L’Instant éternel/Vous m’oublierez

E. Sansot et Cie (p. 183-184).


VOUS M’OUBLIEREZ…


Le ciel n’est pas toujours également voilé…
Vous m’oublierez dans le décor renouvelé,
Quand l’hiver changera l’aspect de votre porte
Et dès que la senteur des tilleuls sera morte.

Vous m’oublierez à propos de tout et de rien,
À travers un voyage ou dans un entretien,
Pour un livre nouveau qui troublera votre âme,
À cause d’un chemin où rira quelque femme.

Vous m’oublierez un soir prochain, tout simplement,
Car ce sera si beau de voir le firmament…
Les bois respireront dans une couleur neuve…
Il sera tant passé d’eau bleue au cœur du fleuve…

Vous m’oublierez dans la marche de chaque jour,
Par la force du sang et l’ardeur de l’amour,
Soit que vous vous jetiez dans le travail sans trêve,
Soit que vous accueilliez le visage du rêve…


Vous m’oublierez, car il le faut, car c’est le sort,
Et car le souvenir est comme un son de cor
Qui peut, d’abord, emplir une nuit étoilée,
Mais qui n’en meurt pas moins au fond de la vallée…

Vous m’oublierez afin qu’il soit donné raison
À tout ce qui varie avec chaque saison,
À l’arbre qui s’effeuille, à la fleur qui croît vite
Et parce que le ciel, lui-même, a sa limite…

Vous m’oublierez, hélas ! car il est d’autres soirs,
D’autres buts, d’autres pleurs et bien d’autres espoirs,
Surtout par la raison simple, triste, infinie
Que l’on ne peut se souvenir toute la vie…