L’Instant éternel/Après-midi

E. Sansot et Cie (p. 71-72).


APRÈS-MIDI


Il semble que, dehors, ne vivent dans les airs
Que les profondes eaux et les grands arbres verts,
C’est un printemps voilé, silencieux et tendre,
La nue est une perle où tremble de la cendre,
Tout est doux comme un rêve à peine conscient,
Comme un visage en pleurs et presque souriant,
Le calme des jardins dort sur la vigne frêle
Et le jour est ému comme une tourterelle.
La fumée est légère au-dessus des maisons,
La ville, de sa paix heureuse, s’enveloppe,
Et l’on voit apparaître, au bord des horizons,
Un ciel humide et frais comme un héliotrope.

Pleuvra-t-il ?… Les lilas tombent en attendant…
Le rêve est vaporeux, subtil, long, abondant,
On évoque des bois de silence et de mousse,
Un cœur ouvert d’où filtre une peine plus douce
Qu’une source emportant une ombre de tilleul…
Ô mon esprit fervent, sache demeurer seul,

Vois le bleu tourbillon des musiques passées,
Souffle les bulles d’or des furtives pensées…
Que le silence est doux qui tombe sur l’amour !…
La pluie, aux mains d’argent, écarte les feuillages,
Les jardins et la vie ont perdu leur contour,
Le beau fleuve s’endort en berçant des nuages…

Ma fenêtre est ouverte et tu vis près de moi,
Ô mon poignant amour… Je respire vers toi…
L’heure te donne tout à ma joie enivrée,
Léger, ton souffle afflue à mon âme altérée,
Je te sais attentif à la voix de tes dieux,
Ton logis est tout plein de la paix de tes yeux,
Tu travailles, la main sur ta tempe posée,
Et la sagesse met du ciel à ta croisée…
Et, parfois, quand le calme est, sur nous, plus profond,
J’aime m’imaginer, qu’en de furtives trêves,
Ton esprit me visite et que nos livres font,
Dans le soudain silence, un échange de rêves…