Librairie Guillaumin & Cie (p. 58-61).

CHAPITRE XXII

L’impôt sur le revenu en Angleterre
Income-Tax




L’income-tax, qui a été cité plus haut, existe en Angleterre depuis plus d’un siècle. Il a été créé à la fin du dix-huitième siècle, pour faire face aux dépenses considérables de la guerre qu’elle soutenait contre la France pendant la République et l’Empire. Le gouvernement anglais a compris l’utilité qu’il y avait d’affranchir d’une partie de l’impôt la classe des prolétaires et des petits propriétaires. Au début cet impôt ne fonctionnait qu’en temps de guerre ; puis l’État a trouvé commode de le maintenir pour subvenir à diverses dépenses variables, sans surcharger les citoyens vivant de leur travail ou de faibles revenus. Il joue, à peu près, le rôle de nos bons du Trésor, qui évitent que la caisse ne soit à sec à un moment donné. Seulement, le système anglais est supérieur au nôtre, en ce sens que l’income-tax ne frappe que la classe riche, tandis que nos bons du Trésor finissent toujours par se solder sur l’impôt général qui frappe la classe laborieuse.

L’income-tax, depuis 1865 à 1876, ne s’est perçu que sur les revenus supérieurs à 100 livres sterling (2.500 fr.). À partir de 1876, il n’a atteint même que les revenus supérieurs à 150 livres sterling (3.750), pour exempter même depuis 1895, 160 livres sterling (4.000 fr.).

Le taux de l’impôt a varié, par livre sterling, de 2 pence (20 centimes) à 1 schilling 2 pence, suivant les besoins, c’est-à-dire, de 20 centimes à 1 fr. 45, ce qui, converti en francs, représente o fr. 80 centimes pour 100 fr. de revenu, à 5 fr. 80.

L’élasticité de cet impôt qui n’atteint que la classe riche, a permis ainsi au gouvernement anglais de parer à toutes les dépenses extraordinaires que la politique militaire, ou des accidents climatériques rendaient nécessaires. Ainsi, pendant la guerre de Crimée, il a produit 16.000.000 de livres (400.000.000 de francs), pour tomber, pendant la paix, et les années prospères, de 1875 à 1877, à 4.000.000 de livres sterling (100.000.000 de francs) et remonter ensuite, pendant la guerre contre les Boers, en 1901 et 1902, à 27.500.000 livres sterling (687.500.000 fr.)

Ceci explique comment la Dette publique anglaise, au lieu d’augmenter, comme chez nous, et à perpétuité à chaque période de guerre, se maintient à peu près au même chiffre, le jeu de l’income-tax étant là pour couvrir, sans recourir à un emprunt, les dépenses extraordinaires occasionnées par les guerres. Ainsi, tout récemment, les dépenses de la guerre sud-africaine, qu’une politique impitoyable jugeait nécessaire, ont pu être payées en très grande partie sans contre coup sur les classes populaires, et sans grever l’avenir ; les classes riches en ont seules subi les conséquences immédiates. On dit même que c’est l’influence politique de ces classes, fatiguées d’une pareille surcharge, plutôt qu’un sentiment d’humanité, qui a amené le gouvernement à conclure la paix. L’income-tax aurait eu ainsi une heureuse influence sur la politique.

Il fonctionne bien, sans trop de récriminations par suite de nombreuses causes d’exemption. Mais comme il atteint les revenus industriels difficiles à apprécier, les enquêtes ont établi que 40 % des contribuables, de la catégorie des banquiers et des industriels font des déclarations inférieures à la réalité. Quelques-uns, plus délicats, ont fait, de ce chef, des restitutions de 250.000 et même de 375.000 fr. au Trésor. Il ne donne lieu du reste, à aucune inquisition ni indiscrétion désagréable. Le fisc attend les évènements qui, tôt ou tard, mettent les fraudes en évidence (Réformes fiscales de M. Charton, p. 697 — Paris — Guillaumin 1901).


Ajoutons que cet impôt a été fixé, d’abord à 2 pence (0 fr. 20) de 100 à 150 livres de revenu, et à 1 schilling 4 pence (1 fr. 65) au-dessus de 150 livres, pour chaque livre sterling. Mais la progression ne se fait plus sentir au-dessus de ce chiffre. On donne, en Angleterre, la raison de cet arrêt dans la progression. D’après les coutumes, les traditions anglaises, remontant à l’origine même de la nation, l’aristocratie riche supporte des charges considérables, municipales, judiciaires, religieuses, militaires, scolaires, etc.. On cite de puissants lords se déchargeant notamment de leurs fonctions judiciaires, en fournissant des traitements importants à des suppléants qui les remplacent dans leurs comtés, pendant qu’ils vivent en grands seigneurs dans leurs manoirs ou en longs voyages dans leurs colonies. On comprend donc que le législateur n’ait pas adopté un système de progression dans l’impôt, puisque les possesseurs de grandes fortunes se trouvent ainsi chargés de dépenses importantes. Il s’est borné à une exemption absolue de l’impôt sur les revenus inférieurs à 4.000 francs.