L’Instant éternel/L’arrêt des larmes

E. Sansot et Cie (p. 98-99).


L’ARRÊT DES LARMES


Rien n’est plus triste, Amour, que ta douleur qui cesse…
Oh ! quand tes yeux n’ont plus le désir de souffrir,
Et lorsque tu peux voir la vie et la jeunesse
Sans en vouloir mourir !…

Tu noyais l’infini dans ta prunelle amère,
Pour mieux bondir après ton âme s’abattait,
Et le sang et le feu roulaient dans ta colère
Et ton courroux chantait !

Les larmes t’emplissaient d’une mer lumineuse,
D’une averse où, toujours, tombait un peu de ciel,
Et ton ardeur était une fleur vénéneuse,
Toute lourde de miel.

Emporté par l’élan de ton âme rebelle,
Tu pressais la douleur sous ton genou baissé,
Dans la mort tu voyais la lutte entière et belle,
Gladiateur blessé…


Tu criais… Le cœur plein d’orages et d’écume,
Beau comme un incendie et grand comme le soir,
Et voici que, soudain, tu vis cette amertume
De ne plus en avoir…

Le monotone ennui, l’ennui jaune et sans bornes,
Met dans ton esprit mort le reflet du désert,
Et tu te sens pareil à des rivages mornes
Qu’aurait quittés la mer…

Oh ! c’est une stupeur, une horreur, une peine,
Un silence maudit, un écrasant adieu,
Comme si, tout à coup, le ciel et l’âme humaine
Étaient vides de Dieu…