L’Instant éternel/Un rêve

E. Sansot et Cie (p. 243-244).


UN RÊVE


Je rêvais, l’autre nuit, que j’entendais ton pas,
Ton pas qui s’approchait… — quelles étranges fièvres !… —
Tu parus… Brusquement, je te tendis les bras,
Et je m’agenouillai, tout le silence aux lèvres,
Tremblante des aveux où l’on ne parle pas.

Je vois encor mes bras tendus et l’éloquence
De ce geste muet, plein d’un passé si lourd,
Je te vois t’arrêtant et je vis le silence
Où, sur toi, s’effeuilla l’arbre de mon amour,
Où mon soupir profond aspirait ta présence.

Rêve délicieux !… Tu sais, c’est le premier,
Depuis des mois, des mois, qui m’ait faite ravie,
N’est-il pas, par le ciel, un message envoyé ?…
Et, peut-être, en un songe, ai-je appris que la vie
T’avait, enfin, ô cher, prié d’avoir pitié…


Rêve délicieux !… Tu m’offris ta main bonne,
Et tu me relevas avec tant de douceur
Que je croyais mourir sur des roses d’automne,
Dans un peu de soleil et dans tout le bonheur,
Pour ce rêve, vois-tu, pour lui, je te pardonne !…

Je sentis, tout à coup, tes deux bras m’entourer,
Tu me tins longuement sur ta poitrine tiède,
Ton sourire était beau, triste et comme altéré…
À cause de ce rêve, ô cher, je te possède
Et je ne mourrai pas sans t’avoir respiré !…

Bas, tout bas, tu me dis cette chose inouïe :
« Mais moi je t’aime aussi… » Puis, je ne sus plus bien…
Les rêves sont si fous !… Je sentais, éblouie,
Que ton souffle essayait de ranimer le mien
Et que, contre ton cœur, j’étais évanouie…

Les rêves sont si fous !… Je me sentais souffrir
D’une trop grande joie et d’une ardeur sacrée,
Mon bonheur me tuait et ne pouvait tarir…
Tu parlais… mais en vain… Je sentais, enivrée,
Que, contre ton cher cœur, je venais de mourir…