L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PII II

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 102-104).

SECTION II.
La Terreur.

Aucune passion ne dépouille l’esprit de toutes ses facultés d’agir et de raisonner aussi efficacement que la crainte[1] ; car la crainte étant une appréhension de douleur ou de mort, agit comme douleur effective. Par conséquent, tout ce qui est terrible à l’égard de la vue, est sublime aussi, soit que cette cause de terreur s’unisse à la grandeur de dimension, ou non ; car il est impossible de regarder comme frivole ou méprisable une chose qui peut être dangereuse. Il y a quantité d’animaux qui n’étant pas à beaucoup près d’une grande taille, sont néanmoins capables d’exciter des idées du sublime, parce qu’on les considère comme des objets de terreur ; tels sont les serpens et presque toutes les espèces de bêtes venimeuses, Si aux objets doués de grandes dimensions nous attachons une idée accessoire de terreur, ils deviennent incomparablement plus grands. Une plaine très-unie et d’une vaste étendue n’est pas assurément une petite idée ; la perspective de cette plaine peut s’étendre aussi loin que la perspective de l’Océan : mais remplira-t-elle jamais l’esprit de quelque chose d’aussi grand que l’Océan même ? Ce dernier effet appartient à diverses causes, mais principalement à la grande terreur qu’inspire l’Océan. Il est certain que la terreur, dans tous les cas possibles, est plus ou moins distinctement le principe fondamental du sublime. Diverses langues fournissent de fortes preuves de l’affinité de ces idées. On y voit fréquemment le même mot employé à signifier indifféremment les modes de l’étonnement ou de l’admiration, et ceux de la terreur. Θάμϐοϛ signifie, en grec, crainte ou surprise ; δεινός, terrible ou respectable ; αἰδεω, révérer ou craindre. Vereor est en latin ce qu’est αἰδεω en grec. Les Romains se servaient du verbe stupeo, qui marque avec énergie l’état d’un homme frappé d’étonnement, pour exprimer l’effet ou de la simple crainte ou de l’étonnement. Le mot attonitus (foudroyé) confirme également l’alliance de ces idées : et étonnement en français, astonishment[2] et amazement[3] en anglais, ne montrent-ils pas aussi clairement l’affinité des émotions qui accompagnent la crainte et la surprise ? Je ne doute pas que ceux qui ont une connaissance plus générale des langues, ne pussent produire quantité d’autres exemples aussi frappans.

  1. Partie IV, section, 3, 4, 5, 6.
  2. Étonnement
  3. Surprise, épouvante