choses non-naturelles, lequel après avoir avancé, conformément à l’expérience, que le caffé convient aux personnes grasses, chargées de phlegmes & d’humidités ; mais qu’il est contraire aux gens secs, & qu’en leur desséchant le sang, il produit des palpitations de cœur, des tremblemens de mains, des syncopes, des accès d’asthme & de vapeurs, ajoute qu’un autre de ses mauvais effets, est de rendre les dents noires[63].

Ce que dit du caffé, par rapport aux dents, ce Docteur Anglois, se peut dire aussi du chocolat, dont le grand usage ne les nourrit pas moins.

7o. De manger beaucoup de confitures. Le succre par sa viscosité, s’attache aux dents & les corrode ; car quelque douceur qu’il paroisse avoir, il renferme un sel corrosif fort dangereux aux dents. On remarque même que la plûpart des Confituriers ont les dents gâtées ; ce qui vient de la vapeur qui s’élève de leurs confitures lorsqu’ils les travaillent, laquelle s’introduit dans leur bouche, & affecte leurs dents. Je dis la même chose des pains d’épice qu’on a coûtume de prodiguer aux enfans. Rien n’est plus dommageable aux dents que cette composition, & de cent enfans qui ont les dents mauvaises, il y en a plus de la moitié, qui ne les ont telles que par le pain d’épice, & les succreries qu’on leur prodigue.

8o. De mâcher des choses trop dures ; ou de casser avec les dents, des noyaux, des noix, &c. ce qui écrase les racines des dents, & les détruit.

9o. De mordre à même, dans des pommes d’apis, dans des fruits verds, & autres choses capables, comme celles-là, de couper les gencives ; la seule pomme d’apis morduë à plein, suffit pour cela.

10o. De manger des viandes coriasses, soit grasses ou maigres, qui laissent des filéts entre les dents, comme font la morue, la merluë, à moins qu’elles ne soient bien tendres. Ces filets sont autant de couteaux plians, qui coupent la chair des gencives, & la séparent d’avec les dents.

11o. De manger des ragoûts composés de ciboules, d’ail, & autres assaisonnemens forts & piquans. On remarque que dans le Poitou, dans la Xaintonge, & l’Angoumois, l’usage de l’ail est fort fréquent, les habitans ne conservent pas long-temps leurs dents.

12o. De se faire limer les dents, quelque légere que soit la lime ; ou de les frotter avec des poudres de corail, & d’autres choses propres à en ronger l’émail ; car, dès qu’une partie de cet émail est usée, & que par conséquent l’os qui est dessous, vient à être exposé à l’air, il faut que la dent périsse. Il en est de l’os de la dent comme de tous les autres os du corps ; il ne peut être découvert sans se carier ; il arrive quelquefois que cet os semble découvert, & ne l’est pas ; parce qu’il y resté encore une petite couche d’émail, laquelle étant assez mince pour être transparente, laisse paroître la couleur jaune de l’os, comme si effectivement il étoit nud, quoiqu’il ne le soit pas. Cette petite couche, quelque mince qu’elle soit, suffit pour conserver l’os qui est dessous.

13o. De négliger de se laver la bouche après les repas, sur-tout si on y a mangé de la crême, ou autre laitage, & si on y a mangé des pruneaux, & des succreries. Quant au lait, lorsqu’on en use souvent, il laisse entre les dents, un suc acide qui les mine peu à peu, & les fait carier ; il en est de même des pruneaux & des succreries.

14o. De mettre sur le visage, les drogues que certaines femmes y mettent pour paroître plus belles, & qui les enlaidissent si fort. Il se détache de ces drogues, des particules subtiles qui gagnent jusqu’aux gencives, & aux dents, & les corrompent absolument sans qu’il y ait de ressource. Aussi est-il rare de voir des femmes fardées qui ayent de belles dents. Il y a plus, c’est que la plûpart des femmes fardées ont l’haleine mauvaise. Elles n’en croient rien, parce qu’elles ne se sentent pas elles-mêmes ; & lorsqu’elles voyent leurs semblables exhaler à chaque mot qu’elles disent, une mauvaise haleine, elles regardent ce défaut, comme particulier aux personnes en qui elles l’apperçoivent. Chacune de son côté en fait autant ; & se donne bien de garde d’en accuser jamais le fard.

Il en est de même des mauvaises dents ; mais on trouve moyen de cacher cette difformité par des dents postiches, & quand elle est ainsi cachée, les femmes se persuadent n’en être point atteintes, ou si elles ne peuvent se tromper à ce point, elles mettent toûjours le fard à couvert, il n’est, à les entendre, coupable de rien.

Nous avons dit ci-dessus, page 221. que les cures-dents de plumes déchaussoient les dents, & en enlevoient l’émail, nous n’avons rien avancé en cela d’étonnant : Le tuyau de plume dont on fait des cure-dents, est d’une substance fort dure, ce qui est cause qu’il a beaucoup de ressort, comme on le voit en courbant la pointe du cure-dent ; car elle se redresse avec force, dès qu’on la laisse en liberté, & se redresse comme feroit une lame d’acier battuë ; or ce tuyau taillé en cure-dent, est effectivement comme une lame d’acier bien platte, dont les côtés seroient coupans, & il ratisse par ses deux côtés, l’émail de la dent, & à force d’y passer & repasser à tous les repas, il enlève enfin cet émail.

Qu’on y prenne garde, on verra que les dents ne commencent presque jamais à se carier que par les côtés, c’est-à-dire par les endroits où le cure-dent de plume passe & repasse.

L’or & l’argent ne sont point d’une substance si dure, & quand ils sont formés en cure-dents, ils n’ont point ce coupant qu’on remarque dans les cure-dents de plume. J’en dis autant des Bisnagues dont nous venons de parler page 221. elles n’ont rien de trenchant, & dont le frottement puisse user l’émail des dents ; elles exhalent outre cela, un baume fin & léger qui fait du bien aux gencives & à toute la bouche, comme le remarque Valentini, dans l’Histoire reformée qu’il a donnée des Simples[64].

Le Lentisque est encore très-bon pour faire des cure-dents ; il empêche par une qualité astringente & fortifiante qui lui est commune avec les Bisnagues, la pourriture des gencives, & les raffermit d’une maniere extraordinaire, ce qui a sans doute déterminé Martial à dire qu’en fait de cure-dents, le Lentisque est à préférer, & que ce n’est qu’à son défaut, ou au défaut de quelques branchages semblables, qu’on peut employer la plume[65].

Moyens propres par eux-mêmes à conserver les dents, & à les embellir.

Ce n’est pas assez d’éviter les choses qui peuvent nuire aux dents, & que nous avons détaillées dans l’article ci-dessus ; il faut encore recourir à des moyens propres par eux-mêmes, à les conserver & à les embellir. Ces moyens sont de se rinser les dents tous les matins avec de l’eau gypsée, c’est à-dire où l’on ait fait tremper du plâtre, ou avec de l’eau de limaille de fer, ou avec de l’eau de suye de cheminée. L’eau gypsée, ainsi appellée du mot latin gypsum, qui signifie plâtre, se prépare ainsi.

On prend quatre onces de bon plâtre bien réduit en poudre ; on met ce plâtre dans une livre d’eau, on l’y laisse cinq ou six heures, puis on verse l’eau doucement dans un vaisseau bien propre, pour s’en rinser les dents. On la renouvelle quand elle est finie. Le même plâtre ne peut servir qu’une fois.

L’eau de limaille de fer ne demande pas une plus difficile préparation. On laisse tremper pendant vingt-quatre heures un quarteron de cette limaille dans une livre d’eau, puis on verse, tout de même, l’eau dans un vaisseau à part, & quand elle est finie, on en prépare d’autre qu’on jette sur la même limaille ; car à la différence du plâtre, elle peut servir autant de fois que l’on veut.

L’eau de suye de cheminée se prépare autrement : On prend une once de suye de la plus luisante, & à une cheminée où n’ait été brûlé que du bois neuf, on la partage en plusieurs morceaux, & on l’agite pendant quelques minutes, avec un blanc d’œuf, dans une livre d’eau, puis on laisse reposer le tout une nuit ou environ, après quoi on verse l’eau doucement dans un vaisseau à part, pour s’en rinser la bouche ; la même suye ne sert qu’une fois. Il ne faut point employer ces eaux ensemble, mais s’en tenir à l’une des trois ; & les faire un peu tiédir pour s’en servir. Elles ont une grande vertu pour entretenir la beauté de la bouche.

Un peu d’esprit de sel dulcifié, mêlé dans un verre d’eau commune, est un prompt moyen pour blanchir les dents, lorsqu’on les en frotte avec un linge ; mais aussi-tôt après, il faut les laver avec de l’eau de mauve ou guimauve ; sans quoi elles jaunissent ensuite, & outre cela deviennent cassantes ; mais en les lavant avec l’eau que je dis, qui n’est qu’une légère décoction de racine de mauve, ou guimauve, on prévient cet inconvénient, & on a de très-belles dents. La dose de l’esprit de sel ne doit pas passer deux goûtes. Au reste il n’y faut recourir que très-rarement.

Mâcher quelquefois du mastic, est encore un bon moyen de conserver les dents & de les embellir. On en a un exemple dans les habitans de l’Isle de Chio, d’où le mastic tire son origine, lesquels en mâchent soir & matin, & ont tous de très-belles dents, nonobstant l’air de la mer.

Se laver souvent la tête, dissipe une sérosité qui se jetteroit sur les dents. La production des cheveux, & la transpiration en deviennent plus abondantes, ce qui soulage considérablement les gencives, & fait par conséquent un grand bien aux dents ; mais il faut se faire raser dans un lieu clos, & sitôt qu’on est rasé, avoir soin de se bien couvrir la tête.

Quand les dents branlent, on les affermit avec un gros de racine de bistorte, un gros & demi de roses rouges, un gros de balaustes, de deux scrupules d’alun brûlé, le tout réduit en poudre, & infusé dans un peu de vin blanc, l’espace d’environ cinq ou six heures, on se frotte les gencives avec un linge trempé dans cette infusion, un peu tiéde.

Lorsqu’une dent est creuse, il est faut remplir le vuide avec de la cire toute simple, sans recourir ni aux feüilles de plomb, ni aux feüilles d’argent, comme l’on fait ordinairement ; la seule cire vaut mieux pour défendre le creux de la dent, contre l’entrée de l’air.

La premiere fois que l’on sent de la douleur à une dent, l’on doit compter que cette dent, quelque belle, & bien conditionnée qu’elle puisse être à l’extérieur, ne durera pas long-temps, si l’on ne songe dès le moment à la préserver du danger qui la menace. Ce préservatif est le bain des pieds dans de l’eau chaude ; moyennant cette précaution dont il faut user diverses fois, jusqu’à ce que la douleur soit entierement dissipée, & qu’il faut même réïterer de temps en temps lorsqu’elle est passée, on garantit non seulement la dent malade, mais les autres ; pourvû qu’on ne fasse d’ailleurs aucune des fautes qui peuvent leur nuire, & dont nous avons suffisamment parlé ci-devant.

Il y a des personnes qui ont les dents naturellement noires. L’esprit de sel, de tous les autres moyens que nous avons marqués cy-dessus pour conserver, ou pour rendre les dents blanches, sont alors absolument inutiles. La blancheur dont il s’agit, fait un grand ornement de la bouche, pourvû que ce soit une blancheur de perle, ou de lait. Les chiens ont les dents blanches, & ce n’est pas ainsi qu’on les doit avoir pour les avoir belles. Mais y a-t-il des moyens pour leur procurer ce blanc de lait, ou ce blanc de perle ? Je n’en sçache aucun. Il y en a seulement pour le leur conserver quand elles l’ont, & pour le leur rendre, quand il s’est perdu par quelque mucosité amassée sur les dents ; ces moyens sont ceux que nous avons indiqués ci-dessus.

La noirceur des dents quand elle est naturelle, fait ce qu’on appelle bouche de jais, ou bouche noire, on a beau les laver, les frotter, la bouche est toûjours noire, & c’est de celle-là que parle Martial dans son Epigramme à Zoïle, quand il lui dit. Ayant, comme tu as, les cheveux rouges, la bouche noire, les pieds bots, les yeux de travers, c’est grande merveille si tu vaux quelque chose[66].

En faisant mention des sourcils joints, p. 47. 48. & 49. j’ai rapporté le sentiment des Physionomistes qui prétendent que de tel sourcils sont une marque de méchanceté, & j’ai traité d’erreur ridicule ce sentiment ; je dis ici la même chose, de la pensée de Martial, qui veut faire croire qu’avec des cheveux rouges, une bouche noire, des pieds bots, & des yeux de travers, il n’est pas possible de valoir quelque chose. Les défauts du corps sont au contraire, souvent compensés d’ailleurs, & abondamment. On remarque, par exemple, que les bossus ont la plûpart beaucoup d’esprit. Si l’on veut parcourir les autres difformités du corps, on trouvera que cette compensation n’est pas particulière aux bossus. Du reste, combien tous les jours, voit-on de gens faits à peindre, qui sont stupides, mauvais, & sans aucun mérite ?

Dents remplacées.

Nous ne croyons pas devoir finir cet article des dents, sans dire un mot de ce qui concerne la maniere de les remplacer, quand elles sont mauvaises, qu’elles déparent la bouche, ou qu’elles manquent.

Les dents qui paroissent au-devant de la bouche, & qu’on nomme incisives, ont cela de particulier, qu’à la machoire d’enhaut, elles sont plus longues & plus larges, qu’à celle d’en bas, & que directement sous le nez, elles le sont encore davantage. Sur quoi j’avertis que si l’on n’a pas soin de faire observer cette circonstance, quand on veut remplacer ces sortes de dents, l’artifice peut facilement se découvrir ; or c’est un inconvénient qu’il faut éviter, on ne se fait pas mettre des dents, pour que la chose se reconnoisse : & ce que rapportent quelques Auteurs qui écrivent que dans l’Isle de Java, les hommes & les femmes se sont arracher tout exprès les dents, pour en mettre d’or ou d’argent à la place, paroît une fable assez mal imaginée[67].

L’on parle d’un moyen de remplacer des dents, par des dents naturelles, tout comme l’on remplace une plante par une autre qu’on enleve de terre, & que l’on substitue dans le lieu de la premiere. Mais il n’en est pas ici des dents comme des plantes ; quoique les unes & les autres croissent & végetent de la même maniere, & meritent en cela le nom commun de plantes. On enfouit en terre, une jeune tige fraîchement arrachée. Cette tige, quoique dépoüillée de sa racine, comme il arrive souvent alors, reprend en peu de temps. Mais il n’en va pas ainsi de la dent ; il y faut bien d’autres façons ; & si ces façons ne rendent pas impraticable la transplantation dont il s’agit, elles la rendent, du moins, si difficile, qu’elles ne doivent gueres donner envie à personne d’en faire l’expérience sur soi-même. C’est de quoi on pourra juger par l’exposé suivant.

1o. Pour mettre une dent naturelle en la place d’une autre, qui ne sçauroit être conservée, car ce n’est que dans ce cas, sans doute, qu’on peut proposer l’opération, il faut arracher dès le moment, dans une bouche étrangere, la dent qu’on veut substituer, & la choisir bonne, saine, de la même longueur, de la même grosseur, de la même largeur, & de la même espece, que celle que l’on veut remplacer.

2o. Cette parfaite ressemblance ne se trouve presque jamais que dans les dents incisives.

3o. Il faut que le nerf de la dent, & ce qui peut rester de sa racine, soient bien vifs.

4o. Que la personne dans la bouche de qui l’on prend la dent à transplanter, soit une jeune personne de douze à quinze ans, extrémement saine, & de même sexe que celle sur qui on veut faire la transplantation.

5o. Il faut commencer par arracher la mauvaise dent, & dès l’instant qu’on l’a ôtée, arracher à l’autre personne, la dent saine, puis sans délai, l’insinuer dans la place de la mauvaise.

6o. La dent étant placée, la lier aux dents voisines avec un fil d’or de ducat.

7o. La laisser en cet état, trente jours au moins, & pendant ce temps-là, ne point essayer de s’en servir pour manger. Quelques-uns prétendent que les dents ainsi transplantées, durent très long-temps, & il se trouve même des Opérateurs qui assurent en avoir remises depuis plus de trente ans, lesquelles tiennent encore. Mais si les arbres transplantés ne réüssissent pas tous, que ne doit-on pas craindre ici en mettant une dent, quoique très-saine, dans un lieu d’où l’on vient d’en tirer une mauvaise, qui peut avoir laissé en sa place, un levain capable de détruire tout le principe de vie que peut renfermer celle-là ? Encore si avant que d’inserer la bonne dent, on avoit le temps de bien laver l’endroit où on la veut mettre, pourroit-il y avoir quelque espérance, mais on n’a point ce temps-là : il faut, si l’on veut réüssir, la transplanter dès qu’on a arraché la mauvaise, & ne pas différer d’un moment.

Dans une si constante incertitude du succès, comment pouvoir se résoudre à demeurer des trente jours dans une gêne aussi grande que celle où il faut alors demeurer ? De plus, n’y a-t-il pas de la cruauté à faire arracher ainsi de la bouche d’un jeune homme, ou d’une jeune fille de douze à quinze ans, des dents bien saines, & des plus apparentes ? je dis des plus apparentes ; car, comme nous l’avons remarqué, cette opération ne se peut bien faire que sur les dents incisives, qui sont celles qui paroissent le plus.

Il est temps de passer au dernier article que nous nous sommes proposé dans cette Orthopédie, c’est-à-dire, à ce qui concerne la langue & la voix, par rapport au parler.


De la Langue par rapport au parler.

Selon notre plan, il nous reste, pour terminer cette Orthopédie, à examiner quelques-uns des principaux vices qui concernent l’organe de la langue & de la voix par rapport au parler. Ces vices sont entre autres, le mutisme, l’extinction de voix, une voix de femme dans un homme, & une voix d’homme dans une femme, le bégayement, le bredoüillement, la difficulté de prononcer certaines lettres & certaines syllabes, la parole entrecoupée, ou courte haleine, c’est de quoi nous allons traiter.


Le Mutisme.

De tous les défauts du corps, il n’en est gueres de plus affligeant que celui qui nous empêche d’exprimer nos pensées par la parole, & qui ne nous laisse d’autre ressource pour y suppléer, que la triste nécessité des grimaces. Nous venons tous au monde muets ; mais ce n’est pas de ce mutisme qu’il s’agit ici. Le mutisme proprement dit, & dont je parle, ne respecte pas même l’âge le plus propre à l’articulation des sons, & où l’on aie plus de besoin du secours de la parole. Il peut procéder de différentes causes ; ces causes sont, entre autres, ou une mauvaise conformation de la langue, ou une paralysie de cet organe, ou une grande humidité de cette même partie, ou une blessure, quoique legere, en quelque membre, ou un sang engorgé sous la langue, ou une surdité naturelle. Six causes que nous allons examiner, & ausquelles il en faut ajoûter une septiéme, qui est le filet de la langue ou trop court ou trop gros, dont nous parlerons dans l’article du Bégayement & du Brédoüillement.

1o. Mutisme par une mauvaise conformation de la Langue.

Quand le mutisme vient d’une mauvaise conformation de la langue, il n’y a point de remede. Mais comment découvrir cette mauvaise conformation, lorsqu’elle n’est sensible ni aux yeux ni au toucher, & qu’elle est absolument interne ? car c’est de celle-là que j’entends parler. La chose est impossible. Le parti à prendre là-dessus, c’est d’agir comme si le mal venoit d’une des deux causes que nous allons rapporter, & que nous venons d’alléguer, lesquelles ne sont pas absolument invincibles, & dont les remédes sont d’ailleurs innocens, sçavoir d’une paralysie, ou d’une trop grande humidité de la langue.

2o. Mutisme par paralysie de la Langue.

Si le mutisme procède d’une paralysie de la langue, il peut guérir, pourvû que cette paralysie ne soit pas au dernier dégré ; mais il faut toûjours tenter les secours de la Médecine, quoique sans sçavoir si c’est paralysie ou non, car on ne risque rien en cela. Et en cas que ce soit paralysie, sans être certain non plus, si cette paralysie est au dernier dégré, ou non.

Les remèdes donc il s’agit dans cette occasion, sont 1o. le suc de feüilles de vigne récemment exprimé, & pris en boisson. 2o. D’extrêmes efforts pour parler. Voici là-dessus quelques exemples dont il est important d’avoir connoissance : Le premier est d’un enfant de sept ans, devenu muet par une paralysie de la langue, après une fiévre maligne ; lequel ayant essuyé inutilement tous les remédes de la Médecine, guérit en cinq ou six jours, par le seul suc de feüilles de vigne, dont il but tous les jours deux onces avec un peu de sucre[68].

L’autre exemple est d’un paysan qui ayant extrêmement soif, après avoir soutenu un rude travail, dans un violent jour d’esté, fut boire de l’eau très-froide, & devint muét sur le champ, le froid de cette eau lui ayant causé une paralysie à la langue. Il passa une année entiere dans ce déplorable état, n’espérant plus de guérison. Mais un jour, comme il portoit sur ses épaules un pesant fardeau, une partie de ce fardeau, composé, de plusieurs pieces détachées, lui tomba sur une jambe, & la lui cassa. La douleur que sentit le blessé, lui fit faire à l’instant, un effort extraordinaire pour appeller du secours ; cet effort violent excita une si grande secousse dans les muscles de la langue, qu’ils reprirent leur action, & que le muét recouvra sur le champ, l’usage de la parole[69]. C’est par un effort plus violent, & dans une occasion qui en étoit, sans doute, bien plus digne, que le jeune Atys si célébre dans l’Histoire, lequel étoit muét, mais muét de naissance, ce qui est bien plus à considérer, commença de parler. Il crut voir le moment que le Roy Crœsus son pere, alloit recevoir sur la tête un coup de cimeterre ; l’émotion que lui causa ce terrible spectacle, lui rétablit tout-d’un-coup la langue & le fit s’écrier sur le champ, par un effort aussi extrême que naturel : Arrête, Soldat, ne porte pas la main sur mon pere. Depuis ce moment, il continua toûjours de parler.

L’occasion ne nous permet pas de taire ici une singularité bien digne de remarque, qui est qu’un frere de ce Prince, avoit, à ce qu’assure l’Histoire, commencé à parler dès le berceau. Quoiqu’il en soit de cette singularité, que nous ne rapportons qu’en passant, voici, en fait de mutisme guéri par un effort de langue, un exemple aussi curieux que récent.

M. de Trésarius aujourd’hui vivant, Ecuyer, fils de M. de Casa-Major, Seigneur de Gestas[70], a été Muét jusqu’à l’âge de 23. ans, qu’il a recouvert la parole, ainsi qu’on va voir. Ses parens ayant connu dès son enfance, qu’il avoit l’usage de l’oüie, donnerent tous leurs soins pour lui faire apprendre à lire, & à écrire, afin de le dédommager, autant qu’il leur étoit possible, de la privation de la parole. Le succès répondit à leur attente. Cet enfant parvint, sans beaucoup de peine, à connoître l’usage des lettres. Il apprit même à les former, & peu après on lui enseigna l’Arithmetique : C’étoit lui qui faisoit tous les comptes de la maison ; il resta dans cet état, jusqu’à l’âge de vingt-trois ans, comme nous l’avons remarqué, il fut examiné par plusieurs Médecins & Chirurgiens, & on lui donna quelques coups de ciseaux, poux couper des filéts, qu’on croyoit lui brider la langue, mais cela fut inutile. Il aimoit la chasse passionnément ; ses chiens accoûtumés à ses signes, & à des sons informes, le suivoient, & lui obéïssoient. Mais après qu’il eut recouvert l’usage de la parole, voulant en appeller un qu’il aimoit par dessus les autres, ce chien, bien loin de venir, comme à son ordinaire, caresser son maître, s’enfuit, fut se cacher, & continua ce manege trois ou quatre jours, au bout desquels il revint à son maître. Le 16. Avril 1716. nôtre Chasseur proposa par ces signes, à une personne qui étoit avec lui, d’aller à l’affut du liévre. L’heure de cette chasse approchoit, & ils partirent tous deux ensemble. Quand ils furent sur le lieu, M. de Trésarius plaça la personne dans un poste, & avançant un peu plus loin, en choisit un autre pour soi ; peu de temps après s’être placé, il fit un violent effort pour prononcer quelques paroles ; ce fut le seize du même mois, vers l’entrée de la nuit. A cet effort il sentit tout d’un coup sa langue se délier, & il articula quelques paroles, puis il prit son fusil, courut à la personne dont nous venons de faire mention, & lui parla ; cette personne effrayée de l’entendre parler, crut d’abord que c’étoit un spectre, & tout tremblant s’en retourna avec lui, dans la maison de M. Casa-major Seigneur de Gestas, où étoit toute la famille, laquelle ne fut pas moins transportée de joye que saisie d’étonnement, d’un changement si étrange. M. de Trésarius depuis ce moment a toûjours parlé. Il ne parla pas d’abord aussi facilement qu’il fait aujourd’hui, quelques mots l’embarassoient, & sur-tout la prononciation des I, mais insensiblement il a acquis l’aisance avec l’usage, & à présent que nous sommes en l’année 1741. peu de mots l’arrêtent. Le même jour que sa langue se délia, on lui présenta un Livre, & il sçut lire[71].

3o. Mutisme provenant d’une trop grande humidité de la Langue.

Une trop grande humidité de la langue, sans que la paralysie s’en mêle, peut aussi rendre muét. Quand le mal procéde de cette cause dans les enfans, il guérit quelquefois de lui-même par le desséchement que le progrès de l’âge a coûtume de produire. On en a un exemple bien authentique dans la personne de Maximilien fils de l’Empereur Frédéric III[72]. Ce jeune Prince demeura jusqu’à l’âge de neuf ans, sans pouvoir parler, & au bout de ce terme, qui est le temps, où les humidités de l’enfance commencent à se dissiper, sa langue se débarrassa si fort, qu’il parla sans aucune peine, & qu’il devint même dans la suite très-éloquent. Ainsi lorsqu’on voit des enfans demeurer muéts quelques années, il ne faut point pour cela desesperer de leur guérison ; & sans attendre que la nature agisse d’elle-même, comme elle le fait en certaines rencontres, il est toûjours à propos d’employer les remédes.

Si l’on voit, par exemple, qu’un enfant soit d’une complexion extrêmement phlegmatique & pituiteuse, on ne sçauroit agir que très-prudemment de le purger quelquefois avec un peu de poudre cornachine, & autres remèdes propres à évacuer les sérosités. On peut aussi lui faire boire, de temps, en temps, un peu de vin, pourvû qu’il soit bien trempé ; je dis un peu, car en fait de vin, ce n’est que dans des occasions très-pressantes qu’on en doit donner aux enfans.

Il arrive quelquefois que le mutisme qui vient de la cause précédente, est périodique, en sorte qu’il prend par accès. On lit dans le Recueil des plus importantes Observations de Médecine, faites en Angleterre, en Allemagne, en Dannemarck & autres lieux, lesquelles ont été rassemblées par Théophile Bonet[73] ; qu’un jeune homme, après avoir été muét pendant quelques années, recouvra de lui-même l’usage de la langue, mais de maniere qu’il ne parloit que depuis midi jusqu’à une heure ; après lequel temps il redevenoit comme auparavant.

Il y a des muéts qui ne le sont que pendant deux, trois ou quatre jours, les uns plus, les autres moins, se portant bien d’ailleurs, après quoi ils recouvrent la parole, puis la reperdent pour la recouvrer de nouveau, & la reperdre de même, à intervalles réglés.

[74] Ce genre de mutisme est rare ; celui sur-tout de ce jeune homme qui ne pouvoit parler que depuis midi jusqu’à une heure, est des plus singuliers. Il y a toute apparence cependant, que ce mal ne quittoit ainsi dans le milieu du jour, que parce que c’est le temps où le Soleil dissipe une grande partie des humidités du corps. Mais pourquoi la force du Soleil ne produit-elle pas un semblable effet à l’égard des autres muéts lorsque leur maladie vient tout de même, d’humidités ? C’est une question à laquelle je n’entreprendrai point de répondre, quoique ce ne fût peut-être pas une chose absolument impossible ; mon dessein n’est point ici de soutenir these. Je remarquerai en général, que tout mutisme qui vient d’une surabondance d’humidités, demande des remédes desséchans. Un célébre Médecin de la Ville d’Ulm, rapporte dans un excellent Traité qu’il a donné de la vertu des remédes tirés des poisons[75], qu’un de ses amis voyageant en France, se trouva attaqué d’une maladie qui lui ôta l’usage de la parole ; que comme il ne pouvoit s’exprimer, & qu’il faisoit signe qu’on lui donnât du tabac, on lui en mit aussi-tôt dans les narines, & qu’en même temps il rendit par le nez une grande quantité d’eau, & parla.

4o. Mutisme procédant de piqueure.

Il y a des cas où une legere piqueure est capable d’ôter l’usage de la parole ; on s’enfoncera, par m’égarde, dans le poulce de l’une ou de l’autre main, la pointe d’une épingle, d’une aiguille, ou de quelque autre chose de piquant. Il n’en faut pas davantage en certaines occasions, pour rendre absolument muét. Quelque extraordinaire que le cas paroisse, on en a des exemple.

Un jeune homme en dépeçant de la viande dans un repas, rencontra sous sa main, un os pointu, qui lui fit une petite piqueure au poulce de la main droite. Il sentit dès le moment, un embarras à la langue, & devint muét en même temps, sans s’appercevoir d’aucune autre incommodité. La piqueure étoit semblable à celle qu’auroit pû faire une fine aiguille : Il en sortit deux à trois goutes de sang, & peu après elle se referma. Le malade ne pouvant s’expliquer de vive voix, écrivit qu’il lui sembloit qu’on lui serroit la langue avec un fil. Il la tiroit cependant avec facilité hors de la bouche, & elle paroissoit molle & humide. On lui fit avaler sur le champ, un scrupule d’hiere simple, & le même poids de pilules cochées, ce qui lâcha considérablement le ventre. On lui appliqua ensuite, des cornets aux épaules avec scarifications, & au col une ventouse ; puis on fit une saignée sous la langue, d’où il sortit peu de sang. Ces prompts remèdes réüssirent si bien, que le muét qui étoit Allemand, commença aussi-tôt à prononcer ces deux mots Wel & ja, sans pouvoir articuler aucune autre parole. On réïtéra les mêmes pilules purgatives, qui firent encore une grande évacuation. Puis le malade se frotta la langue avec une composition de trois gros de vieille Thériaque, de deux gros de Mithridat, de demi-once de syrop de Stoechas, & d’autant d’Oxymel Scyllitique, il en prit aussi intérieurement. Cela fait, il se lava la langue avec du jus de sauge récemment exprimé, & mêlé avec un peu de moutarde. Non content de ces secours, on oignit le col, le menton, & la tête du malade, avec des huiles de Costus, de Castor, & de vers de terre, mêlées ensemble. On appliqua sur la piqueure du pouce, quoiqu’elle fût déjà consolidée, un peu de sauge broyée. Enfin on fit souvent laver la bouche du malade, avec de la décoction de sauge & de moutarde, & boire de la bierre où l’on avoit fait infuser de la sauge & du romarin. Ces remédes eurent un succès si heureux, qu’au bout de cinq jours, le muét recouvra la parole, sans qu’il lui restât la moindre difficulté de prononciation[76].

5o. Mutisme provenant d’engorgement de vaisseaux sous la langue.

Quand le Mutisme a pour cause un engorgement de vaisseaux sous la langue, le plus sûr moyen de rétablir la parole, c’est la saignée de la langue. Forestus parle d’un Muét qui le devint sans en avoir eu d’autre annonce qu’une douleur au gosier. Ce sçavant Médecin fut appellé, & ayant tâté l’artere au malade, il trouva le pouls assez bien conditionné. Il examina la langue, dont les vaisseaux lui parurent engorgés. Il ordonna aussi-tôt, qu’on fît venir un Chirurgien pour ouvrir les veines sous la langue, & après cette ordonnance, il se retira. Le Chirurgien étant arrivé, & s’étant fois en devoir de faire la saignée en demeura là, & s’en alla sans l’exécuter, disant qu’il ne trouvoit point de veines sous la langue. Le Médecin qui revint peu après, pour sçavoir ce qui s’étoit passé, fut fort surpris d’entendre dire, que le Chirurgien n’avoit point trouvé de veine sous la langue. Il le mande de nouveau, & lui dit, Monsieur, les veines que vous n’avez pas trouvées sous la langue, ne laissent pas d’y être ; cherchez bien & les ouvrez promptement en ma présence. La chose fut exécutée sur le champ ; & à peine six ou sept goutes de sang furent-elles sorties, qu’à la vûë de tous les assistans, le malade recouvra la parole[77].

Le même Forestus parle de deux autres Muéts devenus tels par l’engorgement des veines linguales, lesquels guérirent, l’un tout-d’un-coup[78] par la saignée de ces veines, & l’autre peu après.

Il s’agit dans ce dernier cas d’une jeune femme de vingt ans, à qui un Apotiquaire avoit fait prendre imprudemment du lait de vache mélé avec des graines de plantain en poudre, pour la guérir d’une dyssenterie qu’elle avoit. La dyssenterie s’arrêta par l’usage de ce remède ; mais il prit à la malade, un saignement de nez qui dura dix jours. Elle fut ensuite subitement attaquée d’un catarrhe au gosier & devint muette sur le champ. Forestus traita la malade, & après avoir tenté divers remèdes, du nombre desquels furent les ventouses, il fit faire la saignée de la langue, & au bout de quelques jours la Muette fut guérie, à l’aide d’un cataplasme résolutif mis autour du gosier.

6o. Mutisme par surdité.

Pour guérir le mutisme provenant de surdité, il faut auparavant guérir la surdité. En effet, comme on ne parle que par imitation, quelle apparence que n’ayant jamais oüi prononcer aucune parole, on en puisse prononcer quelqu’une ? Or la surdité de naissance, (car c’est de celle-là dont nous parlons) est incurable, & par conséquent le mutisme qui en provient, le doit être. Quelques-uns cependant, prétendent qu’on peut faire parler des Muéts qui sont sourds naturellement, lorsqu’ils ont d’ailleurs, les organes de la parole bien conformés ; mais c’est un secrét qui semble n’être que de pure curiosité. On peut bien, par un artifice singulier, faire articuler certaines syllabes à des Muéts & Sourds de naissance ; mais ce ne sera jamais d’une maniere qui puisse les lier de commerce avec les autres hommes. Ammannus dans son Traité du Sourd parlant[79], enseigne l’art de faire parler ces sortes de Sourds ; mais cet art demande tant de peine & de travail de la part des maîtres, qu’il ne paroît presque pas praticable. L’ingénieux Walligius d’Angleterre est inventeur de cet art, & le Médecin Ammannus ci-dessus cité, natif de Flandres & célèbre Praticien d’Amsterdam, l’a mis en pratique après l’avoir considérablement perfectionné. Mais, pour le répéter encore, c’est une invention plus admirable qu’utile ; quelque éloge qu’en fasse d’ailleurs, le docte Zuinger, Médecin de l’Université de Bâles, lequel avance que cet illustre Flamand, en se servant de la méthode dont il s’agit, a fait parler commodément plusieurs Sourds de naissance[80]. Ce mot de commodément me rappelle la leçon suivante de l’un de nos plus judicieux Critiques.

Jamais à vos Lecteurs n’offrez rien d’incroyable,
Le vray peut quelquefois n’être pas vraysemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas,
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas[81].

Mais à ce mot de commodément près, il ne faut pas regarder comme absurde en tout, ce que vient d’avancer le docte Zuinger. Un témoin-digne de foy, s’il en fut jamais, (c’est l’illustre M. Winslow, Docteur célébre de la Faculté de Médecine de Paris) m’a assuré avoir vû à Arlem, la fille d’un riche Marchand, sourde de naissance, laquelle instruite par le même M. Ammannus, Médecin d’Amsterdam, répondoit à la plûpart des questions qu’on lui faisoit, pourvû qu’elle vît le mouvement des lèvres de ceux qui lui parloient. M. Winslow m’a de plus assuré s’être entretenu avec cette fille, & m’a ajoûté que comme un jour il l’interrogeoit sans avoir le visage tourné vers elle, elle ne répondit rien, parce qu’elle n’avoit pû examiner le mouvement qu’il faisoit de ses lévres.

On voit par-là que cet art de faire parler des Sourds de naissance, ne sçauroit être de grand usage dans la société ; & que le mot de commodément dont s’est servi M. Zuinger, est un peu trop fort.


AUTRES ARTICLES
Touchant diverses difformités concernant le parler.

Après avoir traité du Mutisme, l’ordre demande que nous venions à présent, comme nous nous le sommes proposé ci-devant pag. 238. à ce qui concerne 1o. l’extinction de voix, 2o. la parole de femme dans un homme, & la parole d’homme dans une femme, 3o. le bégayement, le bredouillement, la difficulté de prononcer certaines lettres & certaines syllabes ; 4o. la parole entrecoupée, ou courte haleine.


1o. Extinction de voix.

Il ne faut pas confondre l’extinction de voix, avec le mutisme dont nous venons de faire mention. Dans le mutisme, on ne peut parler, & dans l’extinction de voix on ne le peut faire qu’à voix basse, ce qui est une difformité bien différente. La cause de ce mal assez fréquent parmi les jeunes personnes, & qui, quand il est négligé, dure quelquefois toute la vie, consiste dans un humeur âcre, visqueuse & tenace, qui se collant contre l’organe, de la voix & aux environs, empêche par cette interposition, les libres vibrations & ondulations de l’air, dans lesquelles git toute la mécanique du son.

Ce qui arrive à une flutte ou à un sifflet, qui, lorsque leur embouchure est enduite de quelque mucosité, ne forment plus qu’un bruit sourd, est une image de ce qui se passe en nous, lorsqu’il nous survient une extinction de voix.

Cette cause immédiate suppose plusieurs causes éloignées, dont une foule suffit quelquefois pour lui donner lieu ; telles sont 1o. la respiration d’un air, ou trop froid, ou trop rempli de poussiere, ou trop mêlé de fumées de lampes & de chandelles ; 2o. des alimens trop visqueux, trop âcres, & trop salés, comme poissons salés, fromages salés, & autres semblables ; 3o. de grands efforts de voix dans un lieu trop exposé à l’air ; 4o. une grande frayeur.

A l’égard de ce dernier point, on lit dans les Observations Médicinales de Paul Spindler, qu’une Dame de qualité s’étant trouvée dans une Forteresse surprise de nuit par les Ennemis, fut saisie d’une telle frayeur, qu’elle en perdit la voix, sans avoir jamais pû la recouvrer[82]. Mais ce fait n’a rien de surprenant. On dit ordinairement d’une personne enroüée, qu’elle a vû le loup, pour dire qu’elle a eu quelque grande peur ; & nombre d’exemples confirment tous les jours l’extrême pouvoir de la frayeur pour étouffer la voix.

La cause immédiate du mal dont il s’agit, étant, comme nous venons de le remarquer, une humeur acre, visqueuse & tenace, collée contre l’organe de la voix, il est facile de juger que ce qu’on doit avoir en vûë pour guérir un tel mal, c’est de recourir à des remédes qui puissent adoucir cette humeur, & outre cela, la rendre coulante, de visqueuse & tenace qu’elle est. Or c’est à quoi sont propres les remédes suivans.

1o. Brûler du sarment, & en mettre la cendre dans un linge autour du col. Ce qui se doit continuer plusieurs jours & plusieurs nuits de suite.

2o. Prendre une petite poignée de graines de citroüille, pelées & séchées ; autant de graines de concombre, préparées de même ; quatre gros de terre sigillée ; deux onces de racine de mauve fraîchement tirées de terre, puis séchées au four, & quatre onces de sucre candi rouge, réduire le tout en poudre, & en mettre de temps en temps quelques pincées dans la bouche.

3o. Composer de petites pastilles comme s’ensuit, & en faire fondre quelques-unes sur la langue.

Mucilage de gomme Adragant, préparé avec l’eau rose, deux onces. Bol-armen, six gros. Racine de grande consoude en poudre, quatre gros. Sucre candi rouge, une quantité suffisante.

Le sucre candi rouge qui entre dans ces deux composés, étant fait, comme il l’est toûjours, avec la moscouade rouge, est beaucoup meilleur pour la poitrine, quoiqu’en disent quelques Pharmaciens, que le sucre candi blanc, celui-ci étant fait avec le sucre blanc rafiné.

4o. Boire souvent de la ptisanne faite avec l’orge & la reglisse, sans chien-dent ; & tous les matins un petit boüillon au veau où l’on ait fait dissoudre un gros de blanc de baleine.

5o. Se gargariser tous les jours, deux ou trois fois les matins, avec du syrop de meures, battu dans un verre d’eau tiede, ou bien avec du syrop d’érysimum, battu de même. La dose de l’un & de l’autre, est d’une cuiller à caffè.

6o. Ne jamais souffrir de froid, sur-tout à la tête & à la poitrine.

7o. Se baigner souvent les pieds dans de l’eau médiocrement chaude.


2o. Voix de femme à un homme, voix d’homme à une femme.

Il y a des femmes qui ont une parole d’homme, & des hommes qui ont une parole de femme ; comme il y a des femmes barbuës, & des hommes sans barbe[83]. Ce sont de grandes difformités que celles-là ; mais la moindre n’est pas qu’un homme ait la parole d’une femme, & une femme celle d’un homme. Il est sur-tout très-mortifiant pour une jeune fille, de parler d’une voix d’homme, & on en voit un grand nombre qui ont ce sujet de mortification.

L’organe de la voix dans les femmes, est d’un diametre beaucoup moindre que dans les hommes, ce qui fait qu’elles l’ont plus claire & plus déliée ; car il en est de cet organe comme d’un tuyau d’orgue, plus le diametre en est petit ou ample, & plus le son qui en échappe, est mince ou gros.

La grosse voix vient donc de l’ampleur du larynx, qui est l’organe de la voix, & la petite, du peu de capacité de cet organe. Il résulte delà, que, pour corriger la voix d’une femme qui l’a trop grosse, & celle d’un homme qui l’a trop grêle, il faut chercher des moyens qui puissent contribuer à diminuer ou à augmenter, selon les cas, le calibre de cet organe. Les moyens qui peuvent contribuer à le diminuer, sont les suivans.

1o. Porter toutes les nuits autour du col, un sachet de toile, rempli de morceaux de liege, qui ayent trempé deux ou trois jours dans de l’eau ferrée.

2o. Ne boire jamais chaud, mais le plus frais qu’il se peut, sans glace néanmoins.

3o. Boire souvent de la limonade, ou de l’eau de verjus, ou de l’eau de groseille, mais à petite gorgée, & lentement.

4o. Se gargariser tous les matins, avec de l’eau & du verjus, moitié d’un & d’autre.

5o. Mettre dans ses boüillons force pourpier, & en manger aussi beaucoup en salade.

6o. S’interdire absolument le caffé & le chocolat, le vin pur quel qu’il soit, & tous les vins de liqueur.

7o. Eviter les grandes courses à pied.

8o. Fuir toute colere & tout emportement.

9o. Ne jamais écouter chanter aucune personne qui ait la voix extrêmement grosse.

Voilà pour ce qui concerne les jeunes personnes du sexe qui ont une voix d’homme.

Quant aux jeunes hommes qui ont une voix de femme, voici ce qu’il est à propos qu’ils observent.

1o. s’exercer souvent à chanter la basse. Il faut un grand creux de voix pour la basse, & à force de s’accoûtumer à cette partie, on peut réüssir à grossir sa voix pour toûjours.

2o. Prononcer souvent, sur-tout les matins dès qu’on est levé, les deux syslabes A & O, mais les prononcer le plus qu’il se peut, du fond de la gorge.

3o. Mettre sa bouche à l’entrée d’un tonneau, ouvert par en haut, & le faire retentir de sa voix, en la grossissant le plus qu’il est possible.

4o. Suspendre avec une ficelle à un doigt de la main, soit de la droite, soit de la gauche, une médiocre pincette à feu ; mettre le bout de ce doigt contre le trou de l’oreille du même côté, & l’y appuyer fortement, en sorte que l’oreille soit bien bouchée ; puis heurter contre un coffre ou autre chose de semblable, les deux extrémités de la pincette ainsi suspenduë, & ajuster sa voix au gros bruit que la pincette portera alors à l’oreille.

Ce dernier moyen n’est pas un des moins efficaces ; mais il demande, aussi-bien que les autres, qui viennent d’être proposés, une grane persévérance, & une grande jeunesse.


3o. Bégayement, Bredoüillement, difficulté de prononcer certaines syllabes.

Ces vices de Langue peuvent avoir, comme le Mutisme, différentes causes ; ces causes sont entre autres, 1o. une langue mal conformée naturellement, telle, par exemple, qu’une langue trop courte, ou trop longue, une langue trop massive, une langue trop grêle ; 2o. le filet de la langue trop court ou trop gros ; 3o. une trop abondante humidité de la langue ; 4o. une mauvaise habitude, comme une trop grande précipitation à parler.

La premiere cause ne se peut corriger ; & quand un enfant a ainsi la langue mal conformée naturellement, il est inutile de lui faire des remédes. S’il bredoüille, il bredoüillera toûjours ; s’il bégaye, il bégayera toûjours ; & s’il a de la peine prononcer certaines syllabes, il en aura toûjours.

La seconde cause qui est le filet de la langue trop court ou trop gros, n’est pas incurable.

La troisiéme, qui consiste en une trop grande abondance d’humidités qui abbreuvent la langue, ne l’est pas non plus.

La quatriéme, qui procéde d’une trop grande précipitation à parler, est plus difficile à corriger.

Quand le vice de prononciation vient de ce que le filet de la langue est trop court, ou trop gros, le reméde qu’on y doit apporter, est facile. Mais il faut auparavant, bien examiner si le filet a ce défaut ; & pour s’en éclaircir, il faut voir si l’enfant ne peut avancer la langue hors de la bouche. S’il ne le peut, il n’y a pas à douter que le filet, ou par sa briéveté, ou par sa grosseur, ne soit la cause du mal. En ce cas on ne doit pas hésiter à le couper.

On voit souvent des enfans qui bégayent, parce que leur langue, à cause du filet ou trop court ou trop gros, ne peut se mouvoir avec aisance. Les parens doivent alors le faire couper par quelque personne entenduë. Je dis entenduë, car il faut éviter en le coupant, de piquer les Ramules qui sont deux petites veines sous la langue, & pour cela il est mieux de recourir à un bon Chirurgien. On a cependant peu de chose à craindre quand une de ces veines est ouverte, & qu’on s’en apperçoit ; parce qu’il est aisé d’arrêter le sang en tenant le doigt sur l’ouverture pendant quelque temps ; mais si on n’y rémédioit pas, & sur-tout que le filet eût été coupé à un enfant encore à la mammelle, comme il est nécessaire de le couper lorsque l’enfant, faute d’avoir le filet assez long ou assez délié, ne sçauroit tetter, le mal peut devenir considérable ; & en voici un triste exemple rapporté par le célébre M. Dionis, dans son Cours d’Opération de Chirurgie.

« Un fameux Chirurgien de Paris, coupa le filet à un enfant qui avoit été attendu avec impatience, & reçu avec une extrême joye, comme un riche héritier. Mais cette consolation ne dura gueres ; l’enfant n’ayant pas long-temps joüi de la lumière, parce que le Chirurgien qui ne croyoit pas avoir ouvert une de ces Ramules, en lui coupant le filet, ce qu’il avoit pourtant fait, s’en alla aussi-tôt qu’il eut vû tetter l’enfant avec facilité ; & la Nourrice ayant remis cet enfant dans son berceau, après qu’elle l’eut suffisamment allaité, il continua de mouvoir les lévres, comme s’il avoit tetté encore. A quoi l’on ne fit pas d’attention, vû qu’il y a quantité d’enfans qui font ce mouvement par habitude en dormant. C’étoit néanmoins le sang qui sortoit de la veine, & qu’il avaloit à mesure qu’il le sentoit dans la bouche ; la sortie de ce sang étant encore excitée par le succement que fit l’enfant jusqu’à ce qu’il n’y eût plus de sang dans les vaisseaux, & on ne s’en apperçut que par la pâleur & la foiblesse de l’enfant, qui peu de temps après mourut.

» On l’ouvrit, & on trouva qu’il avoit avalé tout son sang, dont son estomac étoit rempli. »

Voilà une observation bien digne de remarque, & qui doit rendre les parens extrêmement attentifs quand ils font couper le filet à leurs enfans. Ce filet ou trop court ou trop gros, peut aussi être la cause du mutisme, & quand un enfant à l’âge de deux ans, ne donne aucun signe de pouvoir parler, il ne faut pas manquer d’examiner le filet, & d’en venir à l’opération si l’on voit qu’il gêne la langue, mais d’y venir avec les précautions nécessaires par rapport aux Ramules.

Une trop grande humidité de la langue & des organes d’où celui-ci dépend, peut produire, (le Mutisme à part), les mêmes effets qu’une langue naturellement trop courte, ou trop grosse ; ou que le filet trop court ou trop gros, & causer le bredouillement, le bégayement, la difficulté de prononcer certaines lettres & certaines syllabes, comme, entre autres, par rapport à ce dernier, de grasséïer, ainsi que l’on fait en prononçant, par exemple, Ze au lieu de Je ; Caze au lieu de Cage ; Pizon au lieu de Pigeon ; Zupiter au lieu de Jupiter ; Gos au lieu de Gros, Gand au lieu de Grand ; Sat au lieu de Chat ; Boüyon au lieu de Boüillon, Grenouye au lieu de Grenoüille, Citrouye au lieu de Citrouille, Andouye au lieu d’Andouille, Papiyon, Paviyon, Vermiyon, Aiguyon, Batayon, au lieu de Papillon, Pavillon, Vermillon, Aiguillon, Bataillon.

Un Musicien qui avoit de grands talens, fut introduit auprès de Louis XIV. Ce Prince le fit chanter, & en parut d’abord très-satisfait. Le Musicien encouragé, entonna aussi-tôt avec emphase, les mots suivans. Zupiter armé de tonnerre, &c. Mais ce grasseïement gâta tout, & le Roy ne voulut plus entendre parler du Musicien.

Il y a une autre difficulté de prononcer certaines lettres, laquelle vient d’une cause approchante de celle qui sert le grasseïement. Elle consiste à substituer des L à la place des R, comme de dire Tliangle, Tlicher, Flapper, Flizer, Flizon, &c. pour Triangle, Tricher, Frapper, Frizer, Frizon, &c.

On voit des personnes qui ne peuvent prononcer ni les R, ni les L, le fameux Botaniste, Gaspard Bauhin, étoit de ce nombre[84].

Ceux qui parlent gras, peuvent rectifier leur prononciation, par le moyen de petits cailloux mis dans la bouche, en s’efforçant en même tems, de bien prononcer.

Ceux qui bégayent, peuvent se servir du même moyen. Demosthene qui bégayoit, vint à bout par-là, de se corriger[85], & on a vû des Acteurs qui ayant ce défaut, s’en sont défait par le même expédient[86].

Le bégayement consiste à prononcer plusieurs fois de suite, au lieu d’une, la même syllabe, soit au commencement, soit au milieu des mots ; à dire, par exemple, Mon-Mon-Mon, Monsieur ; Mada-da, da, da, dame. Il y a des Bégues qui sont obligés de répéter dix à douze fois un même mot, avant que de passer à un autre, & puis en prononcent quelques-uns tout de suite, & sans hésiter : Pour dire, par exemple, je dois partir demain pour la campagne, ils diront, je, je, je, dois, dois, dois, dois, dois partir demain pour la campagne ; & ils parleront ainsi en faisant plusieurs grimaces, ou contorsions de bouche ; car c’est l’ordinaire du bégayement, de ne point aller sans grimaces.

Dans le bredoüillement on entasse plusieurs syllabes ensemble, sans leur donner le temps de s’arranger chacune à leur place ; Ces deux vices de prononciation, viennent quelquefois d’une trop grande précipitation de l’esprit, & quelquefois aussi d’un embarras dans l’organe de la langue. Mais de quelque cause qu’ils viennent, à moins que la langue ne soit mal conformée naturellement, on les peut vaincre, en gagnant sur soi de prononcer doucement chaque syllabe, comme si l’on comptoit les heures d’une horloge qui sonneroit lentement. A force de recommencer la tentative, on acquiert la facilité de prononcer comme il faut, toutes sortes de mots ; ce qui est si vrai que la plûpart des personnes qui bégayent ou qui bredoüillent dans la conversation, cessent de le faire dans les occasions où ils sont obligés de s’écouter parler. Feu M. de Bellestre célébre Médecin de la Faculté de Paris, mort depuis peu d’années, bégayoit dans le discours familier, parce qu’il se pressoit trop de dire ce qu’il vouloit ; mais quand il parloit en public, ce qu’il faisoit quelquefois, alors comme il considéroit plus attentivement ce qu’il prononçoit, il ne bégayoit plus.

Voici un détail de plusieurs vices de prononciation, assez familiers à quelques enfans. On en voit qui ne sçauroient prononcer les x ; comme dans ces mots, sexe, fixe, ixe, mais qui disent sesque, fisque, isque : les étoiles fisques, le sesque féminin, la lettre isque, &c.

Le moyen de corriger dans un enfant ce défaut, qui, passé un certain âge, ne peut plus se corriger, c’est de s’y prendre en la manière que nous allons dire. Vous voyez un enfant qui prononce ces mots, sexe, ixe, fixe, comme s’il y avoit sesque, isque, fisque, donnez-lui à prononcer ceux-ci : Il est bien sec ce bois, il brûlera bien ; le mot Hic est un mot latin qui se dit quelquefois en françois, comme c’est là le Hic. L’enfant ne prononcera pas, il est bien sesque ce bois, mais de lui-même, & sans qu’on le lui dise, il prononcera, il est bien sec ce bois. Il prononcera tout de même, le mot Hic se dit quelquefois en françois, & non le mot Hisque se dit. Faites-lui recommencer souvent la prononciation de ces mots ; puis, quand il aura pris l’habitude de prononcer, il est bien sec ce bois. Hic se dit quelquefois en françois, donnez-lui à lire le mot sexe écrit ainsi, sec ce, le sec ce féminin, le sec ce masculin. Donnez-lui tout de même à lire la lettre X, écrite ainsi ic ce. Il y a dans l’Alphabet une lettre qui se nomme ic ce, il y a des jours fic ces pour certaines Fêtes, vous verrez l’enfant perdre absolument sa vicieuse prononciation, & prononcer sexe, comme si l’on écrivoit sec ce, prononcer la lettre x, comme si l’on écrivoit la lettre ic ce, & prononcer tout de même, fixe, comme si l’on écrivoit fic ce.

Une autre prononciation mauvaise assez ordinaire encore à quelques enfans, c’est 1o. celle du T, pour le C, & pour le D, comme tapabe pour capable, tabane pour cabane, tabinet pour cabinet, temander pour demander, timanche pour dimanche, Tieu au lieu de Dieu. 2o. Celle du P, au lieu du B, comme cela est pon, au lieu de cela est bon ; cela est pien, au lieu de cela est bien ; 3o. celle du C, au lieu du G devant la lettre A, comme cateau, pour gateau, cager, pour gager, cageure, pour gageure, cambade, pour gambade.

J’ai vû autrefois étant au College, un de mes camarades, à qui l’on avoit tellement laissé prendre l’habitude de prononcer l’F pour l’V, & de prononcer le P pour le B, quoiqu’il ne fût point étranger, qu’il disoit toûjours, je fois pour je vois, je fas, pour je vas, je fiens, pour je viens, ponté pour bonté, pattre pour battre, il disoit même che pour {{|sc}je}, comme che crois, pour je crois.

De quelques causes que puissent venir tous les vices de prononciation ci-dessus, pourvû qu’ils ne procèdent pas d’une mauvaise conformation de la langue, il n’y a rien de mieux, pour les corriger dans un enfant, que de se donner la peine de prononcer en sa présence, avec une extrême lenteur, les mots qu’il prononce mal, & d’employer à cela, des mois entiers s’il en est besoin. Mais il faut, à mesure que vous les prononcez devant lui, les lui faire prononcer après vous, afin qu’il vous imite.

Si vous voyez qu’il n’ait pas la langue assez libre, donnez-lui à prononcer des mots difficiles, fabriquez-en même, s’il le faut, & l’aidez à les articuler. Faites-lui de cela un divertissement, & y attachez quelque récompense.

Quand il sera avec d’autres enfans de son âge, proposez-leur ces mots difficiles, & que celui qui, en les prononçant, manquera en quelque chose, donne des gages, & subisse une pénitence pour les r’avoir. Vous viendrez bien-tôt à bout par-là, de délier la langue de votre enfant, parce que cet exercice le divertira. Le mot de vicissitude est un très-bon mot à faire prononcer vingt & trente fois de suite à un enfant : Il dira d’abord vissitude, parce qu’il se pressera trop ; mais faites-lui dire ce mot posément plusieurs fois de suite, il le prononcera à la fin, sans difficulté & couramment.

C’est un jeu familier parmi les enfans, de s’essayer, à l’envi les uns des autres, à prononcer distinctement ces bizarres mots : Quatre cocques d’œufs, contre quatre cocques d’œufs ; profitez de l’occasion. Faites prononcer plusieurs fois à l’enfant, ces mêmes mots, & autres semblables, difficiles à articuler. Prononcez-les avec lui, & faites semblant quelquefois de broncher ; il vous reprendra alors, & se piquant de mieux prononcer que vous, il fera ses efforts pour vous montrer qu’il prononce mieux. C’en sera assez, pour lui dégager la langue.

Il faut sçavoir ici se rendre enfant avec les enfans, & se souvenir qu’en bien des occasions, c’est l’être plus qu’eux, que d’avoir honte de descendre jusqu’à eux.

Au reste nous remarquerons que comme d’ordinaire, les enfans se pressent de parler avant que d’avoir une idée bien claire de ce qu’ils veulent dire, il arrive souvent que faute de cette idée claire, ils ont de la peine à trouver leurs mots, & que cette peine paroît sur leur visage ; ce qui est une difformité. Ainsi, on ne sçauroit, de quelque côté que l’on considere la chose, instruire trop-tôt les jeunes gens à penser ayant que de parler. Dès qu’ils en auront pris l’habitude, ils s’exprimeront facilement, & sans grimaces ; car c’est une maxime incontestable que celle-ci, prononcée par un grand Maître.

» Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
» Et les mots pour le dire arrivent aisément[87].


4o. Parole entrecoupée ou courte haleine.

La parole entrecoupée, ou courte haleine, dont nous nous sommes ci-dessus[88] engagé de parler, est une difformité qui fait presque autant souffrir ceux qui n’en sont que témoins, que ceux qui en sont attaqués. Il est des personnes qui ne peuvent vous dire quatre paroles sans les entrecouper, pour reprendre leur souffle. Vous partagez leur peine en les voyant, & il vous semble que vous contractiez leur propre mal. Cette triste difformité, lorsqu’elle ne vient pas ou d’une mauvaise conformation soit de la poitrine, soit des poumons, ou d’accidens, ou comme il n’arrive que trop de fois, de ce qu’on aura été emmaillotté trop serré, ou qu’on aura porté, soit des corsets, soit des corps piqués trop étroits[89], procede assez souvent de la mauvaise maniere dont quelques nourrices couvrent le berceau des enfans lorsqu’ils y sont couchés. Elles étendent sur ce berceau, une grande couverture qu’elles ont soin de faite joindre exactement & à droite & à gauche, & vers les pieds & vers la tête ; en sorte que cette couverture ne laissant aucun jour, l’air que l’enfant respire à chaque moment, n’est renouvellé par aucun autre, & que le même qui sort de sa poitrine par l’expiration, y rentre aussi-tôt au moment de l’inspiration. Cet air, dès qu’il est sorti, est un air excrementeux, qui a besoin d’être purifié par le mélange d’un autre air ; & à force de rentrer ainsi tant de fois tout impur dans la poitrine de l’enfant, sans qu’aucun air nouveau s’y mêle, il devient encore plus excrementeux, & par ce moyen, surcharge tellement les poumons, que l’enfant, au lieu de respirer avec aisance, ne fait plus que haleter ; ce qui à la fin, se tourne en courte haleine, & devient une difformité pour toute sa vie, qui ne sçauroit alors être bien longue.

Les grandes personnes même doivent éviter de dormir dans des lits dont les rideaux soient extrêmement joints, ni d’être long-temps dans les cabinets trop étroits & trop clos, sans quoi leur poitrine s’affoiblit. Que ne doit-on pas craindre, à plus forte raison, pour des enfans, que l’on réduit, faute de renouveller l’air de leur berceau, à respirer leur propre haleine ?

Une autre cause de la courte haleine de quelques enfans, est l’imprudence de certaines meres & de certaines gouvernantes qui, quand ils sont un peu grands, leur font réciter avec précipitation divers discours, que fort mal à propos, elles les obligent d’apprendre par cœur. Elles croyent faire des merveilles, par exemple, de leur donner pour devoir, à réciter une foule de fables & d’histoires : Si l’enfant hésite le moins du monde, en les disant, on le reprend aussi-tôt, & sans lui donner le temps de respirer, on lui suggere le mot qu’on croit qu’il oublie ; l’enfant alors se presse, & cette précipitation, à force de recommencer tous les jours, lui cause une courte haleine.

Récitez-nous, dit-on à un enfant, la fable du Corbeau & du Renard : L’enfant la récite ; & quand il l’a finie, on lui demande celle de la Fourmi & de la Cigale ; il ne l’a pas plûtôt expédiée, qu’on exige encore de lui, celle de la Grenouille qui veut se rendre aussi grosse que le Bœuf ; puis, celle du Loup & de l’Agneau. On ne lui laisse point de repos, qu’il n’en ait ainsi débité de suite un grand nombre ; & chaque jour, on lui en fait tant dire & redire, que ses poumons n’y peuvent plus tenir. Vient-il compagnie dans le logis ? on appelle l’enfant, & il faut que cette compagnie aux dépens du pauvre enfant, soit régalée au moins ; (mais quel régal) de cinq ou six fables ; & encore ces fables, les lui fait-on prononcer avec un geste & un ton capables de détruire toutes les dispositions naturelles qu’il pourroit avoir à s’énoncer comme il convient. Il ne faut jamais contraindre les enfans à rien apprendre & à rien réciter par cœur. Racontez-leur vous-même les choses que vous trouvez à propos qu’ils sçachent ; mais les leur racontez comme par maniere d’acquit, & sans leur faire une obligation de vous écouter ; ou plûtôt racontez les en leur présence à quelque personne qui soit là-dessus d’intelligence avec vous. Ils vous écouteront alors avec plus d’attention, que si vous leur addressiez la parole ; & sans qu’ils y songent, leur mémoire se remplira de ce que vous direz ; en sorte que d’eux-mêmes, ils vous le raconteront, mais le raconteront d’un air aisé & naturel, qui ne mettra à aucune épreuve leur poitrine.

Une autre imprudence dont on accompagne souvent celle d’obliger ainsi les enfans à apprendre par cœur, & à réciter coup sur coup un si grand nombre de fables & d’histoires, c’est de charger tout de même leur mémoire d’un nombre excessif de prieres, qu’on leur fait pareillement accumuler sans relache les unes sur les autres. En voici un exemple récent qui s’offre trop à propos, pour que je doive le passer sous silence.

Une jeune Demoiselle qui paroissoit être de condition, & qui avoit sa Gouvernante à côté d’elle, assistoit il y a quelques semaines à la Messe dans une Eglise, où je me trouvai par hazard auprès d’elle. L’enfant les yeux baissés qu’elle levoit de loin à loin, pour voir si la Gouvernante la regardoit, ne cessoit de réciter par cœur & à voix basse, mais bien articulée, prieres sur prieres. L’une n’étoit pas plûtôt finie qu’elle en recommençoit une autre, puis une autre, & toûjours ainsi, sans fermer la bouche un moment. La Gouvernante qui n’en faisoit pas de même, & qui avoit la sienne bien close, regardoit d’un air d’approbation sa pupille qui s’époumonoit. Celle-ci encouragée par cette approbation redoubloit de plus en plus ses oraisons & se tuoit. Une Dame de qualité, qui, par le même hazard que moi étoit présente à ce spectacle, & qui en ressentoit beaucoup de peine, donna quelques petites touches de son éventail sur la bouche de l’enfant pour l’avertir de la fermer ; mais la petite enfant continuant toûjours, je ne pus m’abstenir de dire à la Gouvernante, qu’une telle dévotion n’alloit pas moins qu’à rendre l’enfant pulmonique, & à lui causer une courte haleine ; qu’encore étoit-ce le moindre mal qu’on en dût appréhender ; mais ni les petits coups d’éventail donnés par la Dame, ni mes paroles ne servirent de rien. L’enfant très-jolie d’ailleurs & très-aimable de sa personne, avoit le visage extrêmement pâle & bouffi, ce qui m’obligea d’ajoûter à la Gouvernante, que cette pâleur & cette bouffissure pouvoient bien être un effet de la dévotion singuliere dont je venois de voir un échantillon ; mais ce discours ne servit pas plus que le précédent. Et la Messe finie, je laissai là & la Pupille & la Gouvernante, de qui ni la Dame ni moi, ne pûmes tirer aucune parole.

Ce que sur la fin du troisiéme Livre[90], nous avons dit du tort que peut faire à la respiration des enfans, la vîtesse avec laquelle on les fait quelquefois marcher, a beaucoup de rapport à ce que nous disons ici de ce qu’on doit craindre de la précipitation avec laquelle on leur fait réciter un nombre excessif de fables, d’histoires & de prieres, dont on accable quelquefois leur mémoire ; car la vîtesse à marcher, quand elle revient souvent, n’est pas moins contraire à leur poitrine, que la précipitation continuelle des récits dont il s’agit. Virgile parlant du fils d’Enée, dit que cet enfant qu’Enée (fuyant de Troyes, & portant Anchise sur ses épaules) menoit par la main, suivoit son père à pas inégaux. Cette réflexion de Virgile[91], s’accorde parfaitement avec ce que nous avons observé plus haut, sur la maniere de marcher des enfans[92], sçavoir, que le compas de leurs jambes étant plus court, ils sont obligés de se forcer, quand il s’agit de suivre ceux qui, les menant par la main, ne veulent pas marcher à pas d’enfans ; en sorte que cet effort met souvent leur respiration à bout, & produit à la fin en eux, la difformité affligeante dont nous parlons, sçavoir la parole entrecoupée ou courte haleine.

Virgile qui observe si exactement en tout les bienséances, se seroit bien gardé de représenter Ascanius[93] suivant à pas inégaux son père Enée, si c’eût été dans une occasion, où le pere eût eu la liberté de se proportionner aux pas de son fils. Mais que dire de la célérité outrée avec laquelle tant de meres & de gouvernantes, sans y être contraintes par aucune nécessité, font marcher les enfans qu’elles conduisent par la main ? Ne s’imagineroit-ton pas qu’elles ont à les sauver de quelque grand péril, & qu’elles se trouvent dans un cas pareil à celui où Virgile, (soit par fiction ou autrement) suppose ici Enée ? c’est cependant de plein gré qu’elles les essouflent de la sorte. Que penser d’un tel procédé ? & qu’il coute cher à ces pauvres victimes.



  1. Observantur & hoc, quod qui à patribus jam senibus, progenerantur infantes, citiùs quàm alii canescant. Hinc duos heic basileæ, habuimus fratres, Medicinæ Professores, Felicem nimirùm & Thomam Plateros, quorum prior à parente adhuc juvene genitus, ante senectutem decrepitam canus non evasit : posterior autem, quadraginta & aliquot annis junior, atque adeò à parente jam septuagenario, pluribus ante fratrem, ætate suâ majorem, annis, canus redditus fuit.

    Theatr. Praxeos Med. Authore Theodore Zuingero. Anta. & Bot. in Acad. Basil. Profess. Tom. 2. p. 389.

  2. Mezeray, Histoire de France, tom. 7. pag. 109.
  3. Voyez ci-dessus page 32.
  4. Voyez dans le Livre premier ce que c’est que la tête des sourcils, la queuë des sourcils, & l’entrecil.
  5. Arte supercilii confinia nuda repletis.
  6. Voir quatriéme Lettre.
  7. Suet. in August.
  8. Page 41.
  9. Recherche analytique de la struct. du corps humain.
  10. Dans le Journ. des Sçav. du 30 Janvier 1703.
  11. Feu M. Dionis, Premier Chirurgien du feuës Mesdames les Dauphines, Cours d’Opérations de Chirurgie.
  12. Dans Cleon à Eudoxe, p. 412. seconde Edition.
  13. Ad επαγωγην referenda est ea Chirurgica operatio, quâ nasus aut abscissus, aut à nativitate curtus, ex brachii carne, aut servi naso reficitur ; namque hoc fieri posse fabulosum non est, ut testatur Calentius epistolâ quâdam ad Orpianum. Barth. Berdulvis, universa Medicina, lib. 1. cap. 11.
  14. Orpiane, si tibi nasum restitui vis, ad me veni. Profectò res est apud homines mira. Branca Siculus, ingenio vir egregio, didicit nares inserero quas vel de brachio reficit, vel de servis mutuatas impingit. Hoc ubi vidi, decrevi ad te scribere, nihil existimans charius esse posse. Quod si veneris, scito te domum grandi quantumvis naso rediturum. Vola.
  15. Voyez ci-devant Livre premier pages 49 & 50.
  16. Vidimus ejusdem modi tumorem sæpe intrà paucas horas, adeò auctum ut duplo triplove major nasus evaserit. Theod Zuing. Theatr. Praxeos Med.
  17. Histoire du Cardinal Commendon par M. Fléchier.
  18. Recherche analytique de la structure des parties du corps humain, où l’on explique leur ressort, leur jeu, & leur usage. Par M… Docteur en Médecine.
  19. Voyez l’Ouvrage de Chrétien Warlitz, intitulé : Scrutinium lacrymarum, imprimé à Virtemberg, vol. in. 12. année 1705.
  20. Voyez l’Ouvrage ci-dessus cité, Scrutinium lacrymarum.
  21. Si Poeta est, Veneri similis. Ovid. de art. am.
  22. Vitium in quo squamosæ aut furfureæ particulæ è palpebrarum tunicis secretæ decidere solent. Zuing. Theatr. Prax. Med.
  23. Le origini della Lingua Italiana, compilata dal Sign. Egid. Menagio Gentiluomo Francesc. Fol. in Genevâ, 1686.
  24. Anton. Muret. Opera, Tom. 3. varias Lection. Lib. 13. cap. 8.
  25. Id. ibid.
  26. Casin. act. 2. sc. 5. v. 17. où le valet Olimpio en se plaignant de sa maîtresse qui s’emporte, dit : Nunc in fermento tota est, ita turget mihi.
  27. Mostel. Act. 3. Schen. 2. v. 10 où le vieillard Simon, en parlant de sa femme qui fait le diable au logis, dit : Tota mihi turget uxor, nunc scio domi.
  28. In facie quoque hoc alum erumpit, quandò nimirùm infantes frequentibus admodùm osculis ancillarum lambuntur, atque harum salivâ madent. Theod. Zuing. Theatr. Prax. Med.
  29. Quid causæ est, meritò quin illis Jupiter ambas Iratus buccas inflet ?
    Horat. Sat. Lib. 1. Sat. 1.
  30. Voyez Liv. premier, pag. 8. toutes les parties de l’oreille extérieure.
  31. M. Winslow. exposit. Anatom. de la structure du corps humain.
  32. L’ourlet de l’oreille est le rebord dont elle est environnée, depuis le haut jusqu’en bas, & qui aboutit à cette partie molle & charnue où se mettent les pendants d’oreille.
  33. Voyage de Gautier Schouten aux Indes Orientales.
  34. Quoad causam verò efficientem hujus deformitatis, verisimile est illam non nisi à spiritibus animalibus, in diducendis sufficienter labiorum musculorum filamentis, per aliquam matris gravidæ fortem imaginationem, impeditis provenire. Zuing Theatr. Prax. Med.
  35. Anat. Chir. de Palfin, part. 4. chap. 11.
  36. Traité du Ch. par M. Vir.
  37. Histoire des Indes Orientales. Liv. 5. ch. 44.
  38. Voyez Livre I. pag. 5.
  39. Traité du Ch. par M. V.
  40. Omnes mihi errare videntur qui à rubro Colore stragularum, aliquid singulare expectant : Non enim color, sed calor à stragulis provocatus, ad variolarum expulsionem facit. Illorum autem error hinc primam originem sumsisse videtur, quod olim, & etiam tempore avorum nostrorum (ut videmus in nostrâ familiâ, ex istis stragulis, quæ hereditate, ab illis ad nos pervenerunt) optima & crassiora stragula rubro colore tingebantur ; tenuiora aliis coloribus. Atque hinc, cùm istius temporis Medici, agros sudaturos bene contegi videbant, jussisse ut stragulis rubris, id est melioribus & crassioribus contegerentur. Hoc non satis perspicientes Medici posteri, putarunt antecedentes Medicos, rubris stragulis agros sitos contegi voluisse, quia ex rubro colore aliquid singulare & notabile prodiisse observassent, quòd variolas foras eligeret. Isbrand. de Diomerbrock de variolis & morbiis. Lib. Singul.
  41. L’huile de Ben est aussi très-bonne pour les dartres du visage.
  42. Je ne parle point ici de l’huile de Talc, si vantée par certains Auteurs, & que je regarde comme une fable.
  43. Poësies de M. Brissard de Montaney Conseiller au Présidial de Bourg en Bresse.
  44. Hist. de l’Acad. des Sciences, année 1725. & Journ. des Sçav. mois d’Août 1728, vol. in-40. pag. 464.
  45. Histoire des Cherifs, deuxiéme partie.
  46. Sulphur etiam vulgare in usum ducitur à nonnullis ad manus depurgandas à colorum illorum quibus communiter Λοφοχόμοι utuntur impuritate, excipiendo nimirùm, primò ejus incensi fumum manibus, posteà easdem sapone Veneto, fludiosè abluendo, id quod secreti loca habent multi. Math. Untzer. de mechan. usis sulphuris. p. 266.
  47. Journ. des Sçav. 17. Fév. 1710.
  48. Journal du Lundi 3. Aoust, année 1723.
  49. Il faut bien remarquer que M. le premier Medecin dans son Approbation, se garde bien de rappeller ces promesses du Mémoire, sçavoir ; Que cette eau répare tout les débris de la vieillesse, & que ceux qui en usent, ne s’apperçoivent point que le nombre des années puisse flétrir le teint. Il est visible que ces beaux éloges ont été ajoutez au Mémoire, après l’Approbation de M. le premier Médecin.
  50. De Med. Ægypt. cap. 8.
  51. Porrum gingivas, frequentiore usu corrumpit. Gonterius de sanitate tuendâ. Lib. vi. cap. xix.
  52. Frequens porri usus, somnos turbulentos inducit, visuique officit. Johanu. Schrod. Pharmac. Medicr. chym. Lib. iv. class. i. De Alterantib. primar.
  53. Sat. x.
  54. Voyez cy-dessus pages 196. & 197. ce que nous avons dit de l’obstacle que les gencives en bourlets apportent à la parole.
  55. Les dents devancieres sont les dents de lait ; & les secondaires, celles qui leur succedent.
  56. Examen de divers points d’Anatomie, de Chirurgie, de Physique, de Medecine, &c. A Paris chez Chaubert, Quay des Augustins.
  57. In superiori maxillâ ut plurimùm infantibus dentes prius erumpunt, rarò in inferiori ; quia papillis uberum superior maxilla, magis atteritur, ac proritatur, quàm inferior, Adrian. Spigel. de formato fœtu, cap. vi.
  58. Aristote.
  59. Ne sit deses & otiosa nutrix, sed alacris, & ad suscipiendos labores comparata, potissimùm in quibus brachiorum motus requiritur, ut sanguis ad mammas copiosior adtrahatur, & lac meliùs concoquatur. Joann. Varand. de morbis mulier. cap. i. de Regimine infantis nuper nati & nutricis.
  60. Asinâ pectenda est instar equorum. Ex lactis gustis dignosci potest, an asina pexa fuerit isto mane, nec-ne. Vanhelm.
  61. J’ai fait plusieurs de ces observations dans l’examen de divers points d’Anatomie, de Chirurgie, de Physique & de Médecine, ci-dessus cité pag. 205. J’ai crû qu’il valoit mieux les répéter que d’y renvoyer
  62. Billets en vers, par M. de saint Ussans, à Paris chez Jean Guignard grande salle du Palais.
  63. A mechanical account of The non-naturals Being a brief explication of The changes made in humane Bodies by air dict. C’est-à-dire, Traité méchanique des choses non naturelles, ou explication abrégée des changemens causes dans le corps humain, par l’air, les alimens, &c. A Londres chez Smith, & Geoffroy Wale, 1707. par Jer. Wainewright, Docteur en Médecine.
  64. Bisnagæ cuspides, loco dentiscalpii usurpantur, bonumque in ore saporem relinquunt. Bern. Valent. Historia Simplicium reformata.
  65. Lentiscum meliùs, sed si tibi frondea cuspis
    defuerit, dentes penna levare potest.

    Martial. Epigram. Lib. xiv. Dentiscalp. xxii.

  66. Crine ruber, niger ore, brevis pede, lumine læsus,
        Rem magnam præstas, Zoile, si bonus es.

    Martial. Epigr. Lib. xiv. Epigram. liv.

  67. La Mothe le Vayer. Lettre cxxiii.
  68. Zwing. Theatre. Prax. Med.
  69. Zwing. ibid.
  70. Trésarius est le nom d’une Terre, & Gestas est celui d’une autre Terre dont M. de Casa-Major est le Seigneur, & Casa-Major est le nom de la famille.

    Ce M. de Trésarius fils de M. de Casa-Major Seigneur de Gestas, qui a été si long-temps muét de naissance, est de la Province de Bearn, & du Diocese d’Oleron. Cette famille a donné au Roy plusieurs Officiers Il y en a actuellement au service de Sa Majesté. Elle est fort connue même dans la Maison du Roy, y ayant eu de ces Messieurs qui y ont servi long-temps.

  71. Je dois cette curieuse relation à M. Casa-Major, Docteur, Regent de la Faculté de Médecine de Paris, duquel j’ai l’honneur d’être confrere.
  72. Murcurialis Lib. 2. de morb. pueror. cap. 8.
  73. Theophili Boneti Doc. Medici, Medicina Septentrionalis collatitia, &c. Genevæ, 1684.
  74. Visus est cui leviore ex causâ, biduum vel triduum, vel longiùs, loquela adimeretur, moxque repentè & inopinatè redderetur ; & qui sæpiùs ex intervallis & circuitibus modò loqueretur, modò mutesceret, integrè sano corpore. Forest. Observat. Libro decimo quarto, Observatione trigesimâ primâ, colum. 2. p. 117.
  75. Friccius, de virtute venenerum medicâ.
  76. Foresti observat. Lib. 10. observ. 88.
  77. Inspectâ lingua quæ paulò tumidior erat, sed non admodum, jubeo ut statim Chirurgum vocarent, qui venas sub linguâ tunderet… Ego isthinc discedens, Chirurgum vocant. Sed re infectâ denuò abiit ; cùm autem rursus venissem… numquid vena sub lingua secta esset ? responderunt Chirurgum apud agrotum fuisse, sed re infectâ domum remeasse. Revoco Chirurgum, eumque interrogo quid causæ fuerit, quod venas non secuerit ? Respondit se nullas venas sub lingua reperisse… Ego ad Chirurgum conversus… scalpello, inquam, linguam leviter pertunde, etsi venæ minus appareant ; quòd cùm fecissit, vix sex septemve guttis sanguinis è vulnere emnantibus, (dictum mirum, & miraculi instar) nobis omnibus præsentibus, loqui æger cœpit.

    Foresti observat. Lib. xiv. Observ. xxxiii.

  78. Venas utrasque sub linguâ secari jussimus a sanguine admodum viscoso effluente, unde factum est ut illicò loqui cœperit. Ita tamen ut verba adhuc indistincta proferret, &c. Forest. observ. Lib. xiv. Observ. xxxiii.
  79. De surdo loquente.
  80. Mutitas sæpius est nativa : caditque in surdos à nativitate, qui tamen plerumque organa naturaliter constructa habent, & sæpius per artificium quoddam, non tantùm voces altas emittere, sed articulatas quoque formare discant, quemadmodum curiosam ejus rei methodum, in Angliâ quidem perspicacissimus Wallisius inventi ; in Belgio autem, felicissimo cum successu, ampliavit, inque actum deduxit experientissimus Joannes Conradus Ammannus, hodie Medicus Amstelodamensis, in variis à nativitate surdis, quos loqui commode fecit. Theodor. Zuing. Theatr. Prax. Med. de lingua aphonia. Tom. 2. p. 74.
  81. Despreaux Art. Poët.
  82. Observationum Medicinalium centuriâ à D. Paulo Spindlero, Posoni, quondam consignata, nunc collecta, in ordinem reducta ; scholiis propriisque Observationibus aucta ; studio & operâ Caroli Raigeri, M. Doct. Francofurti ad Mœnum 1691.
  83. Nous avons parlé des femmes barbues, & des hommes sans barbe, pag. 150.
  84. Au rapport de Zuinger.. Theatr. Praxeor. Med. Tom. 2. p. 77. in 4o.
  85. Plutarch. in ejus vitâ. Mercurial. de morbis pueror. Lib. 2. cap. 8.
  86. Réflexions sur l’art de parler en public. Histoire des Ouvrages des Sçavans. Juin 1700.
  87. Despreaux. Art Poët. chant i.
  88. Pag. 238. & 264.
  89. Voyez ce que nous avons remarqué là-dessus dans le second Livre, pag. 136.
  90. Pag. 282. & 283.
  91. Dextræ se parvus Julius
    Implicuit, sequiturque patrem non passibus æquit.

    Virg. Æneid. Lib. 2.

  92. Pag. 272 & 273.
  93. Autrement, Julus, Fils d’Ænée.