Librairie Guillaumin & Cie (p. 65-68).

CHAPITRE XXIV

Quels revenus sont passibles d’impôts ?




L’exemption une fois établie au profit du minimum de revenu jugé nécessaire, à 400 francs comme nous l’avons proposé, ou à tout autre chiffre que fixerait la loi, le contribuable doit faire état de tous ses revenus, quelle que soit leur nature : intérêts de capitaux, rentes sur particuliers, sur les communes, sur l’État, pensions, traitements, honoraires professionnels, revenus de la terre. C’est à la loi à fixer le taux de l’impôt suivant la nature du revenu, en ayant soin d’atteindre le revenu du travail dans une plus faible proportion ou plus faible progression que les revenus produits par les intérêts et les dividendes quelconques. Si, parmi les capitaux à intérêts, figurent des actions et obligations industrielles sur lesquelles les compagnies paient un impôt (exemple les actions et obligations des chemins de fer) le possesseur n’aura à comprendre dans sa déclaration que le dividende ou l’intérêt net qu’il reçoit, déduction faite de la retenue opérée sur le coupon par la compagnie. Qu’on ne dise pas qu’il y aurait dans ce cas un impôt de superposition ; d’abord ce mot de superposition, en fait d’impôts, n’a pas de sens bien déterminé. Pris à un point de vue général, on pourrait soutenir qu’ils sont tous superposés. Mais, ici, il n’y a pas l’ombre de superposition réelle, le possesseur de l’action ou de l’obligation de chemin de fer a acquis cette valeur à un prix fixé en cote de bourse, suivant son revenu, déduction faite de la contribution payée par la compagnie. Le possesseur de ce titre ne supporte donc pas cette contribution ; il a acquis son obligation, par exemple, munie d’un coupon qu’il savait parfaitement frappé de la retenue, comme nous l’avons dit précédemment.

Il est bien entendu que l’exemption peut être fixée non seulement au chiffre de 400 francs, mais comprendre, en outre, d’autres portions de revenus applicables aux charges particulières du contribuable, enfants, parents, etc., comme cela se pratique dans plusieurs législations.

Nous avons dit que tous les revenus appartenant à des particuliers et non employés à des services publics, hospices, caisses d’épargne, bureaux de bienfaisance, mutualités, etc., doivent être compris parmi les valeurs imposables. On trouve, dans l’ouvrage de Ch. Charton, la Réforme fiscale, chap. XII : Taxation intégrale du revenu, page 330, l’énumération des valeurs mobilières signalées dans le rapport p. 138, de Ch. Coste, à la suite de l’enquête parlementaire de 1894.

Pour l’année 1 893 les valeurs françaises taxées s’élevaient à 34 milliards, les valeurs étrangères à 3 milliards, donnant ensemble un impôt de 67 millions.

Quant aux valeurs non taxées, elles comprenaient :

La rente française, sans compter la dette flottante et les bons du Trésor, s’élevant à
ca26 milliards[1]
Les rentes étrangères
ca12cac
Les valeurs étrangères échappant à l’impôt
cac5cac
Les créances hypothécaires
ca12cac

cachecachecacheSoit au total
ca55 milliards


Représentant un revenu de 2.415 millions ne payant pas un centime d’impôt. Ce revenu est presque égal au revenu net de tout le sol français. On se demande pourquoi cette faveur, ce privilège, à cette forme de la richesse la plus commode, la plus sûre, la moins onéreuse pour les possesseurs. Avec le système de l’impôt personnel sur le revenu, même après défalcation faite des quatre cents francs de revenu par tête, exempts d’impôts, et grâce à l’échelle progressive qu’il s’agit d’admettre, tous ces revenus qui, aujourd’hui, jouissent d’une faveur vraiment injuste, donneraient à l’État plus de 150.000.000 de revenus, qui sont aujourd’hui à la charge du travail et de la petite propriété. Il n’y a aucune bonne raison d’exempter de l’impôt le revenu provenant de la rente sur l’État. Le rentier fait un faux raisonnement quand il dit : l’État est mon débiteur, il me doit mille francs de rentes, il doit me les payer ; oui, certes, et il les paie ; mais, de son côté, le rentier doit à l’État sa quote-part des dépenses générales dont il profite comme tous les autres citoyens, et cette quote-part, en bonne justice, est dûe en raison des revenus de chaque citoyen, quelle qu’en soit la source. Vauban fait même remarquer, dans sa célèbre Dîme royale, que les rentiers du roi ou de l’hôtel-de-ville, comme on disait alors, devraient rembourser à la nation l’impôt qu’elle paie ou que chaque particulier paie sur la terre et les valeurs de la nation, sur lesquelles porte l’hypothèque ou la garantie du rentier. Il y a longtemps qu’on a fait bon marché de ce raisonnement du rentier en Angleterre, en Italie, en Prusse, en Suisse, et que tous les rentiers paient sur tous leurs revenus, sans que cela ait diminué en rien le crédit de l’État.

  1. En 1904, il faut compter sur 36 milliards de rentes et au total sur plus de 60 milliards de capitaux, dont les revenus ne rapportent aucun impôt.