L’Instant éternel/La reprise

E. Sansot et Cie (p. 100-101).


LA REPRISE


Je pleure… Et je vous loue, ô pleurs d’un poids si lourd,
Vous tombez dans mes mains comme l’or de l’amour,
Vous êtes purs comme l’eau marine et sauvage
Qui vient pour la première fois sur un rivage…
Je vous pleure à pleine âme, à plein profond sanglot,
Vous êtes beaux, vous ruisselez, vous êtes trop…
Ô grands pleurs lumineux, à jamais, ma paupière
Se souviendra d’avoir versé votre lumière…

J’aime… Et c’est maintenant que j’ai pu le savoir,
Ô pleurs, du plus divin, du plus haut désespoir…
Hier, j’avais écarté mon amour de ma route,
Je n’aimais plus, me semblait-il…
Je n’aimais plus, me semblait-il…Mais, goutte à goutte,
Et plus fort, largement, comme un ouragan d’or,
Pleurs, vous êtes tombés sur le doute et la mort,
Et la vie et l’amour ont jailli de mon âme
Comme deux arbres verts et deux roses de flamme.


J’aime… Et c’est pour toujours, vous le dites, ô pleurs,
Autour de moi je vois les augustes douleurs
Appuyer leur front blanc à leur urne éternelle…

J’aime… Et je te souris, ô mon amour fidèle,
Tu seras à jamais le sou de mon passé,
Et mon arbre d’automne odorant et blessé,
Et le geste léger qui semblera, sans cesse,
Rappeler au silence une ancienne caresse…

Oui, j’aime, pleurs chéris, présent de la saison…
Mon rêve s’est levé dans un neuf horizon,
Dans un grand ciel lavé par votre averse pure…
Mon amour, vous serez mon collier, ma ceinture,
Mon livre, mon bouquet, mon luth, mon bleu vitrail,
Mon harmonie et ma prière et mon travail…

J’aime… J’aime, pleurs doux, pleurs amers, pleurs étranges,
Pleurs qui feriez plus beaux encor les yeux des anges,
Je pleure à plein soupir, à plein ravissement,
Jusqu’à la fin des pleurs, jusqu’à l’épuisement,
J’aime… et mon cœur gonflé de tristesse et de charme
Se multiplie afin de remplir chaque larme…