L’Instant éternel/L’aveu

E. Sansot et Cie (p. 138-140).


L’AVEU


Ah ! je l’ai votre aveu, grand de tout son mystère,
Notre instant fugitif plus qu’un ciel a valu,
Entre nous a passé la beauté de la terre
Et l’ampleur du silence où plane l’absolu.

Ô moment éternel que but notre jeunesse,
Qui fera mes yeux doux pour regarder la mort,
Et qui m’a dispensé plus de force et d’ivresse
Que le rire d’un dieu dans une coupe d’or !

Moment qui fut profond et neuf comme une aurore,
Qui sembla, tout à coup, chargé de tous les biens,
Ô moment lumineux qu’emplit le vent sonore
Et le fleuve plus beau que les rites païens !…

Ce fut toute la vie et je devrais en vivre,
Et m’en faire, à jamais, le pain, le vin, le miel,
Ce fut l’instant unique où tout l’amour se livre
Par la grâce de l’heure et la couleur du ciel.


L’or flambait, l’or brûlait sur la ville divine,
L’azur creusait son golfe en un plein firmament,
Ah ! me dire qu’alors, j’emplis votre poitrine,
Que votre cœur me tint dans tout son battement !…

Nous étions séparés l’un de l’autre, ô mon âme,
Entre nous s’épandait un vaste lac de jour,
Mais un regard vécut, se soutint dans sa flamme
Et nous avons compris le vouloir de l’amour.

Oh ! savoir s’abîmer dans l’extase profonde !…
Ne pas demander plus en notre rêve humain,
Ne pas diminuer l’ineffable seconde
Par la triste douceur de se prendre la main !…

Nous dire : « Nous sentons le grand désir farouche
« De nous vouloir unis jusqu’à l’entier malheur,
« Jusqu’aux baisers où meurt la forme de la bouche,
« Jusqu’aux soupirs ouvrant l’enveloppe du cœur.

« Nous convoitons l’ardeur de l’humaine tendresse,
« La volupté poignante et forte des sanglots,
« L’amoureuse pitié qui fait de la caresse
« Quand l’âme, tout en pleurs, s’égoutte dans les mots.


« Mais nous savons trop bien ce que devient ce rêve,
« Nous préférons rester sur les bords merveilleux
« Où nous avons pu voir la splendeur de la grève
« Sans qu’une épave triste ait passé sous nos yeux.

« Nous nous sommes aimés dans un instant sans terme
« Nous avons frissonné dans de l’éternité ;
« Que, sur ce souvenir, notre esprit se referme
« Ainsi qu’un temple austère où vit de la beauté.

« Et croyons, à jamais, dans l’exil, dans l’absence,
« Partout où notre amour se sentira banni,
« Qu’entre nous le destin a mis de la distance
« Pour laisser plus de place au cœur de l’infini… »