L’Instant éternel/Musique dans le parc

E. Sansot et Cie (p. 179-182).


MUSIQUE DANS LE PARC


Triomphant du concert, jusque-là, resté sourd,
Les violons tremblaient de divine colère,
Et mon rêve était triste et mon rêve était lourd
De tout l’amour qui passe en criant sur la terre.

Ô nuit terrible et tendre où les chênes mouvants,
La longue robe bleue et molle des fontaines,
La face de l’étoile et le soupir des vents
Étaient toute ma joie et ma douleur humaines !…

Je me plaignais tout bas d’avoir les yeux si doux,
Et les cheveux pâmés sur ma tempe mouillée
D’avoir un si grand poids d’amour sur les genoux,
Et l’âme éparse, en mille fleurs, tout effeuillée…

La musique, parfois, étincelait d’ardeur,
Parfois, elle semblait par l’océan suivie,
Elle était le torrent, l’oiseau, l’arbre, le cœur,
Elle versait au soir tous les sons de la vie.


Et je vous appelais dans un courroux plus fort
Que toute la forêt qui ployait sur ma tête.
Et je vous appelais en donnant à la mort
Mon désespoir d’amante et mon sang de poète !…

Je te l’ai demandé, musique au masque noir,
Qui déchirais mon cœur sous ton archet lyrique,
Toi qui me révélais, dans l’angoisse et le soir,
Un amour plus poignant que ta voix, ô musique !…

Je vous l’ai demandé, violons extasiés,
Vous qui peupliez la nuit d’une harmonie immense,
Et telle, violons, que quand vous vous taisiez,
Tout pénétré de vous, gémissait le silence.

« Donnez-le moi, disais-je, ô souverain moment,
Ô sombre, ô violent, ô grave paysage !…
Qu’il soit tragique et beau, qu’il soit comme l’amant
Qui souffre, qui sourit et penche son visage…

Donnez-le moi, douleur… vastes cieux agités
Par le vent, la musique et l’appel de mon âme…
Que vainement, hélas ! ne soient pas sanglotés
La plainte des hautbois et le cœur d’une femme !…


Ah ! je peux, cette fois, vivre un mensonge ardent
Dans cette ombre en tumulte et l’ampleur de l’espace…
Nuit, accorde-le moi… nuit propice… pendant
Qu’une rose s’effeuille et qu’une valse passe…

Je le veux, car, jamais, je ne peux l’avoir mieux,
Car cette heure est profonde et le parc solitaire,
Car, jamais, je n’aurai ces deux larmes aux yeux
Et tant de passion ne remuera la terre… »

Je l’eus… Les violons s’épuisaient de douceur…
Il s’approcha paré de la splendeur du monde :
« Ô fantôme chéri, tu fus vrai pour mon cœur
Dans le chant du feuillage et l’unique seconde… »

Encor plus véhément et plus prodigieux,
Le concert éclatait de force exaspérée…
Et, soudain, dans un choc superbe et furieux,
La musique brisa sa grande voix sacrée.

Sous le charme éprouvé, longtemps, je demeurai…
L’âme des violons fuyait dans l’eau lointaine…
Dans l’odeur du silence et de l’air je pleurai…
Et, même, encor, ce m’est une ivresse certaine


Que de me rappeler ces irréels instants
Où mon amour vécut, dans l’illusion brève,
Ce qu’il faut de bonheur pathétique et de rêve
Pour emplir une nuit d’orage et de printemps…