L’impôt progressif accusé de tendre à exproprier les riches et à niveler les fortunes. — Réponse à ces objections.





Le Polybiblion, revue bibliographique universelle, a rendu compte de l’Impôt progressif en France, dans sa livraison de novembre 1904, ainsi qu’il suit :


JURISPRUDENCE


L’impôt progressif en France, par Jules Dufay. Paris, Guillaumin, 1904, in-8 de x-152 pages.

Cette brochure est un plaidoyer en faveur du fameux impôt global et progressif sur le revenu. L’auteur parle surtout d’expérience, et c’est le principal mérite de son travail. Il a étudié en Suisse le fonctionnement de ce système d’impôt, qu’il trouve plus équitable dans ses résultats que ne l’est chef nous la multiplicité de nos contributions. Là où M. Dufay montre les défectuosités de notre fiscalité française, il est incontestablement dans le vrai, et tous ses lecteurs applaudiront certainement à ses critiques. N’est-ce pas une honte qu’en France l’impôt frappe même les hôpitaux, les orphelinats, les bureaux de bienfaisance ? À l’impôt ordinaire, on ajoute même un impôt de plus, la taxe de mainmorte, par la raison, sans doute, que la misère ne meurt jamais. Mais la thèse de M. Dufay devient très discutable lorsqu’il recommande l’impôt progressif comme un moyen d’arrêter les abus de la richesse et de niveler les fortunes. Est-il juste de conférer à un gouvernement démocratique le pouvoir de confisquer ce qu’il lui plaira d’appeler le superflu des riches ? Et qui peut assurer que ce mode de taxation ne tournera pas au détriment des pauvres eux-mêmes ? Il y a un côté du problème que M. Dufay a trop laissé dans l’ombre : c’est celui de la répercussion de l’impôt. Même payé par les riches, l’impôt finit toujours par être supporté par la masse de la nation. M. Dufay n’a que trop raison lorsqu’il reproche aux électeurs de ne pas comprendre que le meilleur député est celui qui promet le moins de places, le moins de bureaux de tabac et, en même temps, le moins d’impôts. Que voyons-nous aujourd’hui ? C’est en promettant un nouvel impôt qu’on obtient les suffrages des électeurs !… Quoi qu’il en soit, au moment où l’on va nous forger ce nouvel impôt, la brochure de M. Dufay mérite d’être lue par tous ceux que la question intéresse.

De son côté, le Bulletin de la Société de législation comparée, en février 1905, a rendu compte de la manière suivante de cette même brochure :

Nul problème financier n’est d’une actualité plus passionnante que celui de l’impôt sur le revenu. Beaucoup de ceux qui dirigent les destinées de la France préconisent la réforme dite de l’impôt global, sans toujours apporter à cette innovation projetée une approbation intime et exempte de tout souci électoral. Ce n’est donc pas précisément enfoncer une porte ouverte que de défendre le système de l’impôt sur le revenu ; mais, quiconque, à l’heure présente, verse de bonne foi son tribut à l’examen de cette grave question mérite, quelles que soient ses conclusions, la reconnaissance de ceux mêmes qui ne s’y rallieraient pas.

M. Jules Dufay, notaire honoraire à Salins (Jura), étudie l’impôt progressif en France et propose, pour remplacer le régime actuel qu’il considère comme lourd aux humbles et doux aux privilégiés de la fortune, un système d’impôt personnel, progressif et global sur le revenu.

Après s’être attaché à réfuter les arguments que M. Jules Roche a développés dans plusieurs articles de la Revue des Deux-Mondes contre les projets de réforme en voie d’élaboration, l’auteur tente de justifier le principe de l’impôt global, dont il réclame la nécessité pressante au point de vue social et économique. Abordant même le terrain pratique, il conseille la substitution graduelle de cet impôt à ceux existant aujourd’hui et édifie, avec chiffres à l’appui, le système qu’il juge réaliser une plus équitable répartition des charges publiques : exemption complète d’impôt pour les revenus inférieurs à quatre cents francs ; progression croissante du pourcentage jusqu’à quarante millions de revenus. Enfin au dessus de ce chiffre, dit l’auteur, « l’État prendrait tout, par cette raison bien simple, d’abord que ce surplus du revenu est plutôt nuisible à celui qui le touche, en second lieu, qu’il est impossible que ce revenu soit produit autrement que par le travail social tout entier c’est-à-dire par le travail de la collectivité, qui ne ferait que rentrer dans ses fonds. »

Cette seule esquisse du projet de l’auteur laisse entrevoir les critiques qu’il petit susciter et le danger que des réformateurs même hardis trouveraient à introduire dans nos lois le germe, trop facilement extensible, de la confiscation.

Des documents de droit comparé, empruntés notamment à la législation des différents cantons Suisses et résumés en des tableaux synoptiques, terminent cet ouvrage que liront avec intérêt ceux qui portent leur attention sur le mouvement des idées et sur les questions sociales et budgétaires. »

D’autres publications et plusieurs journaux ont signalé aussi l’impôt progressif comme un danger d’expropriation. J’avais même, avec intention, conclu qu’à partir de 40 millions de revenus, l’État pourrait, sous forme d’impôt, faire rentrer au profit de la collectivité le revenu supérieur à cette somme, et cela comme correctif de cet autre danger, bien plus grand à mon avis, parce qu’on ne le voit pas assez, l’accumulation de la richesse par l’usure.

Il convient de nous expliquer ici à ce sujet avec une entière indépendance, et nous allons le faire en donnant le plus de clarté possible à cette question généralement mal comprise.

D’abord il ne s’agit pas d’expropriation, c’est-à-dire de déposséder qui que ce soit d’un capital quelconque ; ou plutôt, si le mot devait trouver place dans cette discussion, il faudrait l’appliquer au rôle économique que joue le possesseur du capital de plus d’un milliard qui, en percevant comme intérêt, c’est-à-dire comme usure, plus de 40 millions par an, exproprie en réalité le produit du travail que ce capital énorme met en œuvre en l’exploitant. Le mot, comme on le voit, serait donc déplacé. Mais, écartons le mot et examinons la thèse comme problème économique général, sans application individuelle.

On croit que c’est exproprier un capitaliste que de lui faire rendre à la société sous forme d’impôt, à partir d’une certaine limite, ce qu’il a tiré de la société sous forme d’usure. À ce reproche je réponds que d’abord l’usure n’est pas de droit naturel, comme nous l’expliquerons en quelques mots plus loin, enfin que l’État ne prélève aucune fraction de son capital à ce milliardaire, qu’il empêche seulement celui-ci de continuer à prélever à son profit personnel le produit du travail des autres, lorsque, par l’usure, il est arrivé à un maximum de gain qui ne correspond plus à aucun travail de sa part. C’est contre les excès de cette autre expropriation que je défends la société, d’abord par la progression de l’impôt jusqu’à une certaine limite à fixer avec mesure, ensuite par l’impôt absorbant au-dessus de cette limite la totalité du revenu.

On objecte : qui fixera cette limite ? mais tout simplement l’intérêt général bien compris, le salut de tous que les anciens déjà formulaient par cette pensée : salus populi suprema lex. Si le législateur dépasse la mesure, le capitaliste disparaîtra ; or, l’intérêt général exige de le conserver et en même temps de limiter son pouvoir absorbant. Le capital est utile, il n’est dangereux que par son excès, il est un élément nécessaire de la société économique, comme le pouvoir est une condition indispensable de la société politique. Bien placer les limites de chacun d’eux, toute la sagesse du législateur est là.

L’intérêt général, dit-on, il est dangereux de l’invoquer. N’est-ce pas en son nom, cependant, que toutes nos lois sont faites, que la liberté individuelle, ce bien précieux, a pourtant ses limites ; que les passions mêmes et les éléments indispensables de la vie, ont aussi des bornes tracées par les lois ; que le droit de propriété considéré partout comme naturel, consacré du reste par toutes les grandes législations a aussi pour limite l’utilité publique, etc.

Cela revient à dire qu’en définitive, si les principes sont absolus, leurs différentes applications sont essentiellement variées et contingentes.

Ceci dit comme observation générale, il nous reste à examiner avec plus d’attention le rôle de l’intérêt, c’est-à-dire de l’usure dans le monde économique, et comment cette question d’importance capitale a été traitée par les différentes législations.

Prises dans leur ensemble, nos législations modernes ont puisé leurs principaux éléments dans la législation mosaïque, les législations grecques et surtout dans le droit romain. Sur la matière spéciale du prêt à intérêt, les jurisconsultes, depuis plus de trois mille ans, ont accumulé les observations et les décisions les plus diverses et souvent les plus contradictoires. Mais il reste parfaitement acquis que Moïse, il y a près de trois mille six cents ans, a proscrit d’une manière formelle le prêt à intérêt ; il ne tolérait cette disposition que dans les relations du peuple juif avec l’étranger, c’est-à-dire avec l’ennemi. On ne pouvait prêter à intérêt qu’à celui qu’on avait le droit de tuer, dit un passage du livre de Tobie, ch. 15. Cette interdiction est si formelle qu’aujourd’hui encore, dit-on, les juifs, si attachés à leur tradition la respecteraient, entre eux, et c’est peut-être aussi pourquoi, en cette matière, ils montrent, vis-à-vis l’étranger, c’est-à-dire le non juif, un art particulier en ce qui concerne les affaires financières[1].

Chez les Grecs et les Romains, le principe existait aussi, limitant dans la mesure du possible le taux du prêt à intérêt. Les représentants des hautes classes sociales, notamment à Rome, les sénateurs, auraient été disqualifiés s’ils avaient vécu à la mode de nos capitalistes modernes, c’est-à-dire s’ils avaient vécu de leurs rentes, comme nous le disons aujourd’hui.

Malgré ces interdictions, on a vu toutes les sociétés anciennes arrivées à un certain degré de richesse, succomber sous le poids des guerres sociales et des guerres civiles provoquées par l’appropriation individuelle de cette richesse au profit de quelques-uns[2]. Tous les historiens, philosophes et moralistes ont attribué sans hésiter cette dislocation de l’ancienne société aux effets destructeurs de l’usure.

C’est dans cet état des choses que le Christianisme est venu à son tour proscrire d’une manière plus formelle encore le prêt à intérêt. Mutuum date nihil inde sperentes, dit St-Luc. Les premiers chrétiens observèrent rigoureusement cette recommandation ; et le droit qui en est sorti, appelé plus tard droit canon, maintient jusqu’à la fin du XVIIIe siècle la proscription absolue du prêt à intérêt. L’un des derniers monuments en cette matière est le grand ouvrage publié par les ordres du cardinal de Noailles, archevêque de Paris, en 1739, intitulé « Conférences de Paris sur l’usure et la restitution » où l’on concilie la discipline de l’Église avec la jurisprudence du royaume de France (dernière édition — Paris, veuve Estienne et fils, rue St Jacques à la Vertu 1748). Ce curieux ouvrage donne une idée de la lutte que le droit canon, c’est-à-dire le droit chrétien a dû soutenir contre les abus et les habitudes usuraires qui avaient fini par être tolérés par le droit romain, c’est-à-dire le droit païen. Dans l’intérêt des classes laborieuses et pour les défendre contre l’avidité des possesseurs du capital, le droit canon n’admettait que l’association comme légitime ; en sorte que si le capital était perdu, c’est le possesseur qui subissait la perte, res perit domino. Il n’y avait donc pas prêt comme nous l’entendons aujourd’hui. Dans toutes les circonstances où le capital était perdu, ou n’avait pas produit un profit commun aux associés, si le possesseur du capital avait reçu un intérêt quelconque, il était tenu à restitution, conformément même à la loi civile qui s’était mise d’accord avec le droit canon. Et non seulement cette perception d’un intérêt illégal entraînait la restitution, elle était un péché « peccatum » et le confesseur de l’usurier avait défense d’accorder l’absolution « In articulo mortis » au pécheur qui s’était mis en contravention avec les lois divines et humaines.

À la fin du XVIIIe siècle, sous l’influence de l’école des physiocrates, des encyclopédistes, de l’esprit nouveau, du développement de plus en plus grand de la richesse mobilière, le droit civil a fini par l’emporter. En sorte qu’aujourd’hui où l’influence sociale de l’esprit du droit canon a presque disparu, notre société se trouve à peu près livrée, comme au temps du paganisme, aux exigences de la richesse concentrée de nouveau entre les mains d’une classe sociale relativement peu nombreuse. Les effets ne se sont pas fait attendre longtemps. En moins d’un siècle, le droit canon oublié, nos lois civiles ayant consacré l’usure ad duritiam cordis, il n’est guère possible d’entrevoir une limite a la confiscation universelle de la richesse par quelques-uns au détriment de tous.

Et voilà pourquoi, au grand étonnement de jurisconsultes, d’économistes, de polémistes cependant très érudits, j’ai osé émettre cette proposition qui les scandalise, que la société a parfaitement le droit et je dis même le devoir d’apporter un frein nécessaire à la confiscation de la fortune générale par quelques détenteurs du capital.

S’il existe un autre procédé législatif pour empêcher cette fin lamentable, j’en prendrai connaissance avec la plus grande satisfaction — Salus populi suprema lex —.

Il ne s’agit pas non plus de niveler les fortunes ; il s’agit tout simplement d’empêcher, au contraire, les très grosses fortunes d’étendre sur le pays le nivellement universel de la misère. Notre bourgeoisie, du moins celle qui possède les très grosses fortunes, aussi entichée de ses titres de rentes que l’ancienne féodalité pouvait l’être de ses titres de noblesse, comprendra-t-elle la situation et les devoirs qu’elle impose ? La réponse à cette question exercera une influence capitale sur les destinées du pays. J’ajoute ici ce mot par lequel Montesquieu termine le chapitre cité plus haut : « Je le dirai toujours ; c’est la modération qui gouverne les hommes et non pas les excès ».

Le Polybiblion me reproche aussi de n’avoir pas assez envisagé le phénomène de la répercussion de l’impôt qui finit toujours par être supporté par la masse de la nation. Avec notre système actuel, cela est, sans doute, trop vrai, puisque l’impôt, non seulement par répercussion, mais par percussion directe, atteint le revenu même quand il est insuffisant, et n’atteint pas dans une plus grande proportion les revenus supérieurs. Je prétends qu’en exemptant à la base le revenu nécessaire, et en atteignant progressivement davantage le superflu au sommet, il n’y aura ni percussion directe ni répercussion possible sur le travail et le petit revenu. Le citoyen ayant un million de revenu net, par exemple, paiera, je suppose, cent mille francs d’impôts. Sur quoi voulez-vous qu’il les fasse répercuter ? Il les capitalisera en moins ; c’est là où s’arrêtera le phénomène en ce qui le concerne. Et ce seront les travailleurs plus ou moins nombreux qui, ayant produit cet énorme revenu, pourront capitaliser à leur profit ces cent mille francs, puisqu’ils n’auront pas eu, comme aujourd’hui, à les payer comme impôts.

La Revue de Législation comparée redoute que des législateurs trop hardis trouvent le moyen d’introduire dans nos lois le germe trop facilement extensible de la confiscation. — Mais c’est aujourd’hui que la confiscation existe, par le fait de l’usure, toute légale qu’elle est. L’expérience des siècles a démontré que ce mode d’acquérir, s’il n’a pas de limite, conduit infailliblement à l’expropriation du plus grand nombre par quelques-uns. Le capital ainsi compris, j’entends le capital de nature mobilière comme l’or et l’argent, manque à son rôle naturel, utile et providentiel, il n’est pas la richesse, il n’est qu’un signe d’échange, comme l’ont très bien envisagé les vieilles législations citées plus haut. Puisque l’homme est ainsi fait que plus il possède plus il veut posséder, (quo plura habent, eo ampliora cupientes, disait je ne sais plus quel historien classique), il est nécessaire de ne pas lui mettre entre les mains un instrument qui puisse encore favoriser outre mesure l’insatiabilité de sa passion de posséder. On ne peut pas, dit-on, supprimer le prêt à intérêt, c’est-à-dire à usure ; les expériences législatives l’auraient démontré. Soit. Mais alors, qu’on emploie ce moyen si facile, et que le législateur a sous la main, d’arrêter par la progression de l’impôt les excès de l’usure au point où elle devient absolument dangereuse, et conduit à l’expropriation de tous.

  1. Les mouvements de la législation juive au profit du prêt à intérêt sont curieux. Moïse avait recommandé aux juifs de se prêter les uns aux autres sans intérêt, parce qu’ils étaient enfants d’un père commun. Mais il avait permis de prêter à usure aux étrangers, sur quoi saint Ambroise fait remarquer que l’étranger c’était l’Amalacite, l’Amorrhéen et autres peuplades ennemies. Ibi, inquit, usuram exige, cui merito nocere debeas, cui jure inferuntur arma, huic legitime indicuntur usuræ. Quem bello non potes facile vincere, de hoc cito potes centesima vindicare te. Ab hoc usuram exige quem non sit crimen eccidcrc. Sine ferro dimicat qui usuram flagitat, sine gladio de hoste ulciscitur qui fuerit usurarius ac exactor inimici : ergo ubi jus belli, ibi etiam jus usuræ. (S. Ambroise, livre de Tobie, chap. XV.)
    Ce droit juif, à l’instar du ferox jus quiritium des Romains, plus tard s’adoucit avec le temps. Déjà, à l’époque du roi David, des prophètes Ézéchiel et Néhémie, il était enseigné aux juifs qu’il ne leur était plus permis d’exercer l’usure, même à l’égard des étrangers, et que Dieu la condamnait comme une espèce de larcin. L’équité veut, dit saint Jérôme, qu’on admire le progrès de la loi. Dans l’Exode et dans le Lévitique, Moïse défend l’usure à l’égard des pauvres ; dans le Deutéronome, il défend le prêt à intérêt, même à l’égard des riches ; mais il le tolère encore à l’égard des étrangers ; David et Ézéchiel proscrivent toutes les usures à l’égard de tous les hommes ; enfin, Jésus-Christ veut même qu’on prête à ceux qui ne sont pas en état de rendre ce qu’on leur prête, parce que c’est de la charité. « Si vous prêtez, dit saint Luc, à ceux de qui vous espérez recevoir quelques services, quel gré vous en saura-t-on, puisque les païens mêmes se prêtent les uns aux autres pour recevoir un pareil avantage. Prêtez sans en rien espérer, et alors votre récompense en sera très grande, ci vous serez les enfants de Dieu, parce qu’il est bon aux ingrats et aux méchants. »
    Ces documents sont tirés des conférences ecclésiastiques de Paris sur l’usure, dont il sera question ci-après. Il paraît que l’érudition moderne s’est avisée de contrôler ce qui, au XVIIIe siècle, ne faisait aucun doute. Elle enseigne aujourd’hui que le Deutéronome a été découvert dans le temple de Salomon la dix-huitième année du règne de Josias par Hilkija, grand-prêtre, qui le remit à Schaphan, envoyé de Josias pour recueillir les sommes déposées dans le temple pour les réparations de l’édifice sacré. Le fait se serait passé en l’an 621 avant Jésus-Christ. On admet communément aujourd’hui que le Deutéronome n’a pas été composé avant Ézéchias, c’est-à-dire qu’il remonte au plus en l’an 727.
    C’est une codification des lois diverses en usage chez les Israélites, et pour lui donner plus d’autorité, on l’a mise sous le patronage de Moïse, personnage |à demi légendaire qui fut, du reste, le plus grand des prophètes du peuple juif. Rien ne s’oppose cependant à faire remonter cette codification d’ancienne loi au delà du VIIIe siècle, mais rien non plus ne prouve le contraire. Ainsi il est difficile de l’attribuer particulièrement à Moïse ; on peut légitimement supposer que la codification en question donnait le texte de loi qui existait de son temps. Plus près de nous, on a bien donné les noms de Justinien et de Napoléon à des codes dont vraisemblablement, ils n’ont pas écrit un seul mot.
    Les lois, c’est le peuple qui les prépare ; puis les juristes les rédigent, enfin, un grand homme les codifie et leur donne son nom. On dit, les lois de Moïse, de Lycurgue, de Minos, de Solon, etc. Ils ne les ont pas créées, ils les ont mises en ordre, en chapitres, en codes.
  2. Le prêt à intérêt étant interdit par la loi Gabinienne entre les gens des provinces et les citoyens romains, et ceux-ci ayant pour lors tout l’argent de l’univers entre les mains, il fallut les tenter par de grosses usures qui fissent disparaître aux yeux de l’avarice le danger de perdre la dette. Et comme il y avait à Rome des gens puissants qui intimidaient les magistrats et faisaient taire les lois, ils furent plus hardis à prêter et plus hardis à exiger de grosses sommes. On n’avait que trop besoin d’emprunter, ne fût-ce que pour subvenir aux besoins des armées, aux rapines des magistrats, aux concussions des gens d’affaires et aux mauvais usages qui s’établissaient tous les jours. Esprit des lois — livre 22 chap. 22)