L’Or du Rhin (trad. Ernst)/Quatrième scène

Traduction par un livret français d’Alfred Ernst.
Éditions Schott (p. 54-75).
Alberich.

(qui soudain redevient visible sous sa forme réelle, tandis qu’il se tord sous le pied de Wotan).

––––––––––Ohé ! Malheur !
––––––––––en leur puissance !
Loge.
––––––––––Tiens-le ferme,
––––––––––que je l’attache !

Il a tiré de son vêtement une corde, avec laquelle il attache les bras et les jambes d’Alberich ; celui-ci, garrotté, se débat avec rage et cherche inutilement à se défendre : tous deux la saisissent, et le traînent avec eux vers la crevasse plus haute d’où ils sont descendus à Nibelheim.

Loge.
––––––––––Courons là-haut,
––––––––––pour qu’il soit nôtre !

(Ils disparaissent, montant par la crevasse.)




QUATRIÈME SCÈNE.

La scène se transforme, mais par un changement inverse du précédent ; en dernier lieu, cette transformation fait apparaître la même

libre étendue de paysage sur des sommets de montagnes

que dans la deuxième scène ; seulement toute cette étendue est encore voilée d’une sorte de nuée blême, comme cela avait lieu avant la deuxième transformation de décor, après le départ de Freia.

Wotan et Loge, traînant avec eux Alberich garrotté, surgissent de la fissure latérale.

Loge.
––––––––––Là, frère,
––––––––––sieds-toi d’aplomb !
––––––––––Vois, cher Albe,
––––––––––le monde est là,
–––––––dont tu rêves, ardent, la conquête :
––––––––––quel coin, dis-moi,
–––––––m’y fixes-tu pour logis ?
Alberich.
––––––––––Vil misérable !
––––––––––fripon ! voleur !
––––––––––Ouvre ces liens,
––––––––––laisse-moi libre,
–––––––sans quoi tu paieras ton audace !
Wotan.
––––––––––Captif tu restes,
––––––––––pris dans mes chaînes :
––––––––––tel l’univers,
––––––––––et tous les êtres,
–––––––tu les opprimais d’avance.[1]
–––––––Esclave, là, te voici, —
–––––––ta peur n’y peut contredire !
––––––––––pour rompre tes liens
––––––––––il faut que tu payes.
Alberich.
––––––––––O stupide !
––––––––––O fou que je fus !
––––––––––O sot qui me fiais
––––––––––aux menteurs !
––––––––––Apre vengeance
––––––––––doit me venger !
Loge.
––––––––––Veux-tu la vengeance,
–––––––sois vite libre de liens :
––––––––––d’un vengeur captif
–––––––nul être libre n’a crainte.
––––––––––Rêvant ta vengeance,
––––––––––sans plus attendre
–––––––songe à trouver ta rançon !
Alberich

(brusquement).

–––––––Parlez, que vous faut-il ?
Wotan.
–––––––Tes biens ; et l’éclat de l’Or.[2]
Alberich.
–––––––Race d’avides larrons ! (A part).
–––––––Si je garde pourtant l’Anneau,
–––––––je peux leur laisser le Trésor :
––––––––––de nouveau je le gagne
––––––––––et sans cesse il grossit,
–––––––promptement à l’appel de l’Anneau.
––––––––––L’aventure m’instruit,
––––––––––et sage j’en sors :
–––––––je paye à son prix la leçon
–––––––en leur laissant tous ces hochets.
Wotan.
––––––––––Tu livres ton Or ?
Alberich.
––––––––––Détache ma main,
––––––––––je vais l’appeler.

(Loge lui délie la main droite.)

Alberich

(il touche l’Anneau des lèvres et murmure le commandement).

––––––––––— Eh bien, les Niblungen
––––––––––vont arriver :
––––––––––par leurs soins dociles,
––––––––––j’entends le Trésor
–––––––des abîmes monter vers le jour. —
–––––––Qu’on m’ôte ces liens accablants !
Wotan.
–––––––Pas tant que tout n’est compté.

Les Nibelungen sortent de la crevasse, chargés des objets et pièces travaillées qui forment le Trésor.

Alberich.
––––––––––O honte sans nom !
––––––––––mes tremblants esclaves
–––––––me voient moi-même enchaîné ! —
––––––––––De ce côté !
––––––––––c’est mon vouloir !
––––––––––En un tas
––––––––––tout le Trésor !
––––––––––Vais-je m’y mettre ?
––––––––––Ailleurs regardez !
––––––––––Vite ! Hé !
––––––––––et puis que l’on parte,
––––––––––prompts au travail !
––––––––––Vite aux crevasses !
–––––––Gare à tous paresseux !
–––––––Je m’élance sur vos talons !

Les Nibelungen, ayant entassé le Trésor, se glissent de nouveau avec terreur dans la crevasse et y disparaissent.

Alberich.
––––––––––Je suis quitte :
––––––––––ouvrez mes liens !
––––––––––Et ce heaume-là,
––––––––––que Loge détient,
–––––––veuillez me le rendre à présent ![3]
Loge

(jetant le heaume de mailles sur le Trésor).

–––––––Le prix doit aussi le comprendre.
Alberich.
––––––––––Maudit larron ! —
––––––––––Mais, patience !
––––––––––Qui me fit cet objet
––––––––––va le refaire :
––––––––––car j’ai le pouvoir
––––––––––que Mime subit.
––––––––––Mais c’est dur
––––––––––que tels trompeurs
–––––––aient pris ma subtile défense ! —
––––––––––Or donc ! Alberich
––––––––––se dépouille :
–––––––ouvrez, barbares, ses liens !
Loge

(à Wotan).

––––––––––Le tiens-tu quitte ?
––––––––––peut-il partir ?
Wotan.
––––––––––D’un rouge Anneau
––––––––––ton doigt rayonne :
––––––––––montre, Gnome !
–––––––lui, certes, aussi m’appartient
Alberich

(avec terreur).

––––––––––L’Anneau ?
Wotan.
––––––––––Pour ta rançon
––––––––––tu dois le remettre.
Alberich.
–––––––La vie — mais pas l’Anneau !
Wotan.
––––––––––L’Anneau, te dis-je :
–––––––pour ta vie fais à ton gré !
Alberich.
–––––––Si j’ai sauvé ma vie,
–––––––ce Cercle aussi je le sauve :
––––––––––tête et main,
––––––––––œil, oreille,
––––––––––rien n’est plus ma chose
–––––––que l’Or de ce rouge Anneau !
Wotan.
–––––––Ta chose, l’Or de l’Anneau ?
–––––––Railles-tu, Albe sans honte ?
––––––––––Dis un peu
––––––––––où tu pris le métal
–––––––duquel le joyau fut forgé ?
––––––––––Lui, ta chose,
––––––––––que, perfide,
–––––––aux flots profonds tu ravis ?
––––––––––Aux Enfants du fleuve
––––––––––va demander
––––––––––si cet Or
––––––––––en cadeau te vint d’elles,
–––––––que pour l’Anneau tu volas !
––––––––––
Alberich.
––––––––––Ruse impudente !
––––––––––dol effronté !
––––––––––Quoi, ta fourbe
––––––––––m’impute un crime
–––––––dont tous tes vœux s’enivraient ?
––––––––––Heureux vol
–––––––que toi-même aurais consommé,
––––––––––s’il en coûtait
–––––––moins cher pour forger cet Anneau ?
––––––––––Quel grand bonheur,
––––––––––ô traître, pour toi,
––––––––––que le Niblung, moi,
––––––––––étreint de détresse,
––––––––––outré de rage,
–––––––j’acquière le charme terrible,
–––––––dont l’œuvre ici te sourit ?
––––––––––D’un cœur plein de maux,
––––––––––fou d’angoisse,
––––––––––l’acte maudit,
––––––––––l’acte effrayant,
––––––––––au gain du joyau
–––––––doit gaiement te conduire ?
–––––––pour toi, pour ta joie, j’ai maudit ? —
––––––––––Garde-toi,
––––––––––Dieu souverain ![4]
––––––––––Car mon forfait
–––––––fut libre et n’atteint que moi :
–––––––mais à tout ce qui fut,
––––––––––est, sera,
–––––––Dieu, attente le tien,[5]
–––––––si toi tu m’arraches l’Anneau !
Wotan.
––––––––––Mien, l’Anneau !
––––––––––Tes cris n’ont rien dit
–––––––qui prouve ton droit.
(Avec une furieuse violence il arrache au doigt d’Alberich l’Anneau.)
Alberich.

(poussant un cri horrible).

–––––––Ha ! — En poudre ! Broyé !
–––––––Des tristes plus triste valet !
Wotan

(qui a mis l’Anneau à son doigt et qui le contemple avec complaisance).

–––––––Je tiens là ce qui m’élève,
–––––––des plus puissants roi tout-puissant !
Loge.
––––––––––Peut-il partir ?
Wotan.
––––––––––Lâche-le !
Loge

(dénouant les liens d’Alberich).

––––––––––Rentre au logis !
––––––––––Tu n’as plus de chaînes :
––––––––––Pars libre d’ici !
Alberich

(se remettant debout, et avec un rire de rage).

––––––––––Suis-je enfin libre ?
––––––––––vraiment libre ? —
––––––––––Sachez comment
–––––––ma délivrance vous salue ![6]
–––––––Comme il vint d’un vœu maudit,
–––––––maudit soit cet Anneau !
––––––––––Si par lui
–––––––j’eus toute puissance,
––––––––––qu’il marque donc
–––––––de mort qui le tiendra !
––––––––––Nul cœur joyeux
––––––––––n’en doit jouir ;
––––––––––nul heureux n’en verra
––––––––––flamboyer les feux ;
––––––––––qui le possède,
––––––––––se ronge d’angoisse,
––––––––––et qui ne l’a,
––––––––––se dévore d’envie !
––––––––––Tous convoitent
––––––––––d’enfin l’avoir,
––––––––––mais nul ne savoure
––––––––––ce bien rêvé ;
–––––––sans profit qu’il soit pour son maître
–––––––mais qu’il mène à lui l’assassin !
––––––––––La mort sur sa tête,
–––––––que tremble le lâche éperdu :
––––––––––sa vie entière
–––––––soit une mort de désir, —
––––––––––de l’Anneau seigneur,
––––––––––de l’Anneau esclave !
––––––––––jusqu’au jour où ma main
–––––––reprendra le bien qu’on me vole !
––––––––––Tels — grondent
––––––––––les vœux bénis
–––––––du Nibelung sur l’Anneau ! —
––––––––––Conserve-le,
––––––––––garde-le bien :
–––––––l’anathème reste sur toi !

(Il disparaît rapidement dans la crevasse.)

Loge.
––––––––––Goûtes-tu
––––––––––son aimable adieu ?
Wotan

(absorbé dans la contemplation de l’Anneau).

–––––––Laisse baver son envie !

Les brumes qui flottent sur le devant de la scène s’éclaircissent peu à peu.

Loge

(regardant vers la droite).

––––––––––Fasolt et Fafner
––––––––––viennent là-bas ;
–––––––Freia suit les Géants.

(De l’autre côté s’avancent Fricka, Donner et Froh.)

Froh.
–––––––Ils sont revenus.
Donner.
––––––––––Salut, mon frère !
Fricka

(se hâtant, anxieuse, vers Wotan).

–––––––L’œuvre est-elle faite ?
Loge

(montrant le Trésor).

––––––––––La ruse et la force
––––––––––ont tout vaincu :
–––––––voici le prix cherché.
Donner.
––––––––––Les Géants ramènent
––––––––––notre Freia.
Froh.
––––––––––Quel souffle enchanté
––––––––––touche nos fronts,
––––––––––fraîche douceur,
––––––––––qui charme les sens !
–––––––Tous les Dieux seraient tristes,
–––––––vivant loin d’elle à jamais,
–––––––par qui jeunesse éternelle,
–––––––joie et bonheur nous sourient !

Le devant de la scène est redevenu clair ; dans cette lumière, l’aspect des Dieux reprend sa fraîcheur primitive ; le voile de brumes demeure étendu cependant sur le fond de la scène, de telle sorte que le burg, au lointain, reste encore invisible.

Fasolt et Fafner arrivent, conduisant Freia entre eux deux.

Fricka

(qui s’élance joyeusement vers sa sœur pour l’entourer de ses bras).

––––––––––Sœur tout aimable,
––––––––––joie et douceur !
–––––––t’ai-je à nouveau reconquise ?
Fasolt

(l’arrêtant).

––––––––––Paix ! N’y touche pas !
––––––––––Elle est nôtre encor. —
––––––––––A Riesenheim,
––––––––––rude frontière,
––––––––––l’on a fait halte :
––––––––––de soins fidèles,
––––––––––le gage échu
––––––––––fut gardé ;
––––––––––le cœur navré,
––––––––––je viens le rendre :
––––––––––payez aux frères
––––––––––le prix promis.[7]
Wotan.
–––––––Je tiens prêt l’échange :
––––––––––de l’Or gisant
–––––––faites juste mesure.
Falsolt.
––––––––––De perdre Freia,
–––––––certes, j’ai grande douleur :
–––––––dois-je oublier son image,
––––––––––que l’amas de l’Or
––––––––––monte si haut
––––––––––qu’à mes regards
–––––––sa fleur en entier soit cachée !
Wotan.
––––––––––Dressez l’amas
––––––––––d’après Freia debout !

Fafner et Fasolt enfoncent leurs pieux dans le sol devant Freia, de telle sorte que ces pieux fixent la mesure de l’Or d’après le silhouette de Freia, tant en hauteur qu’en largeur.

Fafner.
––––––––––Nos pieux sont plantés,
––––––––––mesurant le gage ;
–––––––comblez leurs vide avec l’Or !
Wotan.
––––––––––Vite achevez :
––––––––––l’œuvre m’indigne !
Loge.
––––––––––Viens donc, Froh !
Froh.
––––––––––Freia souffre,
––––––––––vite je l’aide.

(Loge et Troh se hâtent d’entasser les pièces du Trésor entre les pieux.)

Fafner.
––––––––––Pas si vite
––––––––––et mieux appuyé !
––––––––––ferme et dru
––––––––––forme le tas !

Avec une brutale vigueur il pèse sur les morceaux de métal et les tasse ; il se penche vers l’amas, le scrutant pour y trouver des interstices.

––––––––––Je vois au travers !
––––––––––qu’on ferme la fente !
Loge.
––––––––––Brutal, arrière !
––––––––––ôte tes mains !
Fafner.
–––––––Ici ! remplis la fissure !
Wotan

(se détournant, avec un découragement irrité).

––––––––––Apre en mon sein
––––––––––brûle l’insulte !
Fricka

(le regard fixé sur Freia).

––––––––––Vois quel affront
–––––––frappe ma noble sœur :
––––––––––elle implore une aide,
–––––––pâle et l’œil suppliant.
––––––––––Dur époux !
–––––––l’Aimable te doit cette honte !
Fafner.
––––––––––Encore, ici !
Donner.
––––––––––C’est trop me taire :
––––––––––folle fureur
–––––––va châtier l’effronté ! —
––––––––––Avance, chien !
––––––––––ta mesure,
–––––––je vais la prendre à mon tour !
Fafner.
––––––––––Paix là, Donner !
––––––––––gronde autre part :
–––––––ici ton bruit ne peut rien !
Donner.

(s’élançant).

–––––––Sauf, bandit, te mettre en poudre !
Wotan.
––––––––––Paix ici !
–––––––L’Or cache Freia déjà.
Loge.
––––––––––Plus d’Or, plus rien.
Fafner

(mesurant le Trésor du regard).

–––––––Je vois ses cheveux briller :
––––––––––jette ce heaume
––––––––––sur le tas ![8]
Loge.
––––––––––Quoi ? lui aussi ?
Fafner.
––––––––––Vite, jette-le !
Wotan.
––––––––––Qu’on le leur donne !
Loge

(qui jette le heaume sur le monceau d’Or).

––––––––––La chose est donc faite. —
––––––––––Sommes-nous quittes ?
Fasolt.
––––––––––Freia, la belle,
––––––––––n’est plus visible :
––––––––––ainsi elle est libre ?
––––––––––dois-je la perdre ?

(il s’approche du Trésor et tâche de voir au travers.)

––––––––––Las ! son clair
––––––––––regard brille encor ;
––––––––––de l’œil l’étoile
––––––––––m’éblouit :
––––––––––par une fente
––––––––––il luit jusqu’à moi ! —
–––––––Tant que ces yeux me ravissent,
–––––––à la femme encor je prétends !
Fafner.
––––––––––Hé ! vous dis-je,
––––––––––bouchez la fissure !
Loge.
––––––––––Race avide !
––––––––––n’est-ce donc clair,
–––––––tout l’Or y passa ?
Fafner.
––––––––––Non certe, ami !
––––––––––Au doigt de Wotan
–––––––brille l’Or d’un Anneau :
–––––––donnez, qu’il ferme la fente !
Wotan.
––––––––––Quoi ? cet Anneau ?
Loge.
––––––––––Soyez sages !
––––––––––Aux trois Nixes
––––––––––revient cet Or :
–––––––Wotan songe à le leur rendre.
Wotan.
––––––––––Que contes-tu là ?
–––––––Le prix de tant de peine,
–––––––sans effroi j’entends le garder !
Loge.
––––––––––Mal m’a pris
––––––––––de le promettre
–––––––naguère aux Filles en pleurs !
Wotan.
–––––––Ta promesse est nulle pour moi :
–––––––l’Anneau conquis me demeure.
Fafner.
––––––––––Mais là pour prix
––––––––––tu vas le remettre.
Wotan.
–––––––Tous vos vœux effrontés,
––––––––––tous, j’y accède, —
––––––––––mais pour l’univers
–––––––je ne livre pas cet Anneau !
Fasolt

(saisit Freia avec fureur, derrière le Trésor, et l’entraîne en avant).

––––––––––Plus d’échange !
––––––––––l’ancien traité !
–––––––c’est nous que Freia va suivre !
Freia.
––––––––––Aide ! Aide !
Fricka.
––––––––––Dieu cruel,
––––––––––livre-leur tout !
Froh.
––––––––––Donne ton Or vite !
Donner.
––––––––––Jette l’Anneau donc !
Wotan.
––––––––––Vous, laissez-moi !
––––––––––L’Anneau reste mien !

Fafner retient encore Fasolt qui veut s’en aller. Tous les Dieux demeurent consternés ; Wotan en courroux se détourne d’eux. La scène s’est obscurcie de nouveau ; de la crevasse latérale des rochers surgit une lueur bleuâtre ; et, dans cette crevasse, Erda devient soudain visible pour Wotan ; elle s’élève du gouffre jusqu’à mi-corps ; sa forme est majestueuse, amplement baignée par les ondes de sa longue chevelure noire.

Erda

(étendant la main vers Wotan en manière d’avertissement prophétique).

–––––––Cède, Wotan, cède !
–––––––Fuis l’Anneau maudit !
––––––––––Sans recours
––––––––––ruine et désastre
–––––––vont vers toi par lui.
Wotan.
–––––––Qui donc es-tu, prophétesse ?
Erda.
–––––––Tout ce qui fut, m’est connu ;
––––––––––ce qui devient,
––––––––––ce qui doit être,
––––––––––l’est aussi :
––––––––––du monde éternel
––––––––––l’Urwala,
–––––––Erda, vient t’avertir.
––––––––––Trois des filles,
––––––––––sœurs premières,
––––––––––sont nées de moi :
––––––––––mes oracles,
–––––––tu les sauras par les Nornes.
––––––––––Pourtant ton péril
––––––––––me conduit
––––––––––moi-même vers toi :
–––––––songe ! songe ! songe !
–––––––Tout ce qui est — passe.
––––––––––Le Soir des Dieux
––––––––––est près de poindre :
–––––––j’adjure, — jette l’Anneau !

Elle s’enfonce lentement jusqu’à la poitrine, tandis que lueur bleuâtre commence à s’obscurcir.

Wotan.
––––––––––Un sens caché
––––––––––sonne en ta voix :
–––––––reste, pour mieux m’instruire !
Erda

(en s’évanouissant).

––––––––––Je vins vers toi —
––––––––––tu sais assez :
–––––––songe, veille, et crains !

(Elle disparaît complètement.)

Wotan.
–––––––Dois-je vivre en ces craintes —
––––––––––je veux t’étreindre,
––––––––––pour tout apprendre !

Il veut s’élancer dans la crevasse, pour retenir Erda ; Donner, Froh et Fricka se jettent au-devant de lui, et l’arrêtent.

Fricka.
––––––––––Arrière, cœur dément !
Froh.
––––––––––Arrête, Wotan !
––––––––––Laisse l’Auguste,
––––––––––suis ses conseils !
Donner

(aux Géants).

––––––––––Vous, Géants !
––––––––––restez encore :
–––––––cet Or, on vous le donne.
Freia.
––––––––––Puis-je le croire ?
––––––––––votre Holda
–––––––vaut-elle un prix si cher ?

(Tous attendent, les regards fixés sur Wotan.)

Wotan.
––––––––––A moi, Freia !
––––––––––enfin sois libre :
––––––––––sœur rachetée,
–––––––rends-nous jeunesse et douceur ! —
–––––––Géants, prenez votre Anneau !

(Il jette l’Anneau sur le Trésor.)

Les Géants lâchent Freia ; celle-ci s’élance, joyeuse, vers les Dieux, qui tour à tour, longuement, l’accueillent tout transportés de joie et lui prodiguent de tendres caresses.

Fafner

(déploie aussitôt un énorme sac et se met en devoir d’y entasser le Trésor).

Fasolt

(se jetant au-devant de son frère).

––––––––––Hé, avide !
––––––––––laisse ma charge !
––––––––––Juste partage
––––––––––entre frères !
Fafner.
–––––––Mieux à la femme qu’à l’Or
–––––––ton sot amour rêvait ;
––––––––––je fis ce troc
––––––––––malgré ta démence.
––––––––––Sans nul partage
–––––––tu voulais Freia pour toi :
––––––––––quant au Trésor,
––––––––––assurément
–––––––la plus grosse part me revient !
Fasolt.
––––––––––Traître voleur !
––––––––––Toi, m’insulter ?

(aux Dieux.)

–––––––Vous, soyez nos juges :
––––––––––comme il se doit
––––––––––réglez le partage !

(Wotan se détourne avec dédain.)

Loge.
–––––––De l’Or qu’il s’empare :
–––––––garde par contre l’Anneau !
Fasolt

(se jette sur Fafner, qui pendant tout ce temps a beaucoup entassé d’Or dans son sac).

––––––––––Arrière, cupide !
––––––––––mien soit l’Anneau :
–––––––mien, pour son regard à elle !

(il met précipitamment la main sur l’Anneau.)

Fafner.
––––––––––Ôte ta main !
––––––––––L’Anneau à moi !

(Ils luttent ; Fasolt arrache à Fafner l’Anneau.)

Fasolt.
–––––––J’ai la bague, elle est mienne !
Fafner.
–––––––Tiens-la bien, qu’elle ne tombe ! Il frappe Fasolt de son pieu, avec fureur, et l’étend d’un seul coup sur le sol ; puis, avec une hâte sauvage, il arrache au mourant l’Anneau.
–––––––Regarde donc l’œil de Freia :
–––––––car l’Anneau n’est plus à toi !

Il met l’Anneau dans le sac, où il achève d’entasser tout à son aise le reste du Trésor.

(Tous les Dieux restent immobiles, saisis d’horreur. Long et solennel silence.)

Wotan.
––––––––––Acte affreux,
–––––––effet du serment maudit !
Loge.
––––––––––Combien, Wotan,
––––––––––grande est ta chance !
––––––––––Plus d’un bien
––––––––––te venait de l’Anneau ;
––––––––––qu’on ait pu te le prendre
––––––––––vaut encor mieux :
––––––––––tes adversaires, vois,
––––––––––vont s’égorgeant,
–––––––pour cet Or, que toi tu livres.
Wotan

(profondément secoué d’émotion).

–––––––Quelle angoisse m’oppresse !
––––––––––Trouble et crainte
––––––––––pèsent sur moi ;
––––––––––pour m’y soustraire,
––––––––––qu’Erda m’instruise :
––––––––––vers elle je descendrai !
Fricka

(s’appuyant contre lui avec une tendresse câline).

––––––––––Que tarde Wotan ?
––––––––––N’est-ce un appel,
––––––––––l’éclat de ce burg,
––––––––––qui pour seigneur
–––––––le veut, l’invite et l’attend ?
Wotan.
––––––––––Un triste prix
––––––––––paye ce burg !
Donner

(montrant le fond de la scène, qui est encore enveloppé d’un voile de brumes).

––––––––––Lourdes vapeurs
––––––––––flottent dans l’air ;
––––––––––j’ai chagrin
––––––––––de ce triste poids :
––––––––––qu’aux blêmes nuées
–––––––brille l’éclair de l’orage :
–––––––ainsi le ciel sera clair !

Il a gravi une roche élevée sur l’escarpement qui domine la vallée, et brandit maintenant son marteau.

–––––––Héda ! Héda ! Hédo !
––––––––––A moi les brouillards !
––––––––––les brumes à moi !
––––––––––Donner, le chef,
––––––––––clame l’appel !
––––––––––qu’au marteau brandi
––––––––––roulent vos rangs !
––––––––––Sombres vapeurs !
––––––––––Souffles obscurs !
––––––––––Donner, le chef,
––––––––––clame l’appel !
–––––––Héda ! Héda ! Hédo !

Les brumes se sont rassemblées autour de lui ; il disparaît complètement dans une nuée d’orage qui s’amoncelle, toujours plus épaisse et plus sombre. On entend alors son coup de marteau tomber puissamment sur la roche ; un grand éclair jaillit du nuage, suivi aussitôt d’un violent coup de tonnerre.

––––––––––Frère, viens ça !
–––––––fais de cet arc un chemin !

Froh a disparu avec lui dans le nuées. Soudain les nuages commencent à se dissiper ; Donner et Froh deviennent visibles ; partant de la place qu’ils occupent, le pont de l’arc-en-ciel s’élève, éblouissant de lumière, au-dessus de la vallée, et va jusqu’au burg, qui maintenant rayonne du plus brillant éclat, baigné par les feux du soleil couchant.

Fafner, qui, près du cadavre de son frère, a finalement ensaché tout le Trésor, a quitté la scène, emportant l’énorme sac sur son dos, pendant l’incantation de l’orage faite par Donner.

Froh.
–––––––Au burg mène l’arche,
–––––––svelte et forte pourtant :
––––––––––suivez sans peur
––––––––––ce chemin clair et sûr !
Wotan

(absorbé dans la contemplation du burg).

––––––––––L’œil des deux brille
––––––––––au soir sublime ;
––––––––––aux feux du couchant
–––––––luit l’aime château :
––––––––––mes regards dès l’aube
––––––––––l’ont vu splendir
––––––––––superbe et sans seigneur,
–––––––gloire et rêve du Dieu.
––––––––––De l’aube aux ténèbres,
––––––––––en maints labeurs,
–––––––sans joie on fit sa conquête !
––––––––––Voici la nuit :
––––––––––contre sa haine
–––––––qu’il soit l’asile enfin !
–––––––Tel — sois salué,
–––––––burg affranchi d’effroi !

(A Fricka.)

––––––––––Suis mes pas, femme :
–––––––au Walhall règne aussi !

(Il la prend par la main.)

Fricka.
––––––––––Qu’exprime ce titre ?
–––––––Rien, certes, ne lui ressemble !
Wotan.
––––––––––Domptant toute crainte,
––––––––––mon cœur vient d’oser :
––––––––––au jour des victoires —
–––––––tout sera clair pour toi !

Wotan et Fricka marchent vers le pont de l’arc-en-ciel : Froh et Freia les suivent, immédiatement après eux ; Donner vient ensuite.

Loge

(qui s’attarde sur le devant de la scène et suit les Dieux du regard).

–––––––A leur perte ils vont en courant,
–––––––ceux qui sûrs de leur force s’estiment.
––––––––––J’ai honte un peu
––––––––––d’entrer dans leur groupe ;
––––––––––des flammes sifflantes
––––––––––reprendre la forme,
–––––––cette envie me revient :
––––––––––ronger et perdre
––––––––––ceux qui me domptèrent,
––––––––––loin d’accepter
––––––––––le sort de ces fous, —
–––––––fussent-ils Dieux plus encore —
–––––––ce plan n’est point trop sot !
––––––––––J’y songe, certes :
––––––––––qui sait mes desseins !

Il s’éloigne avec nonchalance, comme pour fermer le cortège des Dieux.

On entend s’élever le chant des Filles du Rhin, aux profondeurs de la vallée.

Les trois Filles du Rhin.
––––––––––Rheingold ![9]
––––––––––Rheingold ![10]
––––––––––Or pur du Rhin !
––––––––––si vif et si clair
–––––––fut ton éclat pour nous !
––––––––––Or pur, ta perte
––––––––––fait nos plaintes !
––––––––––Rendez-nous l’Or,
––––––––––rendez-nous l’Or,
–––––––rendez-nous l’Or pur du Rhin !
Wotan

(qui allait mettre le pied sur l’arche lumineuse, s’arrête et se retourne).

–––––––Des plaintes montent vers moi ?
Loge.
––––––––––Les Filles du Rhin
–––––––se lamentent sur l’Or ravi.
Wotan.
––––––––––Perfides Nixes ! —
–––––––Fais cesser leurs clameurs !
Loge

(criant vers la vallée).

––––––––––Vous, dans les ondes !
––––––––––pourquoi ces sanglots ?
–––––––Sachez de Wotan le vœu !
––––––––––Loin de vous,
––––––––––enfants, brille l’Or :
–––––––que des Dieux la jeune gloire
–––––––soit votre astre toujours ![11]

Les Dieux rient aux éclats et s’avancent sur l’arche.

Les Filles du Rhin
(des profondeurs).
––––––––––Rheingold ![12]
––––––––––Rheingold ![13]
––––––––––Or pur du Rhin !
––––––––––Oh ! si dans les flots
––––––––––rayonnait ton joyau de feu !
––––––––––Sûr et fidèle
––––––––––est seul l’abîme :
––––––––––faux et vains
–––––––ceux qui triomphent là-haut !

Au moment où tous les Dieux, sur l’arche lumineuse, s’avancent vers le burg, le rideau tombe.

  1. Var. : tu crus les tenir d’avance.
  2. Var. : et tes rouges Ors.
  3. Var. : veuillez par bonté me le rendre !
  4. Var. : maître divin !
  5. Var. : s’attaque le tien,
  6. Var. : Sachez donc comme
    ce libre vous bénit !
  7. Var. : rançon pour elle.
  8. Var. : mets ce tissu
    sur le Trésor !
  9. Var. : Or pur !
  10. Var. : Or pur !
  11. Var. : nouveau !
  12. Var. : Or pur !
  13. Var. : Or pur !