L’Ombre des roses/Les obscures chansons


I



Les obscures chansons qui passent
Sous mon front, cet après-midi,
Comme les bouleaux des taillis.
Tremblent d’automne, résignées…
Et leurs sveltes corps nus s’effacent
Dans les brumes de mes pensées.

Elles s’en vont, inexprimées,
À travers l’âme, toutes pures,
Et mon silence les rassure.
Ce sont de frêles épousées
Pour mon cœur banal et fidèle,
Et j’ignore presque tout d’elles,
Mais je les aime — c’est assez !…
 
C’est assez d’aimer et le dire
Par ce doux-pâle après-midi
À ce qui ne peut pas en rire,
Les rideaux clairs, les bouleaux gris,
Et ces chansons qui viennent, vont,
Mystérieuses, sous mon front…


II


LA CHUTE DES FEUILLES.


« Le rossignol était sans voix. »
(Millevoye.)


Je dors doucement comme un mort
Navré des musiques de vie
Comme un doux mort sans nulle envie…

Les musiques navrent la vie
Au dessus de moi, mais ô mort
Fais que je sois celui qui dort !…
 
Doux et simple, contre la mort
Bat mon pauvre cœur sans envie,
Triste pourtant comme la pluie.
 
Navrés par cet automne encor,
Sur mes belles feuilles de vie
Glissent les doux souffles de mort
Et les musiques de la pluie.


III



J’ai penché ma figure sur les roses fanées,
Ce soir, devant la glace — et par toute la nuit
L’odeur des roses mortes et la lampe allumée
Versent le doux vertige et les mélancolies…
Je suis pur, je suis triste, je pense à toi que j’aime,
J’ai de grands souvenirs et de folles étreintes
Pour ce bouquet flétri, dans mes deux mains pressé.
Oh ! je n’ai pas sommeil, et c’est une agonie
De souhaiter, si tard, l’orgue de Barbarie
Ou n’importe quel chant qui serait vague et tendre…
Et je meurs de ta voix que je ne puis entendre.