L’Instant éternel/Tu te sens la nature entière bienveillante

E. Sansot et Cie (p. 59-60).


TU TE SENS LA NATURE ENTIÈRE BIENVEILLANTE…


Tu te sens la nature entière bienveillante,
Sur tes mains rit le jour et s’incline la plante,
Tes yeux sont regardés, tant ils sont trouvés beaux,
Par les yeux purs et bons des humbles animaux ;
L’arbre te tend des bras tout chargés de sagesse,
Les ruisseaux coulent bleus en mirant ta jeunesse,
Des feuilles vont parmi tes cheveux… Sur ton cœur,
Une fleur meurt, légère, en son reste d’odeur…
Ton ombre est imprévue et charmante en sa fuite,
L’âme des horizons se disperse à ta suite,
Tu peux parler au fleuve, il t’écoute, indulgent,
Il déroule à tes pieds sa science d’argent,
Il t’invite à la vie, il t’enseigne le rêve,
Le travail te sourit quand le matin se lève,
L’idéal te salue en tenant ce trésor :
Le livre ouvert t’offrant sa double face d’or.
Les tout petits enfants te voudraient pour leur mère,
À tes doigts se suspend le fil de la chimère,

Le bonheur te désire en dansant dans les bois,
Les oiseaux sont joyeux à cause de ta voix,
Ton pas est libre et fort sur la terre attentive,
Le même ciel se mire en ton âme et l’eau vive,
On aime t’accueillir, on aime te parler,
Ton pays est pour toi tout exprès étoilé,
Ô femme, on te chérit car ta bonté rayonne
Comme l’or des fruits mûrs dans les vergers d’automne.
Des hommes t’ont aimée en attestant le ciel,
En toi stagne le lac de l’amour éternel,
Tu pourrais être heureuse entre toutes, bénie…
Ta robe passerait parmi de l’harmonie,
Tu pourrais être heureuse en un monde enchanté,
Avoir les fleurs, les nuits, les cœurs, la volupté,
Car, dans une douceur indicible et suprême,
Tout t’appelle, te veut, t’attend, te prie et t’aime,
Mais seul ne t’aime pas, sous la clarté des cieux,
L’homme dont tu voudrais, un soir, baiser les yeux…