L’Instant éternel/Soir à la fenêtre

E. Sansot et Cie (p. 109-110).


SOIR À LA FENÊTRE


Que chantait-il en moi de si beau, de si fort,
Quel dieu tendre, affligé soupirait dans mon être ?…
Qui me parlait d’azur, de bonheur et de mort ?…
Il me fallut ouvrir brusquement ma fenêtre.

Un vent où se fondait de la lune passait
Sur le fleuve épandant son nocturne mystère,
L’ombre, sur le printemps, toute tiède glissait,
L’air sentait bon l’amour, les larmes et la terre.

L’air était plus gonflé qu’un cœur qui va pleurer,
L’air sentait bon les fleurs et les sanglots des femmes,
L’on entendait des voix, en chœur désespéré,
De guitares, d’amants, d’arbres pâmés et d’âmes…

Qui donc me murmurait : « Il est tout près de toi,
Son songe doucement vers le tien se balance,
Et la nuit a mêlé son émoi, ton émoi
Comme deux roses d’or offertes au silence…


Il t’aspire, il te veut, dans l’unique moment,
L’infini, dans son cœur, est grave et magnifique,
Il a voilé ses yeux, et tout le firmament
Lui fait mal et l’émeut comme un soir de musique ?… »

Oui, je le sentais là, je le savais caché
Dans l’ombre et dans l’ampleur d’une croisée ouverte,
Son pâle front, comme le mien, était penché
Sur le fleuve embaumé d’une tristesse verte.

L’azur, de l’onde au ciel, montait comme un chemin…
Heure intense et secrète !… Heure de belles fièvres !…
Regards joints sans les yeux… Aveu dit sans les lèvres…
Ô si longue union de nos mains sans nos mains !…