L’Italie d’hier/Taddeo Gaddi

Charpentier & Fasquelle (p. 107-110).

Taddeo Gaddi. — Thomas d’Aquin, le moine noir, tenant un livre ouvert, sur lequel est écrit : Oplavi, et datus est mihi sensus, et invocavi, et venit in me spiritus sapientiœ… est entouré d’apôtres, d’évangélistes, de prophètes, contournés dans le ramassement des saints scribes, que l’on voit sur les miniatures des manuscrits.

En un rêve d’architecture gothique idéale, dans un chœur ouvert sur le ciel, aux quatorze niches encadrées de colonnettes torses de marbre rouge, couronnées d’aigus clochetons et de feuillages de pierre, sont de jeunes femmes souriantes, les allégories des Vertus et des Sciences, vêtues de virginales couleurs, et sur lesquelles viennent mourir des lumières assoupies, ainsi que sur des corps qui les boiraient ; — de la luminosité doucement gaie à l’œil, et qui a quelque chose de frais, de pareil à l’éclairement blanc de la floraison d’amandiers, dans un jour levant. La première des Allégories, qui tient le monde dans sa main, est la Loi civile, ayant sous elle l’Empereur Justinien ; la seconde, le Droit canonique avec le Pape Clément V, sous elle ; la troisième, la Théologie spéculative avec Pierre, maître des sentence, sous elle ; la quatrième, la Théologie pratique avec Severio Boece, sous elle. Puis c’est la Foi, l’Espérance, la Charité, etc. Viennent ensuite les Allégories des Arts libéraux, avec sous l’Arithmétique, Pythagore ; Euclide, sous la Géométrie ; Ptolémée, sous l’Astrologie ; Tubalcain, sous la Musique ; Aristote, sous la Dialectique ; Cicéron, sous la Rhétorique ; Prisciani, sous la Grammaire. Et aux pieds de Thomas d’Aquin, du divin maître de la théologie, les Empereurs, les Papes, les clefs de saint Pierre aux mains, les Évêques, sont assis et rangés dans cette salle du trône du Très Haut, où Jean Damascène, surmonté d’une croix, tient, d’une main, une flèche, de l’autre, un arc détendu.

Le sacre allègre de l’intelligence en l’ordonnance recueillie d’une représentation religieuse. Sous ces niches habitées par ces espèces de saintes, transformées en patronnes des Arts et des Sciences, et dont l’une tient un instrument de musique, l’autre un compas d’architecte, et qui appellent la bénédiction du ciel sur chacun de ces attributs, dont elles sont les divines porteuses, le Moyen Âge fête, de sa grâce encore maigriote, de ses épaules serrées, de ses tailles allongées jusqu’au pubis, de ses corps anémiés par la prière et les dédains de la vie d’ici-bas, fête, ce que l’homme tire de son cerveau pour la parure et l’enjouement de cette vie — et ces fresques sont une apothéose chrétienne du pinceau du peintre, du ciseau du sculpteur, de la plume de l’écrivain, et comme une annonce, en avance de près de deux siècles, du pontificat d’art de Léon X. Oh ! l’original et l’étrange peintre, que ce Taddeo Gaddi, en ses fresques de Santa Novella, de ses peintures des Uffizi ou de Santa Croce. Voyez ces morts du Christ, où la croix s’élève sur un ciel d’une pourpre assombrie jusqu’au noir, et où cette bizarre et déchiquetée vierge, à la robe couleur de flamme vive, selon l’expression du Dante, a la main tendue en avant, comme pour écarter le calice douloureux du spectacle ; — Voyez ces théories de saintes et de martyres, dans leurs longues robes, fleuries d’étoiles d’or, filant comme une gaine pudique du cou aux pieds ; — ces files de guerriers, montés sur des chevaux pompeux, aux casques où des oiseaux de fer battent des ailes ; — ces processions de Rois, les pieds nus, portant un petit morceau de la vraie croix ; — ces terrains accidentés, ces sortes de portes de fer de la nature, ces fleuves à l’eau verdâtre, ces arbres fantastiquement ramifiés, ces cavernes, à l’entrée desquelles sont assis des lions : ces paysages d’une Bible dramatisée, terrorisante, avec les beautés de miniatures indiennes, et avec ces teints basanés, dans l’enveloppement des tons clairs d’étoffes tendres.