E. Sansot et Cie (p. 125-126).


PITIÉ


Pour la première fois, ce soir,
Depuis des mois que je vous aime,
Depuis des mois de désespoir
Et de renoncement suprême,
Je vous ai haï, mon amour,
Vous mon orgueil vécu sans trêve,
Vous ma belle nuit, mon beau jour…
Je vous ai haï, mon doux rêve…

J’ai regretté de tant souffrir,
D’avoir tant gâché ma jeunesse,
Mon cœur s’est mis à vous haïr
De toute sa pauvre détresse.
Je vous voyais, fort et charmant,
Vivant l’heure facile à vivre,
Et goûtant, au gré du moment,
Le peu dont un homme s’enivre.


Je vous ai haï, vous, ô vous…
Et, cependant, quand, dans ce drame,
J’ai cherché, le cœur en courroux,
Ce qui peut venger une femme,
Lorsque j’ai désiré vous voir,
Pour moi, l’amour que je vous donne,
Cet amour plein des cris du soir,
Et du silence de l’automne,

Cet amour plus désespéré
Que l’océan dans un naufrage,
Cet amour qui m’a fait pleurer
Toute l’âme sur le visage…
Oh ! mon bien-aimé, ce fut trop…
Je frémis… Et, peureuse et tendre,
J’ai, soudain, dans un grand sanglot,
Eu le geste de vous défendre…