L’Ombre des roses ; Poèmes suivis du Gilles en blanc

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LE POÊME DU SILENCE


Puisque je t’ai perdu ô silence ! c’est toi que je chanterai d’abord.

Puisque je t’ai aimé plus que Tout, je te chanterai avec une voix, toi qui es sans voix.

Puisque je t’ai trahi, toi plus adoré que l’Amour, je te trahirai encore et je te glorifierai.

Ô Silence, j’ai tenu serré entre mes lèvres, ta fierté pure, et j’étais un enfant. — Ô silence, un enfant seul a la grandeur de se taire.

J’aimais, et je ne le disais pas — je souffrais et je ne le disais pas — je pensais et mes pensées se mouraient de la terreur des paroles…

Maintenant, silence, j’ai péché — j’ai péché contre toi et toi tu me repousses. — Je ne puis plus être avec toi et seul. —

Ma punition la voici : rien n’existe plus pour moi. que ce qui est révélé ; mais ce qui est révélé est imparfaitement pur, ce qui est révélé n’est pas absolu. — Ainsi tout est vain pour mon cœur.

Autrefois l’Absolu était : D’autres parlaient autour de moi. — J’écoutais, enfant que j’étais, et je possédais mes pensées — et je les possédais dans une solitude, avec ivresse et trouble, sans désirer comprendre ni que rien me comprît.

Alors je ne priais pas Dieu et je portais Dieu dans mon cœur.

Maintenant, j’ai voulu tout dire — j’ai balbutié, j’ai osé… Et ce faisant, je n’ai rien dit, mais le divin silence est mort.

Il est mort et je chante… comme une femme qui a vu enterrer son fils et qui rentre dans sa maison, voilà comme je suis. Elle vient et cherche. Elle ne peut pas ne plus entendre sa voix, et elle écoute.

Elle ne peut pas l’entendre — et elle se couvre les oreilles de ses mains, parce qu’il crie…

Ainsi je m’en vais avec mes amours, avec mon amour — et chacun sait dans la maison que mon fils chéri, le Silence, est mort — et je ne pourrai jamais le ravoir — et chaque fois que je l’appelle, je le tue…

Et maintenant je chante… j’ai chanté… qu’ai-je fait !…


L’OMBRE DES ROSES.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sur le sable léger de mon jardin fermé…
(J. Dominique.)


L’OMBRE DES ROSES.



Vous viendrez seulement jusqu’à l’ombre des roses.
Vos pieds la toucheront, vous vous arrêterez
Au bord du sable blanc où cette ombre se pose
Et tourne, suivant l’heure, à la saison d’été.
Vous viendrez de la mer et monterez la côte
Dans l’odeur du jasmin que j’ai planté pour vous,
Et je vous attendrai pour vous dire des choses
Que vous écouterez en respirant les roses,
Et l’ombre de mon âme pâlira jusqu’à vous.

L’ombre des roses rondes sera tendre et foncée
Sur le sable léger de mon jardin fermé
Où vous viendrez un peu quand ce sera mon jour ;
Je ne toucherai pas votre main ni vos yeux,
Je regarderai loin, par au delà, les cieux
Et la mer, et cette ombre à vos pieds dessinée
Et je n’oserai pas songer à mon amour.
Je me tiendrai debout dans un autre sentier
D’où les troènes blancs, sous les acacias,
Toucheront mes épaules de leurs doigts délicats ;
Et je contemplerai venir vos petits pieds.

Vous resterez pour moi autant que vous voudrez
Et ce sera l’instant de toute éternité…

Vous cueillerez mes roses et les emporterez,
Mais je ne saurai pas que vous êtes enfuie
Et je verrai toujours l’ombre des mêmes choses,
Et la mer et le ciel, et ma petite vie
Tourner sur elle-même comme une rose ronde
Sur le sable léger qui dessine son ombre…

Quand vous serez venue, quand vous serez partie,
Vous aurez cueilli l’ombre même, avec les roses ;
Je pencherai mes yeux sur la mer endormie
Et verrai fuir votre ombre même, avec mes roses…


Décoration florale à 4 branches.
Closset - L’Ombre des roses, 1901 (page 9 crop)

LE JARDIN.


à Mr et Mme L. G.


Du beau jardin dormant au cœur de la Forêt
Comme la Belle au Bois, paré de roses fines,
Voici le charme ancien et le calme secret :

Le ciel est pâle et frais sur les cimes bercées.
Une dame a cueilli les œillets étalés.
Des enfants ont foulé la terre des sentiers.

Les franges des sapins traînent sur la pelouse.
Les pieds nus des bouleaux tremblent parmi la mousse.
Les hêtres éternels semblent porter le ciel.

Les chemins sont parfaits de silence et d’atours,
Des hortensias bleus fleurissent tous les jours,
Les ormes en chantant se courbent sous le vent.

Le vent délicieux chante comme la mer,
La brume grise et bleue remplit le ciel et l’air ;
Les matins se réveillent blancs comme des colombes.
Les soirs baignés de miel s’endorment dans une ombre 
Rose et légère, où s’éparpillent les étoiles…

J’y suis venu au temps des hortensias pâles
Et des roses d’automne, froides et parfumées,
Et des œillets aussi que préférait la dame,
Et des dahlias simples aux couleurs de pêcher.

Le beau jardin dormant comme la Belle au Bois
Au cœur de la Forêt, m’a parlé de sa voix
Tranquille et ancienne comme une voix amie,
Et son charme secret et sa grâce endormie
Ont fleuri mes deux lèvres de ce poême-ci
Qui chante et rit ce soir à ma mélancolie.


Mariemont, septembre 1900.


[Image à insérer]


DIMANCHE.



Un long dimanche après midi :
Tout est couleur de paradis —

Mon âme est un cytise d'or,
Mon âme est un pommier fleuri.
Mon âme est comme un paradis.

Je vois l’envers des feuilles douces
Balancées où le vent les pousse ;
Et l’érable est verdi de mousses.

Je sens ton cœur, ton âme encor,
Qui est candide, fraîche et bonne
Comme l’odeur du géranium.

Tu m’as écrit et c’est dimanche ;
J’ai lu ta lettre dans ma chambre,
Qui est tranquille, bleue et blanche.

La paix vient-elle ? — C’est à croire
Qu’elle n’est qu’un très bon vouloir ! 
Et puis, laisse couler l’espoir !

Il ne faut pas dire autre chose :
Mais des paroles accomplies,
Comme d’une chanson qui prie ;

— Les vergers sont au bord de l’eau.
— Je vois l’iris et les roseaux.
— À chaque jour suffit l’amour.

[Image à insérer]


LE SOIR.



Les pivoines se sont épanouies aujourd’hui,
Mais le vent a cassé une branche à l’érable,
Elle est sous l’arbre encor, mouillée de pluie
Avec ses feuilles dans le sable…

Maintenant le soir est venu très doux.
Et la lune est rose dans un halo roux.

Il pleut : j’allumerai ma lampe sur la table,
Et puis, je viendrai m’accouder à la fenêtre
Pour sentir à côté de ma chambre toute claire,
Les anges qui n’y entrent pas, rôder dans l’air.

À présent j’ai pitié des jardins si solitaires,
Mais la lune, là-bas, est la plus solitaire,
Et les pivoines lourdes se penchent dans l’allée 
Avec du sommeil triste plein leur tête fanée.


PAUL ET VIRGINIE.



La nuit s’approche — les tamarins ferment leurs feuilles. » —
C’est une phrase du doux livre de Bernardin —
Chère âme, écoute, les feuilles bougent au jardin. —

Tu fermeras aussi tes bras sur moi.
Et même, tu fermeras tes yeux contre moi ; je prendrai
Le livre de ta main, et ta main dans la mienne.

— Mon frère, parle-moi comme Paul à sa sœur,
Mon frère, répandons notre bienheureux cœur,
Dans la nuit, comme alors, brillante de candeur.

— La nuit candide approche, les tamarins se ferment,
Donne-moi ton amour tremblant comme les feuilles
Ma sœur, et parle-moi, afin que Dieu le veuille
Et que je sois l’amant de ton âme, ma sœur,
Et de ton corps, et de ton cœur…

— Les tamarins ferment leurs feuilles…


PROMENADE.



Ce temps couleur de saule et l’odeur des troènes
Parfument ma douleur d’être celui qui t’aime.

L’été pâle se mouille d’une averse légère,
Les grappes des morelles pleuvant sur la rivière.

Je suis celui qui t’aime, et je vais promenant
Mes grands ennuis et mes longs pleurs d’adolescent.

Les ronces roses fanent sous le ciel délicat.
Ce temps couleur de saule a l’odeur du trépas.

L’été languit, mon cœur pâtit — des fleurs flétries
Flottent sur la rivière pour ma mélancolie.

Ah ! l’odeur triste des sureaux blancs et des troènes,
Et puis ce temps couleur de saule, — toute ma peine !


MATIN BÉNI.


à Mr et Mme L. G.


Le soleil gris et pur d’un matin de septembre,
Les feuilles baignées d’eau, brillantes dans les branches,
Une vapeur de ciel descendue en lumière,
Et remontée au ciel, lente, bleue et légère.

La Forêt sans rumeur doucement élevée
Vers la candeur fragile de ce reste d’été,
Quelques oiseaux chantant — les roses toutes roses
Perdant leurs frais pétales en de débiles poses,
Et la grâce envolée des sveltes capucines !…

À peine remuée de délices intimes,
Votre âme dans ce mois des feuilles envolées
Prend la grâce captive des sveltes capucines…

Allez, avec au cœur votre lente prière,
Et suivant le conseil divin de la lumière
Cueillez toutes les fleurs solitaires et calmes
Dans les chemins cendrés d’une ombre diaphane,

Et que ce jour bénisse de ses palmes, votre âme !


L’AUTOMNE DES PÂTRES.



L’automne rose et roux siffle dans ses roseaux
L’air de chasse du vent qui chasse sur les eaux
Et l’air des petits pâtres perdus sur les coteaux.

Avec l’automne roux, fou de mélancolie,
Le vent passe en pleurant sur le roseau qui plie ;
Le feu rose du pâtre s’est éteint sous la pluie.

Le ciel pâle à miracle vole comme un oiseau
Sur le soleil vermeil voilé de brume et d’eau.
Et le pâtre frissonne et serre son manteau.

Le vent siffle du ciel la complainte contrainte
Sur la terre d’automne et ses molles empreintes
De chariots mouillés et de troupeaux en peine.

Le pâtre dans l’automne avec son âme pleine,
L’automne dans la plaine avec ses vents en peine,
Et l’Amour dans le vent passent doux et tremblants…

L’Automne rose et roux pleure comme un enfant.


SEPTEMBRE.



Ôseptembre ! tu mets ton soleil de six heures
Au niveau de mon cœur.
Oh ! par l’allée si « vieille estampe » de ces arbres,
J’irais tout droit cueillir ses flammes
S’il n’y avait pas l’infini…

Il est glorieusement tombé si bas, si bas,
Qu’au niveau de son cœur on mettrait son bonheur,
Et ce serait au ras du ciel blanc monotone
Où l’ange roux d’automne annonce les langueurs…
Langueur de se vouloir couché et monotone,
Langueur d’attendre rien et d’attendre sans bornes,
Et langueur des langueurs, à mourir de douceur !

L’automne ! avec ses vents, ses pluies, et ses soleils.
Trop mûrs, ou pâlissants et silencieux au ciel.
Tandis que dans les arbres, les patientes feuilles
Soulèvent mille et mille grises mélancolies,
À l’infini, à l’infini de leurs tristes petites vies !…
 
L’orgue met sa pédale à tout le paysage.
Rentrons loin du soleil, et regardons, chère âme,
Comment, dans le jardin qu’on a jonché de cendre,
Le premier soir d’automne lentement va descendre.


LES PIGEONS BLANCS.



Les pigeons blancs ont traversé
L’érable roux rendu léger
Par les vents d’un nouvel automne.

L’arbre secoue ses feuilles d’or
Sur le beau jardin riche encor
De quelque pourpre géranium.

Un amant se lamente, bas,
D’une amante quittée là-bas !…
Sa peine lui fait l’âme bonne.
 
Il s’appuie au tronc de l’érable
Rêvant des choses mémorables
Sous son front blanc d’adolescent.

Cela s’est vu tous les mille ans
Tous les cent ans, et tous les ans !
— À tous les automnes de l’an

J’ai vu passer des pigeons blancs
Entre les branches de l’érable…
Cela m’est doux et mémorable.

Voici de pourpres géraniums,
Les derniers du nouvel automne ! …

De beaux fronts blancs d’adolescents,
Dans les jardins et les sous-bois,
Rêvent d’une fois… une fois !

J’aime les pourpres géraniums.



LES CYGNES.



Envolez-vous comme de grands oiseaux sans voix,
Émigrez lentement comme des cygnes pâles
Mes sauvages amours !
Sortez du vieux marais où pourrissent les joncs
Entremêlés de mes pensées !
Et volez jusqu’à l’horizon !

L’air de l’automne et sa tiédeur
Secoue des plumes sur mon cœur
Comme des flocons de silence…
Élevez-vous, montez sans voix,
Mes amours lentes à mourir
Et près du ciel où, morne, tournoie votre délire,
Priez pour moi, priez sur moi !

Dans les sillons de l’atmosphère
Où mon geste las se balance,
Un duvet de graine se traîne…
Les eaux sont pleines de silence,
Le marécage est sans un bruit
Sinon d’un doux cygne qu’emporte
L’essor tardif de sa douleur…

La lumière est fanée, son or blême se meurt
De trop se souvenir — et les feuilles sont molles
Que porte parmi l’eau quelque souffle passant…
Iras-tu dans l’hiver ? Attends-tu le printemps ?
Ne parles pas ! Tais-toi, tais-toi sur cet automne,
Mon cœur empli d’éternité, qui te consoles
À voir partir, partir sans cri, sans voix, là-bas,
Les grands oiseaux par dessus l’ombre du grand bois !…


[Image à insérer]


LE RENARD QUI PLEURE.



UN renard a pleuré, puis la nuit est venue…
La Forêt a soufflé ses feuilles jusqu’au toit
De la demeure chaude, où l’âme s’est émue
Des vieux automnes d’or, aux familières voix.

Le vieil automne dort maintenant sous mon toit.
Comme au jardin profond où pleure, familière,
La plainte du renard et des pins aux abois
Troublés du grand émoi des caresses d’hiver.

Le trouble caressant d’un hiver espéré
Accroupit au foyer mon rêve solitaire,
Et quand, la nuit venue, le renard a pleuré,
Chaque fois, j’ai prié ma plus grave prière :

« Nuit d’hiver et de grâce, Forêt, bêtes et palmes
» Que j’écoute gémir contre la maison calme,
» Reculez votre émoi des portes de mon âme
» Ou laissez-moi mourir dans l’automne aux abois ;

» Ou laissez que je dorme sous les pins verts et noirs
» Dans mon jardin profond où pleure, chaque soir,
» Dans l’automne troublé, la plainte du renard
» Et ce Rêve qui rêve aux portes de mon âme. »


LE PAUVRE BLAISE.


« J’aime la mer comme mon âme. »
Henri Heine.


LE PAUVRE BLAISE.



Le Pauvre Blaise va par la plaine
Avec son cœur en peine…
Il n’aime plus rien que le ciel et l’eau ;
C’est pourquoi il va vers la mer et les bateaux.
Le long de la douce triste Mer du Nord
Il cherche une petite ville qui dort.
Mais elles ont reculé toutes devers la dune,
Roulées dans leur mante de sable — ou brune
Et blanche comme le limon et l’écume.
Bah ! tant qu’il y a de l’eau et du ciel
Le pauvre Blaise ne sera pas découragé :
Ce sont les hommes seulement qui lui font peur.
Il suivra, quand il quittera la mer de sel,
Les beaux canaux aux écluses peinturlurées
Et, vite, arrivera jusqu’à la petite ville, et dans son cœur.

Alors, ce sera comme dans les Fioretti,
Et les oiseaux, les hirondelles surtout,
Viendront écouter en taisant leurs cris
Les discours de ce pauvre petit fou
Sur l’amour, et sur ce que Dieu est pour tous.

Mais quand il aura fini de dire : Dieu,
Il dira la mer par où il est venu, puis son âme

Bleue et or, et comme une impatiente petite flamme,
Puis les étoiles qui l’ont guidé de leur mieux…
Et ce sera presque toujours la même chose
Même s’il dit qu’il est heureux,
Après avoir dit qu’il est très pauvre,
Car le vieux cœur des petites villes sait bien
Qu’il n’y a rien de nouveau depuis que la mer est mer
Et que le sable monte sur elles, grain à grain.

Puis il dira qu’il ne dit rien à personne
De sa propre mélancolie, car le silence
Est ce qu’il a gardé de plus précieux
Après avoir souffert beaucoup et peu.

Il est fleuri de bonne volonté ;
Il est venu en marchant sur la mer.
Cela se peut ; elle est pleine de sel amer ;
Et lui, si droit, si plein de foi et si léger !…

Il est venu sans instrument de musique,
Viole ni luth, double ou simple flûte.
S’il chante, sa respiration sera le rythme
Et sa chanson ira sans air, dans l’air, comme un parfum…
S’il chante, peut-être on n’entendra rien !

Il est venu après qu’il avait un jour tant plu
Sur la tourterelle choyée de son âme,
Et maintenant, il ne retournera plus
Là d’où il s’est enfui serrant sa petite âme…

Mais ici, que fera-t-il, sinon rire,
Sans fin, doucement, avec l’air et l’eau

Et chaque jour, petit à petit, s’instruire
De ce qu’on voit venir de la mer par les canaux :
Le silence, et, quelquefois, un bateau.

Sur les bateaux, il y a le mât penché,
Et Blaise connaît la couleur des voiles :
Les blanches en triangle, les rouges en carré.
Et leur nombre qui est celui des étoiles
Quand on regarde attentivement la mer
Et qu’on sait aussi regarder le ciel,
— Que ce soit au couchant, ou bien à l’orient,
Chaque barque abandonne fidèlement le ciel,
Pour glisser à l’horizon fin sur la mer…
Et l’apparence est comme s’il naissait un oiseau
Du baiser que se donnent très loin de Blaise, l’air et l’eau.
Cela lui gonfle toujours un peu le cœur.
Bien qu’il n’ait rien à faire le pauvre petit fou,
Des baisers infinis, et qu’il soit assis au bout
D’une rue claire et vide dans une ville morte,
Où il vit, sans songer même à frapper aux portes.

Ah ! ce n’est pas moi qui dirai ce qu’il a vu
Quand fatigué de voir, il fermait ses deux yeux
Et s’en allait, avec ses mains dessus,
Les soirs où il attendait quelqu’un des cieux !
Et quand la grande mer chantait comme un coquillage,
Tant il était loin d’elle, ce qu’il a entendu,
Ce n’est pas moi qui le sait, ni même un plus sage,
Car qui suivrait sa petite âme en peine et en voyage ?

Maintenant, maintenant, le long de la Mer du Nord,
De la douce, triste, fanée Mer du Nord,

Qui viendra quand le Pauvre Blaise sera mort,
Pour noyer dans la mer son petit corps…
Et ainsi le vêtir d’une seule caresse,
Et ainsi, l’accompagner jusqu’au seuil
Où les anges chantent en chœur : Dieu le veuille !
Et où commence le tapis bleu du Paradis
Sur lequel on marche en joie et liesse
Avec des pieds de tout guéris…
Des vagues, jusqu’aux cieux qui portent
Les couleurs de la Vierge, quand il fait clair,
La petite ombre ira par les chemins de l’air
Jusqu’aux lèvres de l’horizon et, de la sorte,
À cause du baiser du ciel et de la mer,
Elle s’extasiera d’être si facilement morte.

Et pour Blaise on n’écrira pas « Ci gît » sur la terre.


Décoration florale à 4 branches.
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VI



Le printemps brûle aux cierges blancs des marronniers,
Il consume mon cœur par leurs cent mille fleurs,
Mon cœur, processionnant seul à seul en grand’pitié
À cause d’un chagrin, Seigneur !

C’est ici que je prie notre Dame des pétales,
Bonne à ceux qui savent effeuiller leur âme
Pour un mortel amour, en tout digne des palmes
Que les marronniers, à l’automne, donnent.

Ils s’en délivrent, chute plaintive, défunts atours !
Ah ! qu’octobre alanguisse les poitrines malades
Jusqu’au désir d’aller souffler sur les étoiles,
Sœurs trop pareilles des cierges blancs, brûlant, très pâles,
Leurs doux pétales et leurs étamines débiles !

En attendant, tombez, tombez sur mes cheveux,
Processionnez d’en haut vers mes candides yeux !
À ma bouche, leur sève virginale, qui touche,
Et sur mon front, leur finale bénédiction,
Et dans mes mains, avant d’aller sur les chemins,
Une halte légère au creux des paumes lasses,

Tandis qu’autour, le printemps rit, dans l’air qui chasse
Cent mille cœurs vers Notre Dame des Douleurs,
Selon l’amour et la ronde vaine des jours.



VII


à B. R.


Tu le leur as donné, mon ami,
Ton cœur, ton cœur que j’adorais !
Tu le leur as donné à lire en français
Dans un livre couvert en toile ou en papier :
C’est là-dedans que l’on t’a mis, pauvre ami !

Ah ! pourquoi pas tout simplement dans la terre,
Auprès de ton père, auprès de ta mère…
Où j’aurais pu veiller à l’aise, mon ami,
Et semer du sainfoin et du souci,
Et dessiner un tout petit parterre,
Pour toi, pour ton père et pour ta mère !

Maintenant je cours et je vais partout
Pour empêcher que l’on blasphème, sans savoir,
À cause de ton doux grimoire
Que les gens mettent sur la table ou dans l’armoire
Et que tout le monde peut voir.
Cela est fatigant et triste comme tout !
Mon ami, mon ami, où allons-nous ?

Ah ! les quatre fleurs du petit jardin ;
Ah ! dormir cendre et se réveiller parfum,
Entre les grilles où l’enfant vient le matin
Jouir un peu de n’être qu’un,
Et d’être celui seul qui se souvient !



VIII



Tu bavardes, le soir, mon cœur, avec des ombres,
De douces ombres simples qui ne te craignent pas.
Touchant ta peine, à peine, de l’ombre leurs doigts,
Pleurant des larmes claires de leurs prunelles sombres,
Berçant avec des mots la douleur de ta voix.

Tu bavardes et ris d’un rire d’enfant pauvre
Devant l’humble brouillard fleuri des graminées
Qui doucement s’ébranle à son souffle affamé,
En attendant qu’un dieu, du blé ou de l’épeautre,
Fasse un pain gris ou blanc pour sa faim consolée.

Mon cœur, tu m’es plus doux que le plus doux des livres,
Les soirs où, fatigué de l’attente divine,
Tu t’endors comme un simple au bord d’une eau de cygnes
Et laisse tes beaux Rêves, par la faim rendus ivres,
Perdre leurs plumes sombres, sur la mare, dans l’ombre…



IX


à Mlle M. G.



Mettons-nous au secret dans notre humble douleur,
Mon cœur, mon cœur !
Faisons-nous bien petit, petit,
Vivons comme un pauvre accroupi,
Là, soyons oublié, fini !
Mon cœur, cache-toi, tout est dit.
Dix heures, onze heures ! c’est la nuit —
On ne passera plus ici ! —

Ils sont partis, les gens, les choses —
Ah ! qu’il pleuve du ciel des roses
Pour ma mort simple et naturelle,
Ah ! qu’il s’ouvre un morceau de ciel !
Silence… j’ai les bras croisés,
Les pieds rejoints, les yeux fermés, —
Voici venir une durée.
Voici venir l’Éternité.


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Mais ces choses étant comme les simples choses
Qui pleurent, chaque jour, sous le soleil heureux
Et ne pesant pas plus que l’ombre d’une rose
Ils fermeront le livre afin d’être joyeux.

Tandis que le silence encor se souviendra
Des morts délicieuses, hâtivement sereines.
Dans l’ombre de mes roses leur amour jasera
Comme l’âme enfantine du trouvère Verlaine.