L’Instant éternel/Sérénité

E. Sansot et Cie (p. 61-63).


SÉRENITÉ


À peine si mon rêve ose sur toi voler,
Je te donne un amour, comme la nuit, voilé…
Je passe près de toi comme une chaste rose,
J’adore ta sagesse en tes regards éclose,
Et ton geste attentif et la longue douceur
Semblable, sous tes pieds, à de la mousse en fleur.
J’adore ton labeur, ta lampe qui le veille,
Et ta science au ciel des soirs d’été pareille,
Ta science qui brille à travers tes grands yeux
Comme une immensité d’astres calmes et bleus.

Je n’ai pas de révolte en ma haute souffrance,
T’apercevoir, parfois, me tient lieu d’espérance,
Et mon cœur tu pourrais vers toi le voir briller
Comme du cristal neuf et tout ensoleillé.


Par l'artifice adroit je ne veux pas te plaire,
Je suis silencieuse, harmonieuse et claire,
Je vais simple, en mon âme, au-devant de tes pas,
Je soupire : « Comment ne devines-tu pas ?… »
Ma main, des gestes vains, dédaigne l’indigence,
Et je ne t’offre pas, ainsi qu’une vengeance,
Un sourire chargé d’amertume et d’orgueil.
Mon rêve, ce beau lis, habite sur ton seuil,
Je t’offre ma bonté pour embaumer ta tempe,
Je te donne mon cœur pour allumer ta lampe,
Et je vogue à tes pieds, en un cours généreux,
Ainsi qu’un fleuve pur qui serait amoureux…
Tout le bonheur épars pour toi je le désire,
J’aime vouer ta vie à quelque vrai sourire,
Je te donne au matin, au grand regard des dieux,
Au pain, au vin du soir, au jour tiède et soyeux,
J’écarte de ton front les tristesses, les doutes,
Et je te recommande au sol des bonnes routes…

Je ne suis pas jalouse… Une autre peut t’aimer…
Je la défie avec mon souffle parfumé,
Avec mes yeux baissés et mon noble silence…

Obscure, dans ton air, je médite, je pense…
Je dispose des fleurs dans une urne… Je lis…
Je fais monter vers toi l’odeur de mon pays…


De ton ombre, je suis la chaude violette,
Je répands sur tes mains mon âme de poète,
Mon amour est pour toi tout de grâce et de paix…

Je t’aime et, cependant, je ne te hais jamais…