L’Instant éternel/La belle empreinte

E. Sansot et Cie (p. 111-113).


LA BELLE EMPREINTE


Oh ! pourquoi serais-tu venu si de mon âme
Tu ne doubles pas l’or,
Si tu ne me fais pas, dans ma nouvelle flamme,
Plus forte que la mort ?…

Pourquoi tes profonds yeux au travers de ma vie
Si je dois résister
À leur poignant regard qui, sans fin, me convie
À chérir la bonté ?…

Pourquoi ton noble front si je me sens peinée
D’accomplir mon devoir,
Et pourquoi ton exemple hélas ! si ma journée
N’est pas faite le soir ?…

Pourquoi, près de ton seuil, avoir vu la sagesse
Au pas harmonieux,
Si je ne dois vouer mon songe et ma jeunesse
Au culte des vrais dieux ?…


Pourquoi tant de beau rêve et tant de belle extase,
Tant d’amour consommé,
Si mon esprit n’est pas, désormais, comme un vase
Odorant et fermé ?…

Pourquoi tant de courroux, tant de cris indicibles
Un si rude chemin,
S’il ne me vient, bientôt, les vouloirs invincibles
D’un orgueil surhumain ?…

Pourquoi tant de chagrin, si, las, mon cœur désarme
Et vit un sort commun,
S’il ne sait pas se faire hélas ! de chaque larme
Un austère parfum ?…

Oh ! pourquoi tant d’ardeur qui n’a pu te convaincre,
Tant d’espoir abattu,
S’il ne m’en reste pas le désir de me vaincre
Pour trouver la vertu ?…

Mais ce n’est pas en vain que je t’aurai vu vivre,
Que mon mal fut si fort,
Je veux être par toi marquée ainsi qu’un livre
L’est par des lettres d’or.


De toi tout imprégnée ainsi qu’un paysage
L’est de pure clarté,
La forêt de fraîcheur et le rêve du sage
De sobre vérité.

Ainsi que de blancheur l’est le tissu des voiles,
Et l’ordre universel
De science, d’ampleur, de silence et d’étoiles,
Et la douleur de sel.

Ah ! possède-moi donc de ton cœur volontaire,
Sois mon sang, ma beauté,
Que ton ombre, à jamais, remplace, sur la terre,
Mon ombre à mon côté…