L’Instant éternel/Malgré la distance

E. Sansot et Cie (p. 223-224).


MALGRÉ LA DISTANCE


Jadis, mon vouloir ou le vôtre,
Nous faisait venir l’un et l’autre,
Tout à coup, aux mêmes endroits,
Notre âme accourait, éperdue,
Elle se sentait attendue.
Et c’était vrai toutes les fois.

Si cette intelligence existe,
Ah ! pourquoi serais-je si triste
De t’avoir quitté sans retour ?
Ne puis-je croire qu’à ta porte,
Un peu de vent toujours apporte
La bonne odeur de mon amour ?…

Qui me dit que, dans l’heure brève,
Nous n’avons pas le même rêve
Et le même frisson soudain,
Et que, malgré tant de distance,
Le même grave et beau silence
Ne tient ta main, ne tient ma main ?…


Qui me dit que lorsque je pleure,
Tu ne souffres à la même heure,
Que ma douleur n’est ta douleur ?…
Qu’alors, dans l’ombre pure et haute,
Ne viennent battre, côte à côte,
Mon pauvre cœur, ton pauvre cœur ?…

Quand la tendresse me transporte,
Quand je voudrais en être morte,
Quand je te tends, ivre, les bras,
Qui me dit qu’à cette seconde,
Avec l’ardeur la plus profonde,
Vers moi les tiens ne s’ouvrent pas ?

Les cœurs ont de bien grands mystères…
Les nôtres furent solitaires,
Mais leur son ne fut pas perdu…
Ah ! dans le silence suprême,
Qui, le premier, a dit : « Je t’aime ? »
Qui, le second, a répondu ?…