Librairie Guillaumin & Cie (p. 106-108).

CHAPITRE XXXII

L’impôt sur la rente aussi juste que tous les autres impôts





Vauban, dans sa Dîme royale, a émis cette idée fort juste que le propriétaire du sol, grevé d’une dette, ne doit payer la dîme que sur la valeur du sol, déduction faite de la dette, et que c’est au créancier à payer la dîme dans la mesure de sa créance. Or, qu’est-ce que la rente sur l’État actuellement ? Sinon une créance de quelques-uns sur l’actif national ? Il est clair comme le jour que l’ensemble des valeurs qui composent l’actif de la nation est diminué des trente milliards, (prenons ce chiffre rond) montant de la rente sur l’État. En bonne justice on devrait même, pour fixer l’impôt de chaque contribuable, diminuer de sa fortune la quote part lui incombant dans ces trente milliards. Si donc les immeubles français bâtis et non bâtis valent quatre-vingt-dix milliards, chiffre moyen donné par les économistes, les possesseurs de ces biens devraient être imposés non pas pour 90 milliards, mais pour 60 seulement. Et l’impôt foncier ou l’équivalent de cet impôt devrait être supporté pour un tiers par les possesseurs de la rente, laquelle est une véritable créance sur l’ensemble de ces biens. Il est donc parfaitement équitable de faire supporter par nos rentiers de l’État les impôts sur la richesse dans la même proportion que celle appliquée à toutes les autres valeurs. C’est par suite d’un faux raisonnement, c’est en partant d’une erreur que l’on a prétendu que les rentes sur l’État ne doivent pas être imposées. Il y a des années que toutes les autres nations européennes ont renoncé à cette conséquence d’une idée fausse. Il n’y a pas plus de raison d’exempter de l’impôt les rentes sur l’État que toutes les autres valeurs : créances hypothécaires, chirographaires, obligations, actions quelconques, parts d’intérêts, dividendes, etc. La justice et la logique sont d’accord sur ce point. Chose curieuse, c’est à dater de l’impôt sur la rente anglaise que le taux de capitalisation de cette valeur s’est élevé à un chiffre supérieur à celui des rentes de tous les autres États du monde.

À supposer même qu’en France, par le fait de l’impôt, la rente diminue momentanément d’une ou deux unités est-ce que cela diminuerait le crédit de l’État ? Cela ne ferait que rétablir l’équilibre entre cette valeur et toutes les autres.

Et encore cette diminution ne se produirait pas si on se décidait une bonne fois à ne plus imposer le capital et le revenu de telle ou telle valeur, mais, ce qui est infiniment plus simple, le capital et le revenu de chaque contribuable, d’après le système de l’impôt global ; en un mot, si on substituait à l’impôt sur la chose, qui est en quelques sorte, l’enfance de l’art fiscal, l’impôt personnel sur l’individu, en raison de ce qu’il possède, ce qui donnerait la mesure de la progression à appliquer.

L’impôt progressif a été adopté par tous les peuples chez lesquels les idées de bienfaisance, de solidarité et de justice sont en progrès. La progression dans le taux de l’impôt n’est pas autre chose qu’une équitable proportion calculée d’après les facultés de chacun. Tâchons donc de moins nous effrayer des mots, et de juger plus sûrement les choses. Il n’est pas juste, il n’est même pas prudent de frapper dans la même proportion arithmétique le champ, la vigne et la chaumière du pauvre et les domaines du riche. Le revenu du premier est déjà insuffisant pour ses dépenses nécessaires ; le revenu du second excède de beaucoup ses besoins et finit par accumuler dans ses mains ces fortunes énormes dont nous sommes témoins, lesquelles se forment en définitive, du prélèvement anormal sur le produit du travail général. On ne peut trop répéter cette vérité.