L’Instant éternel/Résignation

E. Sansot et Cie (p. 90-92).


RÉSIGNATION


Destin, je te bénis de m’avoir désignée,
Dans les ombres du soir, dans les clartés du jour,
Pour avoir de douleur ma tête couronnée
Et pour jeter mon cœur dans l’inutile amour.

Oh ! tu m’as faite ainsi semblable aux purs rivages
Qui soupirent toujours devant l’espace amer,
Tu m’as faite semblable aux grands oiseaux sauvages
Qui gémissent d’effroi de tant aimer la mer.

Tu m’as faite semblable à la lyre incomplète
Et dont tout le sublime est de chercher, sans fin,
Le cri qui reste au fond de l’âme du poète,
Les échos de la vie et le son du divin.

L’idéal a mouillé d’un pleur d’or ma paupière,
Le songe, sur mon front, plane silencieux,
Ô destin, j’ai compris ton signe de lumière :
L’impossible est si près du sourire des dieux !


À tout jamais, tu veux que de moi je m’élève,
Que mon geste, à jamais, soit celui de prier,
Et que je soye, un soir, éclose dans le rêve
Ainsi qu’une fleur blanche au sommet d’un glacier.

Tu me veux un sanglot poignant, profond et sobre,
Tu me veux l’esprit prêt à toutes les ferveurs
Du sacrifice beau comme un soleil d’octobre
Quand l’automne au couchant donne ses yeux rêveurs.

Tu m’as dit : « Que l’amour te soit épreuve et flamme,
Que l’aiguillon te blesse et t’échappe le miel,
Et que ton véhément et tendre cœur de femme
Ait plus d’affliction que l’astre n’a de ciel.

Tu feras des pavots de ta mélancolie,
Tes silences seront aux horizons voués,
Tout bas, tu supplieras la divine Ophélie
Qui versait sur l’amour ses cheveux dénoués.

Accepte de souffrir puisque je te veux telle,
Que ton chemin sera par ta peine embaumé,
Que tu t’épancheras comme une urne immortelle
Sous les yeux immortels qui regardent aimer.


Tu ne peux fuir l’amour, ô trop douce éplorée,
Il suffit de te voir pour deviner, soudain,
Que ton âme appartient à la douleur sacrée,
Comme l’ombre à la nuit et le lis au jardin.

Gémis, lève les bras, ô victime agréable,
Fais, de ton désespoir, ton cœur harmonieux,
Et répands dans tes doigts l’éclat inestimable
Des pleurs que t’a valus la beauté de tes yeux ! »