L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PII IV

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 107-108).

SECTION IV.
De la différence entre la clarté et l’obscurité par rapport aux passions.

Exprimer une idée avec clarté, et la rendre d’une manière propre à toucher l’imagination, sont deux choses absolument différentes. Si je dessine un palais, un temple, un paysage, je présente une idée très-claire de ces différens objets ; mais mon tableau ( déduisant l’effet de l’imitation, qui est quelque chose) peut tout au plus affecter l’esprit du spectateur comme l’auraient affecté le palais, le temple ou le paysage dans leur réalité. D’une autre part, la description verbale la plus précise et la plus animée que je puisse faire, ne donnera de ces objets qu’une idée très-confuse et très-imparfaite ; mais il est en mon pouvoir d’exciter une plus forte émotion par la description, que je ne pourrais le faire par le plus excellent tableau. C’est ce que prouve une expérience constante. Il n’est pas de voie plus propre à transmettre les affections d’une ame à l’autre, que celle des mots : tous les autres moyens de communication sont de beaucoup insuffisans. Il s’en faut tant que la clarté des images soit absolument nécessaire pour émouvoir les passions, qu’elles peuvent être excitées à un très-haut degré sans le secours d’aucune image, mais seulement par certains sons adaptés à ce dessein : les effets reconnus et si puissans de la musique instrumentale en sont une preuve évidente. Dans la réalité, une grande clarté seconde fort peu le mouvement des passions, étant en quelque sorte ennemie de tout enthousiasme.