E. Sansot et Cie (p. 73-74).


Ô NUIT…


Ô nuit, je t’ai parlé tout bas et tu m’entends.
Voudras-tu m’exaucer, nuit, au nom du printemps,
Nuit de calme d’argent, de flamme bleue… Ivresse
Des forêts et des mers, des astres et des cœurs,
Nuit qui mêles la lune avec l’ombre des fleurs,
Ô nuit dont aurait pu se couronner la Grèce ?

Nuit, apporte ton souffle à sa porte et dis-lui :
« Assez un jeune amour vers ton visage a lui,
« Assez il a jeté vers toi son cri sonore…
« Voudras-tu d’un regard qui souffre et qui chérit,
« D’une bouche où passa l’âme du pré fleuri
« Et d’une nudité pure comme une amphore ?…

« Une femme te veut… Nulle nuit ne l’endort,
« Tu cours sous ses yeux clos ainsi qu’un fleuve d’or,
« Elle a soif, et toi seul peux lui donner l’eau vive,
« Elle pleure, et toi seul, cruel, peux l’apaiser,
« Elle baisse les bras comme un arbre brisé,
« Elle penche la tête ainsi qu’une captive…


« Ah ! qu’attends-tu ?… Bientôt, il te faudra mourir,
« Il faudra qu’elle meure… Et, pourtant, son désir
« Se brise dans son jet comme l’eau qui s’élance…
« Il faudra que ses yeux, tes yeux oublient le jour…
« Qu’il est trois fois amer, trois fois encor l’amour
« Qui, sans un écho, meurt à travers le silence !… »

Ô nuit, va l’étonner de toute ta beauté,
Montre-lui ma douleur, sœur de ma volupté,
Et mon rêve étoilé dans son nocturne dôme,
Et ma chaste langueur qui se voile en riant,
Dis-lui que de chérir aussi fort l’Orient
Mon cœur verse à ses pieds sept fois son poids de baume.

Nuit, tu ne m’entends pas… L’aube vient d’arriver,
Plus encor à mon front est le mal de rêver,
Toujours flottent en moi les heures incertaines…
Hélas ! souffrir encor par le soleil levant,
Par les feuilles, le sol, l’aile prompte du vent
Et par le goutte à goutte éternel des fontaines !…