L’Instant éternel/Le suprême espoir

E. Sansot et Cie (p. 245-248).


LE SUPRÊME ESPOIR


Si je devenais simple ainsi que le bon pain,
Si je devenais juste à force de me vaincre,
Si je devenais fraîche ainsi qu’un blanc raisin,
Si j’arrivais, mon cœur rebelle, à vous convaincre,

Si je vous enseignais l’orgueil persévérant
Qui ressemble au sillon lumineux de la plaine,
Et si je vous donnais un silence odorant
Comme, dans le soleil, un pied chaud de verveine,

Si je vous modelais, mon cœur, un beau contour,
Et si je vous donnais un battement si vaste
Qu’ensemble, il animât le devoir et l’amour,
L’heure passionnée à travers l’heure chaste,

Si j’avais des mots purs, des chants harmonieux,
L’esprit bien en lumière ainsi qu’un livre sage
Où se penchent la lampe et le regard des dieux,
Si j’avais la pitié dans l’ombre du visage,


Et l’indulgence ainsi qu’un bouquet rose au bras,
Si j’étais attendrie, attentive et ravie,
Comprenant, absolvant d’une larme… et, tout bas,
Me disant qu’il faut tant pardonner à la vie…

Si l’innocence était au bord de mes pieds nus
Comme une source où des tilleuls vont en cortège,
Et si j’avais le songe et les yeux ingénus
Des beaux petits enfants qui regardent la neige,

Si je portais la joie en épis de clarté
Comme les saisons d’or qui vont dans les prairies,
Et, sur moi, si j’avais un parfum de bonté
Tel un parfum de pluie et de roses mûries.

À force de constance et de sublime ardeur,
Ô destin, si j’étais toute renouvelée,
Et si, de paix vêtue et d’idéal voilée,
Sur ma bouche fondait la douceur de mon cœur,

Destin, se pourrait-il qu’on te voie impassible,
Que je prie et j’appelle en un soir sans écho,
Que devant moi s’élève un mont inaccessible
Et que je reste seule avec mon seul sanglot ?…


Ne l’obtiendrais-je pas, ce bien-aimé d’une heure
Et d’une éternité ?… Ce bien-aimé lointain,
Celui que je désire en devenant meilleure
Et le visage en pleurs tourné vers le matin ?…

Serait-ce vain la foi, la volonté sans trêve,
Tout ce que j’aurais mis d’âme à le conquérir,
Et n’aurais-je vraiment autant porté le rêve
Que pour être plus lasse au moment de mourir ?…

Non, Destin, tu seras tendre à l’âme fervente,
À l’esprit généreux qui croit et se combat,
Et, bientôt, effaçant l’absence décevante,
Emplissant tout l’espace avec un cœur qui bat,

Peut-être, à lui, Destin, me feras-tu connaître,
Dans ma neuve sagesse et ma neuve beauté,
Peut-être, ouvriras-tu doucement sa fenêtre
Et lui diras-tu : « Viens !…
Et lui diras-tu : « Viens !…Elle t’a mérité !… »