L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIII XXVII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 224-226).

SECTION XXVII.
Le Sublime et le Beau comparés.

En terminant cet examen général de la beauté, il est naturel de la comparer avec le sublime. Cette comparaison présente un contraste remarquable : les objets sublimes sont grands dans leurs dimensions ; les beaux objets sont comparativement petits ; la beauté est unie et polie; le sublime, rude et négligé : la beauté fuit la ligne droite, mais s’en éloigne par des déviations insensibles ; le sublime, en plusieurs cas, s’attache à la ligne droite, et quand il en sort, c’est par des sallies fortes et prononcées : l’obscurité est ennemie du beau ; le sublime se couvre d’ombres et de ténèbres : enfin la légèreté et la délicatesse s’unissent à la beauté, tandis que le sublime demande la solidité et les masses même. Ces idées sont réellement d’une nature très-différente, l’une étant fondée sur la douleur, et l’autre sur le plaisir ; et quoiqu’elles puissent s’écarter par la suite de la nature directe de leurs causes, cependant ces causes conservent entre ces idées une distinction éternelle ; distinction que ne doivent jamais perdre de vue ceux qui ont pour but d’affecter les passions. Dans l’infinie variété des combinaisons naturelles, nous devons nous attendre à trouver réunies dans un même objet les qualités des choses les plus éloignées les unes des autres qu’il soit possible d’imaginer. Attendons-nous aussi à trouver des combinaisons du même genre dans les ouvrages de l’art. Mais en considérant l’influence qu’un objet exerce sur nos passions, n’oublions pas que lorsqu’il doit affecter notre esprit par la force de quelque propriété prédominante, l’affection produite est vraisemblablement plus uniforme et plus parfaite, si toutes les autres propriétés ou qualités de l’objet sont de la même nature que la principale, et tendent au même but.

[1]  « De ce que le noir et le blanc s’unissent, se confondent et s’adoucissent de mille manières différentes, s’ensuit-il qu’il n’y ait ni blanc ni noir ? »

Si les qualités du sublime et du beau se trouvent quelquefois unies, cela prouve-t-il qu’elles soient une seule et même chose ; cela prouve-t-il qu’elles aient quelque analogie ; cela prouve-t-il même qu’elles ne soient pas opposées et contradictoires ? Le blanc et le noir peuvent se mêler, peuvent s’adoucir ; mais pour cela ils ne sont pas une seule et même chose ; et lorsqu’ils sont ainsi mêlés et adoucis l’un avec l’autre, ou avec diverses couleurs, le pouvoir du noir comme noir, ou du blanc comme blanc, n’est pas aussi fort que lorsque chacune de ces couleurs est uniforme et séparée.

Fin de la troisième partie.
  1. If black and white blend, soften, and unite
    A thousand ways, are there no black and white ?