L’Instant éternel/Le suprême amour

E. Sansot et Cie (p. 202-204).


LE SUPRÊME AMOUR


Dans mon amour pour vous mon âme s’absorba,
Par lui j’ai pressenti tous les malheurs du monde,
Lorsque j’étais en proie à ma peine profonde
J’étais comme un naufrage ou comme un grand combat.

Oh ! cet amour poignant ainsi qu’un sol de guerre,
Cet amour émouvant comme le choc amer
Du départ, de l’adieu, du vent et de la mer,
Cet amour plein de Dieu comme un cri du tonnerre !…

Cet amour où vivait, à la fois, tout l’amour,
Qui m’a superbement d’anneaux d’or enchaînée,
Qui, grave, m’a montré l’arche des destinées
Et m’a plus que ma mère encore offerte au jour !…

Oh ! cet amour vibrant comme un soir d’harmonie,
Beau comme la douleur qui regarde les eaux,
Oh ! cet amour compris des sauvages oiseaux,
Chancelant à son poids ainsi que le génie !…


Pour se vêtir de ciel il était grand et nu,
L’héroïsme chantait au fond de sa poitrine,
Son cœur entretenait à sa lèvre divine
Un cri comme le soir n’en avait pas connu.

Il était véhément comme une tragédie,
Où, dans un mouvement de terrible beauté,
Passent la mort, le temps et la fatalité…
Il était rouge et noir ainsi qu’un incendie…

Il fut sublime, il fut parfait, il fut humain,
Il m’a contrainte, il m’a fait mal, il m’a blessée,
Mon âme, cet amour l’a toute renversée
Comme une urne d’eau claire au travers de sa main.

Comment vous oublier, vous qui me fîtes triste
Comme un fleuve éperdu d’être lui pour toujours ?…
Jamais la feuille à l’air, jamais l’onde à son cours,
Jamais la terre au blé ne dit : « Je vous résiste… »

Triomphez donc en moi d’un vouloir obstiné,
À mon cœur, plus que Dieu, vous vous fîtes connaître,
Et soyez à jamais reconnu pour mon maître
Puisque, par ma douleur, je vous ai tout donné.


J’ai pâli, j’ai souffert et dans quelles alarmes !…
Je vous priais d’avoir pitié de mon front blanc,
Et de mon cou ployé, délicat et tremblant
Et de mes longs cheveux dénoués dans mes larmes.

J’ai trempé mon orgueil et mon courroux de pleurs,
Et ma bouche, en des nuits que je ne peux décrire,
À travers ses sanglots a perdu son sourire,
N’a plus su, désormais, que le goût des douleurs.

Les rides ne mettront pas encore leur trace
Sur ma trop jeune tempe et sur ma joue en fleur,
Elles viendront plus tard… mais je sais, ô douceur,
Que, déjà, vos chers doigts en ont marqué la place…