L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV I

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 227-230).
PARTIE IV.
Section Iere.
De la Cause efficiente du Sublime et du Beau.


Quand je dis que je me propose de rechercher la cause efficiente du sublime et du beau, on ne doit pas entendre que je prétende remonter à la cause première. Je ne me flatte pas de pouvoir jamais expliquer pourquoi certaines affections du corps produisent telle émotion distincte dans l’ame, et non une autre, ni pourquoi le corps est affecté par l’ame, ou lame par le corps. Il suffit d’y réfléchir un peu pour reconnaître l’impossibilité d’y parvenir. Mais je crois que si nous pouvons découvrir quelles sont les affections de l’ame qui produisent certaines émotions dans le corps, et quelles sont les qualités et les sensations distinctes du corps qui peu vent produire dans l’ame certaines passions, déterminées, et non d’autres, je crois, dis-je, que nous aurons fait un grand pas, qui ne sera pas inutile pour parvenir à connaître distinctement nos passions, telles du moins que nous les considérons en ce moment. Je pense que c’est tout ce que nous pouvons faire. Nous fût-il possible d’aller plus loin, il resterait encore des difficultés, puisque nous serions toujours également éloignés de la première cause. Lorsque Newton découvrit la propriété de l’attraction, et qu’il en fixa les lois, il trouva qu’elle expliquait très-bien plusieurs des plus remarquables phénomènes de la nature ; cependant, par rapport au système général des choses, il ne put voir dans l’attraction qu’un effet, dont il n’essaya pas alors de démontrer la cause. Mais lorsqu’il voulut dans la suite en rendre raison par un éther élastique et subtil, ce grand homme (si ce n’est pas une impiété de voir une faute dans un si grand homme) parut avoir oublié sa manière circonspecte de raisonner ; car, en accordant que tout ce qui a été dit à ce sujet soit suffisamment prouvé, il me semble que cela nous laisse autant de difficultés à résoudre que nous en avions. Le faible génie de l’homme se perdra toujours dans cette chaîne immense de causes, qui s’étend jus qu’au trône même de l’Éternel. Dès que nous perdons de vue les qualités immédiatement sensibles des choses, nous sortons de notre sphère. Tout ce que nous faisons ensuite se réduit à quelques vains efforts qui montrent que l’élément où nous sommes ne nous appartient pas. Ainsi, quand je parle de cause et de cause efficiente, j’entends seulement certaines propriétés et certains pouvoirs des corps qui produisent quelque changement dans l’ame : comme, si j’ayais à expliquer le mouvement d’un corps tombant, je dirais qu’il est causé par la gravité ; et je tâcherais le faire voir de quelle manière ce pouvoir agit, sans essayer de montrer pourquoi il agit de cette manière : ou si je voulais expliquer les effets du choc des corps, je n’entreprendrais pas d’expliquer comment le mouvement est communiqué.