Librairie Guillaumin & Cie (p. 527-532).

CONCLUSIONS




Neque quisquam egens erat inter illos




En résumé, que l’on soit partisan ou que l’on soit adversaire de l’impôt sur le revenu ; que cet impôt soit proportionnel ou progressif, avec ou sans exemption à la base, tout le monde est d’accord sur un point : c’est que notre système fiscal renferme une foule de dispositions particulièrement nuisibles à la nombreuse classe des travailleurs et des petits propriétaires. D’un autre côté, depuis un siècle environ que ce système fonctionne, il a favorisé la formation de fortunes immenses qui absorbent une trop grande part de la richesse générale acquise par le travail.

Les observations et les critiques adressées aux partisans de l’impôt sur le revenu, portent particulièrement sur les deux faits suivants :

1° Pour déterminer la taxe de l’impôt de chacun, il faudra organiser un véritable système d’espionnage et d’inquisition qui est absolument contraire aux traditions, aux idées et aux mœurs françaises.

2° En ce qui concerne la richesse mobilière, ceux qui la possèdent pourront la faire disparaître en plaçant leurs capitaux à l’étranger, ou même en y déposant leurs valeurs françaises.

Nous croyons avoir répondu à toutes les objections et notamment aux deux critiques principales qui viennent d’être mentionnées. Nous résumons cependant en quelques lignes, les dispositions législatives par lesquelles il sera assez facile de réprimer les tentatives de fraude et de dissimulation, qui n’ont jamais manqué, du reste, sous aucun régime fiscal.

En ce qui concerne l’objection fondée sur la crainte d’une sorte d’inquisition, il y aura lieu d’établir un questionnaire adressé à chaque contribuable, imitant ce qui a lieu dans la plupart des pays à impôt sur le revenu.

Ce questionnaire pourrait être fait dans les termes suivants :

1° Indiquer la situation et l’étendue de vos propriétés non bâties, en désignant simplement les communes où elles sont situées ; déclarer l’estimation que vous faites de leur valeur capitale et de leurs revenus.

2° Désigner les immeubles bâtis, ainsi que leur valeur capitale et leurs revenus.

3° Indiquer en bloc le capital de vos créances hypothécaires et leurs revenus ; même indication pour les créances chirographaires.

4° Indiquer la nature et la valeur capitale, ainsi que le revenu des actions, obligations, parts et dividendes des rentes d’État et de valeurs de bourse, soit en France, soit à l’Étranger.

5° Déclarer le montant des bénéfices et revenus professionnels, déduction faite, s’il y a lieu, du revenu à 4 % des capitaux engagés dans l’industrie et des salaires des employés.

6° Faire connaître le chiffre des traitements, pensions et usufruits.

7° Indiquer le nombre des enfants mineurs, ainsi que les personnes infirmes à la charge des contribuables.

8° Déclarer le capital des dettes hypothécaires.

9° Des dettes et charges d’autre nature.

Signer cette déclaration en affirmant qu’elle est sincère et véritable et qu’on est averti que toutes fraudes et dissimulations seront punies d’une amende égale à dix fois l’impôt dont l’État a été frustré, laquelle amende sera recouvrée par les mêmes moyens de contrainte que l’impôt, sans aucune transaction possible.

Après cette déclaration, ni inquisition, ni perquisition, ni réquisition dont on paraît s’effrayer à tort ; le fisc, l’impitoyable fisc, attendra simplement les événements, tels que mariage, partage, vente, échange, bail, mutation par décès, etc, ; et comme la prescription serait étendue à 30 ans, il y aura plus d’un fraudeur sur 10 qui se trouvera pris, et l’État n’aura rien perdu.

Chacun comprendra, après quelques années d’expérience, qu’il vaut mieux faire sa confession pleine et entière que de courir la chance d’une dissimulation.

Les contribuables qui n’auront pas fait leur déclaration seront taxés d’après les documents fournis aux commissaires par nos administrations fiscales, enregistrement, perception, contrôle, direction, etc. Ces évaluations pourront être modifiées par les contribuables (soit en plus soit en moins) en présentant les preuves à l’appui. Si les évaluations sont insuffisantes et si les contribuables ne les ont pas portées à leur valeur réelle, ils seront sujets aux amendes pour fausses déclarations.

La seconde des principales objections n’est pas plus difficile à résoudre.

L’émigration des capitaux et peut-être même des capitalistes n’est pas à craindre davantage, avec l’impôt sur le revenu qu’elle ne l’est avec tout autre système. On sait bien aujourd’hui que les Français, pris dans leur ensemble, possèdent des créances sur l’étranger montant à 20 milliards de francs, donnant un revenu moyen de 900 millions. On sait aussi qu’avec les lois actuelles ces valeurs sont déjà frappées d’un impôt, et qu’il est impossible d’en faire le moindre usage en France, de les mentionner soit dans des jugements, soit dans des actes authentiques ou sous seing-privé, sans que ces valeurs aient subi l’impôt dont elles sont frappées ; il ne sera pas bien difficile d’appliquer ces mêmes lois, avec quelques modifications, si cela est nécessaire, au système de l’impôt fondé sur le revenu personnel.

Au surplus, la même pénalité serait appliquée aux fraudes et dissimulations portant sur ces valeurs étrangères.

Quant à l’émigration des capitalistes elle est encore moins à craindre que celle des capitaux. Ils trouveraient partout à qui parler et surtout à qui payer. Il ne faut pas croire que nos voisins se soucient d’entretenir et de protéger nos émigrés sans leur faire payer, et même largement, les frais de la protection.

Je répète en finissant ce que j’ai énoncé dans ma brochure : Il n’y a aucune objection sérieuse à l’établissement en France de l’impôt sur le revenu. La seule difficulté, (qui du reste n’a rien de moral ni d’honorable), tient à l’égoïsme, à la cupidité, aux préjugés qui ont pris naissance peut-être dans les défauts même de nos anciennes lois fiscales.

En réalité, la perception de l’impôt sur le revenu présenterait bien moins de difficultés que nos seules lois d’enregistrement, qui exigent un personnel se livrant à un travail intellectuel compliqué. Elles ont donné lieu à une jurisprudence encore incertaine après 115 ans, à des circulaires, à des décisions ministérielles, à des règlements et à des ouvrages si nombreux, qu’aucun de nos fonctionnaires ne peut les posséder, ni les loger.

Nos droits d’enregistrement, nos impôts fonciers des portes et fenêtres, nos patentes, nos contributions personnelles, mobilières ne tiennent aucun compte des conditions particulières du contribuable relativement à ses dettes et charges de famille, et cela depuis plus d’un siècle ; nos lois récentes sur les bouilleurs de crû, depuis quelques années ; tout cet ensemble de la législation fiscale présente plus de difficultés d’application, donne lieu à plus de discussions, de tracasseries et d’embarras et produit sur l’état économique du pays des effets plus déprimants et plus dangereux que ne le ferait l’impôt sur le revenu dans les conditions indiquées. Il ne s’agit que de rompre avec nos traditions routinières, et de nous créer de nouvelles habitudes. Une fois l’impôt personnel établi, on sera tout étonné, après deux ou trois ans d’application, d’avoir craint et d’avoir hésité si longtemps de recourir à une méthode donnant pleine satisfaction à la raison et à la justice.



On pourrait établir à peu près dans les termes suivants la formule de la déclaration à remplir par les contribuables.