L’Instant éternel/À l’amour

E. Sansot et Cie (p. 88-89).


À L’AMOUR


Que t’ai-je fait, Amour, toi le plus beau des justes,
Toi le plus étoilé des convives de Dieu,
Toi le plus recueilli des grands anges augustes
Qui vénèrent, là-haut, le silence et le feu ?…

Que t’ai-je fait, Amour, moi ta plus tendre amante,
Moi qui t’ai consacré les roses et le ciel,
Qui pour toi mis la mer dans mon âme mouvante
Et le bruit des forêts dans mon cœur éternel ?…

Comme tu m’es cruel, ô fils de la lumière !…
Jamais de mon désir je ne puis t’émouvoir,
Et ton doigt radieux n’a touché ma paupière
Qu’afin de lui défendre, ô méchant, de te voir.

Je t’ai voué le lin, les larmes, les étoiles,
Les eaux au pur visage et les lis aux bras blancs,
Je ne t’ai regardé qu’à travers de longs voiles
Et je ne t’ai prié qu’avec des doigts tremblants.


Pour toi, j’épands mon âme au seuil de ma demeure,
Je fais tomber sur moi l’ombre de mes cheveux,
Et les pleurs enivrés que, sur tes pieds, je pleure
Ne pourraient contenir dans la robe des cieux.

Oh ! toi, l’amer, le fort, le divin, le farouche,
Vois donc, dans mes sanglots, comme sont bien mêlés
Le baume de mon cœur et le sel de ma bouche
Et comme mon courroux fait mes yeux étoilés.

Je sens en moi l’attrait de l’amante immortelle,
Je suis l’urne du soir et de la nudité,
Je possède une ardeur grave, chaste et rebelle
Et l’auguste douleur qu’aime la volupté.

Je tombe, sur la nuit, lourde comme une rose
Après un jour de pluie ou d’odorant soleil,
Je me sens à jamais nouvellement éclose,
Et, légers, mes pieds nus entrent dans le sommeil…

Je te supplie, Amour, fais propice ta face,
Oh ! ne sois plus ce dieu qui frappe sans savoir,
Fais que du pas chéri j’accompagne la trace,
Fais que de l’homme aimé je connaisse le soir…