Chez George Fricx (Tome Ip. 146-280).


LIVRE TROISIEME.

Difformités des Bras, des Mains, des Jambes & des Pieds.


BRAS trop courts ou trop longs,
Jambes trop courtes ou trop longues.



On voit des personnes avoir les deux bras trop courts, ou trop longs ; d’autres en avoir un plus court, ou plus long que l’autre. On en voit avec d’autres difformités de ces parties, comme nœuds, courbures, tortuosités, &c. Je dis la même chose des mains, des jambes, & des pieds. Quand ces défauts viennent de naissance, il n’y a point de remede à y faire ; à moins qu’ils ne soient causés par quelque violence, qu’un Accoucheur ou une Sage-femme ayent fait souffrir à l’enfant.

Un fameux Roi de Perse[1] avoit la main droite plus longue que la gauche, & si longue qu’il en fut surnommé Longue-main. Darius & Alexandre, au rapport de quelques Historiens, avoient les bras si longs, qu’ils leur alloient jusqu’aux genoüils. Il n’est pas rare de voir des personnes avec des bras si courts, qu’elles sont obligées, pour manger ou pour boire, de porter leur bouche à leurs mains.

Quant aux trois Princes dont nous venons de parler, si l’excessive longueur de la main dans le premier, & celle des bras dans les deux autres, eût procedé de quelque tiraillement que ces parties eussent souffert au tems de la naissance, peut être n’eussent-elles pas été incurables. Mais c’étoit un vice naturel de conformation, les meres de ces Princes étant accouchées d’eux sans accident, & n’ayant eu, que l’on sçache, aucun travail laborieux, ce que les Historiens n’auroient pas manqué de rapporter ; aussi ne put-on jamais corriger en eux, cette difformité.

Il est facile de comprendre que des mains ou des bras, que des jambes ou des pieds, peuvent devenir plus longs qu’il ne faut, par quelque tiraillement arrivé à l’enfant dans le ventre de la mere ; une telle difformité néanmoins est plus ordinairement l’effet d’un vice naturel de conformation. Vice qui peut procéder de diverses causes, que ce n’est pas ici le lieu de détailler ; nous remarquerons seulement en passant, que ce qu’on raconte d’une femme enceinte qui, pour avoir regardé attentivement une figure de femme dessinée pour être vûë dans un miroir cylindrique, laquelle étoit réprésentée avec des mains d’une longueur démesurée, accoucha d’une fille qui avoit la même difformité, nous remarquerons, dis-je, que ce qu’on raconte en cela, peut bien n’être pas une fable.

Si une jambe est de la longueur qu’il faut, & que l’autre paroisse excéder cette longueur naturelle, alors l’excédence de longueur, peut, comme nous l’avons remarqué, venir de naissance, ou avoir été contractée depuis. Dans le premier cas elle peut procéder de quelque violence faite à la jambe ou à la cuisse de l’enfant quand il est venu au monde. Elle peut procéder aussi d’un vice naturel de conformation. Si elle vient de quelque violence qu’ait souffert l’enfant en venant au monde, on ne manquera point de s’en appercevoir, en examinant la partie du tronc nommée le Bassin, de laquelle nous avons fait mention dans le premier Livre, pag. 69. Le bassin alors se trouvera de travers, & panché du côté de la jambe qui paroîtra trop longue ; car jamais quelques tiraillemens qu’un Accoucheur fasse à la jambe de l’enfant, il ne pourra la rendre plus longue qu’en un sens impropre, qui est de la faire avancer davantage, en tirant le bassin de ce côté-là ; tout comme en tirant en bas, par un côté, le balancier d’une balance, on ne manque point de faire pancher de ce côté-là, le cordon qui y est attaché, sans que pour cela le cordon devienne plus long. Or, lorsque dans un enfant nouveau né, on voit le bassin ainsi panché, on a lieu de soupçonner que cette difformité, quoiqu’absolument parlant, elle puisse aussi venir d’un vice narutel de conformation, vient de quelque tiraillement qu’aura souffert l’enfant par la main de l’Accoucheur ou de l’Accoucheuse ; & alors on pourra tenter d’y remedier en essayant de remettre le bassin dans son assiete naturelle, comme nous l’enseignerons ci-après.

Mais si, sans que le bassin soit panché, la jambe paroît plus longue qu’il ne convient, on doit s’assurer qu’il y a vice naturel de conformation, & qu’ainsi la chose est sans remede.

Ce que je dis de la jambe trop longue, je le dis de la jambe trop courte ; car il est visible que si un côté du bassin a été repoussé en en haut, par quelque violence que ce puisse être, la cuisse qui y est attachée, & par conséquent la jambe, doit se porter davantage en en haut, & ainsi paroître plus courte. Il en est de même des bras : jamais un Accoucheur ne rendra un bras plus long, quelque tiraillement qu’il y fasse ; mais il pourra bien faire que l’un paroisse plus long que l’autre, parce qu’à force de tirailler le bras, il pourra faire pancher l’épine de ce côté-là ; or l’épine panchant d’un côté, il est naturel que le bras du même côté avance plus que l’autre, sans cependant être plus long.

Le bras, la main, la cuisse, la jambe, le pied, peuvent être, dès le ventre de la mère, ou devenir après la naissance, plus courts qu’il ne faut ; & cela par l’effet de quelque dessechement, ou de quelque vice de conformation. Robert III. Duc de Normandie, avoit une cuisse plus courte que l’autre, ce qui le fit surnommer Courte Cuisse ; mais on ne sçait point d’où lui vint cette difformité.

Quoiqu’il en soit, un bras, une cuisse, une jambe, peuvent paroître trop courts sans l’être réellement : il ne faut, pour cela, sans parler d’autres causes, qu’une luxation ; mais avant que de traiter ces articles, voyons comment on peut redresser un bassin, quand c’est du panchement de cette partie, que procede la trop grande longueur apparente de la jambe.

Comment on peut redresser le bassin, quand c’est du panchement de cette partie, que procede la trop grande longueur apparente de la jambe.

Couchez l’enfant, de son long, sur le dos ; liez-lui légérement au genoüil[2], en façon de jarretière, un petit mouchoir en plusieurs doubles ; attachez à ce mouchoir en dehors, c’est-à-dire vers la partie extérieure du genoüil, une bande de toile un peu large, & d’environ deux aunes de long, liez-la le plus court qu’il se pourra, (mais sans violence) sur l’épaule de l’enfant, du même côté, & l’y assujettissez de maniere qu’elle ne puisse glisser, puis on enmaillotera l’enfant. La compression que les bandes de son maillot feront sur la bande qui sera tenduë depuis le genoüil de l’enfant jusques sur son épaule, obligera cette bande à se tendre encore plus, & par cette tension augmentée, déterminera la partie trop inclinée du bassin, à remonter, & fera descendre l’autre ; ce qui rendra la situation des deux côtés du bassin horizontale, d’oblique qu’elle étoit, & la remettra par conséquent dans son assiete naturelle.

Si le mal a été négligé, & que l’enfant soit déjà un peu grand, on lui mettra un corset bien juste, en sorte que ce corset fasse sur le bandage qui sera tendu du genoüil à l’épaule, le même effet que le maillot.

Passons à ce qui concerne les bras, » es mains, les jambes & les pieds trop courts.

Bras, Mains, Jambes, qui n’ont pas leur longueur naturelle.

Quant aux bras, on peut les avoir deux deux trop courts, ou n’en avoir qu’un seul qui soit attaqué de cette difformité. Je dis la même chose des jambes ; mais dans l’un & dans l’autre cas, la difformité dont il s’agit, vient ou de maladie, ou d’un vice naturel de conformation. Si elle vient de cette derniere cause, il n’y a point de remede à y faire ; & si elle vient de maladie, ou c’est par luxation, & alors la partie n’est qu’en apparence plus courte qu’il ne faut ; ou c’est par desséchement, c’est-à-dire parce que la partie ne prend pas assez de nourriture.

Si c’est par luxation le secours qu’il y faut apporter est du ressort du Chirurgien. Mais si c’est par desséchement les peres & les meres peuvent eux-mêmes y rémedier, comme nous l’enseignerons ; mais il nous faut auparavant dire un mot de ce qui concerne ici la luxation.

Jambe plus courte par luxation.

La cuisse ou la jambe peuvent être luxées dès le ventre de la mere, par diverses causes, aussi-bien que le peuvent d’autres parties, telles que l’Humerus, le Coude, le Talon, la Machoire, les Vertebres. Il s’est vû des enfans venir au monde les deux cuisses luxées, & rester impotens ; je n’entrerai point dans la discussion de ces différentes causes. Je dirai seulement que dans quelque dislocation que ce soit, il faut, sans délay, recourir à la main du Chirurgien, & que faute de diligence sur ce point, il se forme dans l’endroit luxé, un calus qui rend la guérison absolument impossible.

Une jeune Dame pour s’être démis la cuisse, & avoir négligé d’appeller promptement dans cette occasion, les personnes nécessaires, a éprouvé le malheur que nous disons : Un cal formé à loisir, a rendu inutiles tous les secours qu’elle a implorés dans la suite ; elle en est restée boëteuse. Mais une circonstance bien digne de remarque, & que l’occasion ne me permet pas de passer ici sous silence, c’est que depuis étant accouchée six fois, elle a mis au monde trois garçons, qui sont nés chacun avec une cuisse luxée, & ont restés boëteux, & trois filles qui au contraire sont nées fort droites[3]. Voilà une grande matière à raisonnemens.

Jambe ou Bras plus courts par desséchement.

Si la jambe, ou le bras sont plus courts par desséchement, les peres & les meres, peuvent, comme nous avons dit, y remédier eux-mêmes ; & voici comment.

On frottera soir & matin, la jambe ou le bras de l’enfant avec un morceau d’écarlate ; & on fera cette friction à diverses reprises, sans violence, pour rappeller les esprits à la partie ; puis on oindra la même partie avec du beurre genievré un peu chaud, & ensuite on mettra un linge par-dessus. On continuera ces frictions & ces onctions, plusieurs semaines, & même plusieurs mois.

Le beurre geniévré se prépare en cette maniere.

On fait fondre sur le feu, une livre de beurre frais, on y mêle une petite poignée de graines de genièvre bien grosses, bien noires & bien charnuës, écrasées auparavant avec les doigts seulement, & non avec un marteau, ou un pilon, ni autre chose qui soit capable de briser les noyaux pierreux contenus dans les graines de genièvre ; car cela rendroit le beurre âcre, ce qu’il faut éviter. On fait ensuite cuire le tout à un feu modéré, & quand ces graines, qu’on appelle ordinairement du nom de Bayes, sont cuites, ce qui se connoît par leur ramollissement, on met cette mixtion dans un linge, que l’on tort fortement pour en exprimer le beurre qui se doit recevoir dans un vaisseau de fayance ou de verre bien propre.

Bras ou Jambe plus grêle que l’autre.

Quelquefois ou un bras ou une main, ou une jambe, ou un pied, faute de recevoir une suffisante nourriture, est plus grêle que l’autre, tandis que l’autre est de la grosseur naturelle. Cette difformité se corrige par le même moyen que la précédente, c’est-à-dire par la friction avec le drap d’écarlate, & par le liniment avec le beurre geniévré. Il arrive aussi quelquefois, non, qu’un seul bras, mais que les deux bras, non, qu’une seule jambe, mais que les deux jambes prennent moins de nourriture qu’il n’est nécessaire, & deviennent comme des fuseaux, tandis que le reste du corps est en très-bon point. Il n’y a pas non plus, en fait de remede extérieur, d’autres traitemens plus convenables à cette difformité, que la friction avec le drap d’écarlate & le liniment dont nous venons de parler ; au reste dans l’un & l’autre cas, il est à propos d’ajouter ce qui suit.

Il faut s’efforcer tous les jours de se procurer dans l’intérieur du gras de la jambe maigre, ou de toutes les deux, si elles sont toutes deux attaquées, le plus fort mouvement que l’on pourra, ensorte que si l’on appuye la main sur le mollet de la jambe, on sente agir les muscles de la jambe. Mais comment s’y prendre pour se procurer ce mouvement ? Rien n’est plus aisé : Il n’y a qu’à se mettre bien en tête de se le procurer, & par divers efforts essayer de le faire, la chose viendra d’elle-même. Peut-être n’y réussira-t-on pas du premier coup ; mais à force de le tenter, on y parviendra. On peut d’abord, pour premier essai, s’y prendre en cette sorte. On se tiendra assis sur une chaise, comme on s’y tient ordinairement, c’est-à-dire la jambe directement en bas, & le pied appuyé à plomb sur le plancher, sans remuer sensiblement ni la jambe ni le pied, mais les laissant fixes sans leur faire changer de place, puis on essayera de mouvoir tout le dedans du gras de la jambe. A peine aura-t-on essayé deux ou trois fois de le faire, qu’on sera maître en cet art, & qu’on pourra ensuite y réussir en toutes sortes de situations, soit debout, soit assis, soit couché. Ce mouvement intérieur fait circuler les sucs nourriciers dans toute la substance de la jambe : & on a le plaisir, au bout de quelques mois, de la trouver considérablement plus nourrie & plus fournie.

Bras ou jambe d’une grosseur excédente.

Quelquefois aussi, un bras ou les deux bras : une jambe, ou toutes les deux, recevant une nourriture surabondante, acquierent plus de grosseur qu’il ne convient pour leur juste proportion. L’on ne sçauroit s’y prendre de trop bonne heure, pour corriger cette difformité ; car si on la laisse invéterer elle devient incurable ; le moyen d’y remédier, est, sitôt qu’on s’en apperçoit, de recourir au remede astringent que voici.

Pilez des coings tout cruds, & quand ils seront en pâte, étendez-en une suffisante quantité sur des linges que vous mettrez tout au tour de la jambe, ou du bras, & que vous serrerez légérement pour comprimer les vaisseaux & les empêcher de se trop gonfler ; il faut que la personne tienne le moins qu’elle pourra, les bras pendans, si ce sont les bras qui sont trop gros ; quant aux jambes, qu’elle ne les lie jamais au-dessous du genoüil, mais qu’elle pose toûjours la jarretiere par dessus. Ces linges ne se doivent renouveller que de trois en trois jours, il faut les continuer plusieurs mois ; trois ou quatre peuvent suffire ; après lesquels la personne portera pendant un an & plus, des bas de peau de chien, pour donner du ressort à la peau, resserrer les vaisseaux de la jambe, & empêcher les sucs nourriciers de s’y jetter en trop grande quantité.

Jambe retirée.

Souvent il arrive, sans qu’il y ait luxation, que la jambe se retire de maniere par la seule contraction ou le seul roidissement des muscles qui servent à ses mouvemens, qu’on ne la peut étendre ni en disposer à gré pour s’empêcher de boëter. Un moyen de remédier à cet accident, est d’appliquer sur la jambe, du surpoint de Corroyeur pour assouplir les muscles, & de porter un soulier garni d’une semelle de plomb, dont le poids soit proportionné au retirement plus ou moins grand de la jambe : mais il faut perséverer long-tems dans l’usage de ce reméde.

Pied dont le talon ne touche pas aisément à terre.

Le tendon qui va du gras de la jambe au talon, est quelquefois si court, qu’on est obligé de marcher sur la pointe du pied sans pouvoir appuyer le talon à terre ; ce qui fait une difformité très-grande pour le marcher ; outre qu’en même temps, elle cause de la fatigue à la personne qui marche. On tâche de suppléer à ce défaut par des souliers à talons hauts, & on y réussit assez bien lorsque les deux pieds ont le défaut en question, pourvu qu’il n’aille pas à un tel excès qu’on soit contraint de porter des talons d’une hauteur demesurée ; mais lorsqu’il n’y a qu’un pied d’attaqué, la difformité saute bien plus aux yeux, à cause de l’inégalité des talons de chaque soulier. Ce défaut vient quelquefois de naissance, & quelquefois après la naissance. Dans l’un ni dans l’autre cas il n’est incurable, pourvu qu’il n’y ait point de cause violente de ce racourcissement, laquelle ait absolument estropié le tendon, comme seroit, par exemple, après la naissance, une brûlure ou autre accident capable de rendre incorrigible l’accourcissement dont il s’agit. Mais si le mal ne vient point d’un estropiement, on peut y remédier par des remedes propres à ramollir le tendon, & les muscles, & par de grands mouvemens de la jambe & du pied. Un des meilleurs remedes qui puissent ramollir le tendon & les muscles, c’est de frotter la jambe, depuis le jarret, jusqu’au dessous du talon, avec de l’huile de vers, matin & soir, & après avoir continué plusieurs jours, ces frictions qui doivent se faire avec la main nuë, baigner fréquemment la jambe dans un seau plein de boüillon de tripes, lequel bouillon doit être modérément chaud.

Quand aux mouvemens qu’il faut faire faire à la jambe pour en exercer le tendon & les muscles, voici ce qui est à observer : On se couchera tout du long & à la renverse, sur le plancher ; on aura la tête sur un oreiller, & on sera retenu sous les bras par deux hommes forts qui empêcheront le corps d’aller en avant, & avec ce secours on s’agitera le plus qu’on pourra par toutes sortes de mouvemens des jambes & des pieds, s’efforçant en même temps, de lever en forme d’arc, le ventre & tout le devant du corps, de maniere que le dos de l’épine fasse une grande cavité, & que le ventre se porte en l’air : car lorsque l’on se met dans cette situation violente, & qu’on s’y tient quelque temps, le tendon & les muscles de la jambe font des efforts extraordinaires qu’ils ne feroient point sans cela, & ces efforts contribuent d’une maniere surprenante, à étendre le tendon. Mais si l’on veut guérir, il ne faut point se lasser d’un tel exercice ; il faut le réitérer, au moins deux fois par jour, pendant plusieurs semaines.

Pour rendre ces secours plus efficaces, on s’exercera souvent à monter des hauteurs comme il y en a dans quelques jardins, ou des chemins un peu roides comme il s’en trouve à la campagne, & même dans les Villes. Telles sont, par exemple, à Paris, la Montagne Sainte Geneviéve, & celle des Fossés Saint Victor ; le bout du pied, quand on monte de la sorte, est obligé de lever ; or il ne peut lever que le tendon de la jambe ne descende, & en même tems, le talon.

Enfin pour dernier moyen, il faut que le talon du soulier, au lieu d’être de bois, soit de plomb. On recouvre ce talon avec du cuir, & il ressemble à l’autre.

Il est inutile d’avertir que souvent pendant la nuit, lorsqu’on est éveillé, il faut tâcher de lever la pointe du pied, soit en y portant la main, soit en faisant un simple effort pour cela, ce qui est très-facile.

Mais laissons, pour un moment, les extrémités inférieures, pour reprendre l’article des bras & des mains ; nous reviendrons ensuite à celui des jambes & des pieds, que nous interrompons ici.

Suite de l’article des Bras & des Mains en particulier.

Comment doivent être les Bras, les Mains, les Doigts, & les Ongles pour être bien faits.

Les bras, pour être bien faits, doivent, comme nous l’avons remarqué dans le premier Livre, être ronds, charnus, & en dedans un peu plats ; mais tant en dedans qu’en dehors, aller en grossissant depuis le poignet jusqu’au près de la jointure du coude, où ils commencent à diminuer un peu de grosseur. Nous ne parlons point de ce qui concerne la beauté du bras, depuis le coude jusqu’à l’épaule ; parce que, même dans les femmes, cette partie du bras est ordinairement couverte.

La main, pour être bien faite, doit être délicate, un peu longue, & non quarrée ; il y a des mains que l’on compare, avec raison, à des épaules de mouton, à cause de leur grosseur & de leur largeur. Ce sont les meilleures pour empoigner & pour serrer fortement, mais ce sont les plus laides. Le dessus de la main doit être un peu potelé, ensorte que les veines qui y sont parsemées, ne se montrent point ; il y doit paroître de petits creux au dessous de chaque doigt, quand elle est ouverte. Les doigts en doivent être un peu longs & charnus, & les genoüils des doigts, sçavoir les nœuds qui se voyent sur le dos de chaque doigt, l’un à la racine du doigt, l’autre au milieu, & l’autre près de l’ongle (excepté au poulce, où il n’y a que deux genoüils) doivent laisser de petits enfoncemens quand la main est tenduë ; comme ils doivent au contraire, laisser de légeres bosses quand elle est pliée, & qu’elle forme ce qu’on nomme le poing.

Il y a des mains où ces bosses ressemblent à de grosses têtes de cloux. Ces sortes de mains ne sont bonnes que pour se battre à coups de poing. On les appelle Mains d’Athlettes.

Les doigts, en dedans de la main, font trois angles lorsqu’on la ferme, & ces trois angles quand on l’ouvre, laissent après eux, des traces ou especes d’entrecoupures qui divisent chaque doigt en trois portions différences, excepté le poulce qui n’en a que deux. Ces trois portions, quand les doigts sont bien faits, forment comme autant de petits coussinets, dont le dernier sur le dos duquel est posé l’ongle, a plus de saillie & de rondeur que les deux autres. Il est le principal organe du toucher, & fait, en même temps, une des principales graces de la main ouverte.

Les doigts, pour avoir la figure convenable, doivent être un peu ronds par dessus, un peu plats par dessous, & de la proportion qui suit : 1o. Le poulce ne doit point passer la seconde, autrement dite, moyenne jointure du doigt indice. 2o. Le doigt indice étendu doit finir précisément au dessous de l’ongle du moyen doigt étendu, ni plus haut ni plus bas. 3o. L’annulaire étendu doit venir jusqu’à la moitié de l’ongle du même doigt moyen étendu, j’entends de l’ongle rogné à fleur du doigt. 4o. Le petit doigt étendu doit venir jusqu’au milieu de la jointure supérieure du doigt indice étendu ; & cela, tant à une main qu’à l’autre ; je dis tant à une main qu’à l’autre, parce qu’il y a des personnes en qui cette proportion ne se trouve pas réguliere dans les doigts des deux mains.

Il y en a plusieurs, par exemple, en qui le doigt indice de la main droite, ne vient pas jusqu’au niveau de l’endroit où commence l’ongle du moyen doigt de la même main, tandis cependant, que celui de la gauche, aboutit juste au commencement de l’ongle du moyen doigt de la même main gauche.

Le creux de la main, quand elle est ouverte, doit être un peu profond, & il faut que les environs de ce creux qui doit être tendu & souple, forme de petits bourrelets charnus, médiocrement arrondis : ces bourrelets sont au nombre de trois, un supérieur, un latéral, & un inférieur. Le supérieur va depuis le doigt indice, jusqu’au petit doigt ; il est entrecoupé, & forme quatre bossettes, l’une sous le doigt indice, l’autre sous le doigt moyen, l’autre sous le doigt annulaire, & la quatriéme sous le petit doigt.

Le Bourrelet latéral s’étend en forme de rouleau, depuis le petit doigt, jusou’au commencement du poignet : & l’inférieur depuis le poulce, jusqu’au même commencement du poignet. Le plus long des trois est le latéral ; l’inférieur est le plus court & le plus large.

La main doit être recouverte d’une peau fine & unie, traversée de lignes presque imperceptibles. Il y doit régner dans tous les doigts, un air d’aisance & de mobilité qui se fasse remarquer lors même qu’ils sont le plus en repos.

Les ongles doivent être courts, (quoique longuets,) & d’une teinte vive, avec une petite tache blanche à leur racine : cette racine & les côtés doivent s’enchasser imperceptiblement, & comme se perdre dans le petit bord charnu qui les environne. Ce rebord doit être uni & sans déchiqueture.

Nous venons de remarquer que les ongles doivent avoir une teinte vive, cette teinte est un coloris que leur prête le sang qui arrose les chairs de dessous. Le corps de l’ongle est transparent, & c’est à raison de cette transparence que l’ongle, quand on se porte bien & que la substance en est fine, paroît rouge. Au reste, il est par lui-même, sans couleur comme le verre.

On dit ordinairement de ceux qui ont du cœur, qu’ils ont du sang aux ongles, & on dit vrai, parce qu’en effet dans ceux qui sont d’un tempérament vif & animé, le sang se porte en abondance à la chair qui est sous les ongles ce qui fait que les moribonds ont les ongles pâles, parce que dans le tems de la mort, le sang cesse de se porter à cette chair.

La beauté des mains est un des plus grands agrémens du corps. « Aussi Mignard en faisant le portrait de la Reine mere qui les avoit extrémement belles, & si belles qu’elle ne les regardoit jamais qu’avec une secrette complaisance, dont elle avoit peine à se cacher, crut devoir s’appliquer particulièrement à les réprésenter dans la perfection admirable dont elles étoient.

» Il semble que cette beauté des mains soit un appanage de la qualité : on trouve aisément des femmes du bas peuple qui ont de beaux yeux & une belle bouche, rarement en trouve-t-on qui conservent de belles mains[4]. »

Les Connoisseurs vantent l’Apollon qui se voit dans la cour de Belvedere à Rome ; & entre les perfections qu’ils admirent le plus dans cette inimitable Statuë, ils citent les mains, comme ce qui releve le plus, le mérite de l’ouvrage. « Quelle beauté, dit l’Auteur des Monumens de Rome, que celle de la main de cet Apollon ! Qui est-ce qui s’est jamais imaginé que la main d’un homme pût être si belle ? Y a-t-il quelqu’un qui ait jamais eu dans l’esprit, l’idée de cette sorte de beauté ? La plus belle femme du monde a-t-elle jamais eu une si belle main ? Ce n’est pourtant point une main de femme, c’est-à-dire une main à laquelle on peut donner tant de délicatesse qu’on veut. C’est une main & ce sont des doigts véritablement d’homme par leur figure & par leur grosseur ; cependant on ne vit jamais rien de si beau, & il n’y a personne qui n’en soit enchanté. »

La main, comme on voit, quand elle est parfaite, est donc un grand ornement du corps ; c’est dommage que si peu de gens puissent l’avoir telle ; mais d’un autre côté, il en est peu, qui, par le moyen de quelques soins, ne puissent au moins l’avoir exempte de certaines difformités, telles que sont, par exemple, celles-ci. La rudesse, le hérissement & la gersure de la main. La contraction des doigts, autrement dite main crochue. Le gonflement des vaisseaux qui paroissent sur la main. Les porreaux, les durilons, les dartres le tremblement, la sueur, le poulce cambré, ou poulce de tailleur, les doigts déjettés, les doigts surnuméraires, les engelures, les crévasses, la main en épaule de mouton, la galle, les ongles déchaussés, les ongles de travers, les ongles raboteux, les ongles trop gros, les ongles partagés, l’enchassure des ongles déchiquetée, les ongles livides. Tous articles dont nous allons parler de suite.

Rudesse des mains, Herissement, Gersure.

La rudesse de la peau des mains consiste dans l’inégalité & la dureté de cette peau, qui, au lieu d’être douce & flexible, est au contraire cœneuse & hérissée : On ne s’étonne point que des manœuvres ayent ainsi les mains, ce n’est pas même une difformité chez eux ; mais c’en est une considérable parmi les personnes d’une certaine condition. Elle vient en ceux-ci de plusieurs causes différentes ; ou de ce qu’il manque à la peau, un certain suc balsamique que la nature a coutume d’y entretenir, & qui doit servir à la nourrir, ou de ce qu’il exhale de cette peau, une sérosité âcre & mordante qui en rompt la tissure, & la rend raboteuse ; ou de ce qu’on expose trop souvent ses mains à l’air froid, ce qui en racornit les pores ; ou de ce qu’on se les lave avec de l’eau trop froide ou trop chaude, ce qui produit le même effet ; ou de ce que, pour les nétoyer à fond on les frotte avec de l’eau de savon ; ou enfin de ce qu’on les employe de tems en tems, à quelques ouvrages rudes au toucher. Il faut donc, pour avoir la peau des mains souple & unie, éviter tout ce qui peut la rendre rude & âpre, & quand elle a ce défaut, recourir à ce qui le peut corriger. On viendra à bout du premier, 1.o en n’exerçant jamais ses mains à aucun travail rude ; en ne les exposant jamais long-tems, à un air trop froid, & en ne les trempant que le moins qu’il se peut dans de l’eau extrémement froide, ou dans de l’eau de savon, mais toujours dans de l’eau ni froide ni chaude, où l’on ait mêlé un peu de son, & une goûte de vin blanc, 2.o en se purgeant quelquefois pour enlever au sang une partie des sels âcres qu’il contient, & en usant long-tems, de quelque boisson adoucissante, telle, par exemple, que l’eau de coquelicot, laquelle se prépare en faisant boüillir legérement, pendant deux ou trois minutes, une ou deux pincées de fleurs de coquelicot dans une livre d’eau. On viendra à bout du second, 1.o en observant les mêmes choses qu’on aura observées pour préservatif, & qui sont marquées ci-dessus, 2.o en enveloppant les mains tous les soirs avec un linge enduit d’un peu d’huile d’œuf. On peut aussi, pour la même fin, se servir de l’onguent suivant.

Prenez créme de lait de vache, & graisse de cerf, une once de chacune, cire vierge une quantité suffisante, incorporez le tout ensemble sur un feu doux, & frottez-en les mains tous les soirs, puis le lendemain, lavez-les avec un peu d’eau. & de vin blanc tiédes.

Il y a des gens dont la peau des mains ressemble à de la peau de chien de mer, cette difformité vient d’une grande sécheresse de la main, & d’une salure extréme fournie par les vaisseaux cutanés, laquelle se répand sur toute la superficie de la main, & en ronge le tissu, jusqu’à la faire élever en petites écailles qui produisent des rabotures semblables à celles d’une lime, ou d’une râpe.

D’autres ont la peau des mains gersée, c’est-à-dire, remplie de petites fentes & crevasses superficielles, dans lesquelles s’amasse, comme dans les especes de sillons, une matiere épaisse & crasse, qui rend les mains d’autant plus mal-propres, que nulle pâte, soit séche, soit liquide, n’est capable de l’enlever à fond.

Cette gersure vient ordinairement, faute d’avoir eu soin d’essuyer ses mains, après les avoir mouillées, ce qui arrive souvent aux enfans. Je ne parle point ici des gersures qui viennent aux mains des personnes qui blanchissent du linge, ou qui font d’autres ouvrages semblables, ce n’est pas pour ces personnes là que j’écris.

Le moyen de prévenir ces deux dernieres difformités, est d’éviter soigneusement ce que nous venons de remarquer qui les cause. Quant au moyen de les corriger, il ne demande pas beaucoup de peine : Il n’y a qu’à faire fondre un quarteron de belle cire blanche & la mêler en même tems, avec une once d’huile de mille pertuis, puis appliquer de cet onguent sur les mains, le plus souvent qu’on pourra, pendant quelques semaines.

Lorsque dans la journée on se lave trop fréquemment & trop long-tems les mains, on se les gerse. Ce fréquent lavage enleve une fleur de peau qui en fait la principale beauté. Cette fleur de peau est à peu près comme celle qui se remarque sur certains fruits, sur les prunes, par exemple, sur les cerises, sur les péches, sur les raisins ; il faut peu de choses pour l’enlever, quoi qu’aux mains le simple frottement ne suffise pas pour cela, comme il suffit aux fruits. Elle vient du dessous de la peau des mains, & est fournie par de petits vaisseaux cutanés qui la versent peu à peu. C’est une espèce de suintement.

2.o Main crochuë.

Deuxième difformité mentionnée cy-devant page 170.

Entre plusieurs difformités appellées de ce nom, il n’y en a qu’une dont il convienne de traiter ici : c’est celle qui chez les Médecins est nommée parthesis, c’est-à-dire, ainsi que le son même du mot semble l’annoncer, paresse des doigts de la main.

Cette difformité est une contraction ou courbure flasque & indolente des doigts de la main, avec abolition du mouvement volontaire de ces mêmes doigts, qui, par une espèce de nonchalance, se courbent de maniere qu’ils ne se redressent jamais d’eux-mêmes, mais ont besoin du secours de l’autre main ou d’une main étrangere pour se relever ; après quoi ils retombent nonchalamment dans leur premiere courbure, ou crochure.

La difformité dont il s’agit, vient de ce que les muscles extenseurs des doigts de la main, c’est-à-dire les muscles qui servent à l’extension de ces mêmes doigts, sont relâchés, tandis que les fléchisseurs, c’est-à-dire ceux qui servent à les fléchir ou plier, conservent leur force ordinaire. On remarque que les muscles extenseurs des doigts des pieds ne sont pas sujets à ce relâchement, comme ceux des doigts de la main.

La cause qui oblige ces muscles extenseurs des doigts de la main, à se relâcher ainsi, consiste en ce qu’ils ne reçoivent pas assez de suc nerveux ; ce qui fait que pendant leur action (car c’est uniquement du suc nerveux qu’ils la tiennent) ils ne sçauroient résister à celle des muscles opposés qui font fléchir les doigts.

Mais d’où vient cette disette de suc nerveux dans les muscles extenseurs des doigts de la main ? c’est ce qu’il est à propos d’expliquer.

Il faut d’abord sçavoir 1.o que la difformité en question, est le fruit ordinaire d’une colique bilieuse et convulsive qui a précédé ; 2.o que dans le ventre est une membrane nommée le mésentere au milieu de laquelle est un pelotton ou pacquet de nerfs, appellé par les Anatomistes plexus mesenterique, du mot latin plexus, qui signifie entrelassement, entortillement, lequel plexus mésenterique est violemment attaqué & maltraité dans la colique dont nous venons de parler ; 3.o que les fibres nerveuses des muscles extenseurs des doigts de la main, ont communication avec ce paquet de nerfs, ou plexus mésenterique, ensorte que ce paquet de nerfs, étant attaqué dans la colique bilieuse en question, il faut nécessairement que les fibres nerveuses des muscles extenseurs de la main, avec lesquelles il a communication, se ressentent de cette attaque ; 4.o Que l’effet que produit sur les fibres dont il s’agit, cette communication d’attaque, c’est de les presser, & de les serrer de maniere, qu’elles deviennent incapables de recevoir la quantité de suc nerveux dont les muscles ont besoin pour leur action ; d’où il arrive que ces muscles extenseurs des doigts, ne recevans pas assez de suc nerveux, deviennent flasques & sans ressort.

Qu’on ne s’étonne pas au reste, qu’une émotion de nerfs placés dans le ventre, puisse influer jusques sur la main, puisqu’une blessure reçuë à l’avant-pied, ôte quelquefois entierement le mouvement de la mâchoire. J’ai vû, dit le sçavant Zuinger[5], un artisan, qui, pour avoir été blessé à l’avant-pied, devint perclus de la mâchoire, & n’en recouvra le mouvement qu’après qu’on lui eut enlevé des esquilles d’os qui étoient entrées dans sa blessure. J’ajoûterai à ce que dit ce sçavant Praticien, qu’on a des exemples de gens qui, pour avoir été blessés à l’épaule, ont perdu le libre usage de la parole, & ne l’ont recouvert que par des remedes appliqués à l’épaule ; ce qui vient de ce qu’il y a à l’os Hyoide, un muscle qui communique à l’épaule[6].

La main peut quelquefois devenir crochuë par quelque accident extérieur, comme lorsque les nerfs qui se distribuënt aux muscles extenseurs de la main, & les tendons de ces muscles, se trouvent coupés par quelque blessure, ou desséchés & détruits par quelque brûlure, ou rongés par quelque ulcere, alors cette difformité est incurable. C’est pourquoi nous nous bornerons ici à ce qui concerne la cause de la premiere sçavoir de celle qui vient du simple relâchement des muscles extenseurs de la main, causé par le défaut du suc nerveux, que les fibres de ces muscles devroient recevoir, & qu’elles ne reçoivent pas.

Nous avons dit que dans la maladie dont il s’agit, les muscles extenseurs de la main étoient relâchés, sans que ceux qui servent à la fléchir, le fussent, & c’est ce que l’expérience démontre ; puisque les personnes attaquées de cette difformité, ne laissent pas de serrer avec les doigts, ce qu’elles tiennent dans la main.

La cause de ce mal une fois éclaircie, sçavoir qu’elle consiste dans le défaut du suc nerveux que les fibres nerveuses des muscles extenseurs des doigts de la main devroient recevoir, & qu’à cause de leur trop grande constriction, elles ne peuvent admettre, il est facile de juger que pour guérir la difformité en question, il faut songer uniquement à rétablir dans ces fibres, le cours du fluide nerveux, & se proposer, par conséquent, de corriger la constriction produite par les mouvemens & l’irritation d’une colique bilieuse & convulsive qui a précédé ; car il faut toujours en venir là, & ne point perdre de vûë cette cause antécédente dont nous avons parlé ci-devant, puisqu’on verra par-là que pour guérir radicalement la difformité en question, il faut souvent porter le remede ailleurs qu’à la main, sans toutefois renoncer à ceux qui se peuvent immédiatement administrer à la partie malade.

Les remedes qui conviennent en cette occasion, pour rétablir dans les muscles extenseurs des doigts de la main, le cours du fluide nerveux, qu’ils doivent recevoir, c’est de débarasser le mésentére ; ensorte que le plexus mésentérique dont nous avons parlé, soit tellement délivré de tout ce qui peut l’endommager, que les fibres nerveuses des muscles de la main, lesquelles, comme nous l’avons remarqué, ont communication avec ce plexus, se ressentent de son dégagement, & deviennent par-là capables de recevoir le suc nerveux que leurs filieres trop étroites ne pouvoient admettre.

Ce qu’il faut pratiquer pour remplir cette indication, c’est de commencer, avant toutes choses, par purger la personne malade. Les intestins tiennent au mésentére, & en les débarassant par la purgation, l’on facilite le dégorgement des glandes du mésentére ; & par-là on donne lieu au plexus mésentérique de se dégorger de même, d’où il arrive, par une suite nécessaire, que la parhésie ou contraction de la main doit cesser.

Ce qu’il y a de certain, c’est que lorsque dans la parhésie, il survient un cours de ventre, la parhésie ne tarde pas à guérir, pourvu que le cours de ventre dure quelque tems ; cela seul, indépendamment de tous les raisonnemens, doit faire voir combien la purgation peut être salutaire dans ce cas. Elle l’est si fort en effet, que lorsque l’on se borne uniquement, aux remedes qui s’appliquent à la main, on travaille sans succès. L’on s’imagine alors que c’est que le mal est incurable, & l’on ne voit pas que c’est qu’on a manqué d’aller au principe du mal.

Purgez doucement & souvent dans la parhésie de la main ; cette maladie obéïra enfin à votre persévérance ; appliquez à la main tous les topiques imaginables, & ne purgez pas, vos soins seront superflus ; mais à quelle sorte de purgation faut-il recourir ? Il faut d’abord commencer par quelques lavemens d’herbes émollientes & détersives, telles que la mauve, la mercuriale, le pourpier, le mélilot, & un peu de feuilles de senné ; puis venir à la purgation proprement dite, qui se fera avec une infusion de senné, de Rhubarbe & de tamarinds, où l’on délayera du sirop de pomme composé, dit du Roy Sabor. Nous ne déterminons point la dose du senné & de la rhubarbe, non plus que du sirop ; cela dépend de l’âge de la jeune personne. On réïtérera cette purgation plus ou moins souvent, selon les forces de la même personne. On lui fera prendre ensuite, tous les matins, à jeun, pendant quelques jours, un peu de petit lait, dans quoi auront boüilli légérement du cerfeüil & de la bourache. Au reste, l’usage du sel d’ebson dont nous avons parlé à la page 107. sera ici d’un grand secours.

Après les purgatifs & le petit lait, il faudra venir aux remédes extérieurs, tels que les suivants.

La personne trempera sa main dans le sang tout fumant ou d’un bœuf, ou d’un veau ou d’un mouton, ce qui se réïtérera le plus de fois qu’il se pourra. On lui frottera, outre cela, matin & soir, pendant un grand nombre de jours, l’épine du dos, le bras, & la main avec des linges doux, un peu chauds, & aussi-tôt après avec de l’huile de vers, laquelle sera dans un petit plat sur un peu de cendres chaudes. Quand on aura observé cette conduite quinze jours, ou trois semaines, ou un mois, & même davantage, si le mal paroît opiniâtre, on viendra à la douche vineuse, laquelle se pratiquera en la maniere suivante.

On aura une grande fontaine de fayance ; on la remplira de vin blanc médiocrement chaud, où l’on mêlera un peu de canelle ; puis on posera la fontaine sur une table haute, & l’on fera asseoir la personne au dessous du robinet, pour lui faire recevoir sur le bras nud, & sur la main nuë, un filet de ce vin tiede qu’on laissera couler par le robinet de la fontaine, & qui du bras & de la main tombera dans un plat, ou autre vaisseau, pour resservir plusieurs autres fois.

Cette douche doit durer chaque fois, une bonne demi-heure, & il faut la réitérer deux fois par jour ; sçavoir le matin à jeun, & le soir une heure après le souper qui doit être très-léger.

3.o Gonflement des vaisseaux de la Main.
Troisiéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Il faut que les veines qui sont répandues sur le dessus de la main, ne s’apperçoivent presque pas ; sans quoi la main, quelque perfection qu’elle ait d’ailleurs, ne sçauroit être belle ; il y a des personnes en qui ces veines sont si apparents, qu’on les prendroit pour de gros tuyaux de plume ce qui est d’une grande laideur. Les ouvriers les ont ordinairement de la sorte ; mais les personnes qui n’exercent leurs mains à aucun travail rude qui oblige le sang à se jetter avec violence dans les vaisseaux de la main peuvent aisément se garantir de cette difformité, & même la corriger, pourvu qu’elle ne soit pas invétérée. Je mets cette condition, parce que lorsque les vaisseaux ont une fois pris leurs dimensions, & qu’on les a laissé gonfler outre mesure pendant un long-tems, on a beau être encore jeune, ils ne sont presque plus susceptibles de rétrécissement. Cela posé, voyons comment on peut empêcher les vaisseaux du dessus de la main, de trop grossir, & de trop paroître. Ceci regarde principalement les personnes du sexe ; car pour les hommes ils doivent peu se soucier d’avoir la main si belle ; il est certains petits soins que les Dames peuvent prendre, & qui ne sieient pas aux hommes.

Pour empêcher les rameaux de veines répandus sur la main, de trop paroître, il faut d’abord éviter tout ce qui est capable d’y trop arrêter le sang, ou de l’y appeller en trop grande quantité ; comme de se laver les mains avec de l’eau trop chaude ; de les tenir trop long-tems panchées ; de porter des camisoles, des corsets, ou des corps, dont les échancrures ne soient pas assez ouvertes sous les aisselles. Car des échancrures trop peu ouvertes serrent le dessous des bras, & font gonfler les veines des mains en y retenant le sang. Il faut se garder de joüer à des jeux qui exercent trop rudement les bras & les mains, tels, par exemple, que le jeu de quilles, si commun chez les Religieuses parmi les Pensionnaires ; il faut éviter de serrer trop étroitement ses manchettes ou ses engageantes, comme on fait quelquefois pour les empêcher de glisser, ce qui produit le même effet que la ligature de la saignée ; il faut éviter de boucler soi-même ses souliers ; car en les bouclant soi-même, on panche avec effort les mains, & ce panchement forcé fait gonfler considerablement les vaisseaux des mains.

On doit observer outre cela, de faire souvent des mouvemens contraires à ceux qui rappellent ou qui retiennent trop le sang dans les veines dont il s’agit ; pour cela il est bon de lever de fois à autres, ses mains jusqu'à la hauteur du col, ou des oreilles, & en les tenant ainsi levées, de les épanoüir, & de leur faire faire en même tems, plusieurs demi-tours de giroüette ; cela détermine le sang de chaque main & de chaque bras à descendre, & rend, dans le moment, le dessus de la main aussi uni que s’il n’étoit parsemé d’aucun vaisseau.

Il faut passer & repasser souvent les mains l’une sur l’autre, depuis l’extrémité des doigts jusqu’au poignet.

Enfin, pour empêcher les vaisseaux de la main de trop grossir, il faut s’accoutumer à porter toujours des gands ; le gand presse doucement les vaisseaux de la main, & les empêche de se trop remplir de sang.

4.o Poireaux des Mains.
Quatriéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Les poireaux, ainsi appellés, parce qu’ils ressemblent à des têtes de poireaux, attaquent les mains de la plûpart des jeunes personnes, & sur-tout des enfans. Ils disparoissent ordinairement d’eux-mêmes, dans la suite de l’âge, c’est pourquoi on peut les négliger ; mais s’il sont en si grande quantité que la main en soit défigurée, & qu’il ne convienne d’attendre que l’âge les efface, il y a des moyens de les dissiper. Pour connoître ces moyens, il faut d’abord faire attention à ce qui produit les poireaux, ils ne viennent dans l’enfance & dans la jeunesse, préférablement à tous les autres âges, qu’à cause qu’en cet âge tendre, le sang est rempli de sucs visqueux & gluans, qui, étant portés à la peau des mains qui est plus épaisse qu’ailleurs, n’y peuvent aisément continuer leur route pour circuler, & faisant violence aux petits tuyaux qui les renferment, les obligent de s’élever en forme de têtes de cloux ou de poireaux, & de faire des excroissances charnues qui ont leurs racines dans la substance des fibres de la peau.

Ce principe établi, on peut juger de la méthode qu’il faut tenir soit pour empêcher la naissance des poireaux, soit pour les détruire quand ils sont venus.

La cause des poireaux, comme nous venons de remarquer, étant donc un suc gluant & visqueux qui ne peut aisément parcourir sa route, dans les petits vaisseaux des mains, il faut, tant pour prévenir, que pour détruire les poireaux, tâcher de corriger la viscosité de ce suc qui les produit, & pour cela il y a des moyens internes & externes. Les internes sont de n’user que de nourritures faciles à digérer, d’éviter toutes celles qui, quand même elles se digereroient, peuvent produire un sang trop épais, comme le fromage, de quelque nature qu’il soit, les patisseries massives, les pois, les féves, les lentilles, le lièvre, le lévrau, le porc, l’anguille, la séche, la merluë, tous les assaisonnemens dans lesquels dominent le sel, le poivre, ou le vinaigre.

Il faut outre cela, se purger de tems en tems, avec un peu de casse & de manne ; voilà pour ce qui regarde le dedans.

Quant au dehors, il faut tout de même, soit pour prévenir, soit pour dissiper les poireaux, entretenir, le plus que l’on peut, ses mains fraîches & douces en se les frottant tous les jours avec de bonne pâte d’amandes ; cela attendrit les sucs trop épais engagés dans les petits vaisseaux dont la peau des mains est parsemée, & leur donne plus de facilité à couler.

Un autre moyen qui est encore très-bon, c’est de tremper souvent ses mains dans de l’eau où l’on ait fait bouillir de la racine de guimauve, mais boüillir très-legerement. Cette eau est ramollissante, & diminue la trop grande consistance des sucs qui forment les poireaux. Un leger boüillon au veau, dans lequel on trempe ses mains, égale en vertu, cette décoction.

Il y a trois autres moyens d’ôter les poireaux, on les lie, on les coupe, on les consume. La ligature ne convient qu’à ceux qui sont d’un certain volume, & qui ont la base fort étroite. Cette ligature se fait avec un crin de cheval, ou avec de la soye. On peut les couper avec des ciseaux ; mais aussi tôt après, il faut toucher avec de l’huile de tartre, par défaillance, l’endroit d’où on les a séparés, sans quoi ils reviennent de plus belle ; au lieu d’huile de tartre on peut mettre de la poudre d’alum. On consume les poireaux en les touchant avec de l’esprit de sel, ou quelque autre liqueur rongeante. Telle que l’eau forte ; mais l’esprit de sel vaut mieux, parce qu’il n’y a nul risque à s’en servir, au lieu qu’en employant l’eau forte, comme font quelques personnes, il en peut mésarriver. Au reste, pour ronger les poireaux sans toucher à la bonne chair, il faut auparavant appliquer sur le poireau un emplâtre troué, & faire sortir le poireau par le trou de l’emplâtre. Cet emplâtre se fait avec un peu de Diabotanum.

Ce sont là les meilleurs moyens qu’on puisse employer contre ces excroissances ; car pour tous les autres remedes externes si vantés contre les poireaux, il n’y en a aucun sur lequel on puisse compter, & si après le long usage de quelques-uns, les poireaux disparoissent, c’est qu’ils avoient à disparoître d’eux-mêmes ; au lieu que les remédes que nous venons de proposer, sont suivis d’une guérison si prompte, qu’il est facile de voir qu’ils sont la cause de cette guérison.

Les remèdes vulgaires contre les poireaux des mains, & qu’on applique dessus, sont le suc d’ésula, ou celui d’élaterum, mêlé avec un peu de sel ; les feüilles de figuier macérées dans de l’eau, ou la gomme élémi mêlée avec du vinaigre ; Des figues broyées avec de la farine, puis mêlées avec un peu de nitre & de vinaigre.

La fiente de brebis mêlée avec du vinaigre.

La ciguë broyée.

Les feuilles de rhuë macérées avec du poivre & du nitre dans de l’eau.

Les feuilles de lierre, d’aristoloche & de sabine, pilées.

Une pomme coupée par la moitié, & dont on rejoint, par le moyen d’un fil, les deux morceaux, après en avoir rudement frotté les poireaux, puis jettée dans les ordures, & laissée là, jusqu’à ce qu’elle pourrisse. Car on prétend qu’à mesure que la pomme pourrit, les poireaux, de leur côté, pourrissent aussi & s’en vont. Ce reméde que nous ne garantissons point, est de Vanhelmont.

Les autres remèdes externes, sont la chaux vive, la pierre médicamenteuse, la tutie préparée, la racine de brione, pulvérisées ensemble, & mêlées avec du beurre.

Le précipité de mercure, le beurre d’antimoine, la pierre infernale.

L’esprit de nitre, l’esprit de souphre, l’esprit de vitriol, l’esprit d’alun.

La fiente de pigeon & le sel armoniac mêlés avec un peu de vinaigre.

L’eau salée qui découle des pots à beurre.

La cendre gravelée, la cendre de fresne, celle de sarment de vigne, mêlées avec du miel rosat, & du savon.

La graine de basilic, réduite en poudre & mise sur le poireau, qu’on a eu soin auparavant d’écorcher un peu.

La cendre d’écorce de saule, mêlée avec un peu de vinaigre bien fort.

Les feüilles vertes de la grande joubarbe, desquelles on a enlevé la petite peau.

Tous ces remedes & nombre d’autres qu’il est inutile de détailler, n’ont pas grande vertu ; il y en même qui peuvent nuire considerablement, si l’on n’a pas soin de garantir de leur action par quelque emplâtre deffensif, les environs du poireau, ou si l’on s’en sert pour les poireaux qui tiennent à quelques nerfs ou à quelques tendons.

Le précipité de mercure, le beurre d’antimoine, la pierre infernale, l’eau forte, enfin tous les violens corrosifs sont de ce genre, & l’on ne manque pas d’exemples de personnes ausquelles, dans de semblables cas, les remédes en question ont causé des inflammations à la main, ils peuvent même quelquefois causer la gangrene.

C’est aux peres & aux meres à prendre garde que leurs enfans ne s’avisent jamais de rien mettre sur leurs poireaux, sans en donner avis auparavant.

Il vient aussi des poireaux au visage, ceux-là sont d’une autre nature que ceux des mains ; nous en parlerons en traitant des difformités du visage, ce qui sera dans le quatriéme Livre.

5.o Durillons aux Mains.
Cinquiéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

La cinquiéme difformité que nous ayons mentionnée cy-devant, parmi celles de la main, est le durillon. Les enfans sont sujets à en avoir à la paulme des mains, parce que la plûpart se plaisent à manier diverses choses rudes au tact ; comme de la terre, des éclats de pots cassés, des morceaux de fer, & autres matieres semblables, qui heurtent, à coups redoublés, le dedans de leurs mains, & écachant par ce heurt réïtéré, la tissure de la peau, empêchent dans les endroits où se fait cet écachement, que la matiere superfluë qui se présente pour transpirer, ne transpire entierement ; ce qui oblige d’abord l’épiderme, autrement dit la surpeau, à s’épaissir dans ces endroits, puis à y prendre la consistance de durillon, à cause de l’évaporation continuelle qui s’y fait du plus subtil de la matiere transpirable retenuë.

Nous disons de cette difformité ce que nous venons de dire de celle des verruës, ou poireaux ; on peut attendre qu’elle passe d’elle-même, parce qu’elle n’a qu’un tems pourvû toutefois qu’on ne laisse pas les enfans se joüer sans cesse, avec ces sortes de choses ; car alors les durillons loin de passer, croîtroient de plus en plus, & pourroient devenir comme ceux des mains des ouvriers dans lesquelles ils n’occupent pas seulement la surpeau, mais gagnent quelquefois jusqu’à la peau même, ce qui les rendroit permanens & d’une difficile guerison ; ensorte qu’une jeune personne courroit risque d’avoir pendant les plus belles années de sa vie, le dedans de la main, sinon plein de durillons, du moins dur & calleux, ce qui ne laisse pas d’être un grand désagrément dans les personnes hors du commun.

Le moyen de dissiper les durillons des mains, lorsqu’ils ne sont pas bien invétérés, & que la personne est jeune, c’est de tremper souvent les mains dans du boüillon de tripes. Quelques-uns conseillent d’enlever d’abord par petites lames ces durillons avec un rasoir, ou avec un couteau bien trenchant ; mais c’est ce qu’il ne faut faire qu’avec de grandes précautions, ou plutôt ce qu’il ne faut jamais tenter, parce qu’il en peut arriver de fâcheux inconvéniens, pour peu qu’on aille trop avant. D’ailleurs quand le durillon est ainsi coupé, il recroît souvent comme l’ongle, & jusqu’au point quelquefois de devenir comme de la véritable corne.

6.o Tremblement des Mains.
Sixiéme difformité mentionnée cy-devant page 170.

On voit de jeunes personnes avoir les mains tremblantes, cette difformité vient ordinairement de la mauvaise coutume qu’ont les parens de donner aux enfans, de l’eau de vif-argent pour les guérir ou pour les préserver des vers. Quand ils en prennent long-tems, elle relâche les parties tendres & délicates de leurs petits corps, & principalement les tendons nerveux répandus dans les muscles qui servent à fléchir les mains, ce qui cause les tremblemens dont il s’agit ; tremblemens qui durent quelquefois tout le reste de la vie.

Trop saigner les enfans, leur faire des peurs subites, leur donner des coups sur les bras ou sur les mains, tout cela est encore capable, de leur causer des tremblemens de mains, c’est de quoi il n’y a que trop d’exemples, aussi bien que de l’eau de vif-argent, contre laquelle on ne sçauroit trop déclamer. Je renvoye là-dessus à ce que j’en ai dit dans le traité de la génération des vers.

Quant à la peur, c’est un grand hazard lorsqu’elle ne produit dans un enfant, que des tremblemens de mains, l’épilepsie étant souvent la suite de ces frayeurs.

Lorsque le tremblement des mains vient pour avoir beu long-temps de l’eau de vif-argent ; le meilleur remede à ce mal, est le lait de vache pris le matin à jeun pendant plusieurs mois, & interrompu de tems en tems, par de legeres purgations, lesquelles doivent être de la manne toute simple, dissoute dans du boüillon ; sur quoi nous avertissons qu’il faut absolument dans cette occasion éviter la casse.

Il y a des enfans qui se divertissent à manier du vif-argent, & qui en frottent des pieces de monnoye pour les rendre luisantes ; cet amusement leur est très-dangereux, & il suffit pour leur rendre les mains tremblantes. La maniere de remédier à ce tremblement, est la même que celle que nous venons de rapporter.

Quand le tremblement vient de l’autre cause, sçavoir de frayeur, il faut avoir recours à l’eau de Sainte Reine ; c’est tout le remede interne qu’il est à propos d’employer dans cette occasion.

Les secours intérieurs ne sont pas les seuls qui conviennent ici. Il faut, soit que le tremblement vienne de la premiere cause que nous avons alléguée, soit de la seconde, recourir aussi aux remedes extérieurs ; ces remedes, tant pour l’un que pour l’autre cas, sont de tremper matin & soir ses mains dans de gros vin de teinte, où l’on ait fait boüillir des roses de Provins, de l’écorce de grenade, & un morceau de coing. La dose du vin, est une pinte mesure de Paris, celle des roses de Provins quatre ou cinq pincées, celle d’écorce de grenade, deux onces environ, & celle de coing une once. Il ne faut pas que cette décoction boüille plus de deux minutes, après quoi on laissera tiédir le tout, & quand il sera tiéde, on passera le vin par un linge. C’est dans ce vin qu’il faudra tremper ses mains ; il suffit qu’il soit alors un peu tiéde. On fera ensuite réchauffer la même décoction, on en frottera tout le bras jusqu’à l’épaule, puis on viendra à l’épine depuis la nuque jusqu’au croupion.

Il y a des tremblemens des mains causés à des enfans, par des coups de férule sur leurs mains. Les parens doivent extrêmement veiller à ce que l’on ne fasse jamais subir de telles punitions à leurs enfans. C’est assez la coutume de certains Maîtres d’en venir à des coups de férule pour obliger la jeunesse à étudier. Ils ne sçavent pas les conséquences de ce châtiment, il est extrêmement dangereux, & sans parler des tremblemens dont il s’agit il arrive quelquefois que ces sortes de coups, démettent les doigts, ou causent à la main, des meurtrissures qui tournent en gangrene[7].

Quand le tremblement vient de ces sortes de coups, il est très-difficile d’y remédier. Il faudroit, si-tôt qu’un enfant a été ainsi frappé, & que sa main commence à en être débile & tremblante, le saigner de l’autre bras. On éviteroit par-là, bien du mal ; mais un enfant qui a été ainsi puni, le cache ordinairement à son pere & à sa mere, de peur d’être grondé. Les parens attentifs à la santé de leurs enfans, les doivent élever de maniere qu’ils ne craignent jamais de s’ouvrir à eux sur toutes les choses qui leur arrivent, c’est le moyen de prévenir bien des accidens.

Mais enfin, si l’on s’apperçoit qu’un enfant ait la main tremblante à l’occasion de quelque coup de férule qu’il ait reçu ; il faut, dès qu’on s’en apperçoit, le faire saigner ; mais de l’autre bras comme nous avons dit. Puis, pendant plusieurs jours, lui frotter la main avec de la décoction d’absynthe & du vinaigre mêlés ensemble, le tout chaudement.

Au reste, puisque nous en sommes sur les coups de férule, il n’est pas hors de propos d’avertir ici les parens, que si ces sortes de coups ne causent pas toujours des tremblemens, ou les autres accidens que nous avons marqués, ils ne manquent gueres, lorsqu’ils sont donnés sur la main droite, d’affoiblir cette main, & de la rendre moins legere pour écrire ou pour dessiner. Une personne qui veut réüssir dans l’écriture, ou dans le dessein, ne doit pas même manier le marteau, un tel exercice appesantit la main ; que ne sera-ce pas des coups de férule ?

7.o Dartres aux Bras & aux Mains.
Septiéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Lorsque les mains d’une jeune personne sont mangées par des dartres, il faut commencer par la purger avec le senné & la manne, & dès le lendemain la mettre à l’usage du jus de cerfeüil, dont on lui fera prendre pendant un mois & plus, trois ou quatre cuillers tout pur, le matin à jeun, une heure ou deux avant son lever ; je dis une heure ou deux avant son lever, parce que le cerfeüil fait beaucoup transpirer, & que pour aider cette transpiration, il est bon de demeurer quelque temps au lit, après avoir pris les trois ou quatre cuillers de ce jus. Au reste, on observera de ne point prendre de nourriture, qu’une bonne heure après être levé.

Le jus de cerfeüil se prépare ainsi : Piler une botte de cerfeüil dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, & quand il est pilé de maniere que le jus en sorte, le presser par un linge moüillé que l’on tord fortement pour exprimer le jus. Recevoir ce jus dans un vaisseau de verre ou de fayance bien net ; le conserver dans un lieu frais pour l’usage que nous venons de marquer. En Eté on n’en doit faire que pour deux jours de peur qu’il ne se corrompe ; une demi-botte suffit alors.

Les premiers jours que l’on use de ce jus, les dartres sortent plus abondamment qu’elles ne faisoient auparavant ; mais ensuite elles s’amortissent peu à peu, & quand on voit qu’elles commencent à s’éteindre, il faut les moüiller avec l’eau Albine, laquelle se fait en la maniere suivante.

Prendre une livre de litharge, la faire boüillir demi heure dans une livre & demie de bon vinaigre de Paris ; puis retirer le pot du feu, laisser rasséoir la liqueur l’espace d’un jour & d’une nuit, la verser ensuite doucement dans une phiole qu’on bouchera bien.

Cette liqueur, quand elle est reposée, doit être fort claire & transparente ; on en moüille avec un petit pinceau, bien propre & bien sec, le dedans d’un verre à boire, puis on renverse le verre, afin qu’il n’y reste dans le fond aucune goûte de la liqueur. Cela étant fait, on remet le verre sur son pied, & on le remplit d’eau commune bien claire. Cette eau n’est pas plutôt dans le verre, qu’elle devient blanche & épaisse comme du lait de vache ; c’est ce qui s’appelle l’Eau Albine.

On la verse dans une phiole que l’on bouche bien ensuite. On en moüille les dartres, & tous les environs, avec un petit linge, ou avec un petit pinceau, après l’avoir bien remuée. On les moüille ainsi plusieurs fois le jour, & l’on continuë une semaine ou deux, plus ou moins, selon l’opiniâtreté du mal. Il n’y a point de dartre qui ne cede à ce traitement.

Il faut prendre garde que le petit pinceau ou le petit linge dont on se sert pour enduire superficiellement le dedans du verre, ne soit point moüillé ; car s’il l’étoit, il troubleroit toute la liqueur. Il faut encore avoir soin que le dedans du verre avant que de l’enduire avec le petit pinceau, soit bien essuïé & bien sec.

Nous ne devons pas finir cet article sans avertir, que lorsqu’on voit les dartres en question, absolument éteintes, il faut purger comme l’on a fait au commencement, avec le senné & la manne ; deux gros de feüilles de senné & une once de manne suffisent pour une personne de douze à treize ans. On fait infuser le senné pendant la nuit sur les cendres chaudes, dans de l’eau toute simple. On coule cette eau le lendemain par un linge moüillé ; & dans la colature on délaye la manne, que l’on passe encore par un linge moüillé, comme on a fait le senné.

8.o Mains suantes.
Huitiéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Plusieurs jeunes personnes ont les mains toûjours suantes, & si suantes, qu’elles ne peuvent les appliquer sur rien, sans y laisser des marques de cette sueur. Quand ces sortes de personnes vous touchent les mains, elles vous les moüillent, & vous êtes obligé de vous essuïer sur le champ. Si elles vous présentent un couteau, des ciseaux, &c. vous les trouvez tout dégoutans de sueur. On demande par quels moyens se peut guérir une telle incommodité ; nous avertirons là-dessus qu’il faut bien se garder de rien employer pour cela, qui puisse faire rentrer la sueur au-dedans, ou l’y arrêter. Il y a des remedes infaillibles pour délivrer les mains de cette sueur, & si infaillibles qu’ils ont leur effet en quatre ou cinq jours, mais il en arrive des maux considérables, comme rhumatisme douloureux de tout le bras ; difficulté de respirer, palpitation de cœur, fiévres, suffocations, &c. parce que ces remedes chassent au-dedans, une humeur dont il faut au contraire procurer la sortie. Comment donc s’y prendre pour faire passer sans risque, une sueur qui rend les mains si desagréables ? c’est de la renvoyer sur les pieds. Les mains deviendront bientôt alors, dans l’état naturel. Mais comment la renvoyer sur les pieds ? Le voici.

Ayez de la toile cirée verte, la plus ancienne que vous pourrez trouver ; coupez-en des semelles ; appliquez une de ces semelles à la plante de chaque pied à nud ; puis mettez le chausson par-dessus ; laissez-les jour & nuit ; mais tous les soirs en vous couchant, & tous les matins en vous levant, essuïez-les avec un linge ; essuïez de même la plante de chaque pied, que vous trouverez toute baignée d’eau ; continuez tous les jours à porter de ces femelles que vous ne renouvellerez que lorsqu’elles commenceront à perdre leur force, ce qui n’arrivera gueres qu’au bout de dix ou douze jours. Comme chaque semelle prend la forme du pied, il faut éviter dès le second jour, de mettre à l’un celle de l’autre, parce que, sans cela, elles n’embrasseroient pas si bien le pied. Ce remede, au bout de quelques mois, fait diminuer sensiblement la sueur des mains ; & après six mois ou environ, il est rare qu’on ne soit pas guéri.

J’ai connu autrefois un jeune Ecclesiastique, qui étoit Prêtre depuis peu, lequel avoit les mains si suantes, qu’il ne pouvoit en Eté, célébrer la sainte Messe. Il me consulta sur son incommodité ; je lui dis qu’il se gardât bien de rien faire qui pût repousser au dedans une humeur dont il falloit exciter la sortie ; & je m’en tins là, parce que je n’avois pas encore connoissance du remede que je viens de proposer.

Au reste, la sueur que ces semelles procurent aux pieds, fait comme une espèce de bain qui entretient toûjours la plante du pied molle & souple ; si l’on y a des durillons, ils disparoissent alors, & l’on marche avec plus d’aisance & de liberté, ce qui est encore un grand avantage pour le bon air, & la bonne contenance.

On croiroit qu’en hyver ces semelles devroient refroidir les pieds, mais c’est tout le contraire, elles les tiennent frais en Esté, & chauds en hyver, le fait est constant par l’expérience.

Nous avons averti qu’il falloir choisir la toile cirée la plus vieille faite, la raison en est que lorsqu’elle est neuve, elle se colle comme un emplâtre contre la plante du pied, & ne produit point l’effet que nous avons dit. Mais quand elle est vieille, qu’elle a deux ans, par exemple, elle ne se colle plus au pied, & elle laisse à la sueur qui se détache de la plante du pied, l’espace suffisant pour s’échapper entre la semelle & le pied, & y faire cette espece de bain qui ramollit les durillons s’il y en a, & assouplit toute la plante du pied.

9.o Poulce de Tailleur.
Neuviéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

C’est un poulce renversé comme ces soutiens qui sont au haut des réchauds, & qui servent à soutenir les plats. Ce renversement donne au poulce une figure fort désagréable Elle vient ordinairement d’un effort habituel qu’on fait faire à ce doigt, pour pousser quelque chose qui résiste, une grosse aiguille, par exemple ; ce qui est cause que les Tailleurs ont ordinairement le poulce ainsi cambré. Les enfans se divertissent quelquefois à se le renverser de la sorte, les uns aux autres, & celui qui le souffre le plus patiemment pendant un certain temps remporte le prix. Ce petit jeu à force de recommencer, rend enfin le poulce tout-à-fait cambré, & si l’on ne remedie pas promptement à une telle difformité, on romproit plutôt le doigt, que de le redresser ensuite ; c’est aux parens à y veiller, & voici ce qu’ils doivent pratiquer en cette occasion. L’on assujettira le poulce de l’enfant entre deux lames de fer blanc enveloppées d’un linge, lesquelles par le moyen d’un cordon qu’on liera plus ou moins fortement autour de ces deux lames, tiendront le doigt en droite ligne ou plûtôt en feront incliner le bout vers le dedans de la main. La lame qui appuiera sur l’ongle, doit être un peu avancée en dedans, pour repousser le haut du poulce vers le dedans de la main. Mais la lame qui sera à l’opposite de celle-là, c’est-à-dire sur le plat du poulce, ne doit monter que jusqu’à sa jointure, pour laisser au doigt, le mouvement libre, & lui permettre de revenir en dedans. Chacun peut s’aviser là-dessus, de différentes inventions ; celle que je viens de décrire est suffisante ; mais ce n’est pas la seule qu’on puisse trouver.

10.o Doigts déjettés.
Dixiéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Il faut que les doigts des mains soient directs par les côtés, & n’inclinent pas plus par l’un que par l’autre. Les enfans se les défigurent souvent en se les tirant pour les faire claquer. Cet amusement disloque les doigts, & les fait déjetter tantôt à droit tantôt à gauche, ce qui rend la main très-difforme. Ainsi on doit empêcher les enfans de se divertir à cette sorte de jeu. Quand les doigts sont déjettés, il faut doucement avec la main, les ramener à leur rectitude ; car il faut prendre garde de rien forcer. Si l’enfant est bien jeune ils se redresseront aisément par le petit effort qu’on fera pour les incliner du côte opposé à celui d’où ils s’écarteront. C’est toute la manœuvre qu’il y a à faire ici. Mais si la jeune personne a passé quinze à seize ans, il sera difficile de corriger le défaut, parce que les doigts ne seront plus assez pliables pour obéïr aux mouvemens qu’on fera pour les ramener à leur rectitude.

11.o Doigts surnumeraires.
Onziéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Il n’est pas rare de voir des enfans venir au monde avec plus de cinq doigts, soit aux mains, soit aux pieds ; nous en avons rapporté des exemples dans le premier Livre, page 26. & 27. Ce nombre ne passe gueres celui de six à une main, & le doigt surnumeraire est ordinairement le poulce : mais quelque doigt que ce soit, il faut bien considérer s’il n’est que de chair, ou s’il est chair & os comme les autres. Si ce n’est que de la chair, on peut le retrancher facilement par le moyen d’une ligature de soye à la racine du doigt. On fait d’abord cette ligature un peu lâche ; quelques jours après on la serre un peu plus ; quelques autres jours après encore davantage ; & allant ainsi par degrés, le doigt se desséche & tombe de lui-même, ce qui ne fait presque point souffrir l’enfant ; mais si le doigt est osseux, la ligature n’y sert de rien & il vaut mieux alors le laisser, que d’en venir à le couper, comme font quelques Chirurgiens, cette operation pouvant causer la mort à l’enfant.

Au lieu d’un poulce surnumeraire, il arrive quelquefois que celui que l’on a, en vaut plusieurs par sa grosseur, tel qu’étoit celui de l’Empereur Maximin qui se servoit du brasselet de l’impératrice sa femme comme d’un anneau pour orner ce doigt[8]. Quand un enfant vient au monde avec un poulce si gros, il vaudroit mieux que le doigt fût double, que d’être si énorme en grosseur, pourvu que le surnumeraire fût sans os, parce qu’on pourroit, comme nous avons dit, le retrancher par la ligature, au lieu que la substance de deux étant ainsi réduite en une, on ne sçauroit en retrancher le surplus, sans recourir à une opération dangereuse. Tout ce qu’on peut faire dans une telle occasion, c’est d’environner le poulce avec un linge qui se serre étroitement, & d’avoir soin de le tremper plusieurs fois le jour dans quelque liqueur astringente, telle que du jus de centinode, autrement dite trainasse ou renouée, l’une des communes herbes des champs ; on remarque que ceux qui ont ainsi le poulce excessivement gros naturellement, sont la plûpart extrêmement voraces : Tel étoit entre autres l’Empereur dont nous venons de parler, il mangeoit & beuvoit extraordinairement. Il semble qu’on pourroit inférer de-là, que pour prévenir la grosseur outrée du doigt de laquelle il s’agit, le moyen seroit de donner peu de nourriture à l’enfant ; mais cet expédient pourroit avoir des suites fâcheuses, & il y auroit à craindre qu’en donnant à un enfant moins de nourriture que n’en demanderoit son tempérament, on ne lui diminuât la vie, pour lui diminuer le poulce.

Au reste, quand on a pris le parti de faire la ligature au poulce surnumeraire que je suppose n’être que de chair, on ne sçauroit trop se hâter d’exécuter cette résolution ; de peur qu’en différant quelques mois, ce poulce qui ne paroît que de chair, ne se munisse d’un os, ce qui n’auroit rien d’extraordinaire. Forestus & Spigelius parlent d’un enfant né avec un bras, où il ne paroissoit point qu’il y eût d’os, quelque recherche que l’on fît, & où quelques mois après, on sentit qu’il y en avoit un bien formé comme s’il étoit venu de lui-même ; non que cet os se fût engendré après la naissance, mais c’est qu’étant très-mol d’abord il avoit acquis de la consistance par le temps[9]. Ainsi, quand dans un enfant, un doigt qui ne sembleroit d’abord que de chair, paroîtroit ensuite muni d’un os bien dur, il n’y auroit rien en cela de surprenant, mais il ne seroit plus temps d’y faire la ligature.

12.o Engelures aux Mains.
Douziéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

Les Engelures rendent les mains extrêmement difformes par les enflures, & quelquefois par les crévasses qu’elles y causent. Comme cette difformité vient d’une matière transpirable, retenue sous la peau des mains par le froid qu’on a enduré, laquelle ne pouvant s’échapper, fait soulever la peau, & souvent jusqu’au point de l’obliger à se fendre, il est aisé de voir que le moyen, soit de prévenir, soit de guérir les engelures, c’est de recourir à des remedes qui puissent favoriser dans les mains, la transpiration qui y est arrêtée ou rallentie. Cela posé, voyons d’abord ce qu’il convient de faire pour prévenir ce mal. L’expédient le plus sûr pour cela, c’est de se frotter les mains dès le mois d’Octobre avec du vin blanc, où l’on ait fait infuser de la roqueste l’espace de deux jours. On met dans deux livres de ce vin, six onces de feüilles de roquette coupées menu, & récemment cueillies ; on les y laisse infuser le temps que nous venons de dire, & l’on remuë plusieurs fois la bouteille qui ne doit être bouchée qu’avec un morceau de papier, percé par-dessus de plusieurs petits trous d’épingle. Il n’est point nécessaire d’ôter l’herbe avant que le vin soit usé ; mais lorsque la bouteille est vuide, il faut y remettre du vin avec d’autre roquette, pour faire une nouvelle infusion. Ces infusions, au reste, se doivent préparer à froid. On se frotte les mains de ce vin deux fois par jour, sçavoir le matin en se levant, & le soir en se couchant ; il ne faut point le faire chauffer, & en général c’est une régle, que lorsqu’il s’agit de prévenir ou de guérir les engelures des mains, il ne faut jamais tremper les mains dans rien de chaud.

Pour ce qui est du temps rendant lequel on doit continuer ce remede, j’avertis que c’est pendant tous les mois d’Octobre & de Novembre.

Si l’on n’a pas eu soin de prévenir le mal, & qu’on s’en trouve attaqué, le même remede suffira, en ajoûtant toutefois à la roquette, deux ou trois onces de persicaire, & autant de menthe, l’une & l’autre récemment cueillies.

Si les engelures sont ouvertes, ayez six onces d’eau de-vie, jettez-y un demi-gros d’aloës & autant de camphre, laissez infuser le tout, l’espace d’une heure. Puis trempez un linge dans cette liqueur, & appliquez ce linge sur les engelures, après les avoir legerement graissées avec un peu d’huile de jaune d’œuf, continuez huit à dix jours. Il est inutile d’avertir que ces remedes n’auroient aucun effet, si l’on n’a pas soin de garantir les mains, de l’impression du grand froid.

13.o Main en épaule de mouton.
Treiziéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

La main en épaule de mouton, est une main extrêmement massive pardessus, avec des doigts à proportion ; cette difformité vient souvent de naissance, je veux dire qu’elle a son principe dans la constitution particuliere du corps. Alors elle est très-difficile & à prévenir & à guérir. Mais si elle n’a pas son principe dans le tempérament apporté de naissance, ou pourra plus facilement la prévenir & la corriger.

Pour la prévenir, il faut 1o. porter souvent des gants, & des gants un peu justes. 2o. Se laver tous les matins les mains avec une forte décoction de salsepareille coupée bien menu. On fait bouillir une once de cette racine dans deux livres d’eau commune, jusqu’à diminution du tiers, & on se lave les mains plusieurs fois par jour dans suffisante quantité de cette décoction. L’on continue environ trois semaines ; après quoi on ajoûte à la salsepareille, une demi-poignée de rénouée, autrement dite trainasse, herbe dont nous avons déjà parlé ; & on continue plusieurs mois à se laver les mains avec cette décoction.

Comme ce remède empêche les mains de trop grossir, il faut ne le faire que lorsqu’elles ont une véritable disposition à cette difformité, sans quoi il pourroit les rendre trop grêles.

Si elles commencent à grossir extraordinairement, ou qu’elles soient déjà parvenues à cet état qui les fait nommer à si juste titre, épaules de mouton, il faut ajouter à la décoction ci-dessus, deux onces d’équisetum, herbe vulgairement connuë sous le nom queue de cheval, & s’en laver, comme nous avons dit, surtout le matin au lever, & le soir au coucher ; ce qu’il sera bon d’accompagner d’une saignée du bras, si la personne est fort sanguine. Au reste, on ne sçauroit trop s’assujettir ici à porter des gants comme nous avons déjà dit ; mais tout cela, supposé que la personne soit encore bien jeune.

14.o Galle aux mains & aux bras.
Quatorziéme difformité mentionnée cy-devant, page 170.

La galle, en quelques parties du corps qu’elle vienne, ou qu’elle menace de venir, demande d’abord la purgation, accompagnée de quelque diaphorétique, ensuite les remedes adoucissans tant internes qu’externes ; & toûjours un régime de vivre capable de corriger l’acreté du sang.

La galle des mains tant aux hommes qu’aux femmes, & celle des bras & des mains aux femmes (car elles ont ordinairement les bras découverts) est une difformité d’autant plus considérable, qu’il n’y en a guéres de plus dégoutante à la vûë.

Cette galle est, ou humide ou séche ; l’humide consiste en de petits ulceres qui jettent du pus & du sang ; quelquefois en pullules qui sont autant de petites tumeurs remplies d’un sanie blanche qui paroît à travers ; elles sont ordinairement clair-semées & font enfler la main.

La galle seche consiste en pustules beaucoup plus petites. Elles sont dures, ne rendent aucune humeur, & se tournent en écailles farineuses, semblables à du son ; ce qui la fait appeller galle squameuse, ou furfurce, du mot latin squama qui signifie écaille, & de celui de furfur qui signifie son de farine. Cette derniere galle vient ordinairement au poignet. L’une & l’autre se guérissent de la même maniere.

On commencera donc, comme nous avons dit, par la purgation ; mais toute purgation ne convient pas ici. Il en faut une particuliere & specifique qui est la suivante.

Achetez chez un bon Apotiquaire, une demi-once d’aquila alba, deux scrupules de diagrede sulphuré, & quatre scrupules de diaphorétique mineral. Mêlez exactement ces trois ingrediens, qui seront en poudre bien fine, & avec du mucilage de gomme adragant fait dans l’eau de chardon bénit, formez-en soixante-quatre petites boulettes égales que vous conserverez pour l’usage que nous allons marquer dans un moment.

Le mucilage de gomme adragant se fera ainsi : Achetez une demi-once de cette gomme, bien blanche & bien pure, puis la jettez dans un pot où il y ait environ six onces d’eau de chardon bénit ; ouvrez le pot, & le mettez sur les cendres chaudes, où vous le laisserez quatre ou cinq heures ; au bout de ce terme, votre gomme sera en forme de mucilage, c’est-à-dire de gelée. Vous retirerez alors le pot de dessus les cendres chaudes, & vous passerez votre gelée, ou mucilage, au-travers d’un tamis bien propre & bien net, pour en séparer les petites ordures, s’il y en a. Cela fait, paîtrissez votre poudre avec une suffisante quantité de cette gelée, pour en faire une pâte épaisse, capable d’être réduite en soixante-quatre petites boulettes égales que vous ferez sécher à l’ombre, & que vous conserverez ensuite pour l’usage suivant.

On fait avaler le matin à jeun, dans une cuiller d’eau de chardon bénit, une, ou deux, ou trois, ou quatre de ces boulettes, selon l’âge ; elles s’avalent aisément, à cause de leur petitesse. On commence d’abord par une boulette si l’enfant est bien jeune, & au cas que cette dose ne purge pas, on donne deux boulettes le lendemain. On va ainsi en augmentant, jusqu’à ce que le remede fasse une évacuation suffisante ; car aux uns il en faut plus d’une boulette, aux autres plus de deux, aux autres plus de trois, aux autres plus de quatre. On se regle la-dessus, suivant l’expérience, & par ce moyen on ne court point de risque d’en donner plus qu’il ne faut.

Après avoir purgé ainsi deux ou trois fois dans le cours d’une quinzaine de jours, on mettra la jeune personne à l’usage des boüillons suivans. On prendra un poulet bien charnu, d’une médiocre grosseur, dans le ventre duquel on fourrera de la bourrache, de la buglose, & des fleurs de chardon bénit, ce qu’il en faudra pour remplir tout le ventre du poulet. On fera cuire le poulet dans six livres d’eau, jusqu’à ce que la chair quitte les os. Puis on passera l’eau par un linge, pour en faire deux boüillons que l’on donnera le matin, sçavoir le premier, quelque temps après le reveil de l’enfant, & le second deux heures ensuite. On continuera trois semaines ou un mois, & même plus, selon le besoin. On réïterera, sur la fin, la même purgation décrite ci-devant ; après quoi on aura recours aux remedes extérieurs que voici.

On prendra un quarteron de souphre en bâton ; on le tiendra avec une pincette de fer, & on y mettra le feu ; puis on laissera dégouter dans une terrine à demi-pleine de vin blanc, le souphre allumé ; on versera ensuite ce vin dans un pot, & on le conservera pour l’usage suivant.

On en mettra dans un plat ce qu’il en faudra pour y tremper les mains, & se les y laver ; on les y trempera l’espace d’un quart d’heure. On recommencera plusieurs fois le jour ; ayant soin de ne point faire servir plus d’une fois le même vin.

Ce remede vaut mieux que tous les onguents qui sont en usage contre la galle ; nous avertirons sur cela, que dans la plûpart de ces onguents, il entre du vif-argent, & que le vif-argent est ici fort dangereux.

Il y a des galles critiques qui viennent sur la fin de certaines maladies, & qui en présagent la guérison parfaite. L’on ne doit rien faire à celles-là, il faut les laisser aller leurs cours. Si cependant elles duroient trop, on peut sans crainte, y remédier par les secours ci-dessus, ces secours n’étant pas de la nature de ceux qu’on employe ordinairement contre la galle ; lesquels repoussent l’humeur en dedans, & deviennent par-là, extrêmement pernicieux, jusqu’à causer quelquefois des apoplexies, des paralysies, des surdités, la perte de la vûë, celle de l’ouïe, des fiévres, des morts subites, & presque toujours des suffocations, des difficultés de respirer, des langueurs, des enflures. Au reste, ce vin souphré quand on s’en lave plusieurs fois les mains, les rend douces, unies, & blanches.

Difformités des ongles.

Parmi les difformités de la main, que nous avons annoncées ci-devant, page 170, pour en parler de suite, comme nous avons commencé de faire, nous avons mis celles des ongles ; telles que sont, pour le répéter ici, les ongles déchaussés, leur enchassure gersée, déchiquetée, les ongles crochus, les ongles surmontés par la chair, les ongles trop épais, les ongles tombés ou tombans, les ongles en dos d’âne, les ongles raboteux, les ongles tachetez, les ongles partagés ou fendus, les ongles livides.

C’est de quoi nous devons parler à present, pour achever ce que nous avons à dire des difformités de la main.

1o. Ongles dechaussés.
Leur enchassure gersée, déchiquetée.
Premiere difformité des ongles annoncée cy-devant, page 170.

Les ongles déchaussés, sont des ongles enchassés de maniere, que leur emboëture laisse du large ; à peu près comme ces tableaux dont les bordures ne joignent pas. Car le bas & les côtés de chaque ongle, doivent être engagés dans la chair des environs comme dans une bordure, & cette bordure doit être si juste, qu’elle vienne à l’uni de l’ongle, par le moyen d’une petite pellicule qui le recouvre & l’enveloppe en forme de croissant droit.

Pour conserver à l’ongle cette perfection, quand elle s’y trouve, il faut avoir soin de ne jamais tremper les doigts dans du vinaigre, dans du jus de citron, dans du jus de groseille, ou autre chose de semblable, qui puisse mordre sur la pellicule tendre de la bordure des ongles, la dessécher, la ronger, la froncer, ou la faire rebrousser. C’est à quoi doivent prendre garde les jeunes Demoiselles, en faisant, comme il leur arrive souvent, du syrop de limon, de la gelée de groseille, &c. Elles doivent aussi avoir soin de ne jamais laisser tremper long-temps leurs doigts dans des sucs gras ; car alors cette enchassure devient trop molle, & à force de se ramollir & de se relâcher, elle se détache de dessus des bords de l’ongle ; à peu près comme du papier collé autour d’une vitre, quitte la vitre quand il vient à être détrempé par la pluye ; car les sucs gras font ici le même effet, que l’eau à l’égard du papier. La plupart des Chaircuriers, des Chaircutieres, & autres gens de cette sorte, qui ont presque toujours les doigts dans la graisse, ont les ongles déchaussés.

Le vrai moyen d’entretenir les ongles bien bordés quand ils le sont, c’est de laisser agir le baume naturel qui les nourrit, par la vertu duquel cette bordure se reproduit & se renouvelle tous les jours ; il s’agit pour cela, de ne toucher aux ongles que le moins que l’on peut, d’éviter ce que nous avons remarqué qu’il falloit éviter, & d’en demeurer là.

Rien n’est meilleur pour ôter entre la chair & le haut des ongles, la noirceur qui s’y amasse quelque-fois, que décrazer sur la pointe des doigts quelques grains de verjus, & d’en frotter l’extrémité des ongles ; mais il faut se garder, quand on le fait, de laisser couler le verjus sur la racine & sur les côtés de l’ongle ; car alors il gerseroit la petite pellicule qui borde l’ongle par en bas & par les côtés ; d’où il arriveroit que l’ongle se déchausseroit, ou que la pellicule en question, se diviseroit par petits filets ou lambeaux ; j’appelle ainsi ces petites déchirures qui s’élèvent quelquefois autour de l’ongle, & qu’on a coutume d’arracher soi-même avec de petites pincettes, ou avec l’ongle du poulce & du doigt indice de l’autre main ; il faut, quand on les retranche ainsi, les tirer bien adroitement, de peur d’écorcher la chair à quoi elles tiennent, parce qu’alors il en pourroit arriver de petites tumeurs qui n’embelliroient pas le doigt.

Voilà pour ce qui regarde là conservation de l’ongle par rapport à son enchassure. Mais quand il est déchaussé, que faut-il faire pour corriger ce défaut ? Le moyen en est facile. Il n’y a tous les matins qu’à mouiller avec sa salive, le cerne de l’ongle, sans l’essuier ; en faire autant le soir lorsqu’on se couche. L’ongle, par ce moyen, reprendra bien-tôt son enchassure, pourvû qu’on évite tout ce que nous avons recommandé ci-dessus d’éviter ; sans quoi toute la salive de la bouche seroit inutile.

2o. Ongles crochus.
Seconde difformité des ongles annoncée cy-devant, page 171.

Les ongles crochus sont ceux dont l’extrémité se recourbe en dedans comme une espèce de griffe, ce qui est d’une très-grande difformité. Cette difformité vient ordinairement aux personnes qui voulant ôter la malpropreté qui s’amasse quelquefois, entre le haut de l’ongle & la chair, ont coutume de passer la tête d’une brosse-à dents, d’une épingle, dans cet entre-deux, afin de le nétoyer. Cette petite manœuvre, à force d’être réïtérée ; fait écarter de dessus la chair, le bout de l’ongle, & l’oblige de prendre la forme de crochet ou de crampon ; parce que cette extrémité ainsi écartée, se rabat ensuite nécessairement sur la pommette du doigt, j’appelle pommette du doigt, l’éminence ronde & charnuë qui termine le haut du doigt en façon de petite pelote, & qui est placée sous la cuirasse de l’ongle, où elle construit le principal organe du toucher. En un mot j’appelle pommette du doigt, cette partie du doigt, de laquelle on se sert d’abord pour toucher quelque chose que ce soit, quand on veut s’éclaircir si cette chose est raboteuse ou unie, dure ou molle, &c.

La remarque que nous venons de faire sur ce qui donne occasion aux ongles de devenir crochus, indique d’abord, ce qu’il faut pratiquer pour se garantir de cette difformité. Mais lorsqu’on les a laissé devenir tels, voici ce qu’on peut faire pour y remédier.

Prenez un jaune d’œuf dur, & un demi-quarteron de belle cire blanche, incorporez ces deux choses ensemble dans un petit plat sur le feu, ajoûtez-y un peu d’huile d’amandes douces pour réduire le tout en consistance d’onguent. Gardez ce mélange dans une boëte pour l’usage qui suit.

Vous oindrez de cet onguent vos ongles, tous les soirs en vous couchant, & puis vous mettrez un gant que vous n’ôterez que le lendemain main. Tenez cette conduite trois semaines ou un mois. L’ongle se ramollira par ce moyen, & reprendra sa conformation naturelle. Mais comme il croîtra plus vite qu’à l’ordinaire, ne vous hâtez point alors de le couper, laissez-le grandir un peu, puis quand il excedera trop, rognez-le doucement, vous verrez au bout d’un mois ou environ, votre ongle d’une belle venuë.

Il arrive aussi quelquefois que sans avoir donné occasion à l’ongle de se crochuer, il ne laisse pas de contracter de lui-même, ce vice, par l’âcreté d’un mauvais suc nourricier qui s’y porte, & qui excitant les fibres de l’ongle, à la contraction, oblige l’ongle même à se courber ; mais de quelque cause que procede le crochuëment de l’ongle, soit de la premiere, soit de la seconde, le remede ci-dessus convient également ; si ce n’est que dans le dernier cas, il faut, en même temps, recourir à des remedes internes, qui puissent émousser l’âcreté du sang, tels que sont les orgeades, les gruaux, les boüillons au veau, & autres semblables, précédés de quelques saignées & de quelque legere purgation.

3o. Ongles surmontés.
Troisieme difformité des ongles annoncée cy-devant, page 170.

Les ongles qu’on laisse croître trop longs, sont d’une grande laideur ; mais il faut prendre garde, lorsqu’on veut prévenir ou corriger cette laideur, de les couper trop courts, comme font quelques personnes, qui ne leur donnent pas le temps de croître ; & qui, dès qu’ils les voyent monter au niveau de la chair, se hâtent de les ronger avec les dents, ou de les couper avec des cizeaux, & ne sont pas satisfaits qu’ils n’en ayent absolument retranché, tout ce qu’ils en peuvent retrancher ; jusqu’à entreprendre presque sur la chair vive.

Ces personnes s’imaginent se procurer par là des ongles propres & mignons ; mais au lieu d’y réüssir, elles ont bientôt le chagrin de voir leurs ongles surmontés par la chair du bout du doigt, laquelle s’élève par-dessus en forme de bourrelet, ce qui fait une difformité d’autant plus grande que ce bourrelet ressemble à une excroissance de chair, & que de plus, il est toûjours accompagné d’une malpropreté qui s’engage dans tous l’environ, où il se rabat sur l’ongle ; malpropreté si tenace, qu’on ne sçauroit venir à bout de l’ôter parfaitement, quelque soin qu’on ait de se laver.

Cette difformité est très-difficile à corriger quand on l’a une fois laissé gagner, parce que la douleur que l’ongle, en prenant son accroissement, cause à la chair qui le surmonte, fait qu’on est obligé de le couper, dès qu’il commence à pousser la chair ; & ainsi la difformité s’entretient & se change en un mal nécessaire. Il faut cependant, si on la veut guérir, souffrir cette douleur, & permettre à l’ongle de croître jusqu’à ce qu’il ait réduit cette chair en place ; si toutefois il est temps ; car lorsqu’on differe trop, il arrive que le haut de l’ongle, en prenant son accroissement, s’insinuë dans cette chair, & y fait une division qui peut avoir de mauvaises suites.

4o. Ongles trop épais.
Quatriéme difformité des ongles annoncée cy-devant, pages 171& 224.

L’ongle reçoit quelquefois de la masse du sang, trop de nourriture, ce qui le rend gros & épais. Ce surplus de nourriture vient de ce que la substance de l’ongle est plus molle qu’il ne faut ; car les conduits qui distribuënt les sucs nourriciers dans le corps de l’ongle, prêtent alors avec une extrême facilité, & admettent sans résistance, tout ce qui se présente à leur orifice ; d’où il arrive que l’ongle acquiert plus de massiveté & d’épaisseur. Le moyen de corriger ce défaut, consiste en deux choses ; La première, de ratisser l’ongle doucement, & à plusieurs reprises, avec un morceau de verre, ou une lame de couteau bien fine ; prenant garde d’aller trop avant, de peur d’entreprendre sur la membrane qui tapisse le dessous de l’ongle, laquelle est parsemée de fibres tendineuses extrêmement susceptibles de douleur ; la seconde, d’appliquer sur l’ongle un emplâtre astringent, tel, par exemple, que celui-ci, dont la propriété est de resserrer, & de rétrécir, les petits tuyaux qui portent les sucs nourriciers à l’ongle, & de l’empêcher par conséquent, de trop s’épaissir.

Reduisez en poudre fine, égales parties de mastich, de pierre calaminaire, de terre sigillée, de racine de bistorte, de racine d’angelique & de racine de termentille ; faites de cette poudre un emplâtre avec suffisante quantité de poix résine, de cire, & de therébenthine ; appliquez de cet emplâtre sur l’ongle ; & l’y laissez plusieurs jours sans le renouveler, recommencez ensuite & continuez pendant des semaines entieres.

Cet emplâtre au reste, convient extrêmement lors qu’on a ratissé l’ongle en la maniere que nous avons marquée ci-dessus, & il est à propos de l’y appliquer aussi-tôt.

5o. Ongles tombés ou tombans.
Cinquiéme difformité des ongles annoncée cy-devant, pages 170. & 224.

Diverses causes procurent la chute de l’ongle ; il tombe lorsque les racines viennent à être, ou rongées, comme dans le panaris, ou déchirées, comme dans quelques blessures, ou écrasées comme dans quelque violente compression. Alors succede peu à peu, un nouvel ongle par-dessous l’ancien, lequel se desséche à mesure que le nouveau, croit.

L’ongle ancien demeure quelquefois vacillant des semaines entieres, sans quitter sa place, ni qu’on l’en puisse ôter sans douleur, jusqu’à ce qu’enfin l’ongle de dessous crossant de plus en plus, le chasse absolument, de maniere qu’on n’en ressent aucune incommodité ; ce qui vient de ce que les fibres tendineuses du premier ongle, étant comprimées par le nouveau se desséchent & perdent, par ce moyen tout sentiment.

Il arrive souvent que le nouvel ongle prend une mauvaise figure, à cause qu’il se moule sur la chair de dessous, qui souvent aussi en a pris une mauvaise par l’effet de quelqu’une des causes que nous venons d’exposer. Car si c’est, par exemple, à l’occasion d’un panaris, il faut nécessairement que la chair du doigt, laquelle n’est plus alors assujettie par aucun pressement de l’ongle, parce qu’y ayant ulcere sous l’ongle, cet ongle dont les racines & les attaches sont rongées par l’ulcere, ne doit presque plus tenir à rien, il faut nécessairement, dis-je, qu’alors cette chair qui n’est plus retenuë par l’ongle, qui lui servoit comme de moule, ait la liberté de se défigurer ; or alors l’ongle tendre qui commence à croître par-dessus la chair, ne peut que suivre la mauvaise configuration où il trouve la chair, sur laquelle il s’étend.

Il s’agit donc ici de voir par quel art on peut prévenir cette mauvaise figure. Il n’y en a pas de plus sûr que d’appliquer sur l’ongle nouveau & encore tendre, le côté concave d’un petit morceau de fer blanc courbé façonné en ongle, selon la forme qu’on doit faire prendre à l’ongle véritable ; enduire le dedans de ce fer blanc, avec un peu de cérat ; puis serrer contre le doigt, ce fer blanc, de maniere que la chair du doigt, & l’ongle qui commence à la recouvrir, soient obligés de prendre la figure du fer blanc, & de s’y mouler ; il faut renouveller le cérat de deux en deux jours seulement, & remettre aussi-tôt le fer blanc pour ne pas donner le temps à l’ongle de se difformer.

Il ne faut point discontinuer cette pratique avant que l’ongle ait acquis sa dureté ; mais quand on voit qu’il commence à durcir, on doit se contenter d’appliquer le fer blanc sans cérat, de peur de trop attendrir l’ongle, & d’empêcher par ce moyen, qu’il n’acquiere la fermeté & la consistance requise.

On voit nombre de personnes dont l’ongle du poulce, ou de quelqu’autre doigt, ce qui est plus rare, a deux surfaces inclinées l’une contre l’autre en forme de dos d’âne ; ce qui fait appeller cet ongle, ongle en dos d’âne.

En quelque doigt que soit cette difformité, qui est plus ordinaire au poulce, elle vient toujours d’une des causes marquées ci-dessus, & du peu de soin qu’on a eu d’y apporter le remede convenable, qui n’est autre que celui que je viens de décrire, sçavoir la plaque de fer blanc ou de plomb, formée en ongle, & appliquée en la maniere que j’ai dite.

6o. Ongles raboteux.
Sixiéme difformité des ongles annoncée cy-devant, pages 170. & 224.

L’inégale distribution qui se fait quelquefois du suc nourricier à l’ongle, est ce qui le rend inégal & raboteux. On peut aisément corriger ce defaut, par le moyen d’un petit morceau de coenne de lard, appliqué sur l’ongle, & couvert d’un petit linge. Il faut renouveller la coenne de lard tous les trois jours ; on ne sçauroit exprimer combien ce reméde tout simple qu’il est, a de vertu pour faire que les sucs nourriciers de l’ongle, s’y distribuënt également, & pour unir, par ce moyen, la superficie de l’ongle.

7o. Ongles tachetés.
Septiéme difformité des ongles, annoncée cy-devant, pages 170. & 224.

Ce vice des ongles arrive, lorsque des particules du suc qui les nourrit, viennent à s’intercepter en divers endroits sous la substance de l’oncle : car alors ces particules qui sont blanches naturellement, se détachent des particules rouges du sang avec lequel elles sont mêlées dans leurs vaisseaux, paroissant alors à travers la corne transparente de l’ongle, la font paroître tachetée de blanc. Cette petite difformité se dissipe quelquefois d’elle-même, par l’accroissement de l’ongle, qui l’emporte en s’allongeant ; mais quelquefois elle est aussi permanente que la petite tache qu’on discerne au bas de l’ongle, laquelle a la figure d’un demi croissant, & fait une des beautés de l’ongle.

Alors il faut recourir à l’art pour dissiper ces petites taches, & comme elles sont accidentelles, & qu’elles n’ont pas le même principe que la petite tache blanche dont nous parlons, laquelle est naturelle, & fait un ornement de l’ongle, on peut les effacer, sans que le moyen employé à cette fin, puisse effacer de même, la petite tache blanche dont il s’agit. Quel est ce moyen ? C’est d’appliquer sur l’ongle, une compresse moüillée d’esprit de vin, camphré, & de l’y laisser plusieurs jours en la remoüillant de temps en temps avec l’esprit de vin, & observant de l’oter tout-à-fait, lorsque la marbrure de l’ongle est dissipée.

8o. Ongles partagés ou fendus.
Huitiéme difformité des ongles, annoncée ci-devant, pages 170. & 224.

Des sels âcres & corrosifs charriés par la masse du sang, & qui s’arrêtent dans la substance de l’ongle, sont la cause ordinaire des fentes qui arrivent à l’ongle, soit en travers, soit en long. Le moyen d’adoucir ces sels, c’est de tremper souvent l’ongle dans du lait chaud, mêlé d’un peu d’eau où ait boulli légérement un morceau de racine de guimauve ; & comme ces sels âcres sont fournis par la masse du sang, il est à propos de joindre à ce remede externe, quelques boüillons adoucissans, quelques saignées, & quelques purgations. Les boüillons doivent être faits avec fort peu de veau & de mouton, la moitié d’un petit poulet, & trois ou quatre écrevisses, le tout pour deux bouillons clairs, dont l’un se prend le matin à l’heure du lever, & l’autre deux heures ensuite.

Les purgations doivent être simples ; un peu de manne dans un bouillon suffit. Si ce qu’on aura pris de manne ne purge pas ou purge trop peu, il n’y a qu’à en prendre une plus grande dose le lendemain, ou le sur lendemain : car il faut tenir pour certain qu’en fait de purgatif adoucissant, il y en a peu qui vaille la manne.

9o. Ongles livides.
Neuviéme difformité des ongles, annoncée cy-devant, pages 170. & 224.

L’ongle, par lui-même, n’est point coloré ; ce n’est qu’une corne transparente, qui laisse voir la couleur de ce qui est immédiatement placé dessous ; or ce qui est immédiatement sous l’ongle, est la chair accompagnée de ses vaisseaux ; ou bien quelque suc extravasé entre l’ongle & la chair. Ainsi, quand ce suc extravasé, ou bien cette chair sont d’une couleur, il faut nécessairement que la corne de l’ongle paroisse de la même couleur.

La beauté de l’ongle, en ce qui concerne la couleur, consiste dans le rose pâle ; toute autre couleur est défectueuse ; on voit des ongles blancs comme du papier ; d’autres, rouges comme du sang ; d’autres, couleur de cerise. Les ongles blancs ressemblent à ceux des moribons ; les rouges comme du sang ont quelque chose de rude ; ceux qui sont couleur de cerise, choquent moins, mais ils choquent ; il n’y a que le veritable couleur de chair, c’est-à-dire le rose pâle, qui plaise. Des doigts, qui sont beaux d’ailleurs, & dont les ongles paroissent de cette couleur, ont toute la perfection qu’ils peuvent avoir.

Les ongles sont couchés les uns très-serrément sur la chair ; les autres d’une maniere un peu plus lâche. Quand l’ongle comprime trop la chair, il paroît blanc ; quand il ne la presse pas assez, il paroît de la couleur naturelle de la chair de dessous, & quand il ne la presse que médiocrement, il paroît d’ordinaire un peu plus pâle que la chair, ce qui fait un beau rose pâle, supposé toutefois que la chair sur laquelle l’ongle est couché, soit d’un rouge vif, comme elle doit l’être.

Pour se convaincre de ce que je dis, il n’y a qu’à presser un peu le dessus de l’ongle ; il pâlira aussi-tôt s’il est rouge, & en cas qu’il soit blanc, il paroîtra encore plus blanc.. La raison en est qu’en pressant un peu l’ongle, on presse un peu la chair, & que la chair un peu pressée devient blanche, à cause que cette pression fait retirer une partie du sang, qui remplissant les vaisseaux délicats & transparens de la chair, la faisoient paroître rouge.

Si au lieu de presser l’ongle par-dessus, on le presse par les côtés, à peu près comme on presse certaines tabatieres pour les ouvrir, l’ongle alors rougit dans toute la longueur de son milieu, & laisse voir une petite colomne rouge depuis ce haut jusqu’à la tache d’en bas, tandis que les côtés de l’ongle deviennent pâles & blancs. La cause de ce phénomene est qu’en pressant ainsi l’ongle par les côtés, ces côtés se rabattent davantage contre la chair, & que le dos de l’ongle, au contraire, s’élève plus en voûte ; ce qui fait que la chair est plus à l’aise entre les deux côtés de l’ongle, qu’elle ne l’est sous ces mêmes côtés ; d’où il doit arriver nécessairement, que la longueur du milieu de l’ongle paroisse rouge, & que les côtés au contraire pâlissent, puisque le dos de l’ongle pressant moins la chair de dessous, laisse plus de liberté aux petits vaisseaux de se remplir de sang, & que les côtés au contraire, pressant davantage la chair, contraignent par ce pressement, une partie du sang à se retirer.

Un coup sur l’ongle, cause quelquefois un si grand désordre par-dessous, que les racines qui tiennent l’ongle attaché à la chair, se rompent & se brisent ; ce qui oblige l’ongle à tomber peu de jours après. Mais quelquefois les racines demeurent dans leur entier, & il n’y a que quelques vaisseaux sanguins qui se rompent, par la violente compression du coup. Alors il se fait seulement un petit épanchement de sang entre la chair & l’ongle ; & ce sang épanché paroissant à travers l’ongle, le fait paraître livide, qui est la couleur des échymoses.

Cette lividité se dissipe quelquefois d’elle-même, ou à l’aide d’un peu d’eau-de-vie, dont on moüille un linge qu’on met sur l’ongle, & tout au tour du doigt.

Il arrive aussi quelquefois qu’elle persiste opiniâtrement. Le moyen de prévenir cet inconvénient, est de mettre sur l’ongle, & tout autour de l’extrémité du doigt, un linge enduit d’onguent fait avec la manne, l’huile d’olive & la cire, en cette maniere : Prenez une once de belle manne de Calabre, la plus nette, la plus blonde, & la plus transparente, qui se puisse trouver chez les Droquistes ; délayez-la dans un plat sur le feu, avec une once de cire blanche, & autant de bonne huile d’olive ; conservez cette mixtion dans une boëte, pour l’employer comme nous avons dit : Il ne faut renouveller l’onguent sur le doigt, que de trois en trois jours. Ce remede est souverain non seulement pour prévenir la lividité de l’ongle, mais même pour la dissiper.

On s’étonnera peut-être de voir entrer la manne dans la composition d’un onguent, mais elle a de grandes vertus en certains cas, appliquée à l’extérieur.

Main droite gauchere.

Nous avons parlé des principaux vices qui peuvent rendre la main difforme ; il y en a un cependant, qui, quoiqu’il n’apporte aucune difformité à cette partie, ne laisse pas de devoir trouver ici place. C’est celui où la main droite a la foiblesse de la gauche, & où la gauche dérobe la force de la droite ; ensorte que ceux en qui se rencontre ce défaut, & que pour cette raison, l’on nomme gauchers, se servent non seulement plus volontiers, mais beaucoup plus librement de la main gauche, que de la droite. Ce dérangement vient d’ordinaire, par la faute des Nourrices, dont quelques-unes portent toûjours sur le bras gauche, leurs enfans ; ensorte que ces enfans ainsi portés, n’ayant alors que le bras gauche de libre, se servent de celui-là, & l’employent en toute occasion, ce qui leur rend la main de ce côté-là plus forte, & l’autre plus foible. Car le fréquent exercice de la main droite est l’unique cause de sa force pardessus la gauche. Mais s’il est vrai, objectera-t-on, que ce soit le surplus d’exercice auquel la main droite a été accoutumée, qui lui donne le surplus de force ; il s’ensuit que la jambe droite ne devroit point avoir plus de force que la gauche, ce qui est cependant contraire à l’expérience. Je réponds que si la jambe droite, quoiqu’elle n’ait pas été plus exercée que l’autre, est néanmoins plus forte, c’est que les esprits animaux déterminés par l’exercice surabondant de la main droite, à venir en plus grande quantité, vers le côté droit, refluënt sur toutes les parties du même côté, & par conséquent sur la jambe & sur le pied.

C’est un fait constant que dans ceux qui ont perdu le bras droit, cette perte est abondamment réparée par le surplus de force d’agilité, dont jouissent alors le bras & la main gauches. On voit nombre de manchots de la main droite, écrire, dessiner, & faire plusieurs autres ouvrages de la gauche avec la même perfection que s’ils se servoient de la droite. D’où peut provenir cette compensation ? que de ce que la partie qui supplée à l’autre, est plus exercée qu’elle n’étoit ?

Au reste, il ne faut pas se figurer que la cause qui rend les enfans gauchers, vienne toujours de ce que les Nourrices les portent trop souvent sur le côté gauche ; la coutume qu’on laisse prendre à quelques-uns d’eux, quand ils sont un peu grands, de se servir toujours de la main gauche pour la droite ; est une autre cause fort ordinaire du défaut dont il s’agit.

L’homme n’apporte pas en naissant, une plus grande disposition à se servir d’une main que de l’autre, & après la naissance il conserve encore cette neutralité, ensorte que si l’on n’accoutume pas un enfant, à employer plus souvent la droite que la gauche, il sera ou ambidextre, ce qui n’est pas un défaut, ou gaucher, ce qui en est un.

Il sera ambidextre s’il n’exerce pas plus une main que l’autre ; & gaucher s’il exerce moins la droite que la gauche. Ainsi les peres & les meres doivent veiller à ce que leurs enfans n’employent gueres plus souvent la droite que l’autre. Il faut les accoutumer d’abord à ne rien présenter, à ne rien recevoir de la main gauche ; puis, quand ils sont un peu plus grands, & qu’ils commencent à joüer, prendre garde qu’ils n’agissent point trop de cette main ; un enfant, par exemple fera un château de cartes, il faut lui laisser la liberté de prendre & de poser ses cartes tantôt de la main gauche, tantôt de la droite : Il tirera un petit chariot, il faut lui laisser, tout de même la liberté de tirer ce chariot tantôt d’une main, tantôt de l’autre, & cela pour les raisons que nous avons dites ci-dessus.

Au reste, s’il est gaucher, on le corrigera par ce moyen, & s’il ne l’est pas le même moyen l’empêchera de le devenir.

Les Gouvernantes chargées du soin d’élever les enfans, les obligent sans cesse & en toute occasion, à agir de la main droite par préférence à la gauche. Cette action continuelle attire à cette main une plus grande quantité d’esprits ; le sang & les liqueurs y circulent par conséquent avec plus de liberté ; les sucs nourriciers s’y distribuënt avec plus d’abondance ; de-là on devient plus fort, plus agissant & plus adroit de cette partie, comme aussi de tout le côté droit, & on reste plus foible, moins agissant, & plus mal-à-droit du bras gauche, de la main gauche & tout le côté gauche. Inconvénient d’autant plus fâcheux, que s’il arrive une blessure au bras droit, à la main droite, ou aux doigts de cette main, & qu’en conséquence on soit obligé de porter ce bras ou cette main en écharpe, alors il faut nécessairement se servir de la main gauche, qui se trouvant plus foible & plus mal-à-droite, devient comme inutile, & ne peut suppléer aisement aux fonctions de la main droite. Combien de personnes qui n’ont ni la force ni l’adresse d’ouvrir de la gauche, une porte, de couper du pain, de tenir un verre d’eau ou de vin ? ce qui certainement n’arriveroit pas, si on accoutumoit les enfans à être ambidextres, c’est-à-dire à se servir également de l’une & de l’autre main.

Il faut, comme nous avons dit, accoutumer les enfans à ne rien recevoir que de la main droite ; la civilité le demande ; mais il ne faut pas aller plus loin ; & quand ils ouvriront une porte, ou qu’ils couperont du pain avec la main gauche, pourvû qu’ils ne s’en fassent pas une habitude, où sera l’inconvenient ? ne sera-ce pas au contraire, un avantage ?

Voilà pour ce qui regarde les Bras & les mains, revenons à l’article que nous avons interrompu, page 163. sçavoir à celui des difformités des jambes & des pieds.

Difformités des Jambes et des Pieds.

Suite de l’article que nous avons interrompu, page 163.
JAMBES COURBES.

Bien des enfans ont les cuisses & les jambes courbes. Cette difformité procede souvent de ce qu’on fait marcher les enfans trop tôt, & avant que leurs jambes ayent acquis assez de fermeté pour pouvoir soutenir le poids du corps. Il y a des enfans en qui ces parties sont fortes plutôt, & d’autres en qui elles le sont plûtard. C’est aux peres & aux meres à y prendre garde avant que de laisser marcher leurs enfans seuls ; & sans être soutenus. Il faut sur-tout éviter de faire faire aux filles, la révérence, avant qu’elles ayent atteint l’âge de cinq ans.

Quand un enfant commence à marcher, & que les jambes sont trop foibles pour le corps, on voit l’enfant qui cherche, lorsqu’il est debout, à appuyer ses genoüils, l’un contre l’autre, pour le soutenir. Il faut dès-lors l’empêcher de marcher, & le tenir assis le plus qu’il se peut, jusqu’à ce que ses jambes se soient fortifiées ; sinon elles cambreront peu à peu ; puis se courberont en arc ; & enfin deviendront contrefaites au point de ne pouvoir plus se redresser.

Le plutôt donc qu’on pourra empêcher l’enfant de marcher, lorsqu’on verra ses genoüils commencer, le moins du monde, à se pancher en dedans, ce sera le mieux, & si faute de cette précaution, la jambe est déjà courbée, il faudra appliquer le plus promptement qu’il pourra, une petite plaque de fer sur le côté creux de la jambe : puis on mettra une bande de linge sur la plaque, & sur l’endroit bossu de la jambe. On serrera tous les jours un peu plus cette bande, jusqu’à ce qu’elle comprime suffisamment l’endroit qui fait bosse ; & afin que cette compression ne blesse pas, on posera sur la portion du bandage qui sera sur l’endroit bossu de la jambe, une bonne compression. En un mot, il faut s’y prendre dans ce cas, pour redresser la jambe, comme on s’y prend pour redresser la tige courbe d’un jeune arbre[10].

Au reste, si la bosse qui fait la courbure de la jambe, étoit placée de maniere qu’il fallût poser la plaque de fer sur le gras de la jambe, il faudroit alors faire fabriquer une plaque qui fût un peu creuse à l’endroit qui répondroit à ce gras, parce que, sans cette précaution, le gras de la jambe étant trop comprimé, prendroit une mauvaise tournure. Il n’y a rien en tout cela que de très-facile, & que les parens ne puissent exécuter eux-mêmes.

La plaque, comme nous avons dit, ne doit point être placée à nud sur la chair, il faut qu’il y ait quelque linge entre deux.

Si l’enfant est bien jeune, il n’est pas à propos de mettre sur la jambe, aucune graisse, ou autre chose de semblable pour ramollir l’os de la jambe, qui n’est déjà que trop tendre. C’est de quoi je ne sçaurois trop avertir ; mais si l’enfant est déjà grand, & que les os ayent pris leur consistance ; les graisses, les huiles émollientes & autres remedes de cette nature, conviendront.

La courbure des jambes vient souvent de ce que l’enfant est noüé ; quand elle vient de cette cause, on doit observer avec encore plus de soin, ce que nous venons de dire.

Souvent les jambes d’un enfant deviennent tortuës, à cause que la Nourrice en le portant entre ses bras, le tient toujours sur un même côté ; car il arrive delà que lui serrant toûjours les jambes de ce même côté, principalement à l’endroit du genoüil, elle contraint les jambes de l’enfant, à se courber nécessairement ; au lieu qu’en changeant souvent de côté, les jambes n’en peuvent recevoir aucun dommage.

La coûtume des Nourrices, de serrer plus qu’il ne convient, les jambes de l’enfant en l’emmaillotant, est encore une cause bien ordinaire des difformités qui arrivent à ces parties. On ne doit pas même attribuer à une autre cause qu’à celle-là, l’enfoncement que dans presque tous les squeletes on remarque à l’os de la jambe qui est proche la cheville du pied en déhors ; car cet os qui soûtient seul, l’effort du bandage vers la cheville donc il s’agit, & qui est plus mince que l’autre, doit nécessairement, lorsqu’on le presse, plier considerablement en cet endroit, étant aussi tendre qu’il est dans l’enfant, & c’est ce qui ne manque point d’arriver, comme le squelete le fait voir.

Pieds contrefaits par une mauvaise tournure.

Il y a des pieds forcement tournés en dehors ; & d’autres forcement tournés en dedans. Cette difformité, vient ou de naissance, ou d’accident. Quand c’est de naissance, il faut que la Nourrice essaye tous les jours en remuant l’enfant, de lui tourner doucement les pieds dans le sens naturel, & que pour cela elle observe ce que nous avons dit la-dessus quelques pages plus haut.

Comme les ligamens sont alors extrêmement tendres, ils obéïssent facilement à ce petit effort, pourvu qu’il doit souvent réitéré ; c’est aux parens à y avoir l’œil.

Si cette mauvaise tournure a été long-tems négligée, ou qu’elle vienne d’accident, & que la jeune personne soit déjà un peu grande, on pourra, à moins que le pied ne soit tout-à-fait estropié, & qu’il n’y ait plus de ressource, on pourra y remédier par les moyens suivans. 1.o En recourant à des remedes capables de ramollir les ligamens, comme sont les fomentations avec les boüillons de tripes, les frictions avec l’huile de lis, les cataplâmes avec les feüilles & les racines de guimauve. 2.o En essayant tous les jours avec la main, de ramener le pied dans sa situation naturelle. 3.o En employant pour cette fin, de forts cartons, ou des atelles de bois, ou de petites platines de fer, qu’on a soin de serrer avec une bande. Cela vaut mieux que toutes les botines qu’on a coutume d’employer dans ces occasions.

Autre mauvaise tournure des Pieds.

Il y a une autre mauvaise tournure des pieds, fort différente de celle-là pour la cause ; c’est celle qui vient de la paresse à tourner les pieds en dehors, ou de l’affectation à les tourner trop en dedans. On voit des personnes qui se négligent si fort sur la maniere de porter les pieds, qu’encore qu’il ne tienne qu’à elles de les avoir en dehors, elles les ont toujours en dedans. On appelle ces gens-là des cagneux ; vice commun sur-tout dans le sexe, qui devroit cependant l’éviter avec plus de soin, rien ne donnant une idée plus dégoutante de la personne que cette négligence. D’autres affectent si fort de tourner les pieds en dehors, qu’ils se rendent ridicules par-là. Ce vice est ordinaire à bien des gens de Province.

Quant aux personnes qui par paresse, s’accoutument à porter les pieds en dedans, cette difformité leur devient à la longue, si naturelle, qu’on a presque autant de peine à les en corriger que si elle venoit d’accident, ou de naissance. C’est aux parens à prevenir le coup. Mais si malgré leurs soins & leurs avertissemens, ils voyent que la jeune personne se néglige trop là-dessus, il faut qu’ils fassent faire de ces marchepieds de bois, si en usage chez les Religieuses pour leurs jeunes Pensionnaires, dans lesquels il y a deux enfoncemens séparés, pour y mettre les pieds, & où ces deux enfoncemens sont creusés & figurés de maniere que chaque pied y étant engagé est nécessairement tourné en dehors. L’enfant se servira de ce marchepied toutes les fois qu’il sera assis. Mais il y a ici un inconvénient, c’est que lorsqu’il voudra marcher les pieds en dehors, il chancellera, & sera en risque de tomber. Ce qu’il faudra faire alors, c’est de le soutenir par-dessous les bras pour l’accoûtumer peu à peu à marcher comme il convient. Qu’on sacrifie tous les jours une demi heure à cet exercice, cela suffira, & encore on peut partager cette demi heure en deux quarts d’heure, pour ne pas fatiguer l’enfant.

Au surplus, quand un enfant, par une mauvaise habitude, tourne les pieds en dedans, voici un autre moyen pour l’en corriger, c’est de lui faire tourner les genoüils en dehors. Si-tôt qu’ils seront ainsi tournés, les pieds se tourneront de même.

On peut avoir les pieds en dehors sans y avoir les genoüils, on a toujours alors mauvaise contenance, & on n’est point bien sur ses pieds ; mais on ne sçauroit avoir les genoüils en dehors que les pieds n’y soient, & on est toujours alors bien planté.

Il y a des peres & des meres qui font porter à leurs enfans de petits sabots pour leur faire tourner les pieds du sens qu’il faut. Cette pratique n’est pas sans inconvénient, elle met à chaque pas l’enfant en danger de tomber, & de plus elle le fait marcher pesamment. Habitude dont on a bien de la peine à le défaire ensuite.

Que la plûpart des enfans n’ont les pieds en dedans, & d’autres difformités, que par la faute des Nourrices, qui les enmaillottent mal.

Les Nourrices, en enmaillotant leurs enfans, leur fixent ordinairement les pieds pointe contre pointe, au lieu de les leur fixer talon contre talon, comme elles pourroient néanmoins le faire très-aisément par le moyen d’un petit coussinet engagé entre les deux pieds de l’enfant, & figuré en forme de cœur, dont la pointe seroit mise entre les deux talons de l’enfant, & la base entre les deux extrémités de ses pieds. Si l’on avoit soin de faire observer par les Nourrices ce que je dis, on ne verroit pas tant de cagneux & de cagneuses.

L’art d’enmailloter les enfans, n’est pas une petite chose ; on l’a pû voir par ce qui a déjà été remarqué sur ce sujet en divers endroits de ce Livre. Mais cette matiere est si importante qu’elle mérite bien que nous en disions encore un mot, tant pour servir de récapitulation à ce que nous en avons déjà dit, que de supplément à ce que nous pouvons avoir omis d’en dire.

La plûpart des enfans qui sont noüés, ne doivent ce triste état, qu’à la male-façon dont ils ont été enmaillotés, c’est-à-dire, au détestable usage établi parmi les Nourrices, de serrer & de garroter à force de bandes, de tendres enfans ; comme si c’étoient des ballots qu’elles eussent à envoyer dans quelque Païs bien éloigné.

Si la situation où se trouvent les membres d’un enfant, à chaque tour de bande, n’est pas directe, mais de travers, il en résulte des inconvéniens qui influent non-seulement sur la conformation du corps, mais sur la santé & sur la vie de l’enfant.

La position naturelle des épaules, des bras, & des mains d’un enfant qu’on remuë, c’est-à-dire qu’on enmaillote, celle des pieds, des jambes & des genouils, se dérange très-souvent, parce que l’enfant ne cesse de remuer & de fretiller, de sorte que quelque attention que les Nourrices ayent de bien placer & de bien contenir ces parties, il peut arriver & il n’arrive que trop souvent, que les pieds se trouvent l’un sur l’autre, de même que les jambes & les genoüils ; alors ces membres étant mal posés, on les serre, on les bande dans cette position, & on les garrote de maniere, que la grande compression que l’on fait sur des parties encore molles, tendres & délicates, dérange leur ordre & leur distribution, change leur figure & leur direction, empêche leur extension naturelle, & par là donne occasion à des difformités qu’on ne verroit point si on laissoit à la nature, la liberté de conduire & de diriger elle même son ouvrage sans peine & sans contrainte.

Une compression forte sur des parties susceptibles d’impression & d’accroissement, telles que sont les membres d’un enfant nouveau né, peut causer bien d’autres accidens. Des embarras dans les visceres, des obstructions dans les glandes, des engorgemens dans les vaisseaux, sont souvent les tristes suites de cette violente compression. Combien de poitrines foibles & d’estomachs débiles, parce que les vaisseaux qui distribuent les liqueurs dans ces visceres, sont privés de leur ressort, pour avoir été trop comprimez ?

Un autre point qui est bien à considerer ici, c’est que les nourrices sont très-paresseuses à remuer leurs enfans, à cause du nombre & de la longueur des bandes, dont elles se servent pour les enmailloter, ne leur étant pas possible de défaire ces bandes sans beaucoup de peine. Aussi voyons-nous que la plûpart d’entre elles ne remuënt les enfans que deux fois par jour, sçavoir le matin & le soir. Paresse qui est infiniment préjudiciable à ces pauvres enfans, qu’on laisse ainsi croupir dans la fange, au lieu de les laver souvent pour les tenir dans la propreté nécessaire à leur accroissement & à leur santé.

Voyez les petits des animaux tandis qu’ils sont sous la mere : voyez quels soins la nature apporte alors pour empêcher qu’ils ne touchent, même un seul moment, à ce qui s’échappe de leurs corps. N’y aura-t-il que l’homme, qui, dans cet état de foiblesse, sera tranquillement laissé en proye, je ne dis pas des heures, mais le plus souvent des journées entieres, à l’infection & à la pourriture ; Je ne finirois pas, s’il me falloit entrer dans le détail de toutes les fautes que l’on commet pour ce qui regarde le gouvernement des enfans au berceau. Revenons à l’article que nous avons interrompu au sujet des jambes & des pieds.

Pieds panchés, plus d’un côté que de l’autre.

Si les pieds panchent plus d’un côté que de l’autre, il faut donner à l’enfant des souliers, qui, vers l’endroit où les pieds panchent, soient plus hauts de semelle & de talon ; cela les fera incliner du côté opposé.

Hors ces occasions il faut prendre garde que les souliers des enfans ne tournent. Si cependant ils ne tournoient qu’en dedans, il n’y auroit pas beaucoup de mal, parce que cette inégalité, pourvu qu’elle ne soit pas considerable, aide à porter en dehors, la pointe du pied, au lieu que lorsque les souliers tournent en dehors, ils font tourner la pointe de pied en dedans.

Au regard de ces personnes qui affectent trop de porter les pieds en dehors, dont nous avons parlé plus haut, ce sont des avertissemens, plutôt que des remedes qu’il leur faut.

Jambe boëteuse par entorse.

Les enfans sont sujets à se faire des entorses, & une entorse négligée peut quelquefois rendre boëteux pour toujours. C’est pourquoi on ne sçauroit apporter trop de soin pour empêcher les enfans de trop courir, ou de sauter, car ce sont ordinairement là les causes de leurs entorses. Il faut donc, sitôt qu’un enfant, ou autre personne s’est fait une entorse, y remédier sans délai. Quelques-uns conseillent pour cela, 1.o de mettre à l’instant le pied dans de l’eau froide, ce qui effectivement n’est pas à négliger, car d’eau froide fait retirer les ligamens qui ont été trop allongés par l’effort qu’ils ont souffert, & empêche la fluxion sur la partie. 2.o D’appliquer sur l’entorse, après que le pied a été retiré de l’eau, un hareng salé bien broyé, ce qui achève la guérison, en résolvant ce qui pourroit s’être jetté d’humeur sur la partie. On peut aussi se servir du reméde suivant : Mettez un blanc d’œuf avec trois ou quatre goûtes d’huile rosat, plein un dé de poudre d’alun. Etendez cela sur une compresse que vous appliquerez sur l’entorse, & que vous assujettirez avec une bande, que vous serrerez un peu fortement. Otez cet appareil au bout de deux jours, & le troisiéme fomentez la partie avec du vin chaud, où vous aurez jetté un peu de sel commun. Ayez ensuite une large compresse en quatre doubles, longue de demi-aulne, & trempée dans ce vin, appliquez-en le milieu sous la plante du pied, puis en amenez les deux bouts sur le cou du pied & les y faites croiser : ramenez ensuite sur les chevilles, ce qui restera de ces deux bouts, ensorte qu’ils embrassent tout le tour du pied. Prenez après cela une bande large de deux travers de doigts, & longue de deux aulnes posez-en un bout au côté opposé à l’entorse, puis conduisez-la sous le pied afin qu’elle le releve & le tienne dans une situation droite ; tournez-la ensuite de maniere autour du pied, que tous les tours que vous ferez, aillent se croiser sur le cou du pied, & finissez en lui faisant faire un tour circulaire au-dessus des chevilles.

Les fomentations dont nous venons de parler, doivent se réïterer de deux jours l’un, dans l’espace de dix à douze jours, après quoi il faut mettre sur l’endroit de l’entorse, un ciroine astringent, étendu sur un morceau de cuir, & l’assujettir par le moyen d’une bande moins longue & moins large que la précédente, mais avec laquelle on fait les mêmes tours, & dont on attache par un point d’aiguille, le dernier bout, pour n’ôter la bande que lorsque la personne malade s’en pourra passer.

Quand l’entorse a été grande, il arrive quelquefois, quoiqu’elle soit guérie, qu’on s’en ressent des années entieres, & que pendant tout ce temps-là, on ne peut marcher sans boëter un peu ; principalement lorsque le pied vient à poser sur quelque endroit inégal & panchant. On prendra donc extrémement garde, jusqu’à ce que le pied soit bien affermi, de ne marcher que dans des endroits unis & commodes, faute de quoi l’on risque de se faire une nouvelle entorse, ou de marcher toujours en chancelant, & de mauvaise grâce.

Jambes paralytiques par effort.

Il est certains efforts de jambes, qui, quoique legers en apparence, peuvent les rendre paralytiques. Un enfant de six ans, qui jusqu’à cet âge là, n’avoit eu aucune incommodité, commença à se faire porter à califourchon sur les épaules d’un frere aîné qu’il avoit, lequel le mettoit tous le jours sur son col jambe deçà jambe delà, & le promenoit ainsi le plus long-temps qu’il pouvoit pour le divertir. Ce jeu ne fit d’abord aucun mal à l’enfant ; mais ayant un jour été réïteré comme à l’ordinaire, l’enfant se trouva tout d’un coup attaqué de paralysie aux deux jambes ; les parens lui firent aussitôt, les remédes qu’ils jugerent les plus convenables ; ils employerent les linimens, les onguents, les essences, les eaux minérales chaudes, les bains préparés avec les fourmis, & avec la lie de vin rouge, enfin ils vinrent à bout de guérir la jambe gauche ; mais ils ne purent guérir de même, la jambe droite, laquelle pendant huit ans, demeura paralytique, de maniere que le malade ne pouvoit nullement s’en servir ; ils ne se rebuterent point pendant tout ce temps-là, ils continuerent les mêmes remedes, & leur persévérance eut un tel succès, qu’elle mit le malade en état de marcher avec un bâton, état où il demeura jusqu’à l’âge de quarante ans, qu’il mourut d’une fiévre aiguë, en l’année 1733. mais dans cet état, il ne pouvoit marcher qu’en faisant faire à son pied droit un demi-cercle, à peu près comme si ce pied, qui étoit d’ailleurs très-flexible quoique paralytique, avoit été un pied artificiel.

M. Salzmann célébre Docteur en Médecine de Strasbourg, qui a été témoin de la chose, & qui rapporte cette histoire, prétend que la véritable cause du mal dont il s’agit, est la violente tension que les muscles des jambes avoient soufferte, lorsque l’enfant étoit porté sur les épaules de son frere les jambes pendantes, l’une d’un côté l’autre de l’autre ; & il ne doute nullement que le premier effet de cet effort n’ait été de rendre les jambes paralytiques, en relâchant les muscles. Pour faire entendre sa pensée, il se sert de la comparaison d’un arc, dont la corde trop tenduë se lâche à la fin, & perd sa force. Mais pourquoi la jambe gauche fut-elle guérie preferablement à la droite, quoiqu’on fît les mêmes remedes à l’une & à l’autre ? M. Salzmann en rend une raison qui pour n’être que conjecturale, n’en paroît pas moins naturelle : sçavoir, qu’il faut apparemment que la jambe droite, lorsqu’elle étoit suspenduë, souffrit plus d’effort que la gauche, (ce qui est très-aisé à concevoir) ou que les vaisseaux de cette jambe, eussent par eux-mêmes, plus de disposition à être comprimés ou obstrués ; ou bien que les remedes spiritueux appliqués sur les deux jambes, ayent trouvé dans la droite, des sucs nourriciers plus capables de se dissiper par la trop grande action de ces remedes que dans la gauche, étant certain que les topiques spiritueux, quand ils sont trop actifs, ne servent souvent qu’à augmenter les embarras, en dissipant les sucs les plus fins & les plus fluides, d’où il arrive qu’il ne reste alors dans la partie, que les sucs les plus grossiers, & par conséquent les moins propres à la nourrir & à la fortifier. M. Salzmann met l’eau de-vie au nombre des topiques spiritueux qu’on employa dans l’occasion dont il s’agit, & qu’il soupçonne avoir été capables de produire la dissipation dont il parle. Son observation en cela, est d’autant plus digne d’attention, qu’on abuse tous les jours de ce remede, qui, comme on le remarque, avec raison, dans une these soutenuë aux Ecoles de Médecine de Paris le 7. d’Avril 1729. meriteroit souvent d’être plutôt appellée eau de mort, qu’eau de vie.

Quoiqu’il en soit, on voit par cette histoire combien il est important de prendre garde à ce qui peut arriver aux enfans, lorsqu’on les porte avec trop peu de précaution, soit sur les bras ou autrement, & qu’on fait violence à quelques parties de leurs corps. Qui auroit crû qu’un enfant fut devenu paralytique des deux jambes pour avoir été porté à califourchon sur les épaules ? C’est pourtant ce qui est arrivé à celui qui fait le sujet de cet article[11], & ce qu’on ne peut assurer qui ne puisse arriver à d’autres.

Pieds équins.

On nomme ainsi, du mot latin equus, qui signifie cheval, des pieds faits comme des pieds de cheval. On rapporte qu’il y a dans la mer noire, des isles, dont les habitans ont les pieds ainsi faits. Ces peuples sont appelles Hippopodes, d’un terme grec qui signifie pied chevalin.

J’ai connu un Médecin qui avoit naturellement les pieds de la sorte, & j’étois son ami intime ; une mort précipitée l’a enlevé : c’étoit un homme dont la tête compensoit bien l’imperfection de ses pieds.

On cache cette difformité par des souliers construits en dehors comme les souliers ordinaires, mais garnis en dedans, d’un morceau de liege, ou d’un peu de bourre, qui remplit l’endroit du soulier, que le pied trop court laisse vuide.

Quoique cette difformité s’apporte dès la naissance, elle n’est pas absolument incurable : on peut y remédier, sinon en tout, du moins en partie, en tirant fréquemment, mais doucement, les orteüils de l’enfant. Une nourrice, une mere un peu patientes & attentives en peuvent venir à bout. Il y a outre cela, un petit bandage à faire aux deux pieds, duquel on peut tirer ici un grand secours, c’est d’envelopper chaque pied séparement avec une bande qui presse un peu, les côtés du pied, & oblige insensiblement le pied, à mesure qu’il croît, à s’allonger par la pointe.

Défauts concernans le port des jambes & des pieds.

Il ne suffit pas que les jambes & les pieds soyent exempts des défauts ausquels nous avons remarqué qu’ils sont sujets, si avec cela, on ne se tient d’une certaine maniere sur ses jambes & sur ses pieds. Trois remarques se présentent là-dessus.

1o. Il y a des gens qui marchent en dandinant ; ce défaut, quand une mauvaise habitude, ou quelque accident n’en est pas la cause, procede d’une foiblesse de hanches. Les hanches servent à lier les extrémités inférieures avec le tronc ; en sorte que si ce lien est foible, il faut nécessairement boëtter des deux côtés ; ce qui fait le dandinement.

Plusieurs jeunes personnes sont attaquées de cette difformité, qui souvent leur reste toute la vie. La cause ordinaire d’une telle disgrace, vient des nourrices & des sévreuses, dont la plupart laissent imprudemment marcher leurs enfans seuls & sans aide, avant que les parties qui doivent soutenir le poids de leur corps, ayent acquis la fermeté nécessaire.

Quand la difformité tire son origine de-là, il faut, pour la corriger, avoir recours à des ceintures qui compriment tout le tour du ventre ; & qui soient bien garnies vers les hanches. Cette compression donne de l’assurance & de la force dans le marcher, en raffermissant les hanches ; mais pour les raffermir davantage, il faut, outre cela, les bassiner soir & matin, pendant plusieurs mois, avec une décoction de roses de Provins, d’écorce de grenade boüillies dans de gros vin rouge. On met dans deux livres de vin de teinte, une poignée de roses de Provins, une once d’écorce de grenade, & la moitié d’un coing médiocre ; on fait boüillir le tout pendant l’espace d’environ un quart-d’heure ; ce reméde, s’il est pratiqué à temps, & avec persévérance, produit un grand effet.

2.o D’autres ont une démarche lourde & pesante ; ce défaut vient ordinairement de ce qu’en faisant marcher les enfans avec soi, on ne se proportionne pas assez à leur allure.

Quand un enfant marche, ou avec sa nourrice, ou avec sa sévreuse, ou avec sa mere, &c. Il faut que cette nourrice, que cette sévreuse, que cette mere, ou autre personne qui le méne, marche très-doucement, & se garde bien d’aller plus vite que ne peut aller l’enfant sans se forcer. La chose est d’une extrême conséquence.

Les jambes, quand on marche, sont un compas plus ou moins ouvert : Or les jambes d’un enfant étant plus courtes que celles d’une personne faite, cet enfant qui veut prendre l’allure de ceux avec qui il va, & qui par malheur pour lui, s’en fait même une gloire, ouvre le compas de ses jambes au-delà de ce que leur courte mesure lui permet commodément de faire, ce qui l’accoutume à de grandes enjambées, & lui donne cette démarche lourde & pesante, qu’il conserve ensuite quand il est grand, à moins que de bonne heure on ne prenne d’extrémes soins pour lui en ôter l’habitude, ce qui est bien difficile.

Je ne dis rien du tort que peut faire d’ailleurs à la santé d’un enfant, cette précipitation avec laquelle on le fait marcher ; il ne faut quelquefois que cela pour l’essoufler au point de donner occasion à quelque relâchement ou à quelque rupture de vaisseaux dans la poitrine.

Que d’enfans sont venus, les uns asthmatiques, les autres pulmoniques pour avoir été de cette sorte, peu ménagés dans leur démarche ! & que de meres ont besoin là dessus d’avis, soit pour elles-mêmes, soit pour les personnes à qui elles confient leurs enfans !

3.o D’autres, soit qu’il s’agisse de marcher, ou d’être debout, ne peuvent se tenir sur leurs jambes, que de mauvaise grace ; cela suffit souvent pour qu’ils soient regardés dans le monde avec un certain mépris. On sçait ce que dit là-dessus la Bruyere : Qu’un sot ni n’entre, ni ne sort, ni ne s’assied, ni ne se leve, ni n’est sur ses jambes, comme un home d’esprit[12].

Cette maxime de la Bruyère est souvent fausse, mais en général elle est conforme aux mœurs du temps, & il faut y avoir égard, si l’on veut être bien venu dans le monde ; je dis qu’elle est souvent fausse, parce qu’un sot, & un sot qui méritera d’autant plus d’être regardé comme tel, qu’il n’y aura rien en lui de cultivé que le corps, se présentera souvent de meilleure grace, & sera mieux planté sur ses pieds, qu’une personne d’esprit qui aura mis, avec tout le succès imaginable, sa principale étude à cultiver sa raison. Le célèbre Voiture avoit l’air niais[13], & étoit, dit-on, un des hommes le plus mal planté sur les pieds ; la Fontaine, si connu par ses Fables, n’avoit, tout de même, à ce qu’on raconte, ni grace ni façon dans la contenance : Despreaux, cet incomparable Poëte, n’entroit, ni ne sortoit, ni ne s’asseyoit, ni ne se levoit, ni n’étoit sur ses pieds, comme un homme d’esprit ; si par homme d’esprit, il faut entendre un homme qui a les belles attitudes. La Bruyere lui même dont il s’agit, & dont les caracteres qu’il a donnés, marquent en lui, un génie si supérieur, étoit peut être, l’homme du monde, le moins pourvû du talent de se tenir avec grace sur ses jambes. La maxime de la Bruyere n’est donc pas sure ; peut-être même qu’il ne l’a avancée que comme fausse, dans un Livre qu’il n’a pas intitulé pour rien : Les Mœurs de ce siécle. Quoi qu’il en soit, ayez soin, peres & meres, de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que vos enfans, quand ils seront dans un certain âge, ni n’entrent, ni ne s’asseyent, ni ne se levent, ni ne soient sur leurs pieds, d’une maniere qui puisse nulle part, les faire passer pour des sots.

Inutilement par rapport à un certain monde, leur formerez-vous l’esprit ; si vous ne leur procurez, en même temps, ce qui, dans ce certain monde, pourra les empêcher d’être regardés avec mépris. Ayez donc soin qu’ils posent bien les pieds, soit en marchant, soit en s’asseyant, soit en se tenant debout, &c. mais faites leur comprendre que ce talent n’est rien sans les qualités de l’esprit, & qu’il y a des sots fieffés qui se tiennent à merveille, sur leurs jambes. Vous pouvez, avec ce correctif, travailler sans risque, à leur faire prendre les diverses attitudes qui conviennent dans les occasions.

Donnez-leur pour cela de bons Maîtres à danser, & n’y plaignez point la dépense. Je sçai qu’il y a des parens qui se font un scrupule de faire apprendre à danser à leurs enfans ; ce n’est point à de tels parens que je parle ici, ce n’est qu’à ceux qui sçavent que la danse, (j’entends la danse qui n’est point théâtrale,) est une chose indifférente, & je leur dis qu’il n’y a rien de plus propre que cet exercice, pour former le corps des jeunes personnes.

J’avoüe qu’il vaudroit infiniment mieux avoir mauvaise grace toute sa vie, que de recourir, pour éviter cet inconvénient, à des moyens dangereux pour les mœurs ; mais il seroit bien difficile de prouver que la danse soit de ce nombre. Quelques Auteurs se sont efforcés de le persuader, mais c’est sur des imaginations en l’air, & qui ne vont point au fait. De ce rang sont les raisons, (si tant est qu’on puisse les nommer ainsi) qui se trouvent étalées dans un Livre intitulé : Regles pour travailler utilement à l’éducation des enfans[14], où l’Auteur, pour engager les peres & les meres à ne point souffrir que leurs filles apprennent à danser, leur dit que dès qu’une fille, apprend à danser, elle est perduë ; sur quoi il cite l’exemple de la fille d’Herodiade, comme un trait qui doit inspirer aux filles une horreur invincible pour la danse. Il joint à cet exemple les raisons suivantes, dont les Lecteurs sensés jugeront.

« Pour apprendre à une fille à danser, dit-il, il faut qu’un Maître la prenne par la main, qu’il lui dresse le corps, qu’il lui donne des mouvemens, qu’il regle ses regards, qu’elle jette les yeux sur lui, qu’il l’anime, & lui donne les airs qu’elle doit avoir ; ce qui ne convient nullement à une fille qui a quelque pudeur, & ce qui n’est capable que de la faire rougir.

» Lorsqu’une fille a ce pernicieux talent, c’est pour elle une occasion d’en faire usage lorsqu’elle se trouve en compagnie, & qu’on la demande ; si elle le refuse, elle en est blâmée de tout le monde : on dit qu’elle ne sçait pas vivre, on s’en offense. Si elle porte la complaisance jusqu’à s’y engager avec des hommes, elle s’expose à un péril évident de se corrompre par les pensées & les désirs de son cœur, & souvent par des mouvemens secrets que Dieu voit, & qu’il condamne, & d’être aux autres une occasion de chute & de péché.

» Il est moralement impossible que cela n’arrive dans l’état de foiblesse & de corruption où nous sommes ; & rien ne l’excuse, s’engageant elle même volontairement dans le péril. »

Nôtre Auteur n’en demeure pas là ; son imagination le mène plus loin, comme on va voir.

« Des jeunes hommes, ajoûte-t-il, tels que sont les Maîtres à danser, portent la main sous le menton, sur les épaules & sur l’estomac d’une jeune fille pour lui apprendre à se redresser ; lui prennent la main pour la promener dans une salle au son du violon, lui touchent le pied pour lui marquer comme elle le doit tourner pour bien marcher, &c. Quoi de plus capable de perdre une fille ? »

Telles sont les raisons que cet Auteur allegue pour décrier la danse.

Il consent toutefois que les gens de qualité fassent apprendre à leurs enfans, soit garçons ou filles, à marcher de bonne grâce & à salüer ; mais il n’y consent qu’à condition qu’on se passera pour cela de l’art de la danse, qu’il appelle un Art diabolique dans toutes les circonstances. Il n’excepte rien.

Comment donc ces gens de qualité s’y prendront-ils ? Voici l’expédient qu’il leur propose là-dessus : « Un pere & une mere, dit-il, ou, en leur absence, un oncle, une tante, un frere, une sœur, une gouvernante, peuvent, sans avoir recours à des étrangers, instruire suffisamment les enfans sur ces choses, en sorte qu’ils se puissent tirer avec bienséance & avec honneur des occasions où une nécessité raisonnable les engage. »

Cet Auteur a l’imagination vive, comme on voit. Nous ne croyons pas que son discours ait besoin de réfutation.

Voilà pour ce qui regarde les difformités des extrêmités supérieures & inférieures ; il est temps que nous passions au quatriéme Livre, c’est-à-dire à ce qui concerne les difformités de la plus noble partie du corps, qui est la Tête.


Fin du premier Volume.



  1. Artaxerxés Premier, dit Artaxerxés Longue-main.
  2. Au genouïl de la jambe qui paroît trop longue.
  3. Dignum observatu est matrem hic claudicantem tres filios peperisse claudos ex femoris luxatione, totidem autem filias non claudas in lucem protulisse. Zuing. Theatr. Pr. Med.
  4. Dis. sur la b. m. par M. de Sencée.
  5. Hoc, ante aliquot annos, in fabro Ferrario experti sumus, cui e vulnere in metatarso, accepto, tamdiù maxilla contracta & immobilis mansit, quamdiù frustulum calcei, aut tibialis intrà vulnus permansit, nervosasque fibrillas compressit, aut asperitudine suâ lancinavit. Theor. Zuing. Theatr. prax. Med. Tom. primi. pag. 268.
  6. Quæst. Med. An ex anatome subtiliori : ars Med. certior ? Magistro Winslow Doctore Medico Præside. In Scholis Medicorum Par. die 23. Decemb. 1727.
  7. Voyez Journal des Sçav. du 8 Fév. 1723. p. 86.
  8. Caïus-Julius Maximin.

    Vid. Thom. Bartholin. de Armillis Veterum.

  9. Apud Forestum legi aliquandò infantem natum brachio uno ex osse, altero vero osse prædito atque hunc admotis plagulis & fusciis constrictis, ut in fracturis fieri solet, sanitari restitutum, admirantibus cunctis Medicis Chirurgis, qui hanc curationem audierunt, vel viderunt, quòd os generaretur ubi nunquàm erat conspectum. Nesciebant autem isti in cunctis nuper natis puerulis, quædam plus ossis in membris, ac perfectiùs, quaædam verò minus habere, cunctisque ferè apophyses, & articulos deesse, qui deinceps ætate succrescere, ac indurari consueverunt. Adriani Spigellii Bruxellensis de formato fætu. cap. 6.
  10. Voyez la Planche cy-jointe.
  11. J’ai rapporté tout cela dans le Journal des Sçavans, du mois de Septembre 1735. mais j’ai crû qu’il valoit mieux le repeter ici que d’y renvoyer. L’Histoire est tirée de la Dissertation latine de M. Salzmann, intitulée : Dissertatio Medicæ sistens plurium pedis muscularum defectum, Autore Gotofred. Salzmann, Doct. Medico Argentorati. 1734.
  12. Caract. de ce siécle, mérite personnel.
  13. Hist. de l’acad. Franç. par M. Pelisson.
  14. Note wikisource : Regles pour travailler utilement à l’éducation chrétienne des enfans, 1726, par Ambroise Paccori.