Librairie Guillaumin & Cie (p. 89-91).

CHAPITRE XXVIII

Que les valeurs mobilières n’échapperont pas facilement à l’Impôt




Rappelons ici ce qui s’est passé au sujet de la protection des œuvres littéraires, artistiques et industrielles, à la suite des conférences tenues à Berlin et à Berne en 1883 et 1884, grâce à l’influence de M. Numa Droz, président de la Confédération helvétique.

Déjà en 1888 une législation internationale, comprenant 1 50 millions d’habitants, pour la propriété industrielle, et 573 millions pour la propriété littéraire et artistique, substitua au régime du pillage international une protection efficace de cette nature de propriété. Devant cette question de justice, les rivalités de peuple à peuple cessèrent ; chaque État comprit l’utilité de cette protection réciproque.

Pourquoi n’en serait-il pas de même au sujet des impôts ? Assurément il ne s’agit pas de dire à la Prusse, à l’Angleterre ou à d’autres nations de percevoir des impôts au profit et pour le compte de la France, à charge par celle-ci de rendre pareil service à ses voisins, bien que cette idée soit peut-être un jour réalisable. Ce serait une sorte de zollverein ressemblant à ce qui se passe déjà pour certaines unions monétaire, postale, douanière, maritime, ainsi que pour les chemins de fer, les voies de communication, etc…

Mais si une pareille entente est encore impossible aujourd’hui, quel obstacle y aurait-il à l’établissement d’une législation internationale qui permettrait à chaque pays contractant, de rechercher les valeurs placées à l’étranger, appartenant à ses nationaux ? Nos voisins ont le même intérêt que nous à connaître leurs valeurs placées en France dans le but d’échapper à leurs taxes. En fait, on sait parfaitement, dans les banques nationales ou fédérales, à quelles personnes de telle ou telle nation, appartiennent les importantes valeurs soumises à cette émigration peu patriotique. La mesure n’irait pas jusqu’à faire prononcer l’extradition de ces capitaux coupables d’émigration ; elle se bornerait à les faire constater dans les États de cette sorte d’union, par les moyens qu’emploie chaque État, d’après ses propres lois fiscales.

Il y aurait même une mesure encore plus simple ; ce serait d’établir, par une convention internationale que le capital et le revenu placés à l’étranger seraient frappés au profit du pays où ils se trouvent d’un impôt égal à celui qu’ils subiraient dans leur pays d’origine. Il n’y aurait plus ainsi aucun intérêt à leur faire passer la frontière.

Je crois avoir répondu aux différentes objections que l’on oppose en France à l’impôt sur le revenu et sur le capital : il n’existe aucune difficulté sérieuse à reprocher à l’application de ce système. Ces objections ne sont faites que pour effrayer cette partie du public peu habituée aux questions d’économie sociale ; on lui fait croire facilement à des obstacles imaginaires. La vraie raison c’est que la ploutocratie ne veut pas payer. Que l’on fasse, en France, de cette question de l’impôt progressif une affaire électorale, six mois ou un an avant les élections politiques ; qu’elle soit bien posée et discutée par la presse, que les programmes électoraux s’en emparent, et la loi passera certainement et admettra le principe de la progression de l’impôt, ainsi qu’on l’a vu dans tous les pays où l’opinion publique a une influence sérieuse sur le gouvernement. C’est un peu l’inverse de ce qui se passe chez nous où, de mémoire d’électeur, on a pu constater que le gouvernement, qu’il soit monarchie, empire ou république, a toujours eu la prétention d’exercer une influence prépondérante dans les élections par la candidature dite officielle. Lorsque les électeurs échapperont à toute influence venant du gouvernement, c’est alors seulement que les lois vraiement utiles au peuple, se formeront comme d’elles-mêmes, sans efforts, sans résistance.