L’Instant éternel/À propos du passé

E. Sansot et Cie (p. 225-227).


À PROPOS DU PASSÉ


Yeux veloutés du temps sur les choses passées,
Absence adoucissant les plus âpres pensées,
Austère et bonne odeur de tout ce qui n’est plus…

Ô décor de jadis, humble face des cendres,
Ô livres suggérant des tendresses si tendres,
Ô soleil, bel hiver, grave amour confondus !…

Heure qui remplaciez, si vaste, l’heure enfuie,
Ô printemps qui veniez dans une odeur de pluie,
Ô tilleuls, ô silence, arche immense du soir…

Pas écoutés, yeux entrevus, sanglots dans l’ombre,
Cœur divers, toujours neuf, toujours fier, cœur sans nombre,
Ô cœur qui vous ouvriez pour vous emplir d’espoir !…


Tout ce grand autrefois qu’il renferme de charmes,
On pleure de douceur sur les anciennes larmes,
Comme c’est bon, comme c’est vrai d’avoir souffert,

D’avoir mouillé son âme avec l’eau de son âme,
D’avoir mis de l’amour dans sa robe de femme,
De se sentir l’esprit bien pur et bien amer…

Cieux du temps de jadis dont je comptais les voiles.
Comme mes yeux sont beaux d’avoir cru vos étoiles !
Ô Fleuve, vous m’avez fait un cœur éternel…

Je compte mes trésors ; quel or, quelle richesse :
La gravité, le lent sourire, la sagesse,
La douleur qui contient, comme la mer, le ciel…

Yeux veloutés du temps sur les choses passées,
Absence adoucissant les plus âpres pensées,
Ô mirage infini qui vient de l’autrefois !…

D’avoir battu jadis, le cœur bat plus encore,
La moisson du passé dans le présent se dore…
Tous les accents pleurés sont restés dans la voix…


Oh ! l’homme bien-aimé de quel culte on l’entoure !…
On le contemple, on se le donne, on le savoure,
Il est, de tous les jours, le pain, les fruits et l’eau…

On l’exalte, on l’étreint, on le supplie, on l’aime,
On le pare à jamais d’une vertu suprême
Et l’on doute en riant que Dieu soit aussi beau !…