L’Instant éternel/Le souvenir

E. Sansot et Cie (p. 197-198).


LE SOUVENIR


Oui, l’heure, quelquefois, devient douce et plaisante,
Quand l’ombre fait l’ombre du bien-aimé présente,
Et tellement vivante en soi qu’on en crierait…
Le passé, largement, ouvre son cœur secret,
Il semble que les vents de jadis vous effleurent,
Tout le décor ancien est sous les yeux qui pleurent,
Un vieil écho s’éveille… et c’est le même pas…
Et le rêve s’affaisse et sent bon dans les bras
Comme un bouquet des bois, comme un bouquet humide.

Et le mensonge aux doigts de l’instant se dévide…

Oh ! le cruel bonheur !… qu’on le paie et soudain !…
Une voix a passé dans le fond du jardin,
C’est une porte ouverte, une horloge qui sonne,
Et l’âme, tout à coup, dans le réel frissonne,
Et voit que ce moment qu’elle croyait si beau

Est plus vain que du ciel reflété dans de l’eau,
Plus fugitif qu’un vol dans l’ampleur de l’espace,
Et l’âme, en désespoir, encore, se surpasse,
Et trouve qu’après tout ce qu’elle eut à souffrir,
Le pire est d’être heureuse un peu par souvenir…