CHAPITRE IX

PAUL A UN AMI. — LA MORALITÉ D’UN SONNET. L’HORLOGE DE LA SALLE BASSE.


Après le souper des moissonneurs, pendant lequel personne n’osa molester en paroles Jacques Sauviac, tant les maîtres du domaine témoignaient d’estime pour lui, Claude Chardet conduisit l’étameur et son fils dans une chambre du logis vieux, meublée à l’antique d’un lit à pentes, à colonnes, d’une table à pieds en grenouille et d’un haut cabinet. Arrivé là, il prit un escabeau, en montra un autre à Sauviac et lui dit :

« Voici votre chambre pour tout le temps que vous passerez à Uchizy. Comptez-vous y séjourner longtemps ? Le plus sera le mieux, au gré des gens des Ravières.

— Merci de votre honnêteté, monsieur Chardet, répondit l’étameur ; je resterai ici tant que je trouverai à m’y occuper. Mon fils est allé à Chardonnay aujourd’hui reporter l’ouvrage qu’on m’y avait donné, et il a fait le tour de votre pays sans trouver grand’chose à réparer. Nous partirons donc bientôt ; mais, avant de nous en aller, j’apprendrai à Mme Chardet comment il faut panser votre petite-fille.

— Quant à l’ouvrage, dit Claude Chardet, vous avez mal choisi votre moment, mon homme, pour venir à Uchizy. On n’a que la moisson en tête. C’est dans seulement quinze jours, aux approches de la Saint-Pierre, notre fête patronale, qui tombe le premier dimanche d’août, que toutes les ménagères auront souci de leur batterie de cuisine et courront après vous, tandis qu’elles ont fait la sourde oreille aujourd’hui aux offres de votre garçon. Donc il faut rester avec nous au moins jusqu’à ce temps-là. Le docteur a bien dit que vous étiez utile à ma petite Alice. Mais, comme je ne veux pas que vous en soyez du vôtre, vous allez me dire ce que vous gagnez, une semaine portant l’autre, afin que je vous en tienne compte à votre départ, ou tous les dimanches, à votre choix.

— Pour cela, non ! s’écria l’étameur. On dit que vous tenez à vos idées, monsieur Chardet ; mais vous vous rendrez à la mienne, car je n’en démordrai point. Ce serait donc la première fois que je me laisserais nourrir à rien faire. Là, là, ne vous fâchez pas, il y a moyen de tout arranger. J’en ai bonne envie ; voici mon fils qui fait déjà la moue à l’idée de quitter les Ravières. Il s’est pris d’amitié pour vos enfants, et il a vu, paraît-il, chez vous, des livres, de la musique et d’autres choses encore qui lui ont tourné la tête. Donc, je resterai. Le pays est bon, les gens affables, la cuisine excellente, et le logis autrement beau que mon taudis de Mozat ; même je me laisserai payer mes journées par vous, à la seule condition que vous m’occuperez. Ce ne sera point la première fois que, ne trouvant rien à étamer, j’aurai aidé aux travaux des champs. Essayez-moi, je n’y suis pas maladroit ; deux bras de plus ne seront pas de trop, et, puisque vous louez des gens étrangers à la commune, je ne ferai de tort à personne dans le pays. En outre, le matin et le soir, je verrai ma petite malade. »

L’accord fut conclu sur ces données ; mais ce fut en vain que Sauviac tenta d’emmener son fils avec lui dans les champs. D’autorité, Paul voulut garder son ami, et Philibert Chardet eut un élève de plus, un élève modèle, celui-là, dont la vive perception d’esprit et l’ardeur au travail stimulèrent l’application de son neveu. Cette amitié de Paul pour Vittorio était si enthousiaste qu’elle causait du souci à son précepteur ; il se demandait si ce départ prochain du jeune garçon ne ferait pas retomber Paul dans le dégoût des études d’où elle l’avait tiré.

Cette affection n’allait cependant pas sans de légers orages ; ainsi, un jour que Paul ne pouvait arracher Vittorio à sa lecture pour l’emmener dénicher un nid de chardonnerets gité dans un gros pommier du potager et dont les petits étaient près de prendre la volée, il finit par dire à son ami :

« Je veux que tu viennes, moi ! Je suis sûr que cela ferait plaisir à ma sœur d’avoir ces jolis petits. On les mettrait dans une cage près de son lit ; elle les nourrirait encore quelques jours ; elle s’amuserait de les voir grandir et s’élever ; ensuite ils chanteraient, et elle se souviendrait que nous les lui avons donnés pendant sa maladie. Il faut que tu viennes ; de la seconde fourche de l’arbre, je n’ai pas le bras assez long pour atteindre le nid.

— À quoi bon faire prisonniers ces pauvres oiseaux ? » dit Vittorio.

Et il se replongea dans la lecture de l’histoire de France.

Paul frappa de son poing sur la table qui le séparait de son ami.

« Ce n’est pas ta pitié pour les oiseaux qui te retient, lui dit-il, mais ta rage de lire et de lire encore. Est-ce que nous n’avons pas assez travaillé en classe pour gagner de nous amuser ? Est-ce que tu as besoin d’étudier plus que moi ?

— Certainement oui, répondit Vittorio. Toi, tu as tout à souhait pour apprendre, et de plus, tu n’as pas autant que moi besoin de valoir par toi-même. Tu as une famille riche, ton pain est gagné d’avance ; moi, il faut que je sache tout ce qu’il est possible d’apprendre pour gagner le mien et soulager plus tard la vieillesse pauvre de mes parents. Tu comprends la différence ? »

Pour toute réponse, Paul lança un gros dictionnaire à la tête de Vittorio, qui esquiva le choc et releva le livre écorné aux coins avec un visible regret de cette mutilation.

« Qu’as-tu donc ? dit-il à son ami. Est-ce que je t’ai fâché ?

— Oui, tu me dis des impertinences.

— Et comment donc ?

— Tout ce que tu m’as dit signifie : « Tu as le droit d’être un imbécile, toi, parce que tes parents ont de l’argent et que tu as la becquée pour toute la vie ; moi, j’ai le devoir d’être intelligent et instruit, parce que cela servira aux miens. » Eh bien, voilà ce qui t’attrapera, je ne serai pas un imbécile ; je travaillerai très fort pendant les classes, tout en m’amusant très fort aux récréations. Adieu ! reste à grignoter tes bouquins comme un rat de bibliothèque. Maintenant, c’est moi qui ne veux pas de toi au jardin. »

Et, pour se prémunir contre un bon mouvement de Vittorio, Paul fit claquer derrière lui la porte de la salle d’études qu’il ferma à double tour. Il alla tout droit au jardin y renouveler sa tentative pour s’emparer du nid de chardonnerets. Il n’y réussit pas mieux cette fois. Afin de se consoler de cette déception, il alla la raconter à sa sœur en lui parlant pour la première fois de ce nid de chardonnerets dont il avait voulu lui faire fête.

L’oncle Philibert était à ce moment-là au chevet de sa nièce, et il tenta de dissuader Paul de son projet cruel envers les chantres aimables du potager. Alice fut très frappée de ce que son oncle conta du chagrin des pauvres oiseaux privés de leur progéniture, de la peine que leur coûte l’édification d’un nid, de leur ingéniosité à le construire, des vertus de famille qu’ils déploient, et de l’intrépidité avec laquelle quelques mères défendent leurs petits lorsqu’on tente de les leur enlever.

Elle attira l’oncle Philibert près de son lit, le prit par le cou pour le rapprocher d’elle, et là, de bouche à oreille, elle lui dit un tout petit secret dont Paul ne comprit l’intention que le lendemain au soir.

Après le dîner, on se réunissait dans la chambre de la petite malade, qui ne souffrait plus, mais que la prudence condamnait encore pour quinze jours à la position horizontale.

Le lendemain soir, elle était de très belle humeur ; Vittorio lui avait fait une surprise : avec des morceaux de bois, de l’osier, quelques clous et un peu de cuir, il lui avait fabriqué une voiture qu’il avait montée sur les roues d’une brouette mise au rebut. En la garnissant de coussins, il était possible d’y étendre Alice de tout son long et de la promener dans le jardin.

« De cette façon je pourrai retourner en classe, dit Alice, mais il ne faut pas croire, grand-père, que je n’aie rien fait depuis que je suis au lit. Il m’était impossible d’écrire ; malgré cela l’oncle Philibert m’a donné des leçons, et ce matin encore, j’ai appris une pièce de vers qu’il faut que je vous récite. Paul, écoute-la donc. »

Et la petite fille, semblant s’adresser particulièrement à son frère, commença ainsi, d’un ton un peu malicieux :

LE NID

Le tronc d’un haut pommier tient, suspendus en grappe,
Quatre bambins joyeux, dont le chef a douze ans
Et le plus jeune cinq. Des rires éclatants
Célèbrent de l’assaut chaque nouvelle étape.

Tendu sur un rameau, le plus vieux des enfants
Se rapproche du nid, de ses deux mains le happe,
Et le chardonneret, dont sa poursuite frappe
Le doux espoir, volète avec des cris perçants.

Un cri plus indigné retentit près de l’arbre :
« Quoi ! ne sentez-vous pas, méchants au cœur de marbre,
Si vous m’étiez ravis que mon cœur saignerait !… »

Alors le tout petit, se joignant à sa mère,
Dit de sa douce voix : « Laisse-les, mon bon frère,
Laisse-les dans le nid, leur maman pleurerait !… »

« Qu’en dis-tu ? demanda la petite fille à son frère. Ce n’est pas là une fable ; il me semble qu’on peut en tirer tout de même une moralité. »

Paul embrassa successivement sa sœur et son ami.

« La moralité, dit-il, c’est que j’ai eu tort de vouloir désoler une famille et aussi d’être brutal avec Vittorio. Mais où est le fabuliste ? Est-ce toi, Torio ? Puisque tu veux savoir tout faire, pourquoi pas ?

— Oh ! non, je n’ai pas du tout ce talent, et je ne chercherai pas à l’avoir. Un étameur ne doit vivre qu’en prose.

— Qui donc est-ce ? car ces vers ont été composés pour la circonstance. »

Alice mit un doigt sur ses lèvres en désignant du regard l’oncle Philibert :

« Voici tout ce que je puis vous apprendre, dit-elle, tout ce qu’on m’a permis de vous faire savoir ; ces vers sont de l’ouvrage fait sur commande par un ouvrier qui n’en fait pas son métier, et qui ne veut pas qu’on le nomme. »

Malgré cette explication entortillée, Claude Chardet comprit que son fils était le coupable ; aussi il quitta la chambre furieux, en se disant qu’il ne manquait plus à Philibert, pour être ridicule, que de composer des compliments.

Le succès de la journée ne fut donc pas pour le poète improvisé, mais pour Vittorio, dont tout le monde apprécia également l’ingéniosité de main. La petite voiture d’Alice, bien que construite de matériaux un peu disparates, réunissait tous les avantages de légèreté et de commodité. De petits coussins de coutil, agrémentés de galons rouges par la tante Catherine, qui avait collaboré en secret à cette surprise de la façon de Vittorio, en garnissaient le siège, et une gaine fixée au dossier maintenait une ombrelle au-dessus de la tête d’Alice pendant qu’on la promenait dans les allées du jardin.

Paul admirait beaucoup cette industrie manuelle capable de tirer parti de tout. Il croyait si bien son ami assez habile pour arranger tous les engins disloqués, que le lendemain du jour où la voiture avait été inaugurée, Claude Chardet recula de surprise et de colère en trouvant, décroché, entre les mains des deux jeunes garçons, le mécanisme de l’horloge qui, depuis plus de cent ans, sonnait les heures dans la salle basse du logis vieux. Il y avait bien six mois qu’elle était détraquée, qu’on n’entendait plus son tic-tac ni ses bruits de ferraille au claquement des heures, et que ses gros poids ne remontaient plus sur leurs chaines de cuivre. Le propriétaire des Ravières avait dit cent fois qu’il la ferait arranger, et le fait est que ses aiguilles avaient un air morose dans leur fixité sur le cadran émaillé juché en haut de la haute boite de noyer ; mais on ne se presse pour rien dans campagnes mâconnaises, et l’horloge aurait pu rester dix ans dans son triste mutisme sans le coup d’État tenté par les deux jeunes amis.

« Qu’est-ce que vous faites là ? leur cria Claude Chardet de sa voix la plus grosse. C’est un de tes coups, Paul ! Tu mériterais… Mais toi, Vittorio, comment t’es-tu laissé entraîner à si mal faire par ce gamin ? Mon horloge ! une horloge qui est dans la maison depuis… qui sait depuis quand ? La voilà en miettes. Les enfants d’à présent ne respectent rien. On m’aurait bien coupé les doigts, à moi, plutôt que de me faire toucher à cette machine si compliquée, quand j’avais votre âge. Maintenant encore, je n’oserais pas la tourner et l’ouvrir. Est-ce qu’on peut faire autre chose que d’abimer ces machines quand on ne sait pas comment elles sont fabriquées ? Ah ! voilà de l’ouvrage de singe, oui, Vittorio, je ne vous félicite pas. »

Comme l’oncle Philibert, attiré par le bruit, entrait à ce moment dans la salle basse, il vit le tableau qu’y formaient le vieux maître des Ravières courroucé, Paul interdit et Vittorio hésitant qui tenait encore à la main les chaines des poids de l’horloge, dont il était occupé à démêler l’entortillement.

Il prit son père à part et lui persuada, mais avec peine, de laisser Vittorio se débrouiller de l’œuvre dont il s’était chargé.

« Il ne peut abîmer l’horloge plus qu’elle ne l’était avant, lui dit-il, et je ne puis croire qu’un garçon aussi intelligent aurait entrepris une telle tâche sans avoir les connaissances nécessaires qu’elle suppose. D’ailleurs, si elle ne réussit pas, sa tentative nous obligera à porter tout de suite ce mécanisme à l’horloger de Tournus ; ainsi on y aura gagné de savoir l’heure au vieux logis. »

Claude Chardet ne se rendit qu’à la considération du mal déjà fait et qui ne pouvait guère devenir pire ; il s’assit sur un escabeau pendant que Vittorio redressait les chaines afin d’établir la régularité des poids, nettoyait les rouages et les huilait au moyen d’une plume. Au bout d’une heure et demie,

Deux enfants assis à une table, des engrenages sont sur la table. En fond un meuble d’horloge dont le mécanisme enlevé semble être posé sur la table. Un homme se penche vers la table et parle.
Deux enfants assis à une table, des engrenages sont sur la table. En fond un meuble d’horloge dont le mécanisme enlevé semble être posé sur la table. Un homme se penche vers la table et parle.
Qu’est-ce que vous faites là ?


le mécanisme était en place, les poids équilibrés, l’horloge montée et la grosse sonnerie égayait de son timbre le silence de la salle basse.

« Pourvu qu’elle continue à marcher ? disait Claude Chardet entre ses dents.

— Mais elle va, elle ira très bien, répliquait Paul émerveillé. Est-ce que Vittorio ne sait pas tout faire ?

— C’est vrai qu’il est très malin, ce garçon, reprit le maître des Ravières, et qu’il m’a épargné là tout ce que j’aurais dû donner à l’horloger de Tournus. Comment cela t’est-il donc venu, mon petit, de savoir rafistoler les pendules ?

— Eh ! comme tout vient, je crois, répondit gaiement Vittorio, en regardant faire et en raisonnant. Celle-ci n’était qu’un peu sale ; les rouages étaient gênés par la poussière, ce n’était pas difficile à arranger. D’ailleurs, je suis bien payé pour savoir comment est faite ce que les enfants appellent « la petite bête » qui remue dans les pendules ; mais c’est une histoire, cela.

— Dis-la-moi donc, » lui demanda Paul. Vittorio hésitait, craignant d’ennuyer les maîtres des Ravières ; mais ils n’étaient pas moins curieux que Paul, et le jeune garçon dut leur conter d’où lui venait une si précoce science.

Quand je suis à Mozat, dit-il, je n’ai point grand’chose à faire, à part les leçons que me donnent M. le curé et M. Lebois, le percepteur ; alors j’aide ma mère et mes sœurs, et, quand elles n’ont pas besoin de moi, je m’amuse à fabriquer de mes mains n’importe quoi, et à chercher comment sont faites toutes sortes de choses. Je suis curieux, voyez-vous, c’est de naissance. Ce n’est pas ce qu’on dit de côté et d’autre qui m’intéresse, c’est la manière dont on s’y prend pour ceci, pour cela, dans toutes les fabrications. Cette curiosité m’a servi à apprendre souvent ; mais elle m’a fait commettre des sottises quelquefois. C’en était bien une que de démantibuler notre unique horloge comme je me suis avisé de le faire y a deux ans. Je voulais voir comment elle marchait, qu’est-ce qui faisait tourner l’une contre l’autre ces roues à petits crans ; enfin, j’étais là, le cœur tout battant, parce que je sentais bien que c’était très mal de déranger ce que je n’étais pas capable de remettre à bien, quand ma mère est entrée… Elle est très bonne, ma mère, mais vive, et je vous prie de croire qu’elle n’a pas été plus contente que maître Chardet tout à l’heure. Après m’avoir grondé comme je le méritais, elle m’a dit : « Tu n’auras à manger que lorsque « tu auras fait marcher cette horloge que tu as arrêtée. » Et j’étais bien embarrassé, allez ! car j’avais tout dévissé, et je ne connaissais plus rien à tous ces petits morceaux de cuivre que j’avais cru pouvoir remettre en place après les avoir démontés. Je suis bien resté huit heures devant la table, pleurant ma sottise, et j’y serais resté plus longtemps, si M. Lebois, le percepteur, n’était entré en passant et ne m’avait redonné du courage en me rappelant que je lui avais arrangé son tournebroche qui était dérangé. Il m’ouvrit sa montre et me démontra la manière dont s’agencent et marchent les ressorts ; mais il ne voulut pas toucher à l’horloge. Il me dit que ceux qui font les sottises doivent les réparer à eux tout seuls. Cela, c’était juste ; je le trouvais pourtant un peu dur, parce que je n’avais pas mangé depuis la veille et qu’il était plus de midi. Enfin je m’essuyai les yeux, me disant que pleurer ne sert à rien, et je me mis à l’ouvrage. C’est mon dîner qui me parut bon, à deux heures de l’après-midi, et aussi la plaisanterie de mon père qui revenait à cette heure-là de Riom : « Tu as donc payé ton « apprentissage d’horloger, mon Torio ? » Ah ! oui, je l’avais payé de mes larmes et de l’impatience de mon estomac, et aussi de la peine que j’avais faite à ma mère, qui n’a voulu me pardonner que huit jours après… Et voilà comment, monsieur Chardet, je sais faire marcher la petite bête des pendules. Une sottise sert, oui, vraiment, quand on a pu la réparer.

— Il parle comme un livre, ce garçon, dit Claude Chardet.

— C’est-à-dire que c’est mon père qui pense comme vous dites et qui m’apprend à voir les choses juste, répondit Vittorio. C’est lui qui m’a prouvé que le mal même qu’on fait peut servir quand on sait raisonner dessus. Dix fois par jour, il me répète ce que je n’oublierai jamais : « Mon Torio, « chacun se fait sa destinée ! »

— Et la tienne sera-t-elle d’être horloger, puisque tu t’entends déjà si bien à faire parler les muets ? lui demanda Claude Chardet en écoutant le tic-tac régulier qui faisait une basse grêle à cet entretien.

— Je ne sais pas, monsieur, répondit le jeune garçon, mais tout ce qui est mécanisme m’intéresse.

— Ah ! vraiment ! s’écria l’oncle Philibert. En ce cas, mon enfant, j’ai quelque chose à te montrer.

— Et à moi aussi ? demanda Paul avec empressement.

— Viens, mais j’ai bien peur que cela t’ennuie. »

Le vieux maître des Ravières ne les suivit point. Il se douta bien que l’oncle Philibert allait initier les deux enfants à quelqu’une de ces recherches qu’il appelait des manies, et il resta planté debout devant son horloge réparée, se disant que ce jeune garçon étranger était un être extraordinaire de connaître des choses dont lui, à son âge, avec son expérience, n’avait pas la moindre idée.