L’Or du Rhin (trad. Ernst)/Scène troisième

Traduction par un livret français d’Alfred Ernst.
Éditions Schott (p. 40-54).

La vapeur sulfureuse s’obscurcit jusqu’à ce qu’elle forme un manteau de nuages complètement noirs, qui se déplacent de bas en haut ; ces nuages se transforment ensuite en solides blocs et parois rocheuses, dont les crevasses constituent des sortes de failles ou couloirs de rocs, lesquels continuent sans cesse de s’élever, de façon que la scène semble s’enfoncer toujours davantage aux profondeurs de la terre.

SCÈNE TROISIÈME.

Une lueur d’un rouge sombre commence finalement à poindre de divers côtés, comme venant du lointain ; on distingue, à perte de vue, un grand

abîme souterrain

qui s’étend très loin eu où paraissent déboucher, dans tous les sens, des fissures profondes et d’étroites crevasses.

Albhrich tire par les oreilles Mime, qui pousse des cris aigus de douleur, et l’amène hors d’une galerie latérale vers le milieu de la scène.

Alberich.
––––––––––Héhé ! Héhé !
––––––––––viens ça ! viens ça !
––––––––––Nain fallacieux ![1]
––––––––––Rudes coups d’ongle
––––––––––vont t’écorcher,
––––––––––si tu n’achèves
––––––––––comme j’ai dit,
–––––––sur l’heure l’objet merveilleux.
Mime

(hurlant).

––––––––––Ohé ! Ohé !
––––––––––Aou ! Aou !
––––––––––Lâche-moi donc !
––––––––––Tout est fait,
––––––––––tel que tu veux,
––––––––––sueurs et soins
––––––––––l’ont réussi :
–––––––ôte tes ongles de moi !
Alberich

(le lâchant).

––––––––––Que tardes-tu donc,
––––––––––sans rien montrer ?
Mime.
––––––––––J’ai peur, moi pauvre,
––––––––––qu’un fil y manque.
Alberich.
––––––––––Où donc est ce manque ?


Mime

(embarrassé).

––––––––––Là… ici…
Alberich.
––––––––––Quoi là, ici ?
––––––––––Donne à l’instant !

Il veut le saisir de nouveau par l’oreille ; Mime, pris d’épouvante, laisse tomber un tissu de métal qu’il serrait jusque-là dans ses mains crispées. Alberich ramasse précipitamment l’objet et minutieusement l’examine.

––––––––––Vois, fripon !
––––––––––Tout est forgé,
––––––––––tout est bien ajusté,
––––––––––comme j’ai dit !
––––––––––Ainsi le gredin
––––––––––pense m’y prendre ?
––––––––––garder pour lui
––––––––––le superbe travail
––––––––––que mon astuce
––––––––––à forger lui apprit ?
–––––––t’ai-je compris, voleur ?

(Il place l’objet sur sa tête comme un heaume de mailles.)

–––––––Le heaume entre et s’adapte :
–––––––si du secret j’essayais ?
––––––––––— « Nuit et brume,
––––––––––nul aspect ! » —

(Sa forme s’évanouit ; à la place on n’aperçoit plus qu’une colonne de brume.)

––––––––––Où suis-je, frère ?
Mime

(regardant autour de lui avec surprise).

–––––––Où es-tu ? je ne te vois pas.
La voix d’Alberich.
––––––––––Du moins tu me sens,
––––––––––vilain larron !
–––––––Prends ça pour ton vol manqué !
Mime

(pousse des cris et se tord sous les coups d’un fouet qu’on ne voit point mais dont entend lé bruit sur son dos).

La voix d’Alberich

(avec des rires).

––––––––––Merci, stupide !
–––––––Ton œuvre a plein succès. —
––––––––––Hoho ! Hoho !
––––––––––Niblungen tous,
––––––––––seul maître est Alberich !
––––––––––Où que l’on aille
––––––––––il survient et surveille ;[2]
––––––––––nul répit
––––––––––dans votre tâche ;
––––––––––serfs au travail,
––––––––––invisible il vous suit ;
––––––––––lorsque nul ne le voit,
––––––––––craignez qu’il ne vienne !
–––––––tous, tremblez, sous sa puissance !
––––––––––Hoho ! Hoho !
––––––––––place ! c’est lui,
––––––––––le maître des Nains ![3]

La colonne de vapeur disparaît vers le fond ; venant d’un éloignement toujours plus grand, l’on entend gronder l’agitation courroucée et les éclats de fureur d’Alberich ; des hurlements et des cris plaintifs lui répondent, sortant des crevasses et des puits inférieurs, puis se perdent, s’effacent, en des lointains de plus en plus reculés. Mime, de douleur, s’est laissé tomber à terre ; ses gémissements et ses lamentations sont entendus de Wotan et de Loge, qui se glissent dans la caverne par l’orifice d’une crevasse plus élevée.

Loge.
––––––––––Nibelheim s’ouvre :
––––––––––aux brumes blêmes,
–––––––quel feu jaillissant d’étincelles ?
WOTAN.
––––––––––On geint ici :
––––––––––qui gît sur le sol ?
Loge

(se penchant sur Mime).

–––––––Pourquoi ces singuliers cris ?
Mime.
––––––––––Ohé ! Ohé !
––––––––––Aou ! Aou !
Loge.
–––––––Hé, Mime ! Leste Gnome !
–––––––quels maux t’affolent si fort !
Mime.
––––––––––Laisse le pauvre !
Loge.
––––––––––A l’instant même,
––––––––––et, bien mieux, vois :
–––––––Loge veut t’aider, Mime !
Mime

(se relevant à demi).

––––––––––Qui peut m’aider ?
––––––––––Je dois servir
––––––––––le vouloir de mon frère,
–––––––qui m’a soumis à sa loi.
Loge.
––––––––––Sur Mime s’il règne,
––––––––––d’où vient son pouvoir ?
Mime.
––––––––––Par haine et ruse
––––––––––Alberich s’est fait
––––––––––de l’Or du Rhin
––––––––––un brillant Anneau :
––––––––––sous ce charme fort
––––––––––les pauvres Nains tremblent ;
–––––––par lui, tous, il nous dompte,
–––––––les Niblungen, fils des nuits.[4]
––––––––––Libres de crainte,
––––––––––nous forgions tous jadis,
––––––––––pour nos femmes,
––––––––––maints beaux bijoux,
–––––––fins et bien niblungeniens :
–––––––joyeux étaient nos labeurs.
––––––––––Mais lui, il nous force,
––––––––––au fond des fissures,
––––––––––pour lui tout seul
––––––––––sans cesse à peiner.
––––––––––Par son rouge Anneau,
––––––––––l’avare devine
––––––––––les feux de l’Or
––––––––––au profond des rochers :
––––––––––il faut que l’on cherche,
––––––––––fouille et creuse,
––––––––––qu’on porte et fonde
––––––––––et forge à grand feu,
––––––––––sans repos ni paix
–––––––du Chef gonflant le trésor.
Loge.
––––––––––Trop lâche au travail,
––––––––––tu fus châtié ?[5]
Mime.
––––––––––Moi pauvre, ah !
––––––––––c’est moi qu’il accable :
––––––––––d’un heaume ouvre,
––––––––––qu’il me fait faire,
––––––––––lui-même règle
––––––––––tout l’assemblage.
––––––––––J’ai bien compris
––––––––––le grand pouvoir
––––––––––qui dort en ce heaume
––––––––––aux réseaux d’airain ;
––––––––––j’aurais pour moi
––––––––––voulu le garder,
––––––––––et grâce au charme
–––––––à l’oppresseur me soustraire —
––––––––––qui sait, oui, qui sait,
–––––––le vaincre lui-même par ruse,
–––––––et sous mon pouvoir le contraindre.
–––––––l’Anneau, le lui reprendre,
–––––––pour que l’esclave qu’il dompte
–––––––soit libre et l’oblige à servir !
Loge.
––––––––––Pourquoi, subtil,
––––––––––n’as-tu réussi ?
Mime.
–––––––Las ! moi qui fis le heaume,
–––––––ce charme, ce don caché,
–––––––ce charme, je l’ai mal compris !
––––––––––Qui conçut l’objet,
––––––––––qui me l’ôta,
––––––––––m’apprend aujourd’hui
––––––––––— hélas ! bien trop tard ! —
–––––––quel secret gît dans ce heaume :
––––––––––à mes yeux il s’efface,
––––––––––et frappe, invisible,
–––––––à coups sauvages, mon dos.
––––––––––Telle est ma bêtise,
––––––––––et tel son prix !

(Il se frotte le dos en hurlant. Les Dieux rient.)

Loge

Wotan).

––––––––––Tu vois, le prendre
––––––––––est chose ardue.
Wotan.
––––––––––Mais ta ruse aidant,
––––––––––nous y viendrons.
Mime

(frappé par le rire des Dieux, les examine avec une plus grande attention).

––––––––––Avec vos demandes,
––––––––––qu’est donc votre race ?
Loge.
––––––––––Crois en nous ;
––––––––––nous tirerons
–––––––de peine les Niblungen noirs.
(Le bruit que fait Alberich gourmandant et châtiant les Nains se rapproche de nouveau.)
Mime.

Pas d’imprudence ! Alberich vient !

Wotan.

Soit — nous l’attendrons là.

Il s’assied, tranquille, sur un bloc de rocher. Loge, près de lui, s’adosse au roc. — Alberich, qui a retiré le heaume magique de sa tête et l’a suspendu à sa ceinture, pousse devant lui, le fouet brandi, toute une bande de Nibelungen, qu’il ramène ainsi d’une profonde crevasse inférieure : ces Nains sont chargés de masses d’or et d’argent travaillés, qu’ils déposent et accumulent en un tas, — l’amoncellement d’un Trésor —, pressés par les continuelles injures et invectives d’Alberich.

Alberich.
––––––––––Vite ! Preste !
––––––––––Héhé ! Hoho !
––––––––––Lent troupeau !
––––––––––Là, en tas,
––––––––––tout le Trésor !
––––––––––Hé toi, ici !
––––––––––Marcheras-tu ?
––––––––––Race honteuse !
––––––––––bas vos richesses !
––––––––––Dois-je m’y mettre ?
––––––––––Tout à mes pieds !

(Il aperçoit tout à coup Wotan et Loge.)

––––––––––Hé ! qui est là ?
––––––––––Qui vint ici ?
––––––––––Mime ! Viens ça,
––––––––––drôle hideux !
––––––––––Qu’oses-tu dire
––––––––––à ce couple rôdeur ?
––––––––––Va, paresse !
–––––––Veux-tu bien fuir à ta forge ?

(Il chasse Mime, à coups de fouet, dans le groupe des autres Nibelungen.)

––––––––––Hé ! à l’ouvrage !
––––––––––Tous à la tâche !
––––––––––Vite en vos trous !
––––––––––Aux nouveaux filons
––––––––––allez chercher l’Or !
––––––––––Le fouet vous guette
––––––––––si vous traînez !
––––––––––Que nul ne s’attarde,
––––––––––Mime en est gage,
––––––––––sinon de ce fouet
––––––––––il saura la force :
––––––––––que partout mes yeux veillent,
––––––––––quand nul ne m’y voit,
–––––––il s’en doute, certes, assez ! —
––––––––––Quoi, vous tardez ?
––––––––––Quoi, vous restez ?

(Il ôte de son doigt l’Anneau, le baise, et l’étend d’un geste de menace.)

––––––––––Tremble et frissonne,
––––––––––troupeau dompté :
––––––––––de l’Anneau
––––––––––subis le Roi !

Les Nibelungen se dispersent (Mime avec eux) en poussant des cris aigus et des hurlements de douleur, et se sauvent, se glissant de tous côtés dans les puits et les fissures inférieures.

Alberich

(s’avançant avec colère vers Wotan et Loge).

––––––––––Que faites-vous là ?
WOTAN.
–––––––De Nibelheim, noir séjour,
–––––––on nous conta maints récits :
––––––––––hauts prodiges,
––––––––––sont le fait d’Alberich ;
––––––––––de voir ces merveilles
––––––––––nous avons grand désir.
Alberich.
––––––––––Vers Nibelheim
––––––––––mène l’envie :
––––––––––sur de tels hôtes,
–––––––certes, j’en sais long !
Loge.
––––––––––Long sur mon compte,
––––––––––Albe chétif ?
––––––––––Or dis : qui suis-je,
––––––––––pour que tu cries ?
––––––––––dans l’antre froid
––––––––––empli de frissons,
––––––––––qui t’eût fait luire
––––––––––la flamme qui flambe,
–––––––si Loge ne t’eût souri ?
––––––––––Que sert ta forge,
–––––––si je n’y souffle le feu ?
––––––––––Moi, ton proche,
––––––––––et ton ami,
–––––––je goûte mal ton accueil !
Alberich.
––––––––––Aux Albes clairs
––––––––––tu ris donc, Loge,
––––––––––subtil fripon ?
––––––si le fourbe les sert,
––––––qui jadis me servit,
––––––––––haha ! tant mieux !
–––––––d’eux tous je ne crains rien.
Loge.
–––––––A moi tu peux te fier.
Alberich.
––––––––––Je me fie à ta fourbe,
––––––––––pas à ta foi ! —
–––––––Mais vous tous, moi, je vous brave.
Loge.
––––––––––Ton pouvoir
––––––––––te fait bien vaillant :
––––––sombre et grande s’enfle ta force.
Alberich.
––––––––––Vois ce Trésor,
––––––––––par mes Nains
––––––––––là disposé ?
Loge.
–––––––Jamais je n’ai vu son pareil.
Alberich.
––––––––––Pour aujourd’hui
––––––––––le tas est pauvre :
––––––––––fière et forte
–––––––sa richesse va croître.
Wotan.
–––––––A quoi te sert tel trésor,
–––––––car triste est Nibelheim,
–––––––où rien par l’Or ne s’obtient ?
Alberich.
––––––––––L’Or que j’entasse,
––––––––––et l’Or que je cache,
–––––––s’enfle au Nibelheim noir ;
––––––––––mais ce Trésor,
––––––––––aux cavernes caché,
–––––––doit en prodiges éclore :
––––––––––du monde entier
–––––––j’aurai grâce à lui l’héritage.
Wotan.
–––––––Et comment, bon Nain, t’y prends-tu ?
Alberich.
–––––––Dans les souffles purs des cieux,
––––––––––là-haut vous vivez,
––––––––––riez, aimez :
––––––––––ma poigne d’Or,
–––––––vous, Dieux, va vous prendre en sa force !
–––––––Ce même Amour que j’ai maudit,
––––––––––tout ce qui vit
––––––––––doit le maudire ![6]
––––––––––par l’Or fascinés,
––––––que l’Or seul hante vos lièvres !
––––––––––Aux monts bienheureux,
––––––––––au sein des délices,
––––––––––planez, bercés ;
––––––––––des Noirs-Albe
–––––––raillant le sort, Dieux des ivresses ! —
––––––––––tremblez !
––––––––––tremblez !
––––––––––vous autres, mâles,
––––––––––domptés tout d’abord,
––––––––––de vos tendres femmes —
––––––––––qui m’ont tant raillé —
–––––––le Nain fera son plaisir,
–––––––l’Amour l’ayant fui ! —
––––––––––Hahahaha !
––––––––––Est-ce compris ?
––––––––––Tremblez !
–––––––Tremblez devant l’ost de la Nuit,
–––––––si l’Or du Niblung surgit,[7]
–––––––des sourds abîmes, au jour !
Wotan

(se levant brusquement).

–––––––Péris, Gnome en révolte !
Alberich.
––––––––––Que dit l’autre ?
Loge

(s’avançant entre eux deux).

––––––––––Sois donc plus calme !

(à Alberich.)

–––––––Qui n’est plein de surprise,
–––––––à voir ce qu’Alberich peut ?
–––––––Si tout réussit à ton art,
–––––––comme par l’Or tu l’espères,
–––––––puissant plus que tous je te nomme ;
––––––––––car lune, étoiles,
––––––––––et soleil qui rayonne,
––––––––––vont par force, sans doute,
––––––––––suivre ton bon plaisir. —
––––––––––Mais tout d’abord il importe
––––––––––que ces Nains qui peinent,
––––––––––tes Niblungen noirs,
–––––––sans t’envier te servent.
–––––––D’un Anneau d’Or tu es maître ;
–––––––ton peuple en tremble d’effroi :
––––––––––mais, si tu dors,
––––––––––qu’un traître se glisse,
–––––––et prenne, leste, l’Anneau,
–––––––quel art te peut, sage, sauver ?
Alberich.
–––––––Si sage s’estime Loge !
––––––––––tous les autres
––––––––––semblent des sots :
––––––––––qu’à lui je recoure,
––––––––––cherchant son aide,
––––––––––qu’on paye cher,
–––––––tel est du fripon l’espoir ! —
––––––––––Ce heaume sauveur,
––––––––––je l’ai combiné ;
––––––––––un fin forgeron,
–––––––Mime, dut me le faire :
––––––––––en d’autres formes,
––––––––––comme je veux,
––––––––––je change la mienne,
––––––––––grâce au heaume ;
––––––––––invisible
––––––––––à qui me cherche,
––––––––––partout je me glisse,
––––––––––caché aux regards.
––––––––––Tel, sans rien craindre,
–––––––je suis sauf, même de toi,
–––––––ami plein de bonté !
Loge.
––––––––––Maint spectacle
––––––––––vint me surprendre,
––––––––––mais tel prodige
––––––––––est nouveau pour moi.
––––––––––Semblable merveille
––––––––––n’est pas croyable :
–––––––car s’il me faut l’admettre,
–––––––ta puissance est éternelle.
Alberich.
––––––––––Crois-tu que je mente
––––––––––comme fait Loge ?
Loge.
––––––––––Jusqu’à la preuve,
–––––––je dois nier ton dire.[8]
Alberich.
––––––––––Bouffi d’orgueil,
––––––––––l’imbécile se gonfle :
––––––––––or, crève d’envie !
–––––––Choisis, et dis quel aspect
–––––––je dois prendre soudain ?
Loge.
––––––––––Celui que tu veux :
–––––––mais frappe-moi de stupeur !
Alberich

(qui s’est coiffé du heaume).

–––––––« Grand dragon,
–––––––rampe et se roule ! »

Il disparaît aussitôt ; à sa place, un reptile gigantesque roule ses anneaux monstrueux sur le sol ; ce dragon se dresse et avance sa gueule grande ouverte vers Wotan et Loge.

Loge

(affectant d’être saisi de frayeur).

––––––––––Ohé ! Ohé !
––––––––––Monstre effroyable !
––––––––––ne mange pas Loge !
–––––––Laisse-lui l’existence !
Wotan

(riant).

––––––––––Bien, Alberich !
––––––––––Gnome habile !
––––––––––Tu fais bien vite
–––––––un monstre terrible du Nain ! Le reptile géant disparaît, et, à sa place, Alberich apparaît aussitôt sous sa forme réelle.
Alberich.
––––––––––Héhé ! les sages !
––––––––––Est-ce prouvé ?
Loge.
–––––––Ma peur en est bien la preuve !
––––––––––D’un grand dragon
––––––––––tu pris l’apparence :
––––––––––mes yeux l’ont vu,
–––––––Loge admet la merveille.
––––––––––Mais, si tu t’enfles,
––––––––––peux-tu te faire
––––––––––petit et mince ?
–––––––C’est là pour moi le vrai
–––––––moyen de fuir le danger :
–––––––Mais l’œuvre passe ton art !
Alberich.
––––––––––Ton art à toi,
––––––––––qui n’es qu’un sot !
––––––––––Comment me veux-tu ?
Loge.
–––––––Que l’étroite fente t’abrite,
–––––––où peut ramper un crapaud !
Alberich.
––––––––––Peuh ! c’est simple !
––––––––––Ouvre les yeux !

(Il se coiffe de nouveau du heaume de mailles.)

––––––––––« Gris crapaud,
––––––––––rampe et glisse ! »

Il disparaît : les Dieux aperçoivent sur le rocher un crapaud qui rampe vers eux.

Loge.

(à Wotan.)

––––––––––Là, le crapaud !
––––––––––Prends-le bien vite !
Wotan met le pied sur le crapaud : Loge le saisit à la tête et lui prend le heaume de mailles.
Alberich.

(qui soudain redevient visible sous sa forme réelle, tandis qu’il se tord sous le pied de Wotan).

––––––––––Ohé ! Malheur !
––––––––––en leur puissance !
Loge.
––––––––––Tiens-le ferme,
––––––––––que je l’attache !

Il a tiré de son vêtement une corde, avec laquelle il attache les bras et les jambes d’Alberich ; celui-ci, garrotté, se débat avec rage et cherche inutilement à se défendre : tous deux la saisissent, et le traînent avec eux vers la crevasse plus haute d’où ils sont descendus à Nibelheim.

Loge.
––––––––––Courons là-haut,
––––––––––pour qu’il soit nôtre !

(Ils disparaissent, montant par la crevasse.)




QUATRIÈME SCÈNE.

La scène se transforme, mais par un changement inverse du précédent ; en dernier lieu, cette transformation fait apparaître la même

libre étendue de paysage sur des sommets de montagnes

que dans la deuxième scène ; seulement toute cette étendue est encore voilée d’une sorte de nuée blême, comme cela avait lieu avant la deuxième transformation de décor, après le départ de Freia.

Wotan et Loge, traînant avec eux Alberich garrotté, surgissent de la fissure latérale.

Loge.
––––––––––Là, frère,
––––––––––sieds-toi d’aplomb !
––––––––––Vois, cher Albe,
––––––––––le monde est là,
–––––––dont tu rêves, ardent, la conquête :
––––––––––quel coin, dis-moi,
–––––––m’y fixes-tu pour logis ?
Alberich.
––––––––––Vil misérable !
  1. Var. : Gnome astucieux !
  2. Var. : Toute retraite
    à sa vue est ouverte ;
  3. Var. : des Niblungen roi !
  4. Var. : noir troupeau.
  5. Var. : Et toi, paresseux,
    son bras t’a puni ?
  6. Var. : Puisqu’à l’Amour j’ai dit adieu,
    tous les vivants
    doivent le dire !
  7. Var. : poussant le flot du Trésor,
  8. Var. : Sans l’avoir vu
    je n’y croirai jamais.